Elections ou atomes ? Que déplacer au XXIe siècle ?

LIMITATION DES DÉPLACEMENTS

Zoom plus fort que les voitures électriques pour réduire les émissions de carbone ?

Le télétravail et les réunions Zoom ont transformé le fonctionnement des entreprises et limité les déplacements durant la crise sanitaire. Faut-il renoncer à améliorer au maximum les performances environnementales des voitures électriques ?

Atlantico :Un utilisateur de Twitter faisait remarquer récemment que les réunions Zoom étaient meilleures pour l'environnement que les voitures électriques. Si la remarque peut paraître futile de première abord, dans quelle mesure est-elle pertinente sur le fond ?Est-il raisonnable de vouloir améliorer sans fin et à grand prix les voitures électriques quand on peut éviter de se déplacer ? Cette analyse fait référence à la logique du Avoid-Shift-Improve. En mobilité, le déplacement le plus écologique est-il nécessairement celui qu'on ne fait pas ?

Jean-Pierre Corniou : Est-ce que les réunions Zoom sont meilleures pour l'environnement que les voitures électriques ? Face à l’extrême complexité et au coût de la décarbonation des transports, le déplacement le plus écologique est-il nécessairement celui qu'on ne fait pas ? Si la remarque peut paraître surprenante de première abord, dans quelle mesure est-elle pertinente sur le fond ? Elle renvoie à une question fondamentale que la crise de la COVID a posée crûment : pourquoi se déplace-t-on pour aller travailler ?

L’industrialisation du XXe siècle a scellé la mort du travail à la maison pour imposer le déplacement de chaque collaborateur vers des lieux de travail collectifs, magasins, bureaux, usines, entrepôts. On y trouve en effet les ressources pour produire et une organisation structurée fondée sur des normes et une discipline collective qui permet efficacité et qualité. Travail signifie donc déplacements quotidiens. Ce mode d’organisation du travail et de la ville a introduit une économie pendulaire facilitée par la multiplication des moyens de transport. Ces vastes mouvements quotidiens de personnes des lieux de vie, la plupart de temps périphériques, vers les lieux de concentration d’activité est un rituel que vivent toutes les villes de la planète et qui engendre, dans la douleur des « heures de pointe », encombrements, nuisances, pertes de temps et fatigue. 

Améliorer les transports collectifs a été la première vague de solutions. Ce furent les tramways et les chemins de fer souterrains dont les villes se sont dotées à la fin de XIXe siècle. Puis la voiture individuelle, triomphante grâce à sa souplesse, a  libéré les villes de leur carcan historique mais généré une paralysie et une pollution urbaines dont depuis vingt ans les élus tentent de guérir les villes en réduisant la place de la voiture en général et en éradiquant la place de la voiture thermique. Mais cette voie se révèle lente, complexe, se heurte à de multiples et bruyantes oppositions. De plus, malgré cette volonté des édiles, selon l’étude de l’INSEE de 2021 portant sur les 24,6 millions de personnes se déplaçant à moins de 150 km pour aller travailler, la voiture  reste largement gagnante. Elle assure, en 2017, 74% des trajets domicile travail contre 16% en transports en commun et 8% en modes doux. 66% des actifs effectuent au moins 5 kilomètres pour se rendre au travail et 80% des trajets de plus de 5 km sont effectués en voiture. La voiture répond à des besoins concrets, comme les déplacements chaînés - déposer les enfants à l’école puis aller au travail – pour lesquels il n’y a pas d’alternative simple. La question n’est pas d’être autophile ou autophobe, mais de résoudre au mieux les problèmes de la vie quotidienne. Cette préférence pratique pour la voiture explique parfaitement l’extrême sensibilité au prix de l’essence.

 

Existe-t-il une autre voie ?

 

Réduire les déplacements apparaît séduisant en travaillant de chez soi : moins de stress, moins de gens sur les routes ou dans les transports au même moment, plus de flexibilité. Depuis les années soixante-dix avec les progrès des télécommunications, les entreprises avancées s’y essayent dans un mouvement prudent mais marginal, qui a commencé à être encadré et organisé depuis 2000. On estime qu’en 2015, 17% de la population européenne pratiquait le télétravail. La crise de la COVID a, en quelques semaines, immédiatement converti au télétravail des centaines de milliers d’entreprises et de collaborateurs hésitants, voire hostiles et fait gagner en quelques semaines  des années de pratique  du télétravail. Les utilisateurs de Zoom ont été multipliés par 20 en trois mois début 2020. Le confinement a été un choc violent, percutant habitudes, process, méthodes, effaçant le collectif au profit de l'individu. Il a fallu improviser et mettre au point de nouvelles méthodes de travail. Si les adaptations, poussées par la nécessité, ont été rapides et pragmatiques, elles ont fait apparaître une impréparation opérationnelle, technique et psychologique, de même que l'insuffisance de beaucoup d'outils. A l’euphorie des premiers moments où chacun avait le sentiment, en s’épargnant les longs déplacements quotidiens, de gagner du temps et du confort a succédé des moments difficiles de confrontation à son métier, ses compétences, son entreprise. Ce que la routine rendait acceptable, la lucide cohabitation avec soi-même a fait émerger des fractures.

La crise sanitaire a rappelé l’évidence de l’hétérogénéité du monde du travail. Les collaborateurs ont trois modes d'exercice majeurs dont les conditions opérationnelles ne permettent pas toutes le travail à distance :

- la production physique : ateliers, transports, restaurants, services de soins et santé… 

- les fonctions dématérialisées : conception, pilotage, encadrement, marketing, contrôle

- les activités de contact relationnel : accueil, travail à domicile, magasins

 

Cette vague improvisée de passage au télétravail, faisant l’impasse sur le passage prudent par l’expérimentation, a fait basculer des millions de personnes dans un monde  qu’elles n’avaient pas exploré, a fait apparaître autant de promesses nouvelles d‘un monde du travail plus choisi que de cauchemars de cohabitation domestique forcée. Le travail tertiaire se révèle complexe, entre impulsion, intuition, expertise, gestion de flux, contrôle... Il est faiblement modélisé. Mais il demande du recul, du soin… et du calme ! Le repli individuel a mis à mal la cohésion des équipes qui ne tenait que par le présentiel  et "oublié" les collaborateurs les moins aguerris. Partager les mêmes bureaux est apparu comme un lien social et émotionnel indispensable, comme le temps de transport joue un rôle important de coupure entre l’univers personnel et professionnel.

 

Le télétravail a permis la poursuite d’activités en maintenant l’économie debout. Cette phase d’expérimentation subie ouvre le champ à de multiples études qui commencent à tirer les leçons de cette rupture. Tout a été passé au crible, de l’aménagement des lieux de résidence, peu compatibles avec le travail sur ordinateur de plusieurs personnes, de l’équipement des ménages en outils numériques mais aussi de la qualité du lieu de travail fixe, point de rencontres de tous les acteurs de l'entreprise, élément essentiel à la consolidation des équipes. La notion même de travail est interpellée. On se rend compte que les travailleurs de première ligne sont souvent les moins bien équipés en outils numériques alors qu’ils assurent le lien social vital. 

A l'heure du télétravail, où les conditions individuelles sont souvent inadaptées, mais apportent une liberté attractive, ce point de convergences qu’est le lieu de travail collectif doit être vivant, efficient et inspirant, inciter au décloisonnement et au travail collaboratif comme à la réflexion et au ressourcement. 

 

Le transport, quand bien même il se fasse en voiture électrique, aura-t-il quoi qu'il arrive un coût environnemental ?

Il n’y a pas de solution parfaite, nous sommes contraints par les lois de la physique ! Déplacer des atomes - les humains-, coûte plus cher que déplacer des électrons, l’information. La voiture individuelle est la pire des solutions énergétiques, même électrique. Il faut 1,5 tonne de véhicule pour transporter 80 kg d’humain, et au moment où le cerveau d’œuvre est plus sollicité que la main d’œuvre, le bilan énergétique se dégrade encore ! Il paraît évident à l’étude de cette immense étude de cas qu’offre la COVID que travailler à domicile est un facteur majeur d’amélioration de la qualité de vie en réduisant les transports tout en développant la qualité des relations. Nous avons tous observé qu’après les réglages initiaux, la maîtrise des outils de téléconférence a permis à toutes les organisations d’améliorer le taux de présence en réunion et l’efficacité de ces réunions, plus courtes, plus ciblées, plus décisionnelles.

 

On reproche aux outils numériques de consommer de l’électricité. En effet les flux vidéo sont gourmands en énergie, et cette consommation peut facilement être réduite en coupant la caméra au profit de l’audio. Mais bien évidemment cette consommation n’est pas comparable avec un trajet en avion ou en voiture individuelle pour plusieurs collaborateurs. Il y a encore un champ considérable d’amélioration de l’efficacité énergétique de la chaîne de traitement numérique, tant dans la conception des outils et logiciels que dans les bonnes pratiques.

 

Cela veut-il dire pour autant qu'il faut renoncer à améliorer au maximum les performances environnementales des voitures ? 

Nous sommes entrés dans un monde hybride où nous mixerons, en fonction des activités, la présence physique et le travail en réseau numérique. Cette hybridation implique la recherche systématique de l’optimum collectif en émissions de CO2, mais aussi en efficience globale. Nous aurons besoin d’un habitat et de lieux de travail performants sur le plan qualitatif et énergétique, comme de moyens de transport efficients utilisés à bon escient. Nous aurons toujours besoin de voitures individuelles.  La voiture électrique s’impose par toutes ses qualités de confort et d’absence d’émission au lieu d’usage, elle doit encore progresser dans la conception des batteries, l’autonomie et la vitesse de recharge.

 

La crise de la COVID a fait émerger brutalement des questions fondamentales dans l’organisation de notre société. Nous ne devons pas refermer hâtivement le dossier, mais au contraire continuer à travailler pour enrichir les usages et faire progresser la société avec pragmatisme et lucidité.


Démocratie et complotisme au temps des réseaux sociaux 

Ce texte a été publié par la Fondation pour l’innovation politique 

 

Par nature, les démocrates sont confiants dans la pertinence d’un système qui a réussi, à travers de multiples épreuves, à faire ses preuves depuis le début du XVIIIe siècle. Ils ont tort. Aujourd’hui, dans certains pays comme le nôtre, cette résilience de la démocratie est considérée comme un acquis de civilisation. Mais elle n’est ni universelle, ni reconnue par tous. Car depuis plusieurs années, partout dans les pays démocratiques, se lève un obscur désir de chaos.

Pour les démocrates, « l’ordre démocratique repose sur un principe d’inclusion des hommes dans une même organisation politique à vocation universelle : la société moderne doit être organisée par la raison commune à tous les êtres humains et sur la valeur de la liberté ; il est fondé sur le projet de les émanciper, de les sortir hors de l’“état de tutelle”, selon la belle formule de Kant1 ». Raison commune, liberté, émancipation, ces valeurs fondatrices issues des Lumières paraissent tellement naturelles. Elles s’incarnent dans des textes, des institutions, des pratiques sociales qui ont permis, depuis 1848, à l’Europe de s’affranchir, malgré des régressions, de tous les despotismes.

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Mais cet ordre démocratique ne s’est pas installé sans combats contre des forces adverses que l’on a pu croire vaincues. En effet, celles-ci cherchent à renaître de part et d’autre de l’Atlantique, à remettre en cause cet esprit de liberté qui touche toutes choses. Les formes de cette lutte contre les valeurs des Lumières sont nouvelles. Elles ont su capter la puissance des outils numériques, attendus avec confiance comme des outils de savoir et d’émancipation, pour les retourner au service d’un poison redoutable, le doute envers la société, ses institutions, ses valeurs, et même l’idée de progrès. Il s’agit, en s’attaquant frontalement à la démocratie parlementaire et au système représentatif, de toucher au plus profond de ses racines la civilisation de la liberté.

