La voiture autonome, utopie ou nouvelle frontière de l'automobile ?

Conservatrice, établie, ancienne, l’industrie automobile subit comme tous les secteurs économiques les pressions de la dynamique des firmes qui organisent la société numérique. Désormais vieille industrie, elle doit, pour garder son statut d’industrie majeure démontrer qu’elle est capable de renouvellement en assurant la fusion de ses compétences propres avec celles issues du monde informatique et numérique. C’est un enjeu d’image, pour continuer à attirer l’attention du public, notamment jeune, sur le produit automobile, et attirer les ingénieurs les plus innovants. L’innovation technique répond à cet impératif dans un monde d’ingénieurs qui ne peut accepter d’être détrôné. Mais dans le monde actuel, ce sont les entreprises numériques qui incarnent cette dynamique. Google, Apple, Amazon et beaucoup d’autres attirent l’intérêt collectif, les clients, les talents, les capitaux. Lorsque Google a annoncé être en mesure de réaliser une voiture autonome, en se présentant comme un concurrent potentiel, l’orgueil de l’industrie automobile a été atteint ce qui a entraîné une réaction unanime des constructeurs classiques.

Aussi, 2014 a vu soudain apparaître dans le paysage automobile une nouvelle tendance technologique : la voiture sans conducteur. Il n’est pas de constructeurs qui n’aient annoncé, dans une surprenante surenchère, qu’ils allaient mettre « prochainement » sur le marché une voiture qui pourrait rouler sans que son conducteur ne se préoccupe de cette tâche désormais futile, conduire. Volvo, Daimler, Nissan, Ford, General Motors, Audi, BMW, Tesla se sont tous risqué à annoncer des dates probables de commercialisation, d’ici 5 à 10 ans, de ces véhicules autonomes ou semi-autonomes sans toutefois préciser l’ampleur du service rendu. Des partenariats inattendus se font jour comme Volvo et Uber.

Le projet n’est pas nouveau. On en trouve des prémices dans les visons futuristes des constructeurs dès les années 1950. Cependant, la ruée actuelle vers ce concept est apparue comme une réponse aux ambitions de Google des constructeurs automobiles établis qui prétendait pouvoir mettre sur le marché non seulement une voiture sans conducteur, mais aussi sans poste de conduite. Il est d’ailleurs bien curieux que, soudain, ceux qui exaltent et embellissent ce fameux plaisir de conduire, qui à lui seul déclencherait le désir d’achat du véhicule, nous promettent d’en être prochainement débarrassé en confiant à un automate le soin de s’acquitter de cette tâche.

Il faut toutefois questionner sérieusement l’intérêt de cette technologie en dépassant la fascination qu’elle inspire. Car après la valse des annonces, la réalité s’impose.

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Vue de la voiture autonome en 1956 (article de l'Association Québécoise des Transports, juin 2015)


Les voitures sont désormais très bien équipées en automatismes multiples qui assistent le conducteur dans sa tâche qui, dans les conditions réelles de circulation, est à la fois complexe et fastidieuse, mais aussi fatigante et dangereuse. Il n’y a que dans les publicités que l’on voit une voiture filer sur une route dégagée et sèche, sans aucun trafic. La réalité quotidienne de la route est bien éloignée de ces images du « plaisir de conduire » qui demeurent obstinément à la base du marketing de tous les constructeurs. Les glissements sémantiques des slogans, soigneusement calibrés, marquant l’identité de marque des constructeurs sont signifiants. Renault qui s’était illustré avec un slogan fédérateur des usages, « Des voitures à vivre » renvoyant à un univers familial, puis hésité entre « Créateur d’automobile » et « Changeons de vie, changeons l’automobile », a adopté en 2015 un slogan qui introduit clairement la passion et certainement une forme d’individualisme : « Passion for life ».

Les constructeurs ont tiré depuis longtemps profit des avancées de l’électronique pour équiper leurs véhicules d’outils d’aide à la conduite. De multiples capteurs et actionneurs ont été intégrés depuis l’apparition de l’antiblocage des roues au freinage, l’ABS, en 1978, pour aider à la conduite ou se substituer au conducteur en cas d’urgence. De fait, d’ores et déjà, une voiture moderne va prendre des décisions pour maintenir sa trajectoire avec l’ESP (Electronic Stability Program), assurer une vitesse constante avec le régulateur, améliorer l’adhérence en cas de pluie ou de neige, amplifier le freinage en cas d’urgence, avertir d’un franchissement de ligne ou de dépassement d’une vitesse autorisée, tout en pourvoyant le conducteur de multiples informations sur son itinéraire. La dernière Mercedes Classe S comprend une centaine de micro-processeurs pour s’acquitter de ces multiples tâches. Ces assistances ne se substituent pas au conducteur, même si elles corrigent, à la marge, ses décisions inappropriées.

En fait, le débat sur la voiture sans conducteur est parti de la volonté initiale de Google de valoriser la suprématie de son système de cartographie, élément fondamental d’un système de conduite autonome qui nécessite une précision de l’ordre du centimètre. Les constructeurs ont réagi en montrant qu’en équipant une voiture de capteurs, radars, scanners laser, outils de géolocalisation et servomoteurs, ils étaient également potentiellement en mesure de se passer du conducteur. Et on a vu ainsi quelques dirigeants se montrer au poste de pilotage de ces véhicules expérimentaux mais sans toucher le volant resté bien classique, position assez curieuse et très peu naturelle qui montre bien que le concept est encore plaqué sur des véhicules conventionnels… Plus encore, pour riposter à Google, les constructeurs automobiles ont décidé de se doter d’un accès direct aux technologies de cartographie de pointe. C’est pourquoi Daimler, BMW et Audi ont ensemble racheté en 2015 à Nokia sa filiale Here, l’ex-Navteq, pour 2,8 milliards €.

Est-ce utile ? Est-ce faisable ?

Il est clair que le maillon faible de la conduite automobile, c’est l’homme : 90% des accidents automobiles sont dus à des facteurs humains. L’inattention, l’utilisation d’un téléphone au volant, la surestimation de ses capacités poussant à des vitesses excessives, la fatigue, comme la drogue et l’alcool qui dégradent les réflexes sont les multiples causes humaines, souvent additives, à l’origine des accidents. Plus d’1,3 millions de personnes dans le monde, selon l’OMS, perdent la vie dans un accident de la route chaque année. Par ailleurs, les personnes âgées ou handicapées perçoivent leur impossibilité de conduire comme une aggravation de leur isolement.

Dès lors mettre au volant un ordinateur doté de capacités sensorielles puissantes et dépourvu des limites biologiques de l’homme est tentant. La motivation est noble : tendre vers le zéro accident et le zéro mort. On attend aussi de l’automatisation de la conduite des économies d’énergie, une réduction des embouteillages, un gain de temps considérable. On peut aussi imaginer que la voiture relaie et soulage le conducteur dans des situations fatigantes et sans intérêt, comme la conduite dans un embouteillage, les longs parcours sur route dégagée ou encore les manœuvres urbaines comme le stationnement. Mais pour atteindre ces résultats il faudrait que la machine elle-même soit exempte de failles, tant dans la conception que dans la gestion des décisions. Confier sa vie à des automates et des algorithmes impose le zéro défaut.

Soulignons d’abord qu’un nouveau vocabulaire est nécessaire pour rendre compte de cette nouvelle avancée technique. On ne devrait pas parler de « voiture autonome » mais de voiture à « délégation de conduite ». Une normalisation de ces niveaux de délégation de conduite a été élaborée. Ce terme de délégation de conduite à des ordinateurs, permet en effet de couvrir une large gamme de situations. Conduire un véhicule sur un parcours varié est une tâche complexe. Une voiture à conduite automatique qui se subsisterait aux véhicules actuels devrait remplir les missions polyvalentes d’un conducteur. Les obstacles sont multiples : emprunter un itinéraire varié, sur des routes hétérogènes, en milieu urbain dense ou en rase campagne, faire face aux aléas du trafic, aux comportements imprévisibles des piétons et autres usagers et aux conditions météorologiques, aux changements de la configuration de la route, en cas de travaux par exemple... Cette compétence du conducteur, ce serait aux ordinateurs du véhicule de l’assurer en s’appuyant sur les informations stockées et sur celles acquises en temps réel par dialogue avec les autres véhicules et les infrastructures au sol.

C’est là où le pari devient plus compliqué. S’il est relativement facile de faire rouler sans solliciter le conducteur une voiture sur autoroute dégagée, il faut que le véhicule soit en mesure d’atteindre une telle route par ses propres moyens et s’en dégager. Il faut donc définir à quel moment l’automatisme rend la main au conducteur s’il ne peut assurer en pleine sécurité une conduite en milieux variés. Il faut donc que le conducteur soit en permanence en situation de vigilance et que l’interface automatisme/humain soit parfaitement fiable. Même avec des pilotes expérimentés, et dans un espace dégagé, les pilotes automatiques des avions sont parfois sources de confusion aux conséquences fatales.

 La conduite automobile est en effet une tâche humaine complexe de plus en plus automatisée. Le travail du conducteur est assisté par de multiples copilotes prévenants. Ces outils vont de l’assistance à la tenue de trajectoire et au freinage, fonctions désormais largement déployées sur les véhicules neufs, à l’assistance au stationnement, à la régulation de vitesses liée au trafic et ultimement à la prise de contrôle totale dans les embouteillages. Ces assistances sont graduellement installées dans les véhicules de dernière génération, chaque nouveau modèle étant l’occasion de compléter l’équipement vers la prise en charge de fonctions nouvelles. Mercedes s’est fait une spécialité de ces équipements, aussi divers que coûteux, et sa Mercedes Classe S constitue un laboratoire roulant, et onéreux, de tous ces outils. Mais les véhicules de moyen de gamme ont aussi, parfois en dotation de base, des équipements qui auraient fait rêver il y a encore cinq ans. Il faut bien admettre que cette course en avant technologique ne fait pas mieux vendre les voitures et n’est plus entre constructeurs un élément suffisamment différenciant. C’est devenu un élément de confort et de sécurité auquel les automobilistes s’habituent et ne souhaitent pas payer.

Où en est la délégation de conduite totale ? Une expérimentation onéreuse.

Pour le moment la délégation de conduite totale, qui fait de la voiture un véhicule réellement autonome à qui il s’agit d’indiquer la destination, n’est qu’un rêve. Les voitures sont soumises à des conditions de fonctionnement bien plus difficiles que les avions, dont les conditions d’usage sont plus simples à modéliser et à programmer. Pour atteindre une telle fiabilité il faut multiplier les capteurs, les processeurs de traitement faisant appel à des algorithmes complexes et à l’intelligence artificielle («machine learning »), les automatismes pour se prémunir de la défaillance d’un composant ou d’un programme. Un tel équipement complexe ne peut qu’être très coûteux. Ainsi un laser 3D, ou lidar, coûte encore 50 000 € pièce. Chaque prototype de la Google Car est équipé de machines représentant plus de 100 000 $. Comment prévoir toutes les situations auxquelles un conducteur pourrait être confronté ?

ll faut donc revenir à une réalité opérationnelle qui ne fera certainement pas rêver mais qui a plus de chances de se concrétiser rapidement. Toyota prône une approche pragmatique et graduelle qui parle de voiture autonome, par couches successives d’avancées techniques, mais non sans conducteur. L’humain, pour Toyota, doit en effet rester en permanence en situation de contrôle. Cette piste est la plus vraisemblable. Les constructeurs vont "simplement" même si le travail est déjà considérable étendre progressivement le champ des automatismes déjà installés, en commençant par le très haut de gamme pour financer le coût de ces installations. Car un des aspects sous-estimés de la voiture autonome est son modèle d’affaire. Comment justifier un tel surcoût par véhicule, même si on peut penser que les progrès de l’électronique embarquée et des logiciels permettront d’en abaisser le coût ?

L’émergence d’un marché de véhicules professionnels ?

Il n’y a vraisemblablement que dans les usages professionnels que ces équipements pourront se justifier dans les prochaines années. Le projet CityMobil2, financé par l’Union Européenne, a permis de tester cinq expérimentations de transport urbain autonome (ARTS : Automated Road Transport Systems) entre 2014 et 2016. Ces expériences ont permis de valider positivement le concept auprès des usagers en termes de confort, service et sécurité, sans enthousiasme particulier, et de tester leur sensibilité par rapport aux voitures autonomes. On voit en 2016 se multiplier ce type d’expériences dans des environnements variés. Il s’agit généralement de navette de passagers autonome adaptée aux espaces sous contrôle comme les aéroports, les ports, les parcs d’attraction ou d’exposition. L’expérience menée par Keolis avec la firme française Navya porte ainsi sur deux navettes de 15 passagers sur une distance linéaire de 1,3 km à 20 km/h dans le quartier lyonnais de Confluence. Ces véhicules coûtent 200 000 €.

Il faut également suivre les travaux d’Uber pour valider un modèle de conduite automatique hautement sécurisée qui permettrait de fournir le service sans devoir gérer les chauffeurs. Ce n’est pas une expérience anodine car Uber emploie dans le monde un million de chauffeurs. Quelques SUV Volvo XC90 ont été équipés pour tester le service dans les rues de Pittsburg, avec toutefois un chauffeur à bord pour des raisons de sécurité et d’acclimatation des usagers. Il est prévu que la flotte comporte dès fin 2016 cent véhicules, ceci dans le cadre d’un plan d’investissement de 300 millions $ copiloté par Volvo et Uber pour commercialiser des voitures autonomes en 2021. Mais si on estime que le coût total d’un chauffeur Uber en France ne dépasse pas 60 000 € par an, il faudrait que le coût supplémentaire d’un véhicule autonome soit significativement intérieur pour prendre ce risque commercial. L’expérience de taxis autonomes de Singapour qui a démarré mi-2016, porte sur un test plus modeste de véhicules électriques rendus autonomes par une start-up, nuTonomy, spécialisée en robotique et intelligence artificielle. Il s’agit de six Renault Zoe et Mitusbishi i-MIEV qui opèrent à partir d’emplacements précis dans un quartier d’affaires de 200 hectares. Ces voitures ont toutefois un chauffeur prêt à prendre les commandes. L’objectif de la start-up est de réduire le nombre de voitures circulant à Singapour de 900 000 à 300 000.

Les véhicules lourds comme les engins de manutention, en site propre, et les poids lourds profiteront certainement de l’avancée de ces techniques.