En 2017, dans la préface à une étude magistrale publiée par la Fondation pour l’innovation politique, Dominique Reynié écrivait : « La perspective d’un monde sans choix ruine les fondements de l’idée démocratique et offre peut- être comme option nouvelle la sortie de la démocratie parlementaire  » 2.  Il touchait juste. Aujourd’hui, le pouvoir en place dans un pays démocratique n’est plus confronté à un projet alternatif dans un débat loyal et construit dont l’issue se jouerait dans les urnes. Il fait face à un nuage d’opinions individuelles dont émergent, parfois, quelques voix plus fortes que les autres qui font un buzz éphémère qui les distingue dans le bruit de fond des médias et des réseaux sociaux. Le pouvoir en place est une cible quotidienne focalisant les sarcasmes, les violences verbales, les insultes et le mépris d’anonymes vengeurs.

Quelles que soient les décisions, elles soulèvent un flux de violences qui ne visent pas, comme dans le modèle de pouvoir alternatif que le système démocratique avait façonné depuis cent cinquante ans, à proposer une vision structurée de solutions différentes de celles appliquées par le pouvoir en place. Ce flot de critiques, inédit par sa virulence, est une remise en cause globale et sans nuance du pouvoir exécutif, de ses compétences, de ses choix de solution et de sa légitimité pour les mettre en œuvre.

Le déploiement de la force complotiste

Cette remise en cause radicale ne prétend pas s’appuyer sur un diagnostic différent, favorisant la construction d’autres solutions. Elle n’a pas d’autre but que le discrédit du pouvoir et des personnes qui en sont démocratiquement investies.

Mais il ne s’agit pas seulement de discréditer la démocratie de l’extérieur par des coups de boutoir quotidiens qui en détruisent les bases. Il s’agit aussi de détruire la démocratie de l’intérieur. Des groupes de gens, incarnés par des leaders providentiels, ont réussi à capter ce mouvement collectif pour le transformer en outil de pouvoir. Cette prise de pouvoir par les urnes, qui réussit en usant de tous les subterfuges pour ne pas s’engager sur un projet effectif, ouvre un espace de création politique baroque. Il s’agit, même pour ceux investis démocratiquement de l’autorité, de ne respecter aucune des règles conventionnelles de son exercice. Nombre de pays démocratiques succombent à cette tentation tant la simplification des analyses exploitée avec cynisme par des leaders opportunistes leur permet de s’emparer légalement du pouvoir pour ensuite en détricoter méthodiquement les fondements démocratiques. Pour parvenir à leurs fins, ils utilisent un ensemble d’arguments que l’on a pu rassembler sous l’appellation « populisme », mais qui à présent dépassent ce cadre encore trop formel pour s’appuyer sur les analyses les plus débridées du « complotisme ».

Ce qu’on rassemble sous l’appellation « complotisme » est en fait la mise en forme attractive d’une série d’analyses qui rendent l’explication de phénomènes complexes accessible à tous. L’objectif est d’apporter une explication facile à assimiler, pour fabriquer des convictions inattaquables. Peu importe le rationnel, l’essentiel est d’administrer une apparence convaincante de la cohérence. Les outils sont bien connus. Des faits, parfois véridiques, sont agrégés dans un ensemble de relations de causalité illusoire qui constitue un tout crédible que l’on ne peut attaquer. La grande force de cette construction machiavélique est de refuser tout débat qui ne pourrait être que la preuve de la justesse des principes formulés. On nous attaque est la preuve que nous avons raison, que nous avons touché juste en dévoilant les mécanismes du complot.

On observe deux formes complémentaires de complotisme :

– la première, le complotisme d’obstruction, fabrique un récit dont l’objectif unique est de faire de toute décision la démonstration de la soumission des équipes dirigeantes à des forces supérieures, occultes, animées d’intentions néfastes et cyniques pour parvenir à leurs fins obscures ;

– la seconde, le complotisme au pouvoir, vise à justifier ses difficultés, ses échecs à tenir les promesses par la mise en œuvre souterraine des forces rassemblées dans un concept commode, celui d’« État profond » (deep state).

Les médias, associés à cet « État profond » et aux cercles de « pouvoir occulte » internationaux comme le World Economic Forum, la Fondation Melinda et Bill Gates, les fondations de Georges Soros ou le cercle Bilderberg sont évidemment les cibles des flèches complotistes, qui les désignent comme à l’origine de cette volonté de domination du monde ou, tout au moins, comme les complices. Les complotistes ne se donnent même pas la peine de nommer leurs adversaires. Jouant sur la complicité avec leurs fans, il leur suffit de désigner des groupes de coupables – « les banquiers », « les actionnaires », « Big Pharma », « l’Europe » ... – en les présentant comme le véritable pouvoir. L’ennemi du peuple, ce sont bien ces « blocs élitaires » opaques et puissants qui prennent toutes les décisions du monde dans l’impunité la plus totale. Les gouvernements et les organisations internationales sont aux ordres de ces cénacles dont ils mettent en œuvre les décisions dans leurs pays, au mépris total de l’opposition légitime des peuples qui refusent d’être des « moutons ».

Aussi le raisonnement martelé avec constance par les complotistes est très simple : ne faites pas confiance aux élus car leurs élections sont truquées, ils sont en fait choisis par des processus faussement démocratiques pour accomplir les basses besognes des vrais dirigeants cachés. Ils sont donc illégitimes et vous devez résister à leurs décisions. À l’inverse, seuls certains dirigeants, comme Donal Trump ou Vladimir Poutine, ont le charisme et le pouvoir susceptibles de casser cette machine bien huilée, et il faut leur faire confiance aveuglément.

Une pratique de la déstabilisation comme objectif suprême

Cette mécanique n’a qu’un but : jeter un doute sur le processus démocratique et sur les institutions qui l’incarnent, gouvernement, parlement, justice et forces de l’ordre. Tour à tour, ces institutions font l’objet d’attaques frontales pour démontrer que leurs actions sont illégitimes et abusives. Au nom de la liberté, toute décision peut être taxée de « liberticide », terme qui connaît une popularité croissante tout autant que le mot « dictature » pour qualifier les régimes démocratiques qui exercent leurs responsabilités dans un sens qui ne convient pas à tous. Or le devoir de l’État est bien de garantir à chaque citoyen le libre exercice de ses droits. Il ne peut le faire qu’en faisant appliquer les lois avec les outils à sa disposition. Remettre en cause le pouvoir de faire appliquer la loi est bien rendre l’exercice de la démocratie impossible. Le travail de sape contre la loi, la justice et la police est une attaque frontale contre l’exercice de la liberté.

Le système démocratique est une construction complexe qui repose sur trois piliers, dépassant le seul champ de l’organisation des pouvoirs publics :

– la démocratie, c’est tout d’abord la liberté individuelle dans son exercice le plus large dans la vie politique, économique et sociale : liberté de penser, d’émettre des opinions, de se regrouper en partis politiques et associations pour les défendre, de manifester, liberté de se déplacer et de faire des choix de vie, professionnelle, relationnelle, sexuelle, sont autant de manifestations de ce principe fondamental de citoyenneté qui a marqué la fin des régimes absolutistes. La démocratie, c’est bien évidemment la liberté de choisir librement ses dirigeants et de pouvoir les révoquer par le suffrage ;

– la démocratie, c’est ensuite la liberté d’entreprendre, de produire des richesses et d’exercer l’activité professionnelle de son choix ; cette liberté économique est indissociable du principe de citoyenneté et le décret d’Allarde de 1791 qui, supprimant les corporations, donnait « à toute personne la liberté de faire tel négoce ou d’exercer telle profession, art ou métier qu’elle trouvera bon » 

– la démocratie, enfin, s’exerce dans le champ de la connaissance et de la pensée ; c’est la liberté de comprendre le monde et de penser le futur. Elle est animée par l’idée de progrès qui appartient à l’être humain et donne libre cours à son désir d’analyser les interactions qui traversent le monde dans toutes ses composantes. Elle rejette les croyances surnaturelles, les superstitions pour s’appuyer sur la démarche scientifique. La science est ainsi le moteur de la transformation de la société depuis le XVIIIe siècle. Elle a fait reculer la sphère des croyances en établissant un corpus de règles prouvées qui ont permis à l’humain de résoudre, pour partie, les mystères de son origine et de son environnement. Ses frontières sont sans cesse révisées grâce à une méthodologie rigoureuse, la preuve, validée par le consensus des experts.

Remettre en cause chaque composant de ce système, c’est altérer la cohérence du système libéral et donc préparer l’avènement d’un système plus juste aux yeux de ses promoteurs, le système illibéral. De quoi s’agit-il ? Arguant de l’incapacité des systèmes démocratiques classiques de comprendre le peuple et de l’allégeance aveugle de leurs dirigeants aux pouvoirs occultes, il faut choisir des dirigeants capables de s’opposer au « système ». Le « système » désigne cette puissante alliance des médias, des dirigeants économiques et politiques et de l’état profond. Le pouvoir illibéral ne se contente pas de remettre en cause le principe de liberté de choix des dirigeants par des élections libres. Il s’attaque aux fondements mêmes de la démocratie c’est-à-dire aux libertés de jouir pleinement de sa différence en exprimant sans crainte des choix individuels qui ne sont pas conditionnés par d’autres facteurs que la mise en œuvre des droits fondamentaux. C’est pourquoi les régimes illibéraux feront de la diversité une de leurs cibles privilégiées. Refuser la diversité désigne les ennemis de l’intérieur et de l’extérieur et justifie par avance toute action à leur encontre : Jair Bolsonaro attaque ainsi les homosexuels ; Marine Le Pen, les « étrangers » ; Donald Trump, les fake news medias ; Vladimir Poutine, la démocratie occidentale individualiste et libérale, et tout ce qui n’est pas russe...

L’identification à un leader est le propre des pouvoirs totalitaires. Derrière le complotisme, qui sape les bases d’une société lucide et responsable pour remplacer les faits par des croyances, comme avant les Lumières, se profile le retour aux formes bien connues de la dictature.

Il y a donc un risque majeur de laisser le complotisme gagner en influence. Bien que des critiques puissent être adressées à ce système, ceux qui professent que l’exercice de la démocratie n’est qu’un leurre préparent les esprits à accepter sa disparition, non seulement dans l’ordre politique, mais aussi dans notre vie quotidienne

  1. Dominique Schnapper, L’Esprit démocratique des lois, Gallimard, coll. « NRF Essais », 2014, p. 11.
  2. Dominique Reynié (dir.), Où va la démocratie ? Une enquête de la Fondation pour l’innovation politique, Plon, 2017, p. 16.
     

http://www.fondapol.org/wp-content/uploads/2020/12/fondapol-article-et-apres-Jean-Pierre-Corniou.pdf

 


De la place de l'Europe au XXIe siècle

Malgré les frustrations que l'on peut ressentir dans certains débats confus, au moins cette campagne parait un peu moins éloignée des enjeux européens que celle de 2014. Derrière le fracas des propos, l'indigence des postures, on observe que l'Europe - c'est à dire le modèle politique de l'Union européenne - commence à se dessiner dans la culture politique, même si le débat pourrait être encore plus clair. Toutefois, il ne s'agit en rien du troisième tour de la présidentielle française, mais d'un débat d'une toute autre ampleur : quelle place pour l'Europe au XXIe siècle ?
 