Carlos Ghosn, parmi d’autres dirigeants, s’est risqué à annoncer en 2016 un plan précis en trois étapes pour Renault et Nissan: conduite automatique dans les bouchons en 2016, conduite automatique sur autoroute en 2018 et conduite en ville en 2020. La conduite automatisée en toutes circonstances ne pourrait être imaginée qu’à partir de 2025. Dans le concert des effets d’annonce que ne va pas manquer de susciter le Mondial de l’automobile de Paris il va être intéressant de distinguer les constructeurs sur le caractère réaliste sur le plan économique de leurs projets de voitures à délégation de conduiteLa voiture autonome, nouvelle frontière de l'automobile ? 

Ce texte est tiré d'une étude Fondapol-Sia Partners qui va paraître fin septembre 2016 sur les enjeux politiques du véhicule électrique


Web, pouvoir et (trans)humanisme

L’histoire se résume en trois dates clefs : 1969, 1993, 2007, soit moins de cinquante ans pour changer le monde. Le réseau Internet est né, il y a quarante ans, de la rencontre entre les exigences de la sécurité nationale des Etats-Unis et de la culture libertaire des hippies californiens. D’une telle hérédité ne pouvait pas sortir une créature anodine, mâtinée d’inspiration libérale voire libertaire et d’aspiration à un ordre nouveau, eugénique et hygiénique. A partir de 1993, le web allait rendre le réseau internet accessible et familier et permettre le développement de nouveaux services que le smartphone allait encore étendre avec l’iPhone en 2007. Ce formidable succès, comme celui des acteurs qui sont à l’origine de cet engouement planétaire, ravit les utilisateurs autant qu’il inquiète les intellectuels. Internet et le web portent simultanément les gènes de l’ordre et du pouvoir et celles du désordre et de la transgression. Comme toute innovation humaine structurante !

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La prise de conscience de l’émergence d’un monde nouveau, d’une civilisation nouvelle, est encore peu répandue en France où on affecte encore de vouloir retrouver les formes de la croissance d’antan en sous-estimant la rupture scientifique et technique du monde numérique. Cette situation n’est en effet pas nouvelle. Elle est commune à chaque étape de mutation rapide. Adolphe Thiers ne parlait-il pas du train comme d’un jouet pour lequel l’intérêt serait éphémère ? Jacques Chirac et son mulot comme Nicolas Sarkozy avec son ignorance du plus grand site d’échanges marchands entre particuliers perpétuent cette tradition. Que ces avancées soient pour l’essentiel nord-américaine ne fait qu’amplifier la cécité, au moment où notre pays se débat dans l’impuissance collective qui absorbe une grande part de son énergie.

Il faut donc saluer le travail d'intellectuels français qui projettent ce débat dans des ouvrages de clarification et de mises en garde dans des registres différents, mais aux interrogations convergentes. « L’homme nu » de Marc Dugain et Christophe Labbé, sous-titré « La dictature invisible du numérique », est l’œuvre d’une équipe, un écrivain et un journaliste, et « La révolution transhumaniste » de Luc Ferry est le travail d’un philosophe qui n’a pas oublié qu’il a joué un rôle politique. Ces deux livres, parus au printemps 2016, sont utiles car, documentés et bien écrits par des personnalités reconnues, ils forcent à la réflexion.

Leur mérite est de marquer ce territoire où science, technique et comportements tissent les trames d’un monde nouveau qui va changer en profondeur tout ce que nous faisons. Qu’ils posent ces questions fondamentales est nécessaire. L’angoisse se nourrit d’ignorance et se réfugie dans l’inaction incantatoire, art où nous excellons. Il serait catastrophique pour notre futur de s’enfermer dans le déni et de sous-estimer l’ampleur des mutations en cours. Il serait également coupable de ne pas voir les menaces de l’émergence d’un nouvel ordre mondial qui derrière une façade avenante ne serait qu’un avatar d’une histoire bien connue, celle du pouvoir d’une minorité.

Il faut donc comprendre pour agir avec discernement, car le futur n’est pas plus écrit qu’il n’est prédictible.

Un constat implacable

Le web s’est insinué, sans aucun doute, dans tous les compartiments de la vie de l’homme du XXIe siècle. Il le fait partout sur la planète et de façon invasive, nuit et jour. Ce compagnon omniprésent a su se rendre indispensable pour nous aider à régler les mille et un problèmes de notre vie quotidienne. Disponible, mobile, prévenant, le web est plus qu’un outil pratique. C’est un observateur infatigable des moindres de nos faits et gestes. Ce que nous faisons, ce que nous mangeons, les gens que nous voyons, les lieux que nous fréquentons, ce que nous pensons, tout ceci laisse, électron après électron, des traces dans une immense mémoire où il suffi(rai)t de plonger avec quelques logiciels malins pour établir des liens entre tous les compartiments, parfois étanches, de notre vie. Nous produisons à chaque instant des traces numériques soigneusement enregistrées. Le croisement de ces données individuelles et collectives apporte des informations précieuses, donc monnayables. Nous devenons la matière première de la décision. Google, Facebook cherchent à le faire pour notre bonheur et leurs résultats financiers. Nous devenons « l’homme nu » dont parle avec angoisse Marc Dugain. Cette vision est étayée par les déclarations mêmes des acteurs de ce mouvement Mark Zuckerger, Serguei Prin, Jeff Bezos et les autres. Tous les tycoons de la Silicon Valley le répètent à l’envi : « We want to build a better world ». Ce n’est pas absurde pour les consommateurs. Il faut que cela soit aussi vrai pour les autres dimensions de la vie sociale.

Car nous devenons aussi « l’homme omniscient » puisque tout savoir est désormais à portée de clic. Chaque décision, même mineure, peut être adéquatement informée. Et comme nous pouvons savoir tout de tout, nous constituons progressivement un immense réseau cognitif justement capable de se protéger contre les excès. Chaque humain, et plus seulement les institutions spécialisées, devient un composant d’un système global où coopèrent de plus en plus intimement humains et machines pour repousser les limites du savoir et faciliter dans tous les domaines la prise de décision. Les mécanismes économiques qui étayent la puissance de la société en réseau ont été largement développés en 2006 dans le magistral ouvrage de Yochai Benkler « The Wealth of Networks ». Le capital de la connaissance est plus facile à exploiter que le capital matériel et ouvre donc à de multiples opportunités de création de richesse.

Notre société technique, comme à chaque palier de transformation, génère des questionnements légitimes qui appellent à une réflexion lucide. Mais peut-on s’enfermer dans la nostalgie d’un monde meilleur, qui n’a jamais été, ou tenter de décrypter ce que nous vivons pour profiter pleinement de la technique et peser sur l’évolution ?

Le futur angoisse toujours, le notre comme ceux de nos prédécesseurs

Le livre de Dugain et Labbé est clairement à charge, même si son analyse est précise et documentée. Car les conclusions sont anxiogènes et se focalisent sur un cri d’alarme : on est manipulés, c’est le grand complot entre le GAFA et le NSA. Le but des Etats-Unis n’est pas de conquérir le monde mais de le dominer… Les « Big Data », c’est ainsi qu’ils nomment les firmes qui ont structuré le monde du web, en contrôlent les clefs et veulent faire fructifier ce savoir et ce pouvoir en vendant, « maîtres du temps », la promesse de l’immortalité. Mais ce ne sera que pour une minorité fortunée. Pour les autres, le pronostic est sombre : « Dans un univers digitalisé et automatisé où le travail se raréfie, l’arrivée des robots humanoïdes va précipiter le « chômage technologique » jusqu’à l’étape ultime du chômage total ! ».Pour Dugain et Labbé, les « Big data » ont sombré dans l’hybris, la démesure absolue. Ces maîtres du monde nous ont piégé en nous anesthésiant , le pire est désormais sûr : « les avantages proposés par les nouveaux maitres du monde sont trop attrayants et la perte de liberté trop diffuse pour que l’individu moderne souhaite s’y opposer, pour autant qu’il en ait les moyens ».... Quand on est un propagateur des mérites de l’économie numérique, on se trouve tout un coup pris d’un malaise : ais-je été manipulé à ce point pour devenir le zélé héraut d’une société aussi sombre ?

Sommes-nous aussi impuissants face au GAFA ?

Mais pourquoi considérer d’une part que ce ne peut être que pour nous exploiter, au pire nous contrôler ? Pourquoi imaginer que tous les contre-pouvoirs seront impuissants face à ces nouveaux maîtres ? A chaque nouvelle percée technique, il y a eu des auteurs sérieux, mais affolés, qui annonçaient le pire sur l’usage du train, de l’automobile, de l’électricité. Mais nous avons été ravis de confier aux machines le soin d’amplifier notre capacité musculaire et de nous permettre de produire et de nous déplacer rapidement, facilement et confortablement. Malgré les défauts de « la voiture à gaz de pétrole » on cherche aujourd’hui à l’améliorer plutôt qu’à la supprimer et personne n’a envie de revenir exclusivement à la marche à pied et à la traction hippomobile. D’ailleurs, signe de lucidité collective, les transports en commun ne cessent de gagner en part de trafic dans les grandes villes. La révolution des transports a changé notre univers mental. La révolution de la machine, elle, nous a donné des pouvoirs considérables, dont souvent, certes, nous ne faisons pas le meilleur usage. La chimie, le nucléaire, l’exploitation des énergies fossiles ont des limites dont nous sommes désormais conscients et qui appellent des correctifs.

L’histoire nous montre certes que nous nous engageons dans des voies nouvelles, sans en mesurer a priori toutes les conséquences, car c’est impossible. Trop de principe de précaution asphyxie l’innovation. En revanche pour pouvons collectivement corriger la trajectoire. Aussi qui peut raisonnablement prétendre que l’avenir donnerait aux seules firmes qui manipulent les données massives un pouvoir tellement asymétrique qu’il deviendrait démesuré et hors de contrôle ? Risque, oui, certitude, non, motif suffisant pour ne rien faire, certainement pas !

Le monde de la connaissance est beaucoup plus équilibré qu’il ne l’a jamais été

Ces liens multiples en permettant de comprendre - rappelons que l’intelligence vient du latin « interligere », c’est à dire établir des liens – les relations qui existent entre nos comportements. De cette capacité surpuissante on peut bien évidemment tirer le meilleur – tout ce qui nous permettre de vivre plus longtemps, en paix et en bonne santé et en limitant notre impact sur les ressources naturelles – mais aussi le pire, le contrôle possible de nos comportements, leur anticipation et potentiellement la maîtrise de nos consciences. Alors que pour la machine il ne s’agissait que de puissance musculaire, la révolution numérique nous dote d’une prothèse cérébrale qui touche au cœur de notre essence.

C’est pourquoi Luc Ferry choisi de dépasser le cadre de la révolution numérique telle qu’elle est aujourd’hui définie en posant clairement la question du transhumanisme : la technique va-t-elle amplifier les capacités de l’homme comme elle n’a cessé de le faire depuis les origines, ou va-t-elle par sa puissance absolue remettre en cause l’humanité en la dépassant par une création nouvelle d’hommes-machines hybrides ? Le transhumanisme ne serait-il que le prolongement de la quête des Lumières telle que la formulait Condorcet : « Nous trouverons dans l’expérience du passé, dans l’observation des progrès que la science, que la civilisation ont faits jusqu’ici, dans l’analyse de la marche de l’esprit humain et du développement de ses facultés, les motifs les plus forts de croire que la nature n’a mis aucun terme à nos espérances ». Il n’y a pas de limite à notre capacité, nous nous en donnons les moyens et nous n’avons aucun motif de brider notre capacité à nous surpasser.

Luc Ferry a réalisé un remarquable travail de synthèse de la littérature sur ce sujet, très largement commenté outre-Atlantique. Son cheminement est lucide et laisse une large part au doute. Il ne condamne pas mais tente d’esquisser un chemin raisonné compatible avec nos valeurs. Entre ubérisation de la société et transhumanisme, il y a une convergence car le socle technique est bien le même : un réseau mondial qui fait circuler, analyse et enrichit toute l’information et la connaissance a des conséquences sur la dimension matérielle de la vie sociale mais aussi sur sa dimension métaphysique et spirituelle. Mais Luc Ferry ne soutient pas l’idée qu’il s’agit d’un chemin pavé de roses vers l’utopie de la fin du capitalisme, en éreintant au passage les thèses de Rifkin avec une certaine jubilation.

Une voie raisonnée est-elle possible ?

C’est le pari de Luc Ferry. Il n’est pas le seul à pondérer à la lumière de l’histoire et de la philosophie les risques de la société de la connaissance. Ils ne sont pas nouveaux par nature, puisque la maîtrise de l’information pour tenir le pouvoir est une constante, mais ils sont amplifiés par la puissance de machines. Néanmoins la résistance est possible. Faut-il rappeler qu’il a suffi d’un seul homme, Edward Snowden, pour contrer la CIA et la NSA ? WikiLeaks défend depuis 2006 le droit à une information libre. Comme dans « 1984 », la conscience individuelle des donneurs d’alerte reste plus forte que la conformité aux normes dominantes. Néanmoins, ce serait un peu fragile et illusoire de confier le futur de l’humanité à quelques héros solitaires. Luc Ferry estime que face aux bouleversements annoncés du travail, de la vie sociale et de la vie tout court, nos outils actuellement de régulation sont impuissants. Interdire Amazon comme UberPop est absurde. La démocratie est dépassée par un double mouvement : une profonde aspiration à l‘individualisation, qui s’inscrit dans le courant de long terme initié par les Lumières, fondé sur la recherche de toutes les formes de désaliénation, et l’ultra-compétitivité induite par la mondialisation technique, et qui pousse de façon inexorable à étendre sans fin le champ du « techniquement possible « . Ce qui est bon pour Google est bon pour l’humanité. Cette double aspiration vertigineuse, qui laisse au fond l’individu seul face à la technique, tous les freins ayant disparu, l’Etat, la religion, la morale, pousse une partie de l’opinion pensante à un profond pessimisme.

Mais ce monde déstructuré est aussi une opportunité pour inventer autre chose, fondé sur la frugalité dans l’utilisation des ressources et la générosité dans l’exploitation des talents. Au fond, notre destin humain est tragique, mais notre époque est la moins tragique de toutes si on fait preuve de sagacité statistique sur le long terme en oubliant que sa cave a été inondée. Alors ce monde imparfait peut-il continuer à cheminer cahin-caha vers moins d’imperfection en utilisant la science et la technique ? Pour Marc Dugain et Christophe Labbé, il faut organiser la résistance à partir de micro-communautés militantes. Pour Luc Ferry la réponse est positive si on invente une forme de régulation publique avisée qui dépasse les points de vue individuels et les pressions technicistes et mercantiles. Ceci passe par la compréhension impérieuse que nous vivons une mutation qui n’a rien de magique mais qui reste profondément humaine. C’est un appel à la formation et à la conscience.

Vaste programme !

Marc Dugain et Christophe Labbé, « L’homme nu », Plon, 2016

Luc Ferry « La révolution transhumaniste »,Plon, 2016

La question n’étant pas triviale pour être tranchée facilement, je conseille au lecteur de se plonger dans la littérature abondante sur l’avenir du web, très largement exploitée par les auteurs anglo-saxons

Andrew Keen, « The Internet Is not the Answer », Atlantic Books, 2015

Larry Downes and Paul Nunes « Big Bang Disruption : Strategy in the Age of Devastating Innovation », Penguin Portfolio, 2014

Laurent Alexandre « La mort de la mort », JCLattès, 2011

A lire aussi cette réflexion de Jean-Baptiste Fressoz sur la prévisibilité des dégâts du progrès : « L’apocalypse joyeuse », 2012, UH Seuil

Et bien sûr le blog d'Yves Caseau http://informationsystemsbiology.blogspot.fr comme celui de l'Institut de l'iconomie http://www.iconomie.org


L'impasse française : oser la comprendre pour mieux en sortir

Quelques expatriés japonais qui aiment la France, lassés de voir les rues et squares de Paris mal entretenus, y ont créé une association, les Green birds, qui organise des expéditions de nettoyage collectif. Ce fait, humiliant, est symbolique. Ce pays qui jouit d’une position géographique, d’un climat et d’un patrimoine exceptionnels, suscitant l’envie de toute la planète, perd sa lucidité au point de négliger le fondement même de son attractivité, son aspect physique ! Plus encore, il parait normal à tout parisien fumeur de jeter son mégot au sol car c’est l’expression d’une valeur bien française, la liberté… Et ne paye-t-on pas des impôts pour exercer ce droit inaliénable, même au risque très peu probable  de devoir payer 68 € d’amende?

La France vit sans cesse le grand écart entre l’expression bravache de grands principes qui ont fait sa réputation et une incapacité très concrète à les mettre en pratique. C’est sûrement pour mieux concrétiser nos valeurs que le chef de l’Etat a cru nécessaire de créer un secrétariat d’Etat à « l’égalité réelle » qui doit être un cas unique dans les 193 états membres des Nations Unies !

Les causes sont… ailleurs !

La France vit avec beaucoup de difficultés un double changement historique: une perte d’influence mondiale et un ralentissement durable de son économie. Ces deux tendances lourdes se traduisent par une réduction de la population en emploi et donc du revenu disponible, alors que les frais de structure d’un grand territoire, morcelé en une multitude de collectivités, restent identiques. Cet effet ciseau a des conséquences immédiates : poids des transferts sociaux, dégradation des infrastructures, alourdissement des déficits. L’économie française, privée des armes classiques des pays en difficulté – la dévaluation, l’inflation, l’accroissement sans limite des déficits –, incapable, faute de consensus, de résoudre quelques problèmes structurels récurrents, est paralysée et ne progresse plus. Plutôt que d’en comprendre les causes, la classe politique, soutenue en cela par une partie notable de l’opinion, préfère s’en tenir à une vision archaïque de la défense du « modèle français », voir même, sans hésitation, du « génie français »[i] remis au goût du jour par tous les partis.

Dans cet exercice récurrent d’autojustification, dont le débat sur la loi Travail offre un florilège, le reste du monde s’acharne à attaquer la France dans ses valeurs républicaines et la superbe de son modèle. Bruxelles, l’euro, les Etats-Unis, l’inflexible Allemagne ou la perfide Albion, la Silicon Valley et l’immonde hydre du GAFA, la Chine avec ses industriels copieurs et ses salaires bradés, constituent une coalition hétéroclite mais efficace au service de la mondialisation, bras armé d’une revanche contre la France éternelle, celle de la joie de vivre, de l’humanisme, des valeurs du XVIIIe siècle. Qu’on soit nationaliste, populiste, écologique, de gauche ou de droite, on partage largement le sentiment que si nous trainons la patte dans la plupart des classements mondiaux, c’est parce que l’arbitre est clairement du côté de l’adversaire. Comme le répètent à l’envi nos dirigeants, la France est un « grand » pays qui ne mérite certes pas ce sort. Mais comme le disait le très regretté Pierre Desproges, nous n’y sommes pour rien parce que, simplement, « les étrangers sont des cons », sentiment largement répandu dans tous les bistrots de France.

La loi d’airain des classements

Mesurer la situation réelle de la France en termes de situation économique, éducative, technologique, sanitaire n’est pas très difficile. Les organisations de l’ONU, l’OCDE, le FMI publient des statistiques et analyses qui sont corroborées par des études menées par des organismes privés comme le Word Economic Forum. De cette masse d’informations, il ressort que le recul de la France est réel et se mesure sur une série d’axes objectifs.

Avec moins de 1% de la population mondiale, et un PIB de 2423 milliards $ en 2015 qui la classe au 6e rang mondial, la France n’est que 21e pour le PIB par habitant. Chaque France vit beaucoup moins bien qu’un Suisse, dont le PIB est 2,2 fois le sien, qu’un Suédois (1,3 fois supérieur) ou qu’un Canadien (1,2 fois) sans parler des britanniques ou des allemands. Au classement mondial de l’IDH (indice de développement humain), qui intègre le PNB par habitant, le niveau d’études et l’espérance de vie à la naissance, la France est 22e. Cette réalité chiffrée contraste avec les chants de gloire de nos gouvernants successifs.

Faire une liste exhaustive des preuves de ce déclin de long terme serait impossible. Mais au-delà des indicateurs significatifs de résultat, qui traduisent l’impact actuel de décisions anciennes, il faut aussi s’intéresser aux indicateurs qui traduisent une capacité à faire, qui conditionne les résultats futurs.

Une des clefs de l’avenir économique est la maîtrise des composants de la société numérique. Parmi ceux-là, figurent les réseaux de télécommunications haut débit et les logiciels. Selon le rapport 2015 sur les technologies de l’information du World Economic Forum, la France occupe le 26e rang mondial pour son degré de préparation à intégrer les technologies numériques (indice NRI : Networked Readiness Index). La France souffre d’un handicap en matière de couverture de son territoire en haut débit, fixe et mobile. Ce fait est reconnu et chaque gouvernement en fait une priorité… L’objectif d’Eric Besson, secrétaire d’Etat à l’économie numérique, était ainsi, en avril 2008, de « donner à l'ensemble de ses concitoyens et pour chacun des territoires l'accès à l'Internet haut débit fixe et mobile, ainsi qu'à la télévision numérique terrestre, à l'horizon 2012 ». Le plan Très haut débit de Fleur Pellerin dit en 2013 la même chose, pour… 2022. Après avoir bien réussi le déploiement de l’ADSL, la France a négligé le haut débit fixe et se situe en 2016 au 26e rang mondial pour le raccordement en fibre optique et 59e pays mondial pour le taux de couverture en 4G.

Le second sujet d'avenir est l'éducation. Dans une économie où le  niveau scientifique et technique va être de plus en plus exigeant, l'éducation est le facteur clef de compétitivité. L’enquête PISA de 2013 montre une dégradation du niveau des élèves français au cours des dix dernières années en mathématiques où les performances se situent désormais dans la moyenne. Plus encore l'école française est de plus en plus inégalitaire.  L’origine sociale des enfants dans leurs résultats pèse plus en France que dans les autres pays de l’OCDE. De manière générale, l’inégalité de la différence de niveau entre les élèves croît en France depuis 2003 ! Chiffre très révélateur : la proportion d’élèves issus de l’immigration se situant au dessous du niveau 2 en mathématiques atteint 43 % en France et ne dépasse pas 16% en Australie et au Canada. Le retard de l'apprentissage en France est largement reconnu et chaque gouvernement s'en indigne, sans résultat. En matière d’informatique scolaire, en l’attente périodique d’une « grand plan numérique pour l’école », qui se résume le plus souvent à des équipements, les résultats des enquêtes de l’OCDE, qui situe la France légèrement au dessus de la moyenne, démontrent qu’il n’y a pas de miracle numérique et l’impact de l’usage des outils numériques est d’autant meilleur que les enseignants sont formés et les programmes adaptés.

Il n’y a que sur le plan démographique que la France qui jouit d’un système reconnu de soutien à la petite enfance atteint un taux de fécondité constamment proche de 2, le meilleur de l'Union européenne avec l'Irlande, qui écarte tout risque de vieillissement prématuré, même si le vieillissement biologique inévitable des baby-boomers va se traduire par une augmentation importante des plus de soixante ans dans la population, avec les dépenses de santé inhérentes à cette tranche d’âge.

Changer, mais comment ?

Depuis vingt ans les rapports s'accumulent,  les ouvrages se multiplient, les rayons croulent sur les solutions de chaque homme politique mais la situation continue à se dégrader. Ce n'est donc pas dans les constats et les programmes que se situe "la" solution. Il faut donc admettre enfin qu’il faut réagir individuellement. Nous ne pouvons plus glisser sur la pente fatale de l’appauvrissement en attendant un miracle venu "d'en haut", homme providentiel ou situation magique. Le sursaut ne peut venir que d'une envie partagée de ne pas se résigner au déclin.

Toutefois cette réaction individuelle peut aussi être  un constat d’échec collectif, motivant un départ de la France. Beaucoup de Français, lucides et actifs mais impatients, préfèrent quitter ce pays pour aller développer leurs talents ailleurs, Londres, la Californie, l’Australie, ou le Canada. Les retraités partent au Portugal ou au Maroc au risque de se désocialiser. Si ce phénomène est largement médiatisé, il ne bouleverse pas encore les équilibres fondamentaux puisqu'il n'y a officiellement que 1,566 million de français recensés à l'étranger, chiffre certes en hausse de 17% entre  2006 et 2013, et surtout au profit des pays proches comme la Suisse, la Grande-Bretagne, la Belgique... Toutefois, ce qui est le plus préoccupant dans ce flux de départ, c'est qu'il touche de plus en plus les jeunes diplômés.

Rester pour construire un avenir meilleur en France est la solution la plus simple et la plus évidente. Avant, toute mesure technique fiscale ou sociale, c'est la confiance sur la capacité collective des Français de faire face aux problèmes par un désir de renouveau et d'engagement qui peut stimuler cette motivation. Retrouver une place acceptable dans les classements mondiaux sera un résultat ultérieur heureux de cette capacité de réaction retrouvée.

Or ce pays a la capacité d’offrir à tous les entrepreneurs et à tous les entreprenants le territoire de leurs ambitions.

La France dispose de tous les moyens techniques pour prendre toute sa place dans la société numérique. C’est bien en misant totalement sur les technologies numériques, qu’elles soient exploitées dans les industries classiques ou déployées dans des usages nouveaux. Il ne faut plus chercher à corriger les défauts structurels de notre modèle économique, il faut résolument tourner la page du XXe siècle, car le modèle a totalement changé, pour attaquer les sources de richesse et d’influence futures. Elon Musk dit que « le passé est notre plus mauvais conseiller « .

Le changement est scientifique et technique. Le numérique, omniprésent, aide à redéfinir les standards de performance dans tous les secteurs, agriculture, industrie, services et service public. On peut, partout, faire mieux, plus vite et moins cher. Mais de peur de déstabiliser des processus établis depuis longtemps, qui ont figé les hiérarchies, les normes, les contrôles, les modèles de management, dans le modèle antérieur du productivisme industriel, on - et derrière ce « on » anonyme il est possible de mettre beaucoup de gens - diffère les changements. On plaide pour les réformes alors que chacun s’enferme dans le conformisme prudent et paresseux. Tout le monde sait qu’il faut simplifier les règles, partout. Et il est très commode d’incriminer le seul secteur public alors même que le plupart des entreprises ont réinventé une bureaucratie qui casse l’initiative et valorise le conformisme. Or simplifier implique toujours l’abandon de systèmes inutiles, auxquels sont associés des équipes, des personnes, des dirigeants. Ce sont autant de talents qui pourraient largement être utilisés à mettre en œuvre les innovations qui vont nous permettre de progresser en efficience plutôt que s'acharner à pérenniser des modèles obsolètes.

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Intelligence artificielle, sciences cognitives, biotechnologies, énergie décentralisée, automobile à faible consommation, technologies de l’habitat, biotechnologies agricoles, aéronautique, lutte contre le cancer et les maladies neurodégénératives, nouvelles techniques de la confiance ( blockchains…) voici autant de sujets clefs où il faut investir massivement, avec de l’intelligence et des capitaux. Ces thèmes sont traités dans les neufs dossiers de « la nouvelle France industrielle ». Mais il y a encore beaucoup de réticences à abandonner un saupoudrage des moyens. La lisibilité des messages en souffre. Faute de clarté et de simplicité dans les engagements, dans un climat de scepticisme et de défiance, on n'obtient pas de résultats suffisamment rapides et visibles pour en tirer toute l’énergie nécessaire au changement. Les conséquences de cet engagement indispensable pour l'industrie du futur mettront des années à avoir un impact sur l'emploi.. et le moral ! Mais il ne faut pas relâcher cet effort de long terme en cédant au découragement et aux contingences de court terme. 

Car les idées sont là, pertinentes, en phase avec le potentiel scientifique et technique. Et même sur le sujet controversé de  la  baisse des charges, un dispositif lourd a été mis en place. Le CICE (Crédit d'Impôt pour la Compétivité et l'Emploi) organise depuis janvier 2013  une réduction massive du coût de la main-d'oeuvre de l'ordre de 20 milliards €. La mesure a été critiquée pour sa complexité. Néanmoins rien ne permet d'enrayer le chômage de masse dont les causes sont anciennes, profondes et complexes. Les messages positifs ne suffisent pas à écarter les nuages alimentés par un climat morose et le manque de puissance des discours politiques.

Les gouvernants ne sont certes pas responsables de l’embauche individuelle. Mais leur stratégie doit contribuer à desserrer les freins qui pèsent sur la décision individuelle. On constate que les grandes réformes ne fonctionnent pas vite et butent sur les contraintes de court terme, trésorerie, carnet de commande, contexte économique mondial. Les entrepreneurs persistent à penser qu'embaucher est difficile et contraignant. Or la compétitivité ne se décrète pas. C'est un travail  de longue haleine qui porte sur la qualité de l'offre, sur l'image de marque, sur la qualité des services, les prix n'étant qu'un facteur parmi tous les éléments qualitatifs qui influencent les clients.