Sans titre
 
Il est bien fini le temps où des millions de gens se ruaient vers Paris ou vers son éternelle rivale Londres pour s'émerveiller devant la richesse des deux grands nations qui façonnaient le progrès scientifique et industriel du XIXe sicle et du début du XXe siècle. La munificence de ces Expositions universelles, à une époque où seul le contact physique pouvait rendre compte de l'état d'avancement des techniques, est restée inégalée. Mais deux guerres mondiales fratricides ont brisé l'élan européen. Ce suicide de l'Europe, nous le payons lourdement et durablement. La volonté au lendemain de la guerre de doter l'Europe d'un instrument politique supranational pour servir de cadre à une reconstruction pacifique de la prospérité européenne a marqué la vie politique européenne depuis les années cinquante. Mais aujourd'hui la question centrale se pose en des termes beaucoup plus crus : quelle est désormais  la capacité des 27 états de la vieille Europe de jouer un rôle dynamique dans les débats du XXIe siècle.
 
Est-ce que chaque état peut le faire individuellement, comme le pense le peuple britannique ou le clan, marginal, des "Frexiters" ? Faut-il repenser les traités pour construire comme le proposent les souverainistes une Europe "des projets et des nations" ? Faut-il aller vers plus d'intégration politique et faire évoluer un modèle mixte conçu par étape pour répondre aux besoins de paix de l'après-guerre, puis de développement économique libéral en accueillant les anciens pays communistes ? Au fond, la cible n'est-elle pas une Fédération des Etats Européens modèle qui répond aux besoins de force politique unitaire et de diversité, comme aux Etats-Unis, au Brésil, en Allemagne ou en Suisse ?
 
Aujourd'hui la montée des nationalismes incarne une réponse instinctive de certains peuples ou de certaines fractions les plus vulnérables de l'électorat aux défis de l'époque. Cette solution est soigneusement enjolivée par ceux, nombreux, qui voient leur intérêt immédiat dans l'affaiblissement politique de l'UE. Elle se résume souvent au problème de le défense des peuples européens contre une immigration non contrôlée quand ce n'est pas uniquement une réaction contre l'islam politique.
 
Les défis sont beaucoup plus larges. Ils sont comme toujours dans l'histoire liés à notre capacité autonome à nous doter des éléments de la force politique qui permet de garantir la liberté de nos choix propres. Se pose le problème vital de la capacité des vieilles nations européennes de répondre par une voie propre au duopole mondial, agressif, qui s'établit entre la Chine et les Etats-Unis. Du temps de la guerre froide, on pouvait compter sur le vieil allié américain. Aujourd'hui il se comporte plutôt en adversaire ! Si l'UE a échoué, avec le désastre profond de l'agenda de Lisbonne, à donner dès le début du XXIe siècle une réponse scientifique, technique, industrielle conçue au niveau européen, les états membres n'ont pas été capables non plus de construire seuls cette réponse, qui ne peut être que complexe, multi-sectorielle et fondée sur une sursaut collectif dont personne ne se sent plus vraiment capable dans les grandes nations européennes divisées. Ce double échec nous menace comme le conflit USA/Huawei le démontre : nous avons besoin de Huawei pour implanter rapidement la 5G en Europe et les Etats-Unis peuvent nous en empêcher ! Ceci est factuel, concret ! On fait quoi dans ces circonstances ?
 
La réponse politique sera longue à élaborer. Elle passe par un changement de dynamique au niveau du Parlement et de la Commission. il faut construire une nouvelle culture de souveraineté économique et politique de l'Europe. Etre un marché où "la concurrence est libre et non faussée" ne suffit en rien. Ce principe de base nous a fait progresser en niveau de vie, pas en qualité de vie et certainement pas dans la résolution des problèmes d'iniquité sociale et de dérèglement climatique, qui sont aujourd'hui les sources de plus grande tension. Il faut donc mettre en place un autre modèle qui permette à la souveraineté politique européenne de s'exprimer et de devenir un modèle pour beaucoup de pays qui ne se reconnaissent ni dans le modèle usé des Etats-Unis ni dans celui de la Chine qui peut inquiéter dans sa conception des libertés publiques. Or l'Europe peut être un attracteur sur plusieurs thèmes centraux - éducation, santé, droits du numérique, décarbonation - en réconciliant de façon dynamique équité et efficacité dans un champ mondial qui se transforme.
 
Ceci ouvre la champ à un vaste chantier de reconstruction. Puisse le renouvellement du Parlement et de la Commission apporter la lucidité et la sérénité nécessaires à un tel projet. Le temps nous est compté.

Chine, automobile et tweettrumps vengeurs

Pour comprendre les tensions économiques entre les Etats-Unis et la Chine, il faut mesurer à quel point la Chine est devenue, aux yeux des Etats-Unis, leur seul rival possible. Dans tous les domaines, la croissance de la Chine représente un défi insupportable pour la première puissance économique et militaire du monde qui sait qu'elle ne peut être que rattrapée par le géant démographique qui forme aujourd'hui 39 millions d'étudiants.

TENSIONS COMMERCIALES
Ce que pourrait coûter aux constructeurs européens des tarifs américains augmentés sur l’automobile
 
 

Atlantico : Quel pourrait être le coût de telles sanctions pour le secteur automobile européen ? 

Jean-Pierre Corniou : Dans le superbe ouvrage d’histoire de la diplomatie d’Henry Kissinger, « Diplomatie », écrit en 1996, le tweet n’était pas encore identifié comme arme de destruction massive de valeurs boursières et de déstabilisation de la confiance. Donald Trump aura conféré ces propriétés en quelques minutes à ces 280 caractères qui ont confirmé, entre ses mains, leur caractère redoutablement toxique. Soucieux de défendre l’économie des Etats-Unis, et plus encore leur capacité de domination à long terme de l’économie mondiale, Trump ne recule devant rien. Il a décidé que ses électeurs attendaient de lui cette fermeté virile, quelles qu’en soient les conséquences. Il faut bien admettre que le déficit commercial des Etats-Unis, qui a atteint 681 milliards $ en 2018, soit 3% du PIB, représente un problème économique et politique, rendu toutefois supportable par l’usage du dollar comme réserve de valeur et monnaie de transaction. Plus encore, l’importation de produits, ou moins cher, ou de meilleure qualité, répond aux besoins du marché et se traduit globalement par une baisse des prix. Taxer les produits importés est un aveu de faiblesse qui traduit la faible compétitivité de l’industrie américaine sur les produits industriels de consommation. En effet, le déficit américain se concentre sur les produits manufacturés, soit 891 milliards $ de produits de consommation, de biens électroniques, d’automobiles. L’impact de ce déficit en emplois perdus est estimé à 3,4 millions d’emplois. Pour Trump, accusant ses concurrents, Chine et Europe en tête, de pratiques déloyales et frauduleuses,  recréer des emplois industriels, c’est d’abord, à tout prix, réduire le déficit commercial.

Qu’a donc écrit de nouveau le président Trump dans ses deux tweets  du 5 mai ? il a rappelé que grâce à ses mesures protectionnistes, la Chine avait payé en dix mois 25% de droits de douane sur un montant de 50 milliards $ de produits Hi-Tech and 10% sur 200 milliards d’autres produits. Il considère que cela contribue aux remarquables résultats économiques des Etats-Unis. Pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?  Alors même qu’une délégation chinoise, forte de 100 personnes, était attendue à Washington pour conclure les négociations en cours par un accord commercial, il a annoncé qu’il se donnait le moyen de faire grimper ces taux de 10% à 25% sur un montant de 200 milliards $ de produits chinois dès le 10 mai. Plus encore, il annonce la possibilité de taxer à court terme à 25% un montant additionnel de 325 milliards $, ce qui couvrirait tous les produits chinois importés aux États-Unis. Or ces taxes sont payées pour une grande part par les entreprises américaines implantées aux États-Unis qui vont les répercuter sur leurs prix de vente.

Ces menaces s’inscrivent dans une série de mouvements qui depuis un an visent à réduire le déficit américain vis-à-vis de la Chine à la fois par des menaces et par des négociations. Dans une première étape, Trump a imposé en avril 2018 une réduction de 100 milliards de déficit, puis un mois plus tard de 200 milliards.  A chaque action unilatérale des Etats-Unis, comme la menace du 3 avril 2018 d’imposer 25% de taxes sur les produits électroniques et les équipements chinois, répond dans l’heure une décision chinoise de même nature. Le 2 mai, la Chine annule ainsi tous les contrats d’importation de soja américains, privant ainsi les fermiers américains de la moitié de leurs exportations. Mais la Chine accepte le 21 mai de réduire de 25% à 15% les droits sur les importations de véhicules américains en Chine. Le 6 juillet les droits de douane américains sont effectivement mis en place sur 34 milliards d’importations chinoises, et la Chine riposte en augmentant à nouveau les droits sur les véhicules américains à 40%. Cette mesure a peu d’impact car les constructeurs américains préfèrent produire moins chers leurs véhicules en Chine et d’ailleurs Tesla a immédiatement annoncé construire une usine à Shanghai pour éviter ces droits de douane !

 

Cette guérilla est peu productive pour les deux parties. Néanmoins, la Chine dispose des moyens économiques de limiter l’impact de ces mesures sur son économie, plus que les États-Unis très dépendants de produits fabriqués en Chine. D’ailleurs, malgré cette atmosphère de guerre commerciale, les exportations chinoises aux États-Unis ont augmenté, en 2018 de 11,3%, alors que les États-Unis n’ont pas réussi à dépasser 0,7% de croissance de leurs exportations en Chine. De ce fait, l’excédent commercial chinois a cru en 2018 de 17% pour atteindre 323 milliards $, soit l’excédent le plus important de la décennie.  Le dernier coup de poker de Donald Trump, visiblement destiné à peser sur la négociation en cours, risque de profondément irriter la partie chinoise et d’être inutile. En effet, lors du sommet du G7, Xi Jinping et Trump s’étaient entendus pour négocier sur 142 points, comme la cybersécurité, la propriété intellectuelle, la technologie, le taux de change, l’agriculture. Remettre en cause sans cesse els accords est contre-productif et démontre un manque de confiance préjudiciable à la négociation avec la partie chinoise. Xi Jinping dispose en effet de plus de ressources politiques pour faire face à une telle situation.

Les conséquences sur l’automobile de cette menace sont très faibles pour l’industrie chinoise qui n’exporte pas aux États-Unis mais le sont pour les constructeurs occidentaux, américains, comme GM avec la Buick Envision ou la Cadillac hybride CT-6, et allemands, implantés en Chine et qui commencent à exporter les véhicules qu’ils y produisent vers les États-Unis. En 2018, 50 000 véhicules fabriqués en Chine ont été exportés aux États-Unis contre 250 000 des États-Unis vers la Chine, dont 50 000 BMW. Si les volumes de véhicules produits en Chine et exportés aux USA sont encore faibles, c’est un mouvement prometteur pour les constructeurs, notamment avec les véhicules électriques et hybrides, qui risque d’être cassé. D’ailleurs, cette politique punitive des Etats-Unis se retourne contre eux puisque les les flux d’exportation des USA vers la Chine se sont réduits de 50% fin 2018 et au premier trimestre 2019 à cause des droits de douane chinois de 40%. Ainsi, BMW n’exporte plus le X3 de son usine de Caroline du Sud. En 2017, BMW avait exporté 100 000 véhicules des Etats-Unis vers la Chine. De façon générale, les Etats-Unis ont connu en 2018 une baisse de leurs exportations d’automobiles de 16,6%.

Dans le cas ou Donald Trump venait à imposer des tarifs aux automobiles importées aux Etats-Unis en provenance d'Europe, quel en serait le coût pour nos constructeurs européens ? Sont-ils en mesure de le supporter ? 

L’économie de l’automobile, solidement construite autour des constructeurs nationaux à la fin de la seconde guerre mondiale, s’est graduellement ouverte à la concurrence pour constituer un écosystème mondial dont tous les composants sont désormais interdépendants. Le moteur de cette structuration internationale de l’industrie autour de grands groupes transnationaux a été l’abaissement des droits de douane. Aucun constructeur national n’est en mesure de se passer de fournisseurs étrangers. De même aucun constructeur ne peut survivre sans exporter, à l’exception notable du marché chinois qui jusqu’alors, contrairement à la Corée et au Japon, a pu se développer grâce à son immense marché intérieur sans exporter plus de 3% de sa production. Or la moitié des véhicules venus en Chine le sont par des co-entreprises où les constructeurs occidentaux jouent un rôle essentiel. Pour GM, la Chine est devenue son premier marché dépassant les Etats-Unis en volume.

L’Allemagne est, en 2018, le premier exportateur mondial de véhicules avec un montant de 154 milliards $, soit 20% du total mondial. Elle est naturellement la plus exposée par toute mesure qui pourrait altérer ses flux d’exportation, même si elle a constitué en Chine et aux États-Unis de solides bases industrielles. Le déficit commercial des États-Unis avec l’Allemagne en 2018 est de 68 milliards $ et de 67 milliards $ avec le Japon. L’automobile en constitue la plus large part.

L’acharnement de Trump a vouloir régler les problèmes d’emploi aux Etats-Unis par les droits de douane ne règle pas la question de la capacité de l’industrie américaine à produire ce que réclame les consommateurs américains. Les diatribes de Trump contre les « Mercedes de la 5e avenue » n’empêcheront pas les consommateurs d’acquérir ces véhicules, même rendus plus chers par les taxes. On voit bien que l’industrie automobile est désormais totalement mondialisée et sait transférer rapidement les productions d’un pays à l’autre. Jouer sans cesse avec les droits de douane se révèle vain car les constructeurs s’adaptent vite au détriment des pays d’implantation.

Plus spécifiquement, quels pourraient en être les effets directs ou indirects sur les entreprises françaises ? 

Les constructeurs français ne sont pas exposés aux Etats-Unis où ils n’exportent plus depuis fort longtemps. La France est le dixième exportateur mondial d’automobiles avec un montant de 25 milliards $, soit 3,4% du volume global.

L’Alliance pourrait être touchée pour la partie des véhicules Nissan et Mitsubishi exportés du Japon. En revanche les équipementiers français, comme Valeo, Michelin, Faurecia, Plastic Omnium qui travaillent aussi bien en Chine qu’aux États-Unis pourraient subir l’impact de la baisse des volumes de production de véhicules. L’interdépendance des marchés, la flexibilité des constructeurs, dépassent désormais les territoires nationaux mais les mesures protectionnistes atteignent directement l’emploi des travailleurs qui ne sont pas aussi mobiles que les productions.

 

Présentation de mon dernier livre "Quand la voiture du XXIe siècle sera chinoise" qui analyse les ressorts d cela performance chinoise en automobile..

 

"https://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/video/jean-pierre-corniou-et-la-voiture-du-xxieme-siecle-sera-chinoise-aux-editions-marie-b-0605-1159309.html

 


Electric Road 2018 à Nantes, entre futurisme et pragmatisme

Chaque utilisateur de moyens de transport, public ou privé, a pu mesurer à quel point l’innovation numérique, concrétisée par le smartphone et la géolocalisation, avait apporté une qualité d’informations permettant de prendre de meilleures décisions de choix de services, d’itinéraires et de coût. En revanche, les objets du transport, voiture, train, avaient peu évolué. C’est dire à quel point la vague d’innovation qui saisit depuis dix ans le monde automobile, après 120 ans de progrès incrémentaux, a été accueillie avec curiosité et intérêt. Elle émanait en effet d’acteurs nouveaux, comme Tesla ou Google, issus du monde des technologies de l’information habitué aux bouleversements. C’est pourquoi, depuis le début de la décennie, la voiture électrique a fait l’objet de beaucoup d’engouement dans le milieu de la mobilité. Entre l’offre des acteurs nouveaux, et la riposte des constructeurs traditionnels, le monde de la mobilité s’est brutalement mis à bouger. Face à l’extrême complexité des problèmes à résoudre, l’innovation automobile de rupture était devenue le symbole attendu par les commentateurs et dirigeants politiques pour reparler d’un futur rêvé en échappant au poids traditionnel des questions quotidiennes de mobilité. La voiture électrique et connectée remplit, dans l’imaginaire collectif, une place privilégiée car elle apparait comme un outil attractif, propre, silencieux, incarnant la modernité. Mais elle se voit d’ailleurs déjà contester ce statut flatteur par la voiture autonome, encore plus complexe, encore plus lointaine, encore plus fantasmée.

Malheureusement, les données de marché ne donnent pas raison à cette vision euphorique. Avec 1% du marché mondial de l’automobile le véhicule électrique n’est pas, à court terme, la solution de masse attendue. La voiture autonome, celle qui se passera vraiment de présence humaine responsable à bord, est pour un futur lointain. Quand la réalité a tort, c’est que le discours est inapproprié. Le discours doit donc muter et se transformer en une analyse multifactorielle de la mobilité afin de permettre l’élaboration de réponses efficientes et pragmatiques. Le véhicule électrique est une des solutions, ni la seule, ni la meilleure sur tous les critères.

Le colloque Electric Road qui s’est tenu à Nantes les 18 et 19 juin a présenté, dans cet esprit d’objectivité systémique, un panorama complet de la situation à travers les tables rondes plénières, les ateliers et les présentations de matériels et de solutions, sans céder ni au rêve ni au pessimisme.

Il y a un consensus clair : il faut se résoudre à considérer que la mobilité est une question concrète et terriblement complexe qui touche chaque jour des milliards d’êtres humains et pour laquelle il n’existe pas de solution miracle. Transporter des humains, des produits ou des informations exige de l’énergie, de la place et du temps. La récente floraison de recherches et d’idées en rupture est utile et permettra de faire émerger des solutions à long terme. A court terme, il faut néanmoins agir. La confusion entre les deux plans temporels peut conduire à de graves contre-sens. La voiture autonome est un bon exemple de machine à fantasmer. L’identifier comme une solution de court terme fait naitre des espoirs vains. Penser que l’on peut réduire rapidement la mortalité automobile mondiale de 90% avec la voiture autonome peut conduire à différer des mesures plus efficaces, mais d’intérêt immédiat, alors même qu’on ne sait rien du calendrier de mise au point et de diffusion de la voiture autonome et encore moins de son impact quantitatif.

Pour sortir de l’optatif, mode du souhait et d’un militantisme clivant, il faut conjuguer l’indicatif présent et le futur immédiat. Les rencontres d’Electric Road ont permis de nourrir le dossier et d’approfondir les questions techniques, économiques, sociétales. Cette abondante matière permet d’aborder avec prudence et réalisme deux champs d’action :

-       Simplifier et faciliter immédiatement les services de mobilité

-       Identifier et tester des solutions nouvelles

  1. Simplifier et faciliter immédiatement les services de mobilité

L’attente du public est de disposer d’un système de mobilité point à point prédictible, fiable, simple, confortable et économique. La responsabilité de l’autorité publique est de fournir une infrastructure et un cadre réglementaire permettant d’atteindre ces objectifs de la façon la plus compatible avec l’intérêt général. La responsabilité de l’offre de solutions est de répondre à ce cahier des charges explicite, mais souvent aussi fantasque. Il n’y a pas de demande technologique propre, c’est un marché « technology push », le seul objectif est l’efficience.  L’utilisateur, instruit par l’expérience, admet qu’il devra transiger sur certains de ses critères pour remplir son objectif de transport.

C’est un modèle d’une complexité infinie car aux demandes individuelles de mobilité l’industrie et les pouvoirs publics répondent par un cadre de solutions qui ont été élaborées au fil du temps et qui n’a pas de souplesse. Les investissements d’infrastructure sont coûteux, complexes à mettre en œuvre pour des raisons d’environnement et de foncier, et lents à déployer. L’offre d’infrastructure est inerte, alors que la demande et variable. L’expérimentation à l’échelle est risquée.

Il fut un temps où deux solutions concurrentes s’offraient au « voyageur » : le transport public ou la voiture individuelle en plein propriété. L’arbitrage était économique. Quand on en avait les moyens, on prenait sa voiture, gage de service de bout en bout et d’autonomie, dans la plupart des cas. Aujourd’hui, le choix est plus vaste et devient contextuel et multi-critères. Cette complexité du choix offre en contrepartie une gamme foisonnante de services différenciés, entre les solutions éprouvées et les solutions expérimentales. Les micro-arbitrages se font sur la base d’informations partielles, où l’appréciation du client se fonde sur  sa perception, personnelle et instantanée, du meilleur rapport coût /valeur. Mais la somme des décisions individuelles ne procure pas un équilibre global optimal. Il suffit de prendre sa voiture le vendredi soir à la sortie des villes pour en faire l’amère expérience. La complexité de la gestion de la mobilité tient à ce choc imprévisible entre des décisions individuelles et un cadre collectif capacitaire et normatif.

On comprend facilement que les arbitrages sont complexes. Comment alors décider lucidement en étant pragmatique et opérationnel pour fournir des solutions de masse sans condamner l’innovation qui ne peut être que partielle ?  Comment, dans cet équilibre délicat, concilier la liberté individuelle et l’efficacité collective ?

C’est là que l’analyse des points de vue de chacun des acteurs illustre la difficulté de mettre en œuvre une politique de mobilité consensuelle. L’usager est court-termiste et veut résoudre au mieux son problème et s’interroge peu sur les conséquences de ses décisions. IL n’a qu’une notion floue de la réalité des coûts. L’organisation régulatrice comme le fournisseur de services s’inscrit dans le moyen et long terme mais ne peut ignorer les soucis du quotidien aux conséquences politiques ravageuses.

Il faut également être capable de s’entendre sur un modèle d’analyse de la performance. Les objectifs sont multiples, coût, temps, contraintes foncières, impact environnemental. Ces objectifs peuvent être contradictoires et la recherche du compromis acrobatique.  Dans une même préoccupation environnementaliste, c’est la lutte contre les émissions de CO2 qui a conduit à privilégier le diesel et c’est la lutte contre les particules et les NOx qui poussent à s’en débarrasser !  De fait, le repli du diesel a pour conséquence d’accroître les émissions de CO2 ! La qualification du véhicule électrique comme « zéro émission », ce qui est vrai au lieu d’usage, néglige le cycle de vie du véhicule et le mix énergétique qui l’alimente en électricité.

Une politique de mobilité doit intégrer la palette des solutions qui résulte de la combinatoire des différents composants de base : marche à pied, deux-roues motorisé ou non, voiture individuelle en pleine propriété, voiture individuelle en usage mutualisé, transport public routier, transport public ferré, et transport aérien. L’approche contemporaine privilégie la logique de parcours à celle de l’outil.

2.Expérimenter et mettre en place de nouvelles solutions techniques

Les solutions sont multiples. Elles concernent aussi bien les véhicules que les réseaux, les modes opératoires que les financements. L’intérêt d’Electric Road est d’avoir embrassé la quasi-totalité des solutions immédiates et des projets futurs.

La vision consensuelle qui se dégage de ces travaux est que la mobilité du futur ne peut être que le résultat d’une collaboration multi-modale et multi-acteurs. La qualité du système de mobilité résulte de la conception et du déploiement coordonnés d’un système unifié de mobilité métropolitaine et inter-métropolitaine, gérant aussi bien les personnes, que les biens et l’information.  L’efficience énergétique est un des objectifs majeurs de ce modèle intégrateur, qui vise, corrélativement, à garantir des objectifs de santé publique. Mais l’objectif économique est aussi majeur : irriguer le territoire de réseaux de transport performant est un élément majeur de l’attractivité économique et donc de l’emploi. La qualité de la gouvernance en est la condition.