Il faut donc avancer sur le plan macroscopique en déminant les obstacles de façon pragmatique et décentralisée sur les sujets qui conditionnent les performances économiques futures, et donc la qualité et la standard de vie : formation, notamment en alternance, embauche des jeunes; soutien aux jeunes entreprises, renforcement des liens entreprises-écoles-universités,  innovations dans le domaine de la santé. L'économie est au coeur de la réussite d'un pays même si les sujets sociétaux peuvent se réveler  mobilisateurs pour stimuler  l'innovation et l'investissement, comme la lutte contre l'accidentologie routière ou le cancer. 

Mais plus que toute grande stratégie de réforme, lente et complexe, l'économie française doit se réinventer sur une base décentralisée, fondée sur les initiatives locales et l'entrepreneuriat. Les grandes entreprises à vocation mondiale peuvent y contribuer efficacement en soutenant les écosystèmes par un flux de commandes, de prises de participation dans les start-up, de prêt de personnel qualifié. Il ne faut pas attendre de réformes globales pour commencer à se prendre en charge. Tout repose sur un sursaut individuel. Maintenant. 

 

Sources et références

https://fr.wikipedia.org/wiki/Green_Bird

[i] Marie-Noëlle Lienemann, Le Monde, 25 mars 2016


Rassurée, l'automobile mondiale se cherche (timidement ) un nouveau modèle

Le salon de Genève s’ouvre début mars sur un paysage rassurant. La dépression du marché automobile mondiale est bien finie. En croissance depuis 2011, la production automobile mondiale a connu, avec 89,4 millions de véhicules, en 2015 une nouvelle progression de 2,3% qui confirme le retour de la dynamique du marché et donc de la santé des constructeurs. Tous affichent des résultats flatteurs, comme en témoignent les résultats récemment publiés de Renault et PSA. Les cours anémiques du pétrole rassurent les clients, surtout aux Etats-Unis, sur la pertinence du séculaire moteur à explosion qui fait le bonheur des conducteurs de F-150, voiture la plus vendue aux USA . Tout semble donc sourire à cette industrie coriace qui a démontré une fois encore qu’elle était capable de rebondir après une crise profonde, non sans avoir été contrainte de solliciter l’aide des pouvoirs publics. L’automobile serait-elle comme la banque, too big to fail ?

Peut-on pour autant refermer sans souci la page d’histoire ouverte en 2008 et qui a vu l’industrie automobile trembler sur ses fondements. L’histoire de l’automobile est émaillée de crises qui ne laissent jamais intacts les constructeurs survivants, même si le retour à bonne fortune tend à faire oublier les mauvais moments. Cette industrie a une forte capacité d’oubli, confiante dans le fait qu’il n’y ait pas de problème sérieux qu’un bon produit ne puisse résoudre. Cette confiance est fondée sur les constats que l’automobile reste indispensable à plus de 70% des déplacements dans les pays matures et que la plus grande partie des habitants de la planète n’est pas encore motorisée.

Mais la période qui s’ouvre ne ressemble en rien à la situation post-crise de 1974. Le monde est aujourd’hui largement motorisé et il est devenu urbain, peuplé et… pollué. Le web a changé l’usage du l’automobile, comme du reste. La prise de conscience de l’impact environnemental négatif de l’automobile s’est développée dans tous les pays, notamment dans le premier marché du monde, la Chine. Le fait que des constructeurs aient été obligés de tricher pour respecter les normes environnementales n’a pas accru la confiance des consommateurs dans l’industrie.

L’ambiguïté génétique de l’automobile n’est certes pas dissipée : outil de travail, pour se déplacer, c’est aussi un produit statutaire, pour se différencier, et un objet générateur de plaisir, pour s’évader. Même si personne n’a « besoin » d’une Ferrari ou d’une Porsche pour se déplacer à 90 km/h, l’attrait de ces produits dépasse toute logique pratique. Il en est de même pour les véhicules moins ostentatoires qui n’échappent pas la surenchère de la puissance et des équipements au détriment de la consommation et des émissions. Le marketing des constructeurs insiste toujours sur le plaisir de conduire et la sensation de liberté en mettant en scène leurs produits dans les déserts de l’Utah et non pas sur les autoroutes urbaines engorgées de toutes les grandes villes du monde. La saturation de l’espace urbain, les redoutables problèmes des pollutions au NOx et des rejets de particules sont délibérément occultés par les constructeurs et seules les autorités de régulation tentent de faire progresser la profession. Maintenir le « désir d’automobile », qui est le leitmotiv d’une industrie qui ne connait son salut, dans son modèle actuel, que dans la production de masse n’est pas évident alors que les facteurs économiques, sans même invoquer la conscience environnementale, plaident pour un usage contrôlé et partagé de l’automobile.

Le marché cherche à couvrir tous les segments de la demande sans opter clairement pour des choix sociétaux vertueux. Les constructeurs se retranchent devant la logique de la demande contrairement aux industriels de l’informatique et de l‘électronique qui ont ouvert des horizons radicalement nouveaux en n’hésitant pas à sacrifier leurs prés carrés. Cette ambigüité pousse par exemple Renault, qui est avec Nissan le leader mondial des véhicules électriques, à relancer avec fierté sa marque de véhicule de sport Alpine et à revenir en Formule 1. Cette même ambiguïté pousse à mettre en avant le rêve technologique de la voiture autonome qui ne règle pas de façon évidente les problèmes de saturation de l’espace urbain ni d’optimisation du transport interurbain. Même autonome et électrique, une voiture de 1,5 tonne pour transporter en moyenne 80 kg n’est pas une bonne réponse technique au problème du déplacement. De plus, pour des raisons de sécurité évidentes, elle ne pourra être que coûteuse et donc ne constituer qu’une fraction infime du parc. Même Tesla qui se pare aussi bien de vertus écologiques que de culture technologique, classée fin 2015 troisième entreprise les plus innovantes du monde, fabrique un objet de plus de 2 tonnes, 5 m de long, pour rouler à 250 km/h. Certes, sans moteur thermique...

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Le concept car Eolab de Renault consomme un litre aux 100.


Sortie de la crise après avoir recherché en toute hâte, pendant cinq ans, à présenter une image plus en ligne avec les besoins de la société pour finalement n’avoir produit fin 2015 qu’un million de véhicules électriques, soit moins de 0,1% du parc mondial. La France se révèle plutôt pionnière avec 17000 voitures vendues en 2015, toutefois sur un volume total de 1,91 million de véhicules, et seulement 61000 hybrides. Le véhicule thermique conventionnel n’a pas vraiment été contesté au terme de ces années de crise. Des avancées techniques ont été réalisées, les voitures électriques et hybrides existent vraiment maintenant avec une offre significative, mais cela reste un marché marginal qui n'est pas vraiment poussé par les constructeurs, leurs réseaux, la presse automobile qui restent attachés aux valeurs conventionnelles de l'automobile. Ces maigres avancées ne créent pas les conditions d’une transformation de long terme de l’industrie. Pour avoir tout misé sur les marchés émergents pour relayer les marchés historiques saturés et contraignants, les constructeurs se retrouvent face à des murs bien solides : insolvabilité des clients du Brésil et de Russie, absence d’infrastructure moderne en Inde et, encore plus inquiétant notamment pour le segment premium, conscience chinoise de l’urgence de la réduction de la pollution urbaine et réveil de la morale nationale. Certes la baisse inattendue du prix du pétrole apporte, pour de mauvaises raisons, un peu d’oxygène dans des marchés très sensibles au prix du carburant, comme les Etats-Unis. Ce ne peut être une solution de long terme car elle diffère la recherche de solutions durables tant sur les motorisations efficientes que sur les usages.

Certes plusieurs tentatives existent. Le CES de Las Vegas, où les constructeurs étaient très présents, n’a pas insisté seulement sur les prouesses techniques des voitures connectés et autonomes, mais aussi sur la fonction de mobilité qui ne peut selon les constructeurs comme Ford que faire appel à plus de partage. GM a même présenté son accord avec Lyft, opérateur de covoiturage, où il a investi 500 millions $, comme modèle d’évolution. Or plus d’usage de chaque véhicule produit implique moins de volume de production ! Il est admis qu’un véhicule en autopartage remplace 7 voitures en pleine propriété, qui restent 97% du temps inutilisés

De plus la fuite en avant technique implique le recours à de multiples partenaires qui disposent de compétences exclusives. Le stand de Nvidia au CES volait la vedette à ceux des constructeurs avec ses démonstrations de capteurs et de traitement de l’image, essentiels au véhicule autonome. Bosch et Valeo exposaient également avec force démonstrations leur incontournable savoir-faire technique. Architectes et assembleurs, les constructeurs automobiles ne peuvent plus être leaders sur chaque composant de la chaîne de valeur et voient émerger de redoutables concurrents potentiels.

L’industrie automobile mondiale reste donc confrontée à des choix cruciaux. La voiture individuelle n’est qu’un outil qui s’insère dans une gamme de solutions de mode transport, collectifs ou partagés, qui s’est considérablement enrichie au cours des dernières décennies dans les pays matures, mais aussi en Chine. Fondamentalement, la voiture n’est pas la meilleure solution pour les transports intra-urbains. Or la population de la planète va se concentrer en ville. Inexorablement, la demande d’automobile en sera affectée. Il faut donc inventer des véhicules légers, électriques, partagés pour la fraction des usages qui ne peut être satisfait par l’offre mutualisée. Il en est de même pour les usages de loisirs et les transports péri-urbains et inter-urbains où le couplage transport partagé et gestion des rabattements de flux vers les infrastructures à haut débit implique également des véhicules appropriés. Il devient totalement absurde de concevoir des véhicules pour rouler à plus de 200 km/h alors que ce cas d’usage est simplement interdit partout sur la planète, en dehors des circuits.

La créativité des constructeurs devrait en priorité se concentrer sur l’allégement des véhicules, la simplicité des motorisations et la réduction drastique de leur impact environnemental comme sur l’agrément d’usage dans la vie de tous les jours. Certes il restera toujours un segment premium où les revenus des acheteurs comme leur ego leur permettent de justifier l’irrationalité de leurs achats, généralement payés par d’autres. Mais pour la majorité des habitants de la planète une voiture fiable, pratique et peu consommatrice de ressources naturelles est l’objectif premier. C’est au marché de la proposer et de la rendre accessible et attractive. C’est aussi au consommateur de montrer un nouveau niveau d’exigence pour contribuer à l’évolution de ce produit essentiel mais dont l’usage inapproprié est générateur de profondes perturbations.


Le CES, un irremplaçable observatoire de la révolution numérique

 

S’il fallait résumer l’esprit de l’opus 2016 du CES, il faudrait insister sur le fait que l’innovation ne réside pas dans la pertinence d’une idée, mais dans la force de son déploiement. Bien entendu le CES 2016 fourmille d’idées nouvelles et les 250000 m2 des stands de  cette exposition hétéroclite et chatoyante recèlent des pépites qui deviendront certainement dans cinq ans d’évidents grands succès. Il suffit, pour se convaincre de la vitalité de la création numérique, d’arpenter les allées du Sands où sont installés les start-ups de l’Eureka Park ou exposés les Awards de l’année, distinction fort prisée à l’impact commercial convoité. Les idées foisonnent, la conviction des créateurs est contagieuse. Et la forte présence des stands de la French Tech rassure sur la capacité de notre pays à  innover, d’autant plus qu’on y rencontre de fortes délégations de dirigeants français, emmenés par Emmanuel Macron ou Pierre Gattaz.

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Mais la force qui émane du CES est la démonstration vivante du passage de l’idée au déploiement massif. D’année en année, la reconfiguration dynamique des espaces du CES, partagé désormais entre l’historique LVCC, Las Vegas Convention Center, et le Sands, dont il a chassé le salon de l’érotisme, montre bien, symboliquement,  la nature de la révolution numérique. C’est dans la vitesse et la profondeur de la propagation des idées neuves que se jouent les transformations. C’est dans l’adaptation permanente des structures, des comportements, des pratiques sociales que la métabolisation des percées techniques se transforme en innovation sociétale. Le CES, avec la souplesse d’adaptation de ses structures physiques, de ses programmes de conférences, le choix de ses conférenciers est la démonstration vivante et symbolique de la révolution numérique.

S’il a fallu soixante ans pour électrifier la France, il n’a fallu que huit ans pour que le concept imaginé par Steve Jobs d’un ordinateur mobile, pouvant téléphoner, léger et autonome, couplé à un magasin d’applications, séduise la totalité de la planète. C’est parce que la simplicité de ce modèle a convaincu les utilisateurs d’y adhérer sans réserve qu’aujourd’hui des milliards de smartphones, de tous prix, peuvent accéder à des millions d’applications, gratuites ou très peu couteuses, couvrant à peu-près toutes les situations, tous les besoins, tous les désirs. Le smartphone - dont on ne peut plus vraiment dire qu’il est un « téléphone », même intelligent, tant la partie de communication vocale s’est marginalisée pour ne représenter plus que 15% des usages - est devenu la porte d’entrée incontournable de toute application numérique.  Il s’en est vendu 1,4 milliard en 2015. C’est cette universalité, garantie par une standardisation des interfaces et l’interopérabilité des techniques, qui confère sa pertinence au smartphone, couplé à un foisonnement d’applications.

C’est aussi parce que l’industrie est passée d’un modèle d’intégration verticale, qui était la force de l’informatique des années soixante-dix à quatre-vingt-dix avec les exemples d’IBM ou de DEC, à un modèle  de « monopoles de couches », unifié par les techniques de l’internet, que l’on peut disposer d’une grande souplesse dans les solutions et dans les usages. Seul Apple, qui a toujours ignoré le CES,  apporte aujourd’hui le contre-exemple, brillant, d’un industriel qui réussit à maitriser l’ensemble de la chaine de valeur, des matériels au système d’exploitation et aux logiciels. Cette stratégie solitaire est payante car même dans le segment en déclin des PC, il est le seul à progresser.