Le nombre d’acteurs s’accroit. Ainsi la route et les infrastructures physiques, qui ont pu être négligées dans le passé, apparaissent aujourd’hui clairement comme des éléments majeurs de la performance globale. Avec 1 million km, 20000 km de routes principales et 400000 de routes secondaires, et 30000 gestionnaires de routes le réseau routier français, plus important que ceux de l’Allemagne et de l’Italie réunis, est estimé en valeur de remplacement à 2000 milliards. Le réseau ferré ne comprend que 30000 km de lignes. Les services potentiels apportés par la route moderne, connectée et éventuellement à énergie positive, implique une nouvelle vision de la route, qui n’est plus ouverte, gratuite et généraliste, mais va délivrer des services « RAAS : road as a service ».  Il est clair que les véhicules les plus sophistiqués auront besoin de ces services dont on comprend qu’ils ne peuvent irriguer l’ensemble du territoire.

Le nombre de solutions énergétiques est aussi en pleine expansion. Les énergies fossiles sont encore totalement dominantes. Elles alimentent 94,8% des voitures particulières vendues en France en 2017 et al quasi-totalité des véhicules industriels et de transport collectif. Toutefois, l’électrification du transport, qui a conquis le transport collectif ferré depuis l’abandon de la vapeur dans les années soixante, est en train de gagner le transport routier. L’électrification du parc automobile progresse lentement, mais aux 26000 voitures électriques vendues en France en 2017 il faut ajouter les 81000 hybrides, dont 12000, dites plug-ins, disposent de quelques dizaines de kilomètres d’autonomie en mode électrique pur. Les VEB (véhicules électriques à batteries) ne sont pas la seule solution puisque les véhicules à pile à combustible à hydrogène se profilent comme alternative intéressante tant pour l’autonomie (600 à 700 km) que pour le temps de remplissage (3 minutes).

Les autobus sont en passe d’être également convertis à l’électricité et la décennie 2020 verra le nombre d’autobus électriques dans les villes européennes s’accroître. La Chine en a déjà mis 350000 en circulation. Ils peuvent aussi exploiter les avantages du Biogaz et de l’hydrogène pour lesquelles des solutions sont en cours de déploiement, comme à Pau.

Il faut aussi aborder l’évolution des deux roues motorisées. Si le vélo a retrouvé dans les politiques publiques et les choix individuels une place majeure, l’Europe n’a pas opté massivement comme en Chine pour les deux roues motorisés électriques. Il y a en effet plus de 250 millions de deux roues électriques en Chine. Les avantages sont les mêmes que pour les voitures, absence d’émission et de bruit.

Par ailleurs l’autonomie des batteries est encore limitée, et pour prolonger l’autonomie il faut augmenter le nombre des cellules de batteries, donc le coût et le poids. Les solutions nouvelles sont nombreuses et vont de la multiplication des bornes rapides au développement de la recharge intelligente et de la charge par induction, qui sort du stade du laboratoire pour entrer dans celui de l’expérimentation.

Mais ces innovations, si elles apportent une solution réelle à la pollution urbaine, ne règlent pas le problème crucial de la décarbonation du transport car la qualité de l’électricité qu’elle utilisent dépend du mix énergétique fossile/nucléaire/renouvelable. S’il n’y a pas d’inquiétude majeure sur la capacité de production électrique en France, car un million de véhicules électriques représente une consommation de 2 TWh sur 520 TWh de production, le problème est la simultanéité des charges qui peut surcharger le réseau. Il faut donc développer une approche des réseaux intelligents qui s’inscrit également dans une réflexion sur le stockage de l’énergie électrique.

Pour apporter une réponse à un autre problème crucial de la circulation automobile, la congestion urbaine, il faut également réduire le nombre de véhicules individuels en circulation, soit par les contraintes (péages urbains, interdiction de circulation) soit par les incitations à l’autopartage et à la rationalisation des déplacements.

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Pour progresser encore dans la lutte contre les émissions carbonées et polluantes, il faut travailler sur toutes les sources de consommation d’énergie, lutter contre le poids et les frottements aérodynamiques, mais aussi, et c’est une source majeure de réduction de consommation et d’encombrement, diminuer les déplacement inutiles. C’est un enjeu particulier de la logistique urbaine, ou le e-commerce tend à multiplier les flux. Là encore, les innovations sont nombreuses pour développer une conteneurisation intelligente des marchandises, mutualiser les flux, gérer des stocks urbains et pour cela exploiter de nouveaux véhicules inventifs et développer des logiciels de tracking de plus en plus fins. La Poste a ainsi présenté un chariot autonome pour la distribution de petits colis et Man annoncé une gamme de camions électriques pour la livraison urbaine.

Electric Road 2018 a permis d’échanger et d’approfondir ces questions dans un cadre apaisé de spécialistes. Mais la conséquence de ces analyses est aussi simple que pratique : la voiture individuelle, fusse-t-elle électrique, n’offre qu’une réponse partielle à la mobilité, le transport collectif est adapté au transit de masse et ne peut couvrir tous les territoires, les innovations ne répondent que très partiellement aux problèmes de masse et de consommation énergétique. Il faut donc largement partager ces réflexions pour qu’elles sortent du cadre limité des experts pour devenir un sujet majeur de culture collective et de démocratie participative. Car s’il n’y a pas de solution technique universelle, il faut développer une prise de conscience individuelle, documentée et lucide, qui permette de faire progresser les meilleures pratiques et de créer un consensus acceptable tout en continuant à travailler d’arrache-pied sur les innovations.


Osons l'Europe !

UE en 2018
 
Que faire de l’Europe ? Cette question qui a beaucoup occupé le champ politique pendant la campagne présidentielle de 2017 est retombée dans l’oubli avant de réémerger pour les élections de 2019. De fait, et c'est symptomatique, on ne parle d’Europe que dans des situations de tensions sans se donner la peine de comprendre la réalité du fonctionnement des institutions européennes et leur apport face aux périls techniques et économiques qui menaçent la prospérité de nos vieux pays... Le paysage européen est malmené. Au lendemain des élections allemandes et italiennes, en plein Brexit, difficile, avec des pays d'Europe centrale qui après avoir bénéficié de l'aubaine vivent très mal un ancrage démocratique dans cette vaste zone ouverte au monde, le sentiment de vivre une régression de l'idée européenne et un repli identitaire ne peut être que vif tant les signaux sont au rouge. Beaucoup toutefois s'en réjouissent. Il faut comprendre cette allergie à un fait européen souvent incompréhensible, des institutions complexes et illisibles, un libéralisme qui a fait office de doctrine obstinée pour pousser, seuls au monde, la logique de la concurrence pure et non faussée qui a coupé la tête des champions industriels européens.
 
C’est dire que le livre de Christian Saint-Etienne “Osons l’Europe des nations” doit étre abordé avec la même rigueur d’analyse que celle que l’auteur déploie depuis des années pour expliquer les enjeux enropéens pour nos économie. Il faut tourner la page des poncifs sur l’Europe. L’aimer, ou ne pas l’aimer, sur un mode incantatoire, n’est plus la question. Face à la Chine et à l’Asie, et aux États-Unis, l’Europe à 27 États est devenue simplement inopérante car elle n’a pas été conçue pour le monde actuel mais pour celui du début des années cinquante... Or tout a changé. La Chine s’est éveillée, autour d’elle 3,5 milliards d’habitants sont avides de pouvoir d’achat et de qualité de vie et ont compris que cela ne se décrétait pas, mais ne pouvait être que le résultat d’une conquête scientifique et technique. Les États-Unis qui ne craignent plus le bloc soviétique ne se passionnent pas pour l’Europe qui doit compter sur ses propres forces. La Russie renoue sans complexe avec la volonté de puissance qui fut celle de l'URSS. L'Europe, sans projet, sans gouvernement stratégique ni économique, ne peut que regarder le monde nouveau se faire sans elle. Sa population ne représente que 444 millions d'habitants, sans la Grande-Bretagne et fatalement son poids économique se réduit dans le monde. 
 
Que faire ?
 
Profitons du départ suicidaire de la Grande-Bretagne pour lever toutes les ambiguïtés de ce modèle bizarre d’une relation entre États souverains arbitrée par une commission technocratique. Or précisément c’est là où le livre de Christian aborde frontalement le sujet de l’impuissance européenne, c’est que l’Europe de l’Union européenne a été fabriquée pour ne pas être une puissance, mais un marché ouvert à tous les vents. Ce n’est pas simplement de la candeur, c’est le résultat de l’histoire de notre allégeance à la Pax Americana. Changer cela avec les traités actuels est impossible. Il faut donc inventer une Europe de puissance, fédérale, musclée autour d’un appareil militaro-industriel fort tirant la nouvelle étape de la transformation numérique qui va rebattre les cartes géostratégiques du XXIe siècle. En effet, le coeur de l'avenir de l'Europe est de retrouver une place dans l'iconomie, ce monde fluide de l'intelligence collective qu'ont su préempter les grandes firmes technologiques américaines, le fameux GAFAM, et que les Chinois ont imité pour tenter, avec talent, de les dépasser avec le BATX ( Baidu, Alibaba, Tencent, Xiami) .
 
La thèse de Christian Saint-Etienne est convaincante, le processus de construction fort bien étudié, la documentation et le raisonnement économique rigoureusement déployés.
 
Bien sûr les thèses de Christian Saint-Etienne pourraient être un excellent thème de campagne électorale 2019. 
 
En effet, les élections de 2019 ne doivent pas se jouer sur l'échiquier politique français mais en fonction seulement d'une vision de ce que doit devenir l'Europe comme puissance stratégique dans un monde en recomposition. Il y a un immense travail en amont car personne ne comprend vraiment comment marche l'Union européenne et à qui elle sert. On va nous ressortir les vieux arguments souverainistes auxquels il faudra répondre par un projet sérieux et non pas des incantations européistes vides de sens . La Grande-Bretagne a depuis le XVIIIe siècle une politique européenne constante et simple : faire en sorte que jamais aucune puissance continentale ne vienne faire ombrage aux intérêts britanniques. Ayant sciemment torpillé l'Europe politique de l'intérieur, l'objectif des dirigeants britanniques est de conserver l'avantage commercial en jouant une carte politique autonome par des traités bilatéraux et en lançant une vaste politique de dumping social et fiscal. Une Europe à 27, sans colonne vertébrale solide, ne fera rien pour empêcher cela. Seule une Europe fédérale, resserrée et unie autour de principes forts comme une convergence monétaire, fiscale et sociale est de nature à représenter un pôle compétitif pour relever les défis du XXIe siècle. Le départ de la Grande-Bretagne est une opportunité pour repenser l'Europe non pas en fonction des années cinquante où elle est née mais en fonction des intérêts du XXIe siècle qui n'a plus rien à voir. A Emmanuel Macron en bon stratège de prendre cette initiative
 
Cselivre
 
Lire ce livre brillant ne peut être que salutaire à la consistance d’un débat qui ne peut plus être théorique ou sentimental, mais doit poser la question existentielle de l’avenir du modèle socio-technique européen.Osons l’Europe fédérale autour d’un noyau dur volontaire, harmonisé socialement et fiscalement sur la base de minima consentis, et doté d’un budget fédéral !

Penser 2050

Ce texte a été écrit le 14 juillet 2011. Il a été publié dans les Annales des Mines. Il est toujours intéressant de faire le point sur l'évolution de ses analyses en se calant périodiquement sur l'échelle du temps. Regarder en 2018 ce qu'on écrivait en 2011 pour parler de 2050 ne peut qu'être un exercice stimulant. Un simple commentaire s'impose : les révolutions techniques ne se font pas tous les matins... La métabolisation des changements est beaucoup plus lente que ce que l'on pense généralement. D'où l'intérêt de publier et de soumettre au contrôle des faits.

Janvier 2018

 

Boule_cristal

Un exercice de réflexion à long terme est toujours stimulant mais terriblement dangereux ! Penser les technologies de l’information et se propulser en 2050 est encore plus aléatoire. Il suffit en effet de faire un pas en arrière et lire ce qu’on pensait du futur en 1970 : une pure catastrophe prospective. Simplement, personne ne parlait d’internet, dont les travaux venaient juste de commencer dans un obscur projet militaire. Aucun des produits que nous utilisons aujourd’hui n’existait et n’était imaginé. L’informatique était cantonnée à quelques très grandes entreprises ou laboratoires, gérée par une poignée de spécialistes, et personne n’était réellement en contact avec les outils informatiques. En France, le téléphone fixe était rare et cher et ne s’est réellement développé qu’à partir du milieu des années soixante-dix. Aussi la principale innovation qui était dans les cartons était de passer de quelques centaines de milliers de lignes téléphonique à plusieurs millions. Aussi, se projeter dans un futur assez proche puisqu’il se situe dans la perspective de la vie humaine, mais suffisamment lointain pour subir toutes les déformations est un exercice aléatoire.

Le premier piège est la tentation du prolongement des courbes. Sur dix ans, c’est encore possible mais sur quarante franchement suicidaire ! La logique des cycles technologiques permet de penser qu’il y aura d’ici 2050 plusieurs ruptures majeures. Le second est de raisonner « toutes choses égales par ailleurs ». C’est bien évidemment faux d’autant plus que les technologies de l’information innervent toutes les autres disciplines et vont donc contribuer à transformer radicalement le niveau des autres sciences et techniques. Jamais un ensemble de techniques - même l’électricité - n’a autant envahi les autres. La perspective systémique implique donc qu’on imagine les progrès des technologies de l’information non seulement dans leurs capacités propres mais surtout dans la façon dont elles vont transformer tous les autres domaines. Le piège le plus évident est de tenter de résoudre dans le futur tous les problèmes que le présent distille. On aimerait bien en effet que la technologie réduise l’écart entre le désirable et le possible. Il est clair qu’il n’y a pas de baguette magique et que les technologies de l’information vont également créer de multiples problèmes nouveaux qu’il faudra résoudre. Echapper à la malédiction méthodologique de la prédiction La lecture du 500e numéro de Science & Vie, daté de mai 1959, et consacré à la vie en l’an 2000 démontre cruellement le caractère parfois totalement irréaliste de certains scénarios prospectifs de long terme. Si, vu de 1959, , tout le monde s’habille en 2000 en combinaisons isolantes et insalissables, absorbe des pilules de « catalyseur d’acides aminés » pour transformer les graisses en muscles, les «dactylos »  tapent toujours sur un clavier de téléscripteur qui imprime directement chez les destinataires. Le téléphone télévision, appelé « télécom », le téléscripteur individuel et l’enregistrement de messages à domicile sur des « bandes magnétiques » permettent le travail à domicile et les relations avec les parents et amis lointains… Seuls les savants peuvent rechercher par des mécanismes automatiques un dossier dans un institut éloigné et peuvent parler à leurs correspondants avec des téléphones à traduction automatique. Détail intéressant, les centrales nucléaires à fusion ont disparu car… trop dangereuses. Et chacun a droit à la semaine de douze heures et trois mois de congés payés. Et bien sûr, les voitures sont volantes et silencieuses ! Il faut noter que les journalistes croient savoir que Renault travaille sur les plans d’un véhicule électrique...

Si de tels rêves ont bercé la littérature de science fiction, ils traduisent surtout les croyances de chaque époque qui fabrique un futur répondant à ses obsessions du moment. La « production de futurs possibles » ne peut aisément s’arracher aux contraintes de la vie immédiate. Il faut donc en revenir aux fondamentaux de la méthode autour des trois postulats de la démarche prospective rappelés par Hughes de Jouvenel :

  • l’avenir est domaine de liberté
  • l’avenir est domaine de pouvoir 
  • l’avenir est domaine de volonté

Se projeter dans les futurs possibles de 2050 dans un domaine aussi mouvant, aussi peu stabilisé que les technologies de l’information implique donc de résister à la tentation de la dérive techniciste pour ancrer fortement la technologie dans le champ de la politique et du vécu social. Aux capacités infinies des outils, quelles seront les réponses des individus et des communautés ? Aussi le travail de prospective ne consiste pas à prédire l’avenir, mais à le construire. Dans le domaine des technologies de l’information, quatre facteurs ont par leur évolution propre et la combinaison de leurs performances ouvert le champ des possibles depuis les années soixante-dix :

  • la puissance des processeurs
  • la disponibilité de bande passante permettant des télécommunications rapides et abordables entre des milliards d’objets connectés 
  • la simplification et la diversification de l’interface homme/machine -
  • la capacité de développer des programmes complexes par l’ingénierie logicielle et de les distribuer aisément

En quarante ans, les transformations de ces quatre vecteurs ont doté la planète d’une infrastructure mondiale et de moyens individuels d’accès à l’information qui n’a jamais été imaginée. En 2011, quatre terriens sur cinq utilisent un moyen de communication individuel et mobile, deux terriens sur sept peuvent librement produire, échanger, rechercher et stocker des informations sous forme d’images fixes et animées, de textes et de sons. En 2000, personne n’avait envisagé un tel développement. Personne ne pouvait imaginer qu’Apple, un des leaders de cette transformation, deviendrait en 2011 la première capitalisation boursière mondiale.

Prenant pour acquis cette base réelle, trois scénarios peuvent être travaillés :

  • l’accélération exponentielle des capacités des outils actuels
  • des ruptures technologiques majeures
  • des ruptures sociales autour de l’acceptabilité des technologies
  1. Le modèle exponentiel

Il est tout à fait crédible : c’est celui que nous vivons depuis quarante ans, 1972 précisément avec l’Intel 4004, grâce à la capacité des concepteurs et des fondeurs de micro-processeurs de doubler leurs capacités tous les 18 mois, processus que l’on appelle la loi de Moore. Le micro-processeur fournit la puissance brute du système informatique. C’est grâce aux progrès des micro-processeurs - plus de puissance, pour une taille réduite et moins de consommation d’énergie - que l’ont doit la sophistication des logiciels et la diversité des supports et des interfaces, et pour un prix stable sur le long terme. Les progrès ultérieurs sont donc conditionnés par la capacité de l’industrie des micro-processeurs à trouver les solutions pour prolonger la loi de Moore. Cette certitude est à peu près acquise pour les dix prochaines années. Intel travaille sur son architecture « Tera-scale » qui apportera une capacité 1000 fois supérieure à celle des plus puissants micro-processeurs, en multipliant le nombre de cœurs jusqu’à plusieurs centaines. Ces micro-processeurs seront capables de traiter des images animées en 3D en temps réel, à effectivement produire des traductions réalistes en temps réel, à traiter en quelques minutes les tera-données produites par un scanner de l’ensemble du corps humain, à mieux modéliser les phénomènes météorologiques… Les usages dans la vie quotidienne sont multiples et les outils qui supporteront l’homme dans ses tâches élémentaires – se déplacer, produire, consommer, gérer l’énergie et les matières premières, se soigner – apporteront des réponses enrichies aux problèmes actuels de congestion urbaine, d’optimisation de la logistique, de la production d’énergie, de gestion rationnelle de la santé… Mais ceci est d’ores et déjà programmé pour la décennie 2010-2020. Les outils quotidiens que nous utiliseront de façon banale en 2020 n’existent pas encore, et ne ressembleront pas à ceux que nous connaissons mais devraient demeurer dans une enveloppe conceptuelle familière. Le futur immédiat du réseau internet est aussi garanti avec le passage du mode d’adressage IP dans sa version 4, limité à quelques milliards d’adresses possibles, limite dont nous rapprochons en 2012, à sa version 6 (IPV.6) qui permet de connecter des milliards de milliards d’objets ( 2128 pour être précis…). Internet et le web peuvent se développer dans la décennie 2010 sans problème… Au-delà de 2025, le modèle exponentiel échappe à l’analyse.

  1. Des ruptures technologiques majeures

Au de là de cet horizon perceptible, il faut admettre que nos outils de réflexion sont inopérants. Tout au plus pouvons nous admettre que les représentations conceptuelles et matérielles sur lesquelles l’industrie informatique s’est construite vont voler en éclats. En effet, l’industrie s’est appuyée sur un modèle stabilisé depuis plus de soixante ans : le modèle de Von Neumann. Von Neumann avait formalisé dès 1945 le principe de la séparation dans un ordinateur des éléments de traitement, les opérateurs, qui assurent les calculs, et des éléments de mémorisation. Ces deux entités physiques opèrent en série. Une des ambitions des ingénieurs est de mettre fin à cette dissociation pour gagner en vitesse globale de traitement. Plus encore, l’informatique s’est édifiée autour du modèle binaire qui a permis la représentation de toute information sous un forme maîtrisable par la machine, c’est à dire une suite de zéros et de uns représentant la fermeture et l’ouverture d’un circuit électrique. Cette logique binaire est remise en question par les travaux sur l’informatique quantique qui permet une multiplicité d’états entre zéro ou un. L’objectif est de tirer parti de l’ensemble des informations qui commencent à s’accumuler de façon exponentielle, nous menaçant « d’infobésité », si nous ne disposons pas rapidement des moyens de traiter ces informations pour en extraire celles qui nous intéressent et nous permettent de progresser dans nos réflexions et nos connaissances. Il est bien évident que pour trier parmi les milliards de documents produits, le simple moteur de recherche n’est plus adapté. La recherche d’outils performants pour établir des relations entre informations et prendre des décisions rapides sera donc un des facteurs de progrès les plus intéressants des prochaines années. Le but est de se passer d’une interface lente, même tactile ou gestuelle, pour connecter directement notre cerveau avec ces futurs outils. Ces ruptures technologiques qui devraient apparaître entre 2025 et 2035 nous feront sortir du modèle de von Neuman et de la logique binaire qui ont marqué la conception des ordinateurs actuels. Elles s’appellent, provisoirement, informatique quantique ou neuronale… Elle s’inspirent de toutes les réflexions sur l’intelligence artificielle qui depuis cinquante ans animent la « cyberscience ». Dans tous les cas, la puissance des machines, considérable, s’intégrera de façon intime avec la vie des hommes. Ce qu’on appelle aujourd’hui « ordinateur », avec son clavier et son écran et son unité centrale sera absorbé, digéré par l’environnement, dans tous les objets, les produits et… le corps.

  1. Des ruptures politiques et sociales

La peur de Big Brother est très vive dans la société au fur et à mesure des progrès de performance de l’informatique et du web. Plus encore, le rapprochement entre informatique et biologie, dans un continuum entre la personne physique, sa conscience individuelle et les outils qui l’entourent pose d’ores et déjà des questions éthiques. Nous sommes passés de la machine, prothèse musculaire, à l’ordinateur, prothèse cérébrale. Si décupler notre force physique n’a guère posé de problèmes éthiques, il n’en est pas de même pour notre cerveau ! Or il est sûr que cette coexistence intime entre la machine et la personne va s’accroître avec la miniaturisation des processeurs et la capacité des systèmes à amplifier les fonctions cérébrales. On commence ainsi à voir émerger une nouvelle discipline, les NBIC, résultat de la convergence entre les nanotechnologies, les biotechnologies, l’informatique et les sciences cognitives. Les perspectives ouvertes par ces technologies sont considérables mais invasives. Permettre à un aveugle de voir est de toute évidence socialement souhaitable, mais où et comment définir des limites de l’usage de la bio-électronique? Quelle va être la capacité de la société à établir des règles et à les faire respecter ? Le droit à la maîtrise de son identité numérique commence à émerger comme revendication légitime, mais ce n’est qu’un aspect fractal d’une réalité complexe. La perspective ouverte par Ray Kurzweil de ce moment où les machines auront une capacité d’analyse et de décision supérieure au cerveau humain n’inquiète pas véritablement aujourd’hui tant elle paraît à la plupart des analystes improbable, voire absurde. Néanmoins, cette hypothèse – identifiée sous le terme « Singularité » - ne peut être rejetée. Elle est envisagée par les spécialistes entre 2030 et 2040. A ce moment, les machines pourraient, seules, concevoir des machines qui leur seraient supérieures. Le contrôle des machines pose des problèmes redoutables qui mettent en cause le système démocratique. La capacité du corps politique à comprendre et anticiper ces évolutions lourdes est aujourd’hui encore très limitée. Confrontés à la dictature du court terme, les dirigeants politiques ne peuvent spontanément faire confiance à la démocratie pour arbitrer dans ces choix technologiques qui interfèrent avec la nature même de la vie humaine.