Le CES illustre bien la nouvelle structure de l’industrie. L’universalité de l’accès renvoie au rang de commodités les outils – PC, tablettes, hybrides, smartphones – qui ne sont plus les vedettes du CES tant la profusion de modèles et leurs capacités analogues ne constituent plus un facteur de choix essentiel. Alors que mondialement le marché des PC est en décroissance continue (-10% encore en 2015) , les nouvelles générations de smartphones sont jugées peu innovantes et ne se jugent que par la taille de leurs écrans dans un marché où les positions des constructeurs sont figées, les clients démontrant une grande fidélité à leur marque. Le marché des smartphones pourrait atteindre rapidement la saturation. Le marché des tablettes n’a pas pris le relais attendu, mais les hybrides – tablettes avec clavier aux performances d’un PC – semblent profiter de l’atonie des marchés des produits matures pour émerger.  Les clients sont devenus pragmatiques. Ils conservent plus longtemps leurs appareils et construisent leur propre pratique d’usage à travers divers outils de façon souple et personnalisée. Ceci rend d’ailleurs incontournable le développement des pratiques de « BYOD », Bring Your Own Device, tant l’appropriation individuelle est forte.

L’âge de l’accès, c’est bien sûr les écrans, de toutes tailles, de toutes natures. L’image est omniprésente. Toute information est appelée à être visualisée sur un écran, fixe ou mobile, partagé ou intime. La course à la performance continue d’année en année. Après la Haute Définition, c’est la 4K, à 4096 pixels,  qui s’impose. La 8K est déjà présente. L'adoption par l'industrie du standard HDR s'inscrit dans cette volonté d'accroître le réalisme des images. Les écrans LED font de la résistance face aux OLED, encore plus lumineux et économes en énergie, dont la mise au point industrielle en grande série se révèle plus complexe que prévu. Seul LG semble en maitriser la production au point d’en inonder son stand, alors que Samsung fait la promotion de son interprétation de la UHD, Ultra Haute Définition. La taille des écrans de salon ne cesse d’augmenter, et leur prix de baisser. La qualité progresse continûment sans que les industriels ne soient en mesure d’en profiter tant la compétition est intense. La télévision en 3D, apparue si prometteuse en 2011, n'a pas atteint sa cible commerciale faute de contenu et par manque de confort de vison et les constructeurs n'en parlent plus. On voit toutefois encore quelques tentative d'écrans 3D sans lunettes. Toutefois la qualité d'image procurée par la 4K donne une impression de profondeur qui rend la 3D inutile.

Les industriels japonais sont frappés par cette course en avant, Panasonic est le seul à vouloir se maintenir, le stand Sony est terriblement triste alors qu’il était un des points d’attraction des dernières années. Sharp, pourtant innovant avec son quatrième pixel, jaune, n’est plus là. Toshiba non plus.  Parmi les industriels chinois, seul Hisense semble maîtriser la technique et le design pour être une alternative aux constructeurs coréens, ses confrères Haier et Hank Kong ne sont pas encore au niveau international.

Pour une manifestation qui fut longtemps exclusivement un salon du matériel, image et son, l’enjeu est d’intéresser aux usages par définition, multiples et immatériels.

C’est pourquoi le CES tend aujourd’hui à mettre en scène les usages avec une remarquable capacité d’adaptation.

Le numérique s’infiltre dans les métiers traditionnels comme l’automobile et l’habitat, mais fait aussi naître de nouvelles activités comme les objets connectés sportifs, les drones, les imprimantes 3D, les robots. Les stands attribués à tous ces métiers ne cessent d’année en année de grandir.

La mutation  des drones

Près de cinquante stands montrent des drones, qui n’étaient présents au cours des années précédentes que de façon anecdotique. Perrot, qui en fut l’initiateur, n’est plus qu’un acteur parmi d’autres. Mais les drones se diversifient en tailles en en usages. Leur professionnalisation est impressionnante. De jouets ils sont devenus incontournables dans l’industrie de l’image pour leurs capacités de prise de vue spectaculaire et peu onéreuse. Ils sont auxiliaires de force de sécurité et de surveillance. Armés de caméras infrarouges, ils contrôlent la performance thermique des bâtiments. Ils aident enfin à l’optimisation des cultures. Le drone s’imagine même comme moyen de transport logistique ou de passager.

L’imprimante 3D devient un centre d’usinage

Les imprimantes 3D vivent la même mutation. Initialement coûteuses et lentes pour être limitées à quelques objets basiques, elles connaissent une diversification spectaculaire pour constituer un outil industriel crédible. Toutes les matières sont accessibles, y compris le métal. Et la technique additive permet de produire des objets complexes en 3 D en petites séries. Non seulement elles s’imposent pour tout ce qui est maquette et prototype, mais elles deviennent de véritables centres d’usinage permettant de gérer tout le processus de production, en scannant n’importe quel objet pour le reproduire avec précision. La vitesse d’opération augmentant, la productivité de ces machines rend crédible leur présence dans les ateliers. C’est donc une révolution industrielle qui s‘engage progressivement, l’imprimante 3D s’inscrivant dans la démarche plus large de l’optimisation industrielle 4.0.

L’automobile un objet de consommation électronique

L’automobile, qui n’était présente dans un passé récent dans le hall Nord que sous forme de kits monstrueux d’amplificateurs de son est aujourd’hui riche de nombreux stands centrés sur le savoir-faire numérique des constructeurs. Presque tous les constructeurs sont là.  De même, ils participent désormais activement aux keynotes. Après Mercedes et Ford dans les éditions précédentes, cette année ce sont Volkswagen et GM qui ont voulu démontrer leur expertise dans les véhicules connectés et autonomes. De façon plus générale, la mobilité est à l’honneur avec son corollaire numérique, la géolocalisation. Les équipementiers Valeo, Bosch, comme Here, l’ancien Navteq, sont très présents.

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C’est bien entendu les capteurs, radars, lidars (télédétecteur laser) qui sont à l’honneur. Ils permettent, associés aux logiciels temps réel de reconnaissance de formes et de géolocalisation fine d’analyser l’environnement du véhicule pour aider le conducteur à prendre les meilleurs décisions, avant, stade ultime de la délégation de conduite, de le faire à sa place.  Tous les constructeurs montraient leur savoir faire en la matière, notamment Hyundai, mais c’est le fournisseur historique de cartes graphiques Nvidia qui démontraient avec le plus de pédagogie son expertise.

Le monitoring du moi

Dans la grande famille, en expansion continue, des objets connectés, le « monitoring du moi » occupe une place centrale. Il ne reste plus de fonction qui échappe à la possibilité de suivre en direct ses performances ! Que ce soit l’activité  sportive, sous toutes ses formes, le poids, la tension, le rythme cardiaque, tous les paramètres font l’objet de capture et de traitement sous forme de courbes et de conseils . On peut même connaitre la composition exacte des aliments que l’on consomme et avoir un conseil alimentaire personnalisé. Les grandes marques d’équipements sportifs comme Polar ont une expérience en mesure de l’activité sportive et proposent une gamme de produits pointus. Fitbit, Withings continuent à étendre leurs gammes plus grand public. La montre connectée devient un marché généraliste de grande con sommation. Aux Etats-Unis, un foyer sur dix disposait en 2015 d’un tracker d’activité représentant un chiffre d’affaires de 1,8 milliard $.

Le confort et la sécurité du domicile

Marché ancien, naguère fractionné, analogique et propriétaire, la domotique connait grâce au numérique une nouvelle jeunesse. Tout est connecté au web et accessible par l’intermédiaire du smartphone. Au carrefour de plusieurs préoccupations, la sécurité anti-intrusion, la sécurité des personnes, le confort thermique et la maîtrise de la consommation énergétique, la domotique embarque de nouvelles fonctionnalités en créant des liens entre différentes activités. Connaissant le rythme de vie des personnes de la maison, et leurs habitudes, il est désormais possible de gérer dynamiquement la température, l’éclairage, mais aussi la qualité de l’air, les habitudes musicales, les programmes de télévision, voire même les repas grâce au réfrigérateur connecté. Tous les capteurs installés dans la maison et dans les appareils peuvent orchestrer  des scénarios de vie. L’usage de ces outils pour le maintien à domicile des personnes âgées est un facteur naturel d’équipement et de services de télésurveillance et télédiagnostic. Si l’inventivité des fournisseurs est sans limite, se posent les questions de l’interopérabilité de ces capteurs et de ces fonctions, mais aussi celle de leur installation et de leur maintenance. Qui peut gagner la bataille de la maison ? Les fournisseurs historiques d’équipements cherchent à résister aux nouveaux acteurs numériques pour devenir le tiers de confiance du domicile. Il faut souligner le travail effectué par La Poste grâce à son hub numérique pour occuper cette place convoitée d’intégrateur.

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Foisonnant, vibrant, le CES 2016 confirme sa place de lieu emblématique de la révolution numérique qui se déploie dans tous les métiers, sous toutes les formes, dans tous les pays. C’est un carrefour dont on ressort saturé d’images, de sons, de messages dont il faut tirer les éléments de compréhension des potentialités et des risques du tsunami numérique. Il est impératif  à partir de ces données de construire des principes d’action lucides et résolus pour en bénéficier sans en être submergé.


Tesla inspire les constructeurs allemands

Ce texte est une adaptation du texte publié le 21 septembre par le site d'information Atlantico.

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Tesla ne cesse d'intriguer. Cette société américaine née en 2013 est en train de s'imposer comme la référence des berlines positives de luxe dans le monde. Or c'est une voiture électrique pure, à l'autonomie de 500 km, qui redéfinit le luxe avec un intérieur raffinée, une ligne exceptionnelle et un silence de fonctionnement unique.  Surtout c'est une voiture qui a mis le logiciel au coeur de son fonctionnement comme le manifeste l'étonnante planche de bord où trône un immense écran d'ordinateur. Au moment où Tesla Motors s'apprête à lancer un second model, un SUV, lance une usine de batteries au coeur du Nouveau Mexique, l'industrie automobile s'interroge sur les performances de ce trublion qui prétend changer les règles du jeu et inspire d'autres acteurs redoutables que sont Apple et Google. Où va l'automobile au XXIe siècle, entre le grand luxe de la Tesla S et la sobriété inventive du nouveau véhicule d'entrée de gamme de Renault, conçu en Inde, Kwid, qui sera vendu autour de 5000 €, quand on sait que pour le prix d'une Tesla on pourrait acquérir une flotte de 15 Kwid ?

1/ Pourquoi les véhicules électriques Tesla se vendent mieux aux Etats-Unis qu'en Europe (11700 véhicules vendus aux Etats-Unis contre 7100 en Europe durant la première moitié de l'année)?

Les véhicules électriques suivent l’évolution globale du marché. Le marché nord-américain a retrouvé une puissante dynamique, en grande partie nourrie par l’excès de crédit, qui fait que les volumes y sont plus élevés qu’en Europe. Le marché américain est le premier marché au monde pour les voitures électriques avec 345000 voitures vendues entre 2008 et juin 2015, dont 46% pour la seule Californie. Nissan est leader avec 82000 Leaf vendues, suivi de GM avec 79000 Chevrolet Volt et Tesla avec près de 50000 Model S. Le gouvernement fédéral et 37 états subventionnent l’acquisition d’un véhicule électrique..

Au premier juillet 2015, Tesla avait vendu 21550 voitures dans le monde, dont 11900 aux Etats-Unis, son objectif étant de 55000 pour l’année. Tesla a une politique de distribution originale et n’a pas de concessionnaire. Les boutiques Tesla sont présentes dans 22 états, mais la vente ne se fait que sur le web

 2/ Comment analysez-vous les freins que rencontre la marque dans ses ventes en Europe, notamment en Allemagne et en France ?

La Tesla S est un véhicule de très haut de gamme qui coûte plus de 80000 € ! Malgré son prix et son niveau de prestations, Tesla Model S se vend presque aussi bien en Europe au premier semestre que Renault Zoe (7382 Tesla contre 8479 Zoe) ! La performance du Model S est remarquable car elle se compare aux véhicules très haut de gamme essentiellement allemands. En France, les ventes de ce type de voiture sont très marginales. En Allemagne, elles sont plus courantes mais la préférence nationale pour haut de gamme allemand est une solide tradition. Il faut rappeler que Tesla ne vend la Model S en Europe que depuis août 2013. La renommée de cette marque originale, qui n’est pas issue du monde de l’automobile, n’en est que plus remarquable. Il s’est ainsi vendu en France au second trimestre 326 Tesla au prix de base de 76000 € contre 146 BMW i3 à 28000 €, après aide de 7000 €, alors que le réseau et la renommée de la marque n’ont rien de comparables.

Le marché global du véhicule électrique en Europe a atteint en 2014 65200 véhicules, en croissance de 61% par rapport à 2013. La progression en 2015 continue avec le réveil notable du marché britannique qui prend la seconde place devant la France et l’Allemagne. Il est dominé par l’Alliance Renault Nissan avec ses deux véhicules, Zoe et Leaf. C’est encore un marché très conditionné par le niveau des aides fiscales.

 3/ Pourquoi Tesla rencontre-t-elle un tel succès en Norvège ?

La Norvège a décidé d’adopter une démarche très volontariste de développement du véhicule électrique. Cette politique est unique au monde et crée les conditions optimales pour les constructeurs de véhicules électriques au détriment de leurs concurrents thermiques. Les aides fiscales en faveur des véhicules électriques y sont très élevées alors que les taxes à l’importation se situent à un haut niveau. 50000 voitures électriques ont été vendues en 2013 et 2014, alors que cet objectif gouvernemental avait été fixé pour 2018. Les voitures électriques représentent 12,5% du marché en 2014, contre en France. Tesla est leader, suivi de la Volkswagen e_golf et de la Nissan Leaf. Fin décembre 2014, il y avait en Norvège 16000 Leaf immatriculées et 6000 Tesla. Les Norvégiens qui veulent accéder au haut de gamme préfèrent acheter des véhicules technologiques en rupture plutôt que des berlines traditionnelles. Aussi une BMW Serie 7 va coûter 3 fois plus cher qu’une Tesla S. Un tiers des véhicules immatriculés au premier semestre 2015 sont des véhicules électriques, situation unique au monde. Les avantages accordés au véhicule électrique sont multiples : droit d’utilisation des voies d’autobus, gratuité des parkings, péages et ferries. Cette politique d’aide massive, coûteuse, a été reconduite jusqu’en 2017.

 3/ Quelle politique doit adopter la marque pour augmenter ses ventes en Europe ?