La vitesse exponentielle de développement de la technologie n’est pas compatible avec le temps démocratique qui implique échanges, débats, pour produire une maturation raisonnable des avis et des consciences. Le bouleversement sociotechnique en cours, symbolisé par la rupture dans les modèles de contrôle de l’information et de l’opinion qu’apportent internet et la mobilité, a surpris les Etats. Cette supra-territorialité subie de l’internet n’est pas le résultat d’une volonté politique consciente, mais une fracture autorisée par la technologie qui n’a pas trouvé son modèle de gouvernance. Aussi les risques de régression sont bien réels. Rien ne permet d’évacuer l’hypothèse de la fin de l’universalité de l’internet, sa fragmentation en sous-ensembles étanches selon des critères régionaux, linguistiques, ethniques ou religieux. De plus la période de bouleversements que nous avons abordée avec la fin de l’Empire soviétique, les perturbations économiques et sociales qui mettent durement à mal le « welfare model » occidental, les ruptures démographiques, climatiques, sont autant de facteurs d’incertitudes et d’instabilités qui s’ajoutent à la déformation permanente due à la poussée inexorable de la technologie. Nous sommes dans une ère totalement désaccordée, sans vision d’ensemble, sans mécanismes de décision cohérents et stables. Il va de soi que la technologie peut apporter des solutions stimulantes, y compris pour faire avancer de nouveaux modèles de décision démocratique. Mais il faut avoir le courage de reconnaître que le système global d’équilibre mondial des pouvoirs issu du XVIIIe siècle tant dans sa dimension politique que technologique est arrivé à bout de souffle. Les phases d’agonie des systèmes anciens sont toujours douloureuses. L’émergence d’une pensée nouvelle est toujours chaotique. La promesse technologique s’inscrit dans ce contexte turbulent. Il est évident qu’au delà de la loi de Moore, c’est bien la capacité de l’humanité à se forger un destin qui est en jeu. Mais seule la qualité du débat, ouvert, documenté et controversé, permettra de défricher le meilleur chemin à travers les futurs possibles. Demain, comme hier, la technique n’est que secondaire.

Eléments de référence (de l'époque) : Kurzweil, Ray, The Age of Spiritual Machines, Penguin Books,2000 Broderick, Damien, The Spike, Forge, 2001

Quelques sites incontournables http://www.media.mit.edu/ http://techresearch.intel.com/


Science et usage, la dialectique de la transformation

1/ Le monde est bouleversé, hier comme aujourd'hui, par l'ingéniosité, la curiosité et l'instinct de survie des hommes qui les poussent à découvrir sans cesse de nouvelles réponses aux questions qu'ils se posent et aux problèmes qu'ils génèrent. Pour cela ils inventent des concepts, des outils, des méthodes qui repoussent les limites antérieures, défient les pouvoirs, mettent à bas les croyances... et font émerger de nouveaux problèmes, de nouvelles questions. Cela s'appelle le "progrès". Mais si l'humanité a toujours été secouée périodiquement par une remise en cause brutale de ses acquis, ce que nous vivons au XXIe siècle  est marqué par l'accélération sans précédent des savoirs.

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2/ Nous sommes les premiers terriens à vivre une révolution scientifique et technique, planétaire, qui nous permet de construire un "modèle artificiel "de notre existence, à travers des capteurs, des réseaux, des mémoires, des processeurs qui multiplient dans des propositions extraordinaires (c'est à dire imprévisibles) notre capacité de modélisation antérieure. Si Pic de la Mirandole avait connu Google, si Einstein avait eu accès au calcul à haute performance, si Leonardo avait connu la modélisation en 3D ! Avec ce modèle, nous pouvons mieux comprendre comment nous fonctionnons, nous pouvons mieux prévoir et agir sur notre environnement, et donc le modifier. Il est même devenu envisageable de propulser les terriens hors de notre planète. Nous sommes passés d'un progrès incrémental, avec des périodes de fortes poussées, comme la fin du XVIIIe siècle, ou les années 1890-1914, à un progrès exponentiel. Cela nous met ans une situation enviable par rapport aux 115 milliards de terriens qui nous ont précédé. Mais cela provoque aussi de nouvelles angoisses car nous touchons à l'essentiel de notre condition humaine, notre relation avec la mort. Nous commençons à considérer la mort non plus comme une fatalité, attachée à notre destin, et compensée par nos croyances religieuses, mais comme un accident technique évitable.

3/ Cette immense source de savoir  disponible est un défi considérable pour tous ceux qui faisaient commerce (lucratif) d'une fraction infime du savoir actuel, et parmi mille, les notaires, médecins, prêtres, politiciens, enseignants, contrôleurs de gestion et surtout les dirigeants politiques et économique qui avaient inventé le système hiérarchique pyramidal pour se mettre au sommet et cadenasser l'accès... ! Leur source de revenu et de pouvoir, la rareté de la connaissance, est tarie. Rendre facile l'accès au savoir et à la capacité de faire que cela apporte à chacun les fait frémir. Cette source de mépris et d'humiliation qui créait un fossé infranchissable entre les sachants et les ignorants n'a plus de raison être. Le cerveau d'œuvre fonctionne en réseau maillé collaboratif, sa capacité de reprogrammation est illimitée car elle s'appuie sur l'intelligence collective qui n'est plus verrouillée par une petite minorité.. 

4/ Cette situation révolutionnaire conduit à des violentes résistances, à de retours sanglants à la barbarie (Daesch prétend régler tous les détails de notre vie en fonction des pensées primaires d'un soldat du VIIe siècle) , au culte de l'ignorance (dont Trump est un grand prêtre). Les dirigeants les plus obscurs s'attaquent à la science, veulent remettre en cause les théories scientifiques comme celles de l'évolution au profit des croyances religieuses ... Bien sûr la technique qui est à l'origine de notre capacité actuelle doit être connue, enseignée à tous, pour être exploitée par tous à la source, le code, et démystifiée. Mais c'est bien l'usage qui est révolutionnaire, en sachant bien que sans Pascal, Babbage, von Neumann, Turing, et Vint Cerf , et quelques autres, nous n'en serions pas là. C'est dans l'usage quotidien d'outils de transports, de communication, de gestion de notre santé, de nos relations avec les autres que s'incarnent les avancées scientifiques, rapidement métabolisées par nos pratiques quotidiennes au point même que nous oublions les prouesses scientifiques qui ont rendu possible cette banalisation de l'usage.

C'est cela le système socio-technique, le ying et le yang de la science et de l'usage.

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Propos de campagne

 

Si le blog reste le support du temps long, Facebook et Twitter sont les champs du débat en temps réel. Néanmoins certains propos dépassent le temps instantané pour toucher des ressorts plus profonds sur une vision de l'évolution de la démocratie dans un monde global et numérisé. C'est pourquoi j'ai repris ici mes commentaires faits sur Facebook car, à leur relecture, il me semble qu'ils éclairent l'ampleur du débat qui divise, non seulement la France, mais tous les grands pays qui voient leur monde ancien, celui de leur suprématie impériale et coloniale, s'effriter et laisser la place à un monde où les acteurs nouveaux n'ont nullement peur du progrès. Car se plaindre de la mondialisation dans le Pas-de-Calais est légitime, mais pour les centaines de millions d'Indiens, de Chinois, de Vietnamiens et autres peuples qui sont sortis en cinquante ans de la soumission coloniale et du sous-développement, la mondialisation et le numérique ont précisément été le vecteur de leur accession à la prospérité. Comprendre d'où on vient, pour essayer de donner une vision du futur et des objectifs reste la base des grand rendez-vous démocratiques que sont les élections.

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La réflexion sur l'impact de la transformation technique sur notre contexte économique  social et culturel est depuis onze ans l'unique philosophie de ce blog qui tente de ramener dans le champ du rationnel  les débats de l'époque.

13 avril

Cette hystérie qui caractérise les débats sur les réseaux sociaux traduit bien l'extrême faiblesse de la culture politique dans une société où on "like" et on zappe sans discernement... Si on croit qu'au-delà des images de salles plus ou moins vides, des drapeaux et de chants, on vote pour Mister ou Missiz France 2017, on se trompe lourdement. On est pas dans Top Chef. Non que le président de la République soit l'alpha et l'omega de la vie publique, mais quand même il faut choisir quelqu'un qui incarne la France à l'étranger, qui anime une équipe gouvernementale confrontée à 2000 milliards de dettes , qui soit, accessoirement, le chef des armées avec des zozos comme Poutine ou Trump. Il faut donner envie et espoir à tous ceux qui produisent dans ce pays pour développer notre compétitivité et notre attractivité, former les nouvelles générations à un monde complexe et exigeant. Une vision et une ambition qui apportent du sens, mais surtout laissent chacun les interpréter dans son environnement personnel. Car ce qui compte c'est d'accélérer le mouvement de transformation de notre pays dans les fondamentaux : initiative individuelle, créativité, qualités techniques, respect de l'environnement, respect mutuel. Il faut écarter l'émotion, car cinq ans d'émotion, ce sera long, pour identifier la personne la mieux apte à favoriser ce cadre qui permettra à chacun, dans sa sphère, d'avoir envie de résoudre les problèmes. Il est vain de penser qu'un président va "créer" des emplois, soigner les malades, sauver la biodiversité. Arrêtons la pensée magique. Soyons pragmatiques pour fabriquer un cadre propice à la résolution des problèmes de notre communauté nationale dans le cadre plus large des interactions qui nourrissent la vie de notre planète dont on ne peut ignorer aujourd'hui qu'elle constitue un système unique.