Elle doit se faire connaître et a commencé à le faire tant par l’implantation d’un réseau des bornes de recharge (supercharger) qui permettent aux Tesla se sillonner l’Europe que par des actions promotionnelles visant un public très large. Il y avait récemment une présentation de la Tesla S à la Gare de Lyon. Il y a 150 stations de recharge Tesla en Europe, qui permettent une charge permettant 270 km en 30 minutes. Mais c’est surtout en sortant de la niche du très haut de gamme que la marque peut espérer les volumes dont elle a besoin pour rentabiliser l’investissement de son usine de batteries. Une petite Tesla est prévue pour 2018 autour de 35000 $, après la sortie cet automne d’un luxueux SUV.

 4/ Quel est l'état de la concurrence ? Dans quelle mesure Tesla peut-elle s'en inspirer ?

La grande force de la marque est d‘être unique. Il n’y a pas de concurrence pour ce véhicule, ni pour ses performances en autonomie, ni pour le niveau de prestations, ni pour l’effort particulier qui a été consenti pour en faire un objet technologique d’exception. D’ailleurs les constructeurs allemands commencent à en prendre ombrage et après avoir longtemps traité par l’ignorance cette « start-up » insolente qui refuse de suivre les canons de l’automobile ont tous annoncé au salon de Francfort préparer des véhicules concurrents. Le concept car Porsche Mission E avec 500 km d’autonomie montre que les constructeurs historiques du segment sport ne veulent pas se laisser dépasser. Mais il ne s’agit que d’un concept alors que Tesla roulent ! BMW, Audi et Daimler ont tous annoncé des véhicules avec une autonomie de 500 km, qui est indiscutablement le point fort de Tesla.

 5/ Tesla parviendra-t-elle selon vous à débloquer cette situation ? Si oui, comment ?

Tesla n’emprunte pas les chemins habituels. Elon Musk et ses équipes ont défini, à partir de zéro,  un genre à part de voiture haut de gamme électrique aux prestations exceptionnelles. Ils vont descendre en gamme en gardant un caractère exclusif à la marque ! L’avance de Tesla sur les batteries reste considérable et la nouvelle usine, qui va produire dès 2017 un nombre de cellules supérieur à toute la production mondiale de 2013, va donner à la marque, en partenariat avec Panasonic, les moyens industriels d’en baisser le coût de l’ordre de 30%. On compare souvent Tesla à Apple dans sa démarche technique et marketing. Tesla ne veut pas être un constructeur automobile comme les autres. Il reste à savoir si la concurrence acharnée que les constructeurs allemands, mais aussi Toyota avec la Miura à piles à combustible à hydrogène, va menacer Tesla dont le développement spectaculaire n’a toujours pas permis de rendre la société rentable alors que sa capitalisation en bourse est estimée à 34 milliards $. 


Francfort triomphal, la Chine en panne

Alors que le Salon de Francfort ouvre ses portes en mettant en scène le triomphe mondial de l'industrie automobile allemande, puissante et technologique, c'est de Chine que quelques mauvaises nouvelles suscitent des inquiétudes pour la profitabilité à long terme de l'industrie automobile allemande très dépendante de la bonne santé du marché chinois. Il faut donc essayer de remettre dans une perspective historique ce toussotement du marché chinois en 2015 Est-ce durable ? Comment peut réagir l'industrie allemande et de façon générales les constructeurs des pays au marché automobile mature ravis de trouver en Chine un formidable espace de conquête ?

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Le marché chinois est devenu depuis 2009 le premier marché automobile de la planète, dépassant les Etats-Unis. Un mois d’immatriculations y représente plus d'une année du marché français ! Désormais le premier marché mondial, avec 18,4 millions de véhicule's individuels et 5,1 millions de véhicules utilitaires vendus en 2014, la Chine est aussi le premier centre de production mondial. Tous les plans d’investissement des constructeurs chinois, avec ou sans leurs alliés nippons et occidentaux, tendent à construire un gigantesque complexe industriel qui pourrait dépasser en 2020 une capacité de production de plus de 40 millions de véhicules. Compte tenu du taux de motorisation actuel de la Chine, cette situation de premier pays constructeur mondial est définitivement acquise, ce qui n’exclut nullement des risques de surcapacité si la demande intérieure se ralentit. C’est donc en Chine que les constructeurs mondiaux s’affrontent et jouent leur avenir. Or tous les constructeurs veulent y augmenter leur capacité de production. On prévoit que le nombre d’usines d’assemblage va passer de 218 à 235 en 2020. PSA y dispose de quatre usines pouvant monter jusqu’à un million de voitures par an. Volkswagen prévoit d’atteindre 4 millions de voitures en 2018 avec 21 usines en 2020. Renault, dernier arrivé en Chine, y construit avec Dong Feng une usine d’une capacité de 300000 véhicules qui va ouvrir en 2016. 

La Chine bouleverse donc le marché mondial de l'automobile en imposant par son volume un changement durable de dimension. Mais ce recentrage asiatique du marché mondial de l'automobile a des conséquences majeures sur les perspectives de l'industrie européenne.

Un coup de tonnerre dans un ciel radieux  ?

Dans ce marché euphorique, la crise que traverse la Chine a fait reculer, en juillet, de 7% les ventes d'automobiles.  L’année 2015 devrait en effet connaitre une croissance beaucoup plus faible de la demande que les années précédentes et la prévision de 25 millions de véhicules risque de ne pas être atteinte. Les constructeurs, très confiants, ont entretenu l’image d’un marché chinois inaltérable pour justifier leur stratégie massive d’investissements dans ce pays et dissiper les inquiétudes des marchés financiers. En réalité, l’expérience des constructeurs dans les nouveaux pays consommateurs d’automobiles (Inde, Russie, Brésil…) les a préparés à de brutaux revirements de marché. Les signaux d’un ralentissement du marché étaient d’ailleurs nombreux. La plupart des grandes villes ont pris des mesures de restriction de la circulation. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, les autorités ont multiplié les gestes pour lutter contre la corruption et les dépenses ostentatoires, ce qui a ralenti l’engouement pour les berlines de luxe et voitures de sport d’exception. Mais l’avenir du marché automobile réside dans sa démocratisation et donc une évolution vers les modèles d’entrée de gamme, transformation qui profitera aux constructeurs chinois et à ceux qui pourront répondre à cette nouvelle attente des classes moyennes. Le succès de la Peugeot 2008 est un signal encourageant pour les constructeurs français.

 Cette crise est-elle inquiétante pour les constructeurs occidentaux ?

Il est clair que le Japon, les Etats-Unis et surtout l’Allemagne sont très exposés aux variations du marché chinois. L’Allemagne joue un rôle majeur dans le marché automobile chinois, tant par ses exportations directes (28 % du total de ses exportations en Chine, 613000 véhicules) que par sa production locale. Toutefois, avec 821000 véhicules vendus en Grande-Bretagne en 2014, le marché britannique est plus important que la Chine pour les constructeurs allemands. Après une croissance de leurs exportations en Chine de 11% en 2014, les constructeurs allemands subissent une contraction de leurs ventes avec une croissance de seulement 1,4% sur le premier semestre 2015. La Chine a représenté en 2014 40% des ventes totales de Volkswagen, soit 3,5 millions de véhicules. Pour BMW, qui a connu une hausse de 45% de ses ventes, chaque année entre 2005 et 2012, la Chine représente un marché considérable. En 2015, en six mois, 231000 BMW y ont été vendues. Audi y réalise un tiers de ses ventes mondiales. Et Mercedes, moins présent,  voit sa progression augmenter. Pour les constructeurs premium allemands, la Chine a été très profitable jusqu’en 2014. Or le marché, qui descend en gamme, va générer moins de profits.

L’industrie automobile britannique exporte beaucoup en Chine : 137000 véhicules en 2104, en croissance de 14,5% et 11% de ses exportations totales. La France est très présente par le groupe PSA qui a enregistré 743000 ventes en 2014.

Les constructeurs japonais, en dépit des tensions politiques entre les deux pays, sont très présents en Chine. Nissan y a vendu 1,2 million de voitures en 2014, Toyota 907000 voitures. General Motors est également très implanté et a vendu plus de trois millions de véhicules, Ford, un million. Les Coréens sont aussi actifs, Hyndai et Kia ayant vendu 1,6 million de voitures en 2014.

Il y a donc une imbrication étroite du marché chinois avec toute l’industrie mondiale ! Et donc une dépendance accrue...

Un investissement dans l’industrie automobile ne se fait pas dans l’urgence et ne se remet pas en cause facilement. Ayant patiemment construit leurs implantations en Chine, et croyant à l’avenir à long terme du marché chinois, les constructeurs ne prendront pas le risque de froisser les autorités chinoises en manifestant ouvertement leur fébrilité. Les déclarations des constructeurs sont plutôt rassurantes, tant pour les investisseurs que pour leurs partenaires chinois. L’Allemagne a continue à investir, toutes activités confondues,  2,10 milliards $ en Chine en 2014 et a encore accru de 21% le rythme d’investissement au premier trimestre 2015... Les constructeurs, et équipementiers, doivent jouer le long terme, car ils n’ont pas le choix compte tenu de la saturation des marchés classiques – Europe, Etats-Unis, Japon – et de la grande instabilité des autres pays émergents. Ceci n’exclut pas quelques réallocations de moyens.

Le marché chinois commence à s'intéresser...  aux voitures chinoises

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Haval H7, grand SUV de la marque chinoise Great Wall Motors, au salon de Shanghai  2015

 En août 2015, la part des constructeurs nationaux dans les voitures individuelles a continué à croître de 2,3% par rapport à 2014 pour atteindre 40% du marché. L’offre évolue : les SUV d’origine chinoise représentent 51% du marché du segment. Les monospaces (MPV) chinois ont plus de 80% de part de marché du segment. Les Chinois ont manifesté beaucoup de pragmatisme dans le développement de leur industrie nationale. Ils ont misé massivement sur la carte des joint-ventures pour acquérir l’expertise et accélérer leur développement. Néanmoins, les autorités politiques, centrales et provinciales, considèrent que l’industrie automobile est une industrie stratégique. Elles prendront les mesures nécessaires pour en assurer le développement tant pour le marché interne que pour les exportations, qui sont aujourd’hui dérisoires (2,3% de la production) pour un grand pays producteur.  Et il serait logique que les constructeurs chinois, qui captent le savoir-faire de leurs alliés, s’estiment un jour suffisamment compétents pour être autonomes et notamment se développent sur les grands marchés. Ils ont déjà envoyé un signal en exigeant que les produits des joint-ventures portent un nom chinois. Mais une des difficultés des constructeurs pour s’imposer sur leur marché, et progresser à l’exportation, est leur trop grand nombre qui disperse les efforts techniques et empêche d’atteindre la masse critique. La consolidation du nombre de constructeurs est indispensable, mais se heurte à beaucoup de freins internes, notamment le poids des provinces qui défendent chacune leur industrie. Toutefois les dix premiers constructeurs représentent 90% des ventes en 2015.

Crise environnementale et impact sur le marché

Les Chinois sont d’autant plus attentifs à l’impact de la pollution atmosphérique qu’ils sont confrontés dans leurs  grandes métropoles à de graves problèmes. Il est certain qu’un développement non contrôlé de la  voiture individuelle à moteur thermique serait totalement catastrophique pour la population et donc pour les autorités politiques. Shanghai, Pékin, Guangzhou et Hangzhou ont sérieusement limité la circulation des voitures individuelles.  La voiture électrique n’est qu’une réponse partielle parce que le mix énergétique chinois, très dépendant du charbon, n’est pas favorable à une production d’énergie électrique décarbonée. L’augmentation du nombre de véhicules électriques, qui est un objectif clair du gouvernement chinois, doit aller de pair avec une évolution du parc de centrales électriques, avec plus de nucléaire et d’énergies renouvelables. Sur le plan technologique, les industriels chinois maîtrisent la technologie des batteries et n’ont pas besoin d’un support des constructeurs occidentaux. Malgré un soutien gouvernemental, le marché du véhicule électrique progresse peu avec 47000 ventes en 2014. Mais la ville de Pékin  a imposé qu’en 2016 40% des nouveaux véhicules immatriculés soient électriques, ce qui pousser rapidement le marché dans les grandes villes.

La structuration du marché intérieur est en marche

La Chine dispose aujourd’hui d’un parc de millions de véhicules, dont une grande partie est encore composée de véhicules anciens. Avec 61 véhicules pour 1000 personnes, contre 770 aux Etats-Unis et 582 en Europe, le taux d’équipement du pays aux standards occidentaux est très faible. La demande est donc avant tout une demande de primo-équipement. Toutefois, compte tenu de la rapide croissance du parc, un marché de l’occasion de véhicules récents va se développer, favorisant l’accès à l’automobile. Il faut rappeler qu’en France le marché de l’occasion représente deux fois le marché des véhicules neufs. La situation du marché chinois est déterminée par la capacité de la classe moyenne à acquérir un véhicule dans des conditions de circulation acceptable. Avant la crise boursière, il y avait consensus pour considérer que le taux de motorisation allait tripler d’ici 2020, pour atteindre  184 véhicules /1000 habitants. La part de la Chine dans le parc mondial devant passer de 10% en 2012 à 20% en 2020. Malgré la crise, il est peu vraisemblable que la croissance du marché chinois soit totalement remise en cause. En revanche cette démocratisation va se traduire par une hausse de la part de marché des véhicules chinois.

Avec la croissance du marché, s’installe un écosystème automobile où les concessionnaires jouent un rôle majeur. Mais s’ouvrent aussi les magasins plus petits, couvrant les zones moins peuplées, appelés pop-up stores. Dans ce pays très connecté qu’est la Chine, internet et les réseaux sociaux se sont imposés comme premier vecteur de diffusion de l’information automobile. Le puissant Alibaba s’intéresse de près à l’automobile et s’est associé au constructeur SAIC pour créer une entreprise dédiées aux véhicules connectés. Enfin la modernisation du marché concerne également le financement. Jusqu’ici, avec leur épargne abondante, les acheteurs payaient en cash. Or le crédit automobile démarre seulement maintenant et près de 20% des achats intègrent un plan de financement.

Les constructeurs chinois vont-ils conquérir le monde comme les japonais dans les années soixante ?

Le contexte est radicalement différent. Les constructeurs japonais se sont imposés aux Etats-Unis dans les années soixante-dix avec des véhicules nouveaux, petits et fiables. Ils apportaient une offre alternative aux constructeurs américains qui s’étaient totalement endormis techniquement. Aujourd’hui la présence des véhicules chinois sur les marchés matures est inexistante. L’image de marque est déplorable, la sécurité encore insuffisante, la capacité d’innovation très faible, et le design sans originalité malgré les efforts de quelques compagnies, comme Geely, d’assurer une présence dans les salons automobiles comme Genève. Mais cette situation pourrait rapidement évoluer si les constructeurs chinois doivent se réorienter vers l’exportation. 

(Sur la base d'un texte publié par le site Atlantico)


Regards sur le monde : entre fragilité et transformation

 

Comprendre le monde a toujours été un exercice difficile. Le faire en temps réel, sous le bombardement continu des dépêches d’agence et le flot continu de la parole des dirigeants politiques et économiques, amplifiée sans nuance, oubliée instantanément, devient un exercice impossible. La surexposition au flux à haute énergie de l’information  a un premier effet pathologique : la dictature de l’instant rend l’époque encore plus illisible. Non seulement on ne comprend plus ce qu’il se passe, mais, ce qui est encore plus perturbant, c’est qu’on ne sait plus dire si un événement est une bonne chose ou une mauvaise chose. Faute de clef de lecture, tout se mélange, et l’opinion individuelle perd tout repère pour se structurer. Le bon sens a perdu le Nord… 

Auparavant, jusqu’en 1989, on pouvait se raccorder à un référentiel idéologique ce qui ne rendait pas le jugement plus juste, mais simplement plus confortable et plus prédictible. Dans un monde bipolaire on choisissait son camp et on passait facilement sur les nuances. Dans un monde « zéro-polaire », l’exercice est difficile. On pouvait facilement nourrir les dîners entre amis ou les longs débats dans la fumée des bistrots. Mais avant, c’était avant.  On était de droite ou de gauche, foot ou rugby, Renault ou Peugeot, gitane ou américaine, Bardot ou Garbo, Brassens ou Ferrat, Bécaud ou yéyé. Et quand on voulait mettre un peu de rationnel dans le débat, on se précipitait sur le Quid !

Aujourd’hui si on peut parler de tout puisque l’information est « à un clic »,  on a beaucoup de peine à se fâcher sur une analyse car pour cela il faudrait se construire ce qu’on appelle « une opinion ». Si les matériaux ne manquent pas, c’est clairement le ciment qui n’est pas là… On est entrés dans le supermarché Ikea des idées, mais sans mode d’emploi. La pensée brinquebale, et pas seulement celles des dirigeants politiques, si faciles à brocarder. La stratégie des entreprises est tout aussi complexe à analyser, parcours sinueux entre stratégie de long terme et opportunisme roublard.

Dans un monde où toute la tentative de conviction formalisée soulève une immédiate tempête de  critiques, de sarcasmes, de hurlements, l’audacieux qui a osé émettre une pensée articulée n’a d’autre choix que le démenti immédiat s’il veut éviter le lynchage. Il n’y a même plus de « politiquement correct », d’ébauche de pédagogie car cela passe tout de suite pour de la tiédeur et du conformisme. Les commentaires sur la situation de la Grèce ont atteint dans le champ de l’hypocrisie des sommets inédits. De toute façon, tout ceci ne dure que 24 heures et personne ne sera durablement atteint dans sa crédibilité…

Mais existe-t-il encore une « vraie vie » en dehors du discours ? La pensée de Feuerbach, qui date de 1841, est terriblement actuelle : « Sans doute notre temps préfère l’image à la chose, la copie à l’original, la représentation à la réalité, l’apparence à l’être. » Notre société du spectacle, de l’illusion, qui a fait du langage une arme naturelle, et du mensonge sa munition la plus facile, rend la compréhension de choses problématique et mine toute forme de confiance. Personne ne croit plus aux déclarations des acteurs politiques.

Et pourtant, le monde réel existe encore. D’un côté le bruit et la fureur de  l’information volatile, de l’autre les débats graves sur l’avenir de l’humanité occupent de façon dissymétrique le champ de l’analyse.

Depuis que l’homme a commencé à construire sa destinée, trois moteurs ont alimenté son évolution : la maîtrise de l’énergie, l’organisation des transports, la formalisation des idées. Ces moteurs ont alimenté la recherche d’une amélioration continue des conditions de survie, qui se sont transformées pour le grand bienfait d’une partie de l’humanité par une recherche permanente du bien-être. C’est une idée neuve pour l’espèce humaine dont la survie a été précaire pendant des milliers d’années. On imagine même effacer la dernière frontière, celle du déclin physique et de la mort. La seconde dimension de la quête humaine est  la recherche du sens. Si nous sommes autre chose qu’une collection d’individus animés par le seul instinct de survie, tel que nous imaginons les autres espèces animales, la question du pourquoi n’a cessé d’habiter la réflexion humaine. Cette quête s’est scindée en deux courants, la dimension religieuse qui fournit une explication sinon rationnelle, au moins commode, à l’origine et au sens de notre vie, et la dimension scientifique, qui a les mêmes objectifs, mais se donne la légitimité de l’objectivité et du démontrable. L’histoire de la science démontre que cette légitimité est toute relative ! Quant à elle, la religion, mue par la transcendance,  s’est construite pour ne pas avoir à faire la preuve de sa légitimité. Posture bien commode !

En ce début du XXIe siècle, où nous plaçons-nous les repères par rapport à ces grands axes de notre développement ?

On peut résumer en disant, pour l’optimiste, que nous avons autant de bonnes  nouvelles que de mauvaises nouvelles. Mais si l’on pense qu’un optimiste n’est qu’un pessimiste mal informé, alors ! Si  l’humanité a  beaucoup avancé sur les trois grands moteurs de son évolution, ceci n’a pas beaucoup permis de progresser sur le fond… Pire on peut même craindre que l’humanité ne se soit jamais autant mise en danger depuis le début de l’anthropocène.

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Il est clair que notre maîtrise simultanée de l’énergie, des transports et de la représentation des connaissances est spectaculaire.

Internet et le web ont parachevé la construction engagée dès la fin du XIXe d’une « société de la connaissance » dont l’informatique est le moteur toujours aussi puissant. Jamais l’humanité n’a produit, échangé, stocké autant d’informations et de connaissances qu’au cours des toutes dernières années. Et cette croissance exponentielle bouleverse tous les métiers de la connaissance, bousculés, remis en cause par le partage sans limite des connaissances naguère confinées dans les cercles étroits du savoir et du pouvoir qu’on appelait « l’élite ». La facilité à partager l’information a fait naître de nouvelles activités autour des plateformes de rapprochement, immédiat et peu coûteux, de l’offre et de la demande dans  tous les domaines variés de l’expérience humaine. Cette émergence de nouveaux services, effaçant  rapidement les équilibres antérieurs fondés sur le malthusianisme, fait voler en éclat de multiples secteurs dont les medias, le transport, le tourisme ont été les premiers à être touchés. Jamais notre capacité à comprendre le monde n’a été aussi intense tant les travaux de recherche circulent désormais entre les disciplines pour féconder les idées neuves à un rythme jamais atteint. Nous pouvons penser que cette effervescence va nous aider à résoudre nos problèmes.

Sur le front des religions, la situation est largement préoccupante tant se mêlent le spirituel et le temporel au service du pouvoir et des conséquences extrêmes, le nationalisme, la violence. Nous avons connu cette situation en Europe pendant des siècles pour en sortir presque guéris après des conflits qui nous ont coûté notre leadership. La Révolution française et le XIXe siècle avaient permis de dissocier ces deux mondes qui quand ils se confondent sont capables du pire. Tant du côté de l’islamisme radical que de l’extrémisme hindou, pour ne prendre que ces deux exemples,  nous assistons à des mouvements de bottes qui permettent de douter de la neutralité bienveillante de la spiritualité.

Notre capacité à extraire du sol l’énergie et les matières premières a été à l’origine d’un développement considérable des infrastructures et des produits. Nous savons nous déplacer d’un point à un autre de la planète en quelques heures, vivre dans les endroits les plus inhospitaliers en produisant sans précaution les ressources que la nature avait refusé, comme le gaz et le pétrole retenus dans les schistes. Nous avons défriché la terre pour la couvrir de champs cultivés avec des produits chimiques, de routes et de parkings bituminés, de voies ferrées, de bâtiments qui occupent 66 % du territoire français. Dans un pays comme la France, les surfaces artificialisées ont augmenté de 87% depuis 1981.  C'est une perte de 7 millions d'hectares de terres agricoles en cinquante ans.

Faire du ski à Dubai ou du golfe à Las Vegas sont des exploits sans intérêt. Cette voracité sans autre logique que l’appropriation des richesses créées par ces exploits futiles n’est que l’illustration de l’absurde auquel nous a poussé notre rêve prométhéen. L’homme a tellement changé la nature de la vie sur terre que le climat en est modifié. Il n’a fallu que quelques décennies pour dégrader le spectacle grandiose des glaciers alpins et remettre en cause partout dans le monde l’approvisionnement en eau douce que les grands massifs montagneux assuraient avec générosité.  La Californie souffre d’une sécheresse désormais structurelle qui bouleverse l’économie de cette région prospère. Avec plus de sept milliards de passagers avides de bien-être, bientôt huit, le vaisseau spatial terre consomme plus que jamais ses ressources non renouvelables. Depuis le début de l’ère industrielle

Oui nous avons réussi à domestiquer la planète et en connaître les moindres recoins, pour les exploiter. Et simultanément alors que l’espérance de vie moyenne n’a jamais été aussi élevée, nous prenons conscience que nous avons aussi fragilisé la vie des hommes sur terre, menacés par l’épuisement des ressources, dont les plus vitales, l’air respirable et l’eau douce,  le réchauffement climatique qui provoque des catastrophes naturelles et bouleverse les paysages, les productions agricoles, la santé végétale et animale et, in fine, celle de l’homme. Car au sommet de la chaîne de la biodiversité, l’homme en est le maillon le plus sophistiqué et le plus vulnérable.

Le grand rêve est toujours de corriger par la science et la technique  les désordres que nous avons provoqués au cours d’une si courte période de l’histoire. Peut-on inverser les tendances ? Réconcilier bien-être et sobriété, développement et frugalité ? Beaucoup de gens sérieux pensent qu’il est trop tard. Que même si nous arrivions à limiter de 1,5° la température de la planète nous ne pourrions inverser les phénomènes de dégradation structurelle que nous avons déclenchés. Les modèles semblent converger sur l’idée qu’un basculement climatique est possible si certains paramètres glissent, comme l’acidité des océans qui absorbent une partie du CO2 produit. L’acidité des océans a augmenté de 30 depuis le début de l’ère industrielle. 80%  des eaux usées dans le monde ne sont ni collectées, ni traitées. La chaîne alimentaire qui conditionne la vie sur terre est complexe et fragile, et surtout difficilement modélisable dans sa totalité. Nous ne connaissons pas toutes les interdépendances de ce système.      

Mais soyons rassurés. Ce qui sûr, c’est qu’il y aura une Fête de la rose à Prengy cette année, que des paroles définitives y seront prononcées, générant d’autres paroles aussi définitives. Et que bien sûr tout sera oublié le lendemain… What else ?


Travail et entreprise en 2030

« La prévision est un art difficile, surtout quand il s’agit de l’avenir », disait Pierre Dac. Rien ne change dans cet exercice d’équilibrisme délicat. Les auteurs de science-fiction, écrivains et scénaristes, excellent dans la création d’univers dont seule la mise en scène renforce la cohérence et la crédibilité. Peu importe le carcan du réalisme, il faut faire rêver. Une démarche, qui se veut scientifique, visant à apporter des réponses dans un débat d’une extrême complexité, est en revanche particulièrement risquée. Prolonger les tendances est paresseux et inapproprié dans un monde ouvert et instable. A l’inverse, prendre toutes les libertés pour faire exploser les scénarios convenus ouvre le champ à beaucoup de créativité, mais aussi à des assertions qui peuvent être provocantes et peu mobilisatrices.

Car s’il faut stimuler la réflexion, ce n’est pas pour le plaisir de l’exercice de style, mais pour contribuer à aider les acteurs sociaux à trouver des repères et à anticiper. Ce décodage est indispensable quand tout bouge simultanément et que le découragement gagne face à l’inefficacité des réponses convenues. L’erreur la plus commune est en effet de vouloir résoudre des problèmes nouveaux avec des solutions anciennes. Notre pire ennemi, c’est le passé. Or le problème du travail au XXIe siècle n’a rien à voir avec ce que nous avons déjà connu. Il faut inventer en matière d’organisation de la société comme nous savons si bien le faire en matière technique, sans tabou ni totem.

Le travail n’est pas un composant stable

Car la question du travail n’a jamais été aussi aiguë. Non seulement la persistance d’un chômage endémique aujourd’hui est une plaie sociale qui s’aggrave et dégrade sournoisement la vie économique, sociale et politique. Mais pour demain la situation n’est pas non plus simple et les incantations rituelles sur le retour du dieu croissance n’y pourront rien. Les perspectives d’une informatisation et d’une robotisation des emplois tertiaires qui avaient été préservés jusqu’alors risquent, si les structures et les comportements ne changent pas, d’amplifier le sous-emploi.  Or les solutions ne s’imposent pas par leur évidence si on persiste à raisonner comme hier.

Aussi la prospective, qui ne vise pas à prévoir, mais à explorer pour préparer,  revêt en matière de travail et d’emploi un caractère indispensable qu’il ne faut pas esquiver. En explorant ce futur proche  on cherche à faire réfléchir les acteurs sociaux sur des hypothèses de travail, qui même si elles sont inexactes, rassemblent suffisamment de facteurs d’analyse robustes pour éclairer les enjeux.

2030 est très proche. En tout cas pas plus éloigné de nous que 2000. En 2000, on sortait de la grande peur du « bug » qui avait mobilisé tous les informaticiens pendant plusieurs années. Cet effort de correction des systèmes anciens avait monopolisé l’attention en détournant les regards de la vraie révolution qui allait brutalement bouleverser l’informatique conventionnelle et ouvrir la voie à l’explosion des usages numériques qui façonnent aujourd’hui, quinze ans plus tard, notre société. Internet et le web arrivaient, mais le monde des entreprises où se déploient les règles, les pratiques et les rituels  du travail, ne considérait pas cette innovation grand public comme pertinente pour le monde professionnel. Sept ans plus tard c’était l’iPhone qui allait ouvrir le champ à une profonde mutation de la communication et de la connaissance, probablement une des plus riches de conséquences de l’histoire de l’humanité. En permettant l’accès mobile à toute l’information, on mettait fin à la suprématie de « l’informatique assise » qui servait de base à toutes les pratiques sociales de l’organisation du travail. La mobilité casse les frontières, remet en cause les processus, le temps et le lieu de travail, donne à celui qui est proche du terrain le moyen d’agir et d’interagir avec son environnement. Loin d’être achevée, cette révolution entraine une désintermédiation massive des métiers. Cette « ubérisation », redoutée par toutes les entreprises, est à l’œuvre partout au grand bénéfice du client, libéré des carcans des monopoles et des processus bureaucratisés. Mais le client, qui est aussi un producteur, est entraîné lui aussi dans les conséquences de ce bouleversement systémique.

Parler du travail en 2030, c’est partir du constat que le travail, dans toutes ses acceptions, connaît une profonde remise en cause. Dans tous les pays matures, on observe simultanément une réduction du nombre d’emplois disponibles et une mutation dans le contenu du travail et dans les comportements face au travail. Une croissance durablement molle dans nos pays matures, et sur la planète, conduit à une augmentation du taux de chômage et un alourdissement des coûts de la solidarité. Cette situation critique appelle des réponses toniques qui ne peuvent trouver leur inspiration dans l’arsenal des mesures du XXe siècle. En effet ces techniques visent toutes à baisser le coût apparent du travail en transférant progressivement sur l’impôt le coût des mesures de protection et de redistribution sociales basées depuis le XXe siècle sur la rémunération du travail. Or comme à chaque grande étape de l’histoire, c’est l’innovation technique et sa diffusion dans la société qui vont induire un renouveau. Cette innovation s’appelle notamment, en ce début de XXIe siècle, le numérique.

La « fin du travail » n’est pas une malédiction

Mais c’est un défi complexe tant notre conception du travail est enracinée dans un inconscient profond qui se traduit par des règles de fonctionnement de la société difficiles à faire évoluer. Le travail reste la référence classique de l’analyse sociale et politique. Or paradoxalement grâce à l’allongement de la vie et aux gains de productivité, nous sommes collectivement « condamnés » à travailler de moins en moins. Depuis le début du XXe siècle, la durée moyenne, toutes catégories confondues, du travail effectif est passée de 200000 heures à 67000 heures. Comme on a gagné plusieurs centaines de milliers d’heures de vie en un siècle pour vivre 700000 heures, le travail ne représente plus que 12% de notre existence, contre 40% à la fin du XIXe siècle, mais nous passons 15% de notre vie devant un téléviseur et 30% à dormir… Nous vivons désormais grâce à l’allongement de la vie, et à l’amélioration de l’efficacité productive, deux vies complètes, une vie de travailleur et une vie de rentier. On commence la vie dite « professionnelle » de plus en plus  tard pour l’achever de plus en plus tôt. Par rapport à nos grands-parents, nous sommes tous de grands fainéants, et en plus nous nous plaignons. Bien sûr les moyennes ne sont que des outils bien sommaires pour rendre compte de la réalité, de notre réalité individuelle qui seule compte.  Mais cette tendance lourde est bien installée dans la paysage social car nous savons, dans tous les domaines faire plus de choses avec moins de moyens. Sauf cygne noir, cette réalité mesurable devrait se poursuivre avec le déploiement des robots, de l’intelligence artificielle, des sciences cognitives qui vont nous aider à prendre en charge de nouvelles fonctions.

Le constat incontestable est que nous vivons beaucoup plus longtemps, et en bonne santé, et que nous avons besoin de beaucoup moins travailler pour vivre… longtemps et en bonne santé. Il faut s’habituer à cette réalité troublante qui ne correspond pas nécessairement au vécu individuel. Le travail ne devient plus qu’un cas très particulier de notre passage sur terre. Il va même plonger au-dessous de 10% du temps de vie dans un futur immédiat. Bonne nouvelle, bien sûr ! Mais aussi défi majeur pour une société qui avait construit tous ses mécanismes de transfert sociaux sur… le travail ! Si un grand nombre d’emplois restent associés à un cycle de tâches élémentaires directement liées au temps qui leur est consacré - coupe de cheveux, par exemple -, la plupart des emplois modernes dissocient temps de travail et production. C’est le cas de tous les emplois conceptuels - les manipulateurs de symboles - dont la production intellectuelle n’est pas fonction du temps qui lui est consacré. L’exemple parfait est celui du chercheur. Les professions de création ne permettent pas d’établir un lien prédictible entre le volume de travail, le résultat atteint et la rémunération qui en découle. Partout dans la société les travailleurs utilisent un outil informatique pour concevoir, produire, décider, diffuser de l’information et de la connaissance. Mais cet usage, utilitaire et fragmenté, n’a pas encore faire émerger un modèle alternatif de production ni fait évoluer l’image du travail. Et pourtant, tout est en train de changer…

Casshema1

Source : Centre d'analyse stratégique 

Le modèle de 2030 existe déjà

C’est probablement le changement que nous allons continuer de vivre dans les quinze prochaines années. Il sera graduel, continu, et va toucher tous les actes professionnels. L’informatique  a quitté le champ de l’industrialisation des processus répétitifs pour conquérir tous les espaces de la conception, de la production, de la diffusion.  L’action se nourrit de l’information et de la connaissance. Le système d’information, décloisonné, ouvert, traite aussi bien les données structurées internes, comme le font très bien les ERP, que les données structurées externes, et surtout les données non structurées, internes bien sûr, comme externes. C’est cette mise en relation continue et riche qui va donner à la décision, à tous les niveaux de l’organisation, une densité et une robustesse renforçant l’efficacité collective dès le niveau le plus fin, c’est à dire chaque collaborateur.  

 

Ce nouveau modèle d’organisation est qualifié d’agile. L’objectif est de réduire la complexité pour s’adapter plus rapidement à un environnement changeant. Appliquée plus largement à l’entreprise, l’agilité est une vision du travail basée sur l’idée de changement permanent, itératif et incrémental, où le produit final, matériel ou immatériel, proposé doit pouvoir évoluer en s’adaptant au désir du client ou aux conditions du marché. L’entreprise agile privilégie des cycles de développement courts, développe ses produits par itérations en fonction, en priorisant les évolutions identifiées,  se confronte très tôt au feedback du marché et des clients. Au besoin, elle peut « pivoter », c’est à dire changer radicalement son produit ou son business model si le marché l’exige. L’entreprise agile se nourrit de collaborations extérieures et remet en cause constamment, et sans drame, son modèle d’organisation. S’appuyant sur le réseau maillé collaboratif, l’entreprise agile est infiniment « scalable », c’est à dire qu’elle s’adapte au contexte sans délai ni rupture.

 

Il est clair que dans ce modèle, qui  n’a pas vocation à être marginal car il peut  couvrir l’essentiel des activités, l’homme est revenu au centre. Le travail n’est plus un exercice frustrant imposé par d’autres, mais le moyen d’exprimer ses compétences, son talent, ses envies dans un cadre robuste mais fluide. L’idée n’est pas neuve. Dès les années soixante-dix, la logique d’enrichissement du travail a permis graduellement de sortir de la déshumanisation imposée par le taylorisme de pure obédience. Ce n’est que la persistance de modèles autoritaires, inefficaces, qui prive beaucoup de collaborateurs du plaisir de la coopération, et alimentent les dégâts du stress au travail.

 

Comment faire ?

Chaque nouvelle étape de la vie des organisations est l’opportunité de mettre en place des organisations fluides, collaboratives, décentralisées. Les « grandes » réformes, brutalement top down, vécues comme agressives et mutilantes, ne se prêtent pas à cette réinvention permanente du tissu vivant de l’organisation. C’est une transformation continue peut être accélérée par des inducteurs divers. Un changement de produit, d’équipe dirigeante, de réglementation, toute variation dans l’environnement interne et externe doit être mise à profit pour ne pas reproduire à l’identique les chemins de fonctionnement traditionnels. Innover en matière de travail, c’est produire du sens et développer sans cesse la compréhension, le respect, la confiance et la formation, seuls moteurs de l’adhésion. Le numérique oblige certes à repenser le fonctionnement de  l’entreprise comme un réseau ouvert sur l’extérieur et non plus comme une pyramide fermée. Ce ne sont  plus les mêmes profils de compétence et de comportement. Mais l’ouverture, la flexibilité, la prise d’initiatives, la collaboration spontanée, ne constituent pas des propriétés naturellement développées et encouragées ni dans le processus éducatif, ni dans les diverses étapes de la vie professionnelle. Elles sont pourtant au cœur de l’efficacité numérique. Or, enfermés dans une logique verticale de compétences, cloisonnés dans des organisations pyramidales rigides, les salariés ont trop fait confiance à l’entreprise pour qu’elle prenne en charge leur employabilité au risque d’en devenir totalement dépendants et de ne plus être acteurs de leur destinée.

Réinventer les parcours de travail au cours de la vie à l’ère du numérique implique de multiples changements dans notre compréhension du travail contemporain, dans les organisations et la culture managériale mais aussi dans l’affirmation de sa responsabilité individuelle dans le développement de son parcours professionnel.

 

Les entreprises qui sauront devenir des fédérateurs naturels de talents individuels gagneront la compétition économique. Affranchie des contraintes conventionnelles issues de la fragmentation de la société, la mise en synergie des talents peut trouver des réponses radicalement nouvelles aux problèmes de notre société et combler les lacunes des mécanismes classiques. Mais cette transformation pose de redoutables problèmes. Est-ce que le marché, qui demeure le moins mauvais des systèmes d'arbitrage, peut inventer les modèles de régulations jugés souhaitables ? Le développement de la gratuité comme forme courante des échanges sur le web permet-il la mise en place de mécanismes de rémunération du travail et des idées acceptables ?

 

Ce résultat, heureux, du progrès technique qui devrait réduire la pénibilité du travail se mue à court terme en fléau faute de capacité rapide d’adaptation.

Le coût social du non-travail est en fait  le principal facteur de non-compétitivité. Laisser en dehors des entreprises des millions d’actifs formés est un gaspillage considérable de talents et de propositions d’activités. Le travail n’est  pas un stock fini, qu’on se partage, mais un flux qui se recompose de façon dynamique. Quand on fait appel au « cerveau-d’œuvre », plus il y a d’acteurs, plus il y a d’idées qui germent et réussissent. Il faut donc abattre toutes les barrières à l’entrée à l’activité en renforçant, avec un code du travail simplifié, l’efficacité des sanctions. Alors que les règles du jeu changent sous la poussée des techniques de communication et face à la transformation culturelle, il ne faut pas interdire a priori en matière de durée du travail, d’activité dominicale ou nocturne, de travail à la maison. Là encore, il faut savoir intelligemment nuancer selon les secteurs et les conditions effectives de travail.  Il faut en revanche punir sans pitié les exploiteurs et les escrocs.

Utopie ? Certainement moins que l'idée d'atteindre couramment cent ans pouvait apparaître folle au XIXe siècle au temps de Karl Marx... Reconnaître que toutes ces questions, sans réponses univoques, ne constituent pas un problème mais une formidable opportunité est une première étape. Admettre l’urgence et la remise en cause, sans inhibition, de la plupart des modèles qui ont construit l’entreprise, et donc la société, depuis la XIXe siècle est une seconde étape, courageuse, qu’il faudra rapidement franchir si on veut éviter l’effondrement de ces modèles devenus progressivement obsolètes.

http://clio-cr.clionautes.org/le-travail-en-2030.html#.VXdQ0sbh_zc

NB : version développée d'un article qui sera publié dans le magazine numérique Alliancy http://www.alliancy.fr


Changement de société, changement de modèle de management

Equipés en outils multiples de traitement de l'information,  habiles dans l'utilisation de ces outils personnels pour trouver instantanément l'information utile ou accéder à la connaissance, séduits par toutes les formes de coopération comme l'atteste le succès brillant des solutions comme Blablacar ou AirB'nb , nos contemporains, jeunes et moins jeunes car cette différence s'estompe, seraient incapables, au travail, d'initiatives et de prise de responsabilité ? C'est pourtant bien ce que dit le contrat de travail qui est un contrat de subordination comme l'explique clairement  l'article de Wikipédia :

Quel que soit le type de contrat de travail, le lien de subordination existe dès qu'une personne, l'employeur, peut exercer son pouvoir de direction sur une autre personne, l'employé. Cette autorité comprend le pouvoir de donner des directives, le pouvoir d'en contrôler l'exécution et le pouvoir d'en sanctionner la mauvaise exécution. Il doit pouvoir s'exercer à tout moment mais pas nécessairement de manière étroite et ininterrompue. Il suffit donc que ce pouvoir de direction ou pouvoir de subordination soit au moins potentiel, l'employeur ayant à tout moment le pouvoir exercé ou non, de donner des ordres et de surveiller leur exécution.

Ainsi le monde serait partagé en deux catégories : les supérieurs et les subordonnés...En France nous avons même différencié le statut des "cadres" et celui des "non-cadres"... Rien n'aurait changé depuis le XIXe siècle quand des millions de paysans illettrés sont entrés dans les mines et les usines pour y travailler avec leurs bras comme ils le faisaient dans les champs. Aujourd'hui dans les entreprises modernes, dont les exploitations agricoles, chacun utilise des processus et des objets techniques pour accomplir des tâches qui nécessitent très peu de force physique mais une capacité d'analyse et de diagnostic, de résolution de problèmes, d'échanges collaboratifs et de collecte d'information...

C'est pourquoi il nous faut réfléchir aux modèles de management adaptés au contexte complexe dans lequel nous opérons, au travail en temps réel, à la coopération intra et inter entreprises...  Le concept de cerveau-d'oeuvre, que j'ai proposé il y a déjà fort longtemps, vise à synthétiser ces transformations et à faire émerger de nouveaux modèles d'organisation du travail et donc de cadre juridique. C'est un travail de longue haleine qui ne peut réussir que s'il y a une coopération multiple entre tous les  praticiens et les experts pour faire bouger les lignes et tenter d'aborder le XXIe siècle avec des outils et des modèles adaptés.

Je dépose donc ces deux documents dans le fonds commun de réflexion :

- http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Jean-Pierre-Corniou-Le-numerique-revolutionne-l-organisation-du-travail-et-le-management_2593.html

- http://prezi.com/w2wlm9vyqxdj/?utm_campaign=share&utm_medium=copy&rc=ex0share

Je vous invite également à dévorer de toute urgence l'essai d'Idriss Aberkane sur l'économie de la connaissance.

http://www.fondapol.org/etude/idriss-j-aberkane-economie-de-la-connaissance/