21 avril

Au terme de cette campagne qui n'a pas été percutante au niveau de la lucidité économique, nous sommes confrontés en tant que citoyens à un terrible dilemme. Ce n'est pas tant le choix du président qui compte, mais surtout celui de la méthode. La situation économique de la France qui croule sous les déficits et n'a depuis des années qu'une croissance anémique n'offre que peu de marge de manœuvre. L'équation économique est pesante mais claire : retrouver des moyens pour financer nos besoins structurels induits par notre territoire, notre population, notre rôle international, les besoins cruciaux de montée en compétences de tous, les risques sociaux, communautarisme, ghettoïsation, exclusion. Quel que soit le point de vue adopté, nous ne pourrons nous entendre sur les solutions que si nous sommes d'accord sur le diagnostic... Or nous avons besoin d'une vision systémique avant de plonger dans les solutions sectorielles. Il y pour moi un point incontournable, les solutions ne peuvent en aucun cas se trouver dans la poursuite de l'augmentation infinie du déficit public en fonctionnement. Nous avons atteint les limites de l'exaspération en matière de prélèvements. Il faut donc chercher l'efficience du moindre euro de prélèvement public en examinant à la loupe toutes les poches d'inefficience. C'est un travail qui doit être conduit de façon décentralisée en motivant les agents publics sans donner le sentiment de les punir. Car le paradoxe de l'action publique est que malgré le niveau considérable des prélèvements, les services publics sont très souvent mal dotés en moyens de fonctionnement appropriés. Il faut donc provoquer avec les agents publics une révolution de la productivité du secteur public. Pour retrouver du dynamisme productif, il faut s'appuyer sur le tissu économique local, fédérer les PME autour des grandes entreprises de taille mondiale, orienter l'éducation vers les compétences utiles à l'exercice professionnel, abaisser les charges sur les salaires les plus faibles, autant de règles de bon sens dont il faut éliminer l'interprétation idéologique. Après c'est une question de pondération, de pédagogie collective, de négociation et d'équilibre de tout ceci. L'arme atomique qu'est la sortie de l'euro et de l'UE représente un risque systémique majeur. Une dévaluation compétitive n'a qu'un effet de court terme lorsque le tissu économique est fragilisé. Le problème est que nous ne devrions pas avoir besoin des conseils de l'UE ou de Mc Kinsey pour construire le diagnostic et décider. Pourquoi serions-nous incapables de raison, tous seuls, sans voir besoin de se faire admonester par le FMI, l'OCDE, l'UE, le WEF, tous agents de Satan de l'impérialisme anglo-saxon à entendre la plupart des candidats qui n'ont jamais vraiment travaillé en entreprise ?? Qu'est ce qui pourrait changer durablement dans ce pays pour retrouver de la sérénité dans l'analyse des problèmes et dans l'exécution de plans opérationnels de solution ? Arrêtons la dramatisation révolutionnaire, cessons d'exacerber le sentiment que nous, peuple le plus génial de la Terre, nous sommes persécutés par tous les autres, n'adorons pas les idoles du passé, le "grand roman national", le CNR, Mitterrand, Castro, et même de Gaulle qui était un personnage du XIXe siècle plus que du XXIe. Ne cherchons pas le salut dans la fuite improbable, éphémère rideau de fumée qui nous laisserait encore plus seuls face à nos problèmes et à l'ironie du monde. Vision cohérente de notre futur, pragmatisme de l'exécution, décentralisation responsabilisée, confiance dans la capacité individuelle à relever les défis dans le respect mutuel, tel sera mon choix..

21 avril

Au terme de cette campagne qui n'a pas été percutante au niveau de la lucidité économique, nous sommes confrontés en tant que citoyens à un terrible dilemme. Ce n'est pas tant le choix du président qui compte, mais surtout celui de la méthode. La situation économique de la France qui croule sous les déficits et n'a depuis des années qu'une croissance anémique n'offre que peu de marge de manœuvre. L'équation économique est pesante mais claire : retrouver des moyens pour financer nos besoins structurels induits par notre territoire, notre population, notre rôle international, les besoins cruciaux de montée en compétences de tous, les risques sociaux, communautarisme, ghettoïsation, exclusion. Quel que soit le point de vue adopté, nous ne pourrons nous entendre sur les solutions que si nous sommes d'accord sur le diagnostic... Or nous avons besoin d'une vision systémique avant de plonger dans les solutions sectorielles. Il y pour moi un point incontournable, les solutions ne peuvent en aucun cas se trouver dans la poursuite de l'augmentation infinie du déficit public en fonctionnement. Nous avons atteint les limites de l'exaspération en matière de prélèvements. Il faut donc chercher l'efficience du moindre euro de prélèvement public en examinant à la loupe toutes les poches d'inefficience. C'est un travail qui doit être conduit de façon décentralisée en motivant les agents publics sans donner le sentiment de les punir. Car le paradoxe de l'action publique est que malgré le niveau considérable des prélèvements, les services publics sont très souvent mal dotés en moyens de fonctionnement appropriés. Il faut donc provoquer avec les agents publics une révolution de la productivité du secteur public. Pour retrouver du dynamisme productif, il faut s'appuyer sur le tissu économique local, fédérer les PME autour des grandes entreprises de taille mondiale, orienter l'éducation vers les compétences utiles à l'exercice professionnel, abaisser les charges sur les salaires les plus faibles, autant de règles de bon sens dont il faut éliminer l'interprétation idéologique. Après c'est une question de pondération, de pédagogie collective, de négociation et d'équilibre de tout ceci. L'arme atomique qu'est la sortie de l'euro et de l'UE représente un risque systémique majeur. Une dévaluation compétitive n'a qu'un effet de court terme lorsque le tissu économique est fragilisé. Le problème est que nous ne devrions pas avoir besoin des conseils de l'UE ou de Mc Kinsey pour construire le diagnostic et décider. Pourquoi serions-nous incapables de raison, tous seuls, sans voir besoin de se faire admonester par le FMI, l'OCDE, l'UE, le WEF, tous agents de Satan de l'impérialisme anglo-saxon à entendre la plupart des candidats qui n'ont jamais vraiment travaillé en entreprise ?? Qu'est ce qui pourrait changer durablement dans ce pays pour retrouver de la sérénité dans l'analyse des problèmes et dans l'execution de plans opérationnels de solution ? Arrêtons la dramatisation révolutionnaire, cessons d'exacerber le sentiment que nous, peuple le plus génial de la Terre, nous sommes persécutés par tous les autres, n'adorons pas les idoles du passé, le "grand roman national", le CNR, Mitterrand, Castro, et même de Gaulle qui était un personnage du XIXe siècle plus que du XXIe. Ne cherchons pas le salut dans la fuite improbable, éphémère rideau de fumée qui nous laisserait encore plus seuls face à nos problèmes et à l'ironie du monde. Vision cohérente de notre futur, pragmatisme de l'exécution, décentralisation responsabilisée, confiance dans la capacité individuelle à relever les défis dans le respect mutuel, tel sera mon choix..

21 avril

Evidemment, le terrorisme s'invite dans l'isoloir. Face à ces menaces diffuses, impossibles à juguler sans instaurer un état policier, les surenchères verbales sont de peu de poids. La fermeté déclamatoire ne sert à rien, car même les pays les plus experts en la matière ne peuvent rien contre la détermination suicidaire d'un homme seul. Néanmoins il faut lutter avec la plus totale énergie contre les idéologies attentatoires à la liberté de conscience et d'expression, dont le radicalisme religieux est une forme particulièrement toxique. Il n faut rien céder au communautarisme, lutter pour libres les femmes du joug patriarcal, développer l'éducation sans cesse, lutter contre les croyances en faisant de la laïcité un modèle de liberté et de confiance en l'homme. Mais aussi éviter que la misère et le desepoir ne constituent le terreau dans lequel fermentent ces croyances délétères.

24 avril

Le scrutin n'est pas surprenant : il y a bien toujours deux France, mais ce ne sont plus une France de gauche contre une France de droite partagées par une conscience de classe. La fracture, douloureuse, est entre une France ouverte sur la transformation socio-technique, métropolisée, mondialisée, numérique, écologique et une France qui a le sentiment d'avoir perdu cette bataille, périphérique, insuffisamment formée, impuissante à comprendre car non préparée, mais, contrairement aux Etats-Unis nullement abandonnée par la première par le jeu des transferts sociaux considérables qui sont l'honneur de notre pays. C'est une France de nomades contre une France sédentaire. Certains pensent que c'est voulu parce qu'ils voient dans cette situation la main invisible des prédateurs, des banques, du CAC 40, des journaux. Une version nouvelle des 200 familles.

D'autres, dont je suis, n'ignorent pas que le partage de la valeur ajoutée a toujours été un combat, et qu'il y a et aura toujours des prédateurs dans un jeu inégal mais qu'il faut consacrer plus d'attention à la production localisée des richesses qu'à leur distribution irraisonnée. Sont-elles réconciliables ? Et surtout pourquoi les opposer durement. Elles ont besoin l'une de l'autre car nous sommes ensemble un pays unitaire dont la caractéristique unique est justement la solidarité. Il faut donc trouver les moyens de réduire cette fracture par la redynamisation des territoires dépréciés, l'entrepreneuriat de proximité, la formation ininterrompue, la réforme des mécanismes de sécurité sociale pour les rendre plus efficients, une stratégie de sortie des énergies fossiles, la reconnaissance du besoin d’une école dissymétrique qui donne plus à ceux qui en ont le plus besoin…

 


Vérité ou mensonge, qu’en pense Facebook ?

- Tu sais toi-même que la moitié de ce que tu dis est un mensonge.  - Tu en es bien sûr ? Et quand bien même ce serait un mensonge, nous le transformerions en vérité. Et c'est cela qui compte : ce que les gens croient.                                    Eduardo Padura, L'homme qui aimait les chevaux

 

La démocratie, comme le reste de la vie sociale, est bousculée par la vague de fond d’internet. Dans un monde qui valorise la transparence, l’authenticité des engagements, la transparence, le système représentatif est perçu comme élitiste, accaparé par une minorité de professionnels de la politique, et incapable de résoudre les problèmes redoutables d’une époque turbulente. Cette interrogation n’est pas nouvelle. Elle est inhérente à la démocratie représentative, dès son origine. Est-ce que le peuple souverain peut avoir confiance en ses représentants ? Quel est le meilleur système pour traduire la volonté populaire en décision collective ? Sans ménagement, le peuple, irrité, n’hésite pas à rejeter très rapidement ses dirigeants, rendant l’exercice du pouvoir, non seulement complexe par nature, mais aussi douloureux face à cette impatience du peuple. Le système représentatif déprécié, on se prend à imaginer une vie démocratique où le peuple reprendrait le contrôle de son destin grâce à une nouvelle forme de démocratie directe fondé sur le web. Le système représentatif serait-il soluble dans le web ?

Hemicycle

La démocratie représentative en question

Revenons aux racines de la démocratie représentative. Cette forme de pouvoir a été inventée au XVIIIe siècle (un peu avant en Grande-Bretagne…) pour mettre un terme à l’absolutisme. La démocratie est le fruit d’une révolte contre un système inique fondé sur la volonté d’un seul d’appliquer sa vision à un peuple sans débat ni droit d’opposition. De plus, se prévalant du soutien inconditionnel d’une autorité suprême spirituelle, difficile à démontrer, le monarque s’était habilement doté d’une légitimité hors de tout champ de contestation.

C’est pourquoi la démocratie, exigence des Lumières, mais aux sources athéniennes, est fondée sur la liberté d’opinion pour chacun. Liberté de construire ses opinions, de les exprimer, de se rassembler avec d’autres pour en discuter et accroître leur audience et d’en faire usage pour prendre des décisions. Et ceci sans crainte d’être embastillé, décapité, proscrit, déporté… En démocratie, on émet donc tout le temps des opinions pour essayer de comprendre les problèmes et leur trouver une solution. Mais des millions d’opinion individuelles, ça ne suffit pas pour résoudre les problèmes collectifs. Alors on a inventé un système qui permet de concentrer ces millions d’opinions dans un faisceau de quelques idées, ce qui est plus facile pour les mettre en œuvre. Il existe ainsi des gens appointés pour fabriquer des opinions, des sortes d’industriels de l’opinion, qui disposent des outils, des codes, des moyens de diffusion. Ils produisent des « opinions certifiées » – que l’on appelle valeurs, convictions – et construisent, avec ces matériaux, des programmes qui constituent une offre de solutions.

Ces programmes partent d’une analyse, et engagent leurs auteurs sur un bouquet de solutions dont l’application a pour but sinon de supprimer, tout au moins d’atténuer les problèmes identifiés. La lutte politique se traduit par un débat pour obtenir l’adhésion de la majorité sur le diagnostic et les solutions. Le camp qui a remporté cette adhésion, en accédant aux responsabilités, est donc mandaté pour mettre en œuvre son programme pour obtenir les résultats promis.

La vie démocratique, c’est donc la confrontation d’une « offre de solutions », portée par des mouvements, appelés partis politiques, et incarnée par des personnes physiques, leaders, responsables, et d’une « demande de solution », émanant de chacun d’entre nous. C’est ce rapprochement dynamique, permanent, qui trouve son expression rituelle dans l’élection, processus périodique de sélection des personnes à qui le peuple confie le mandat, provisoire, d’exercer le pouvoir que lui, le peuple seul, détient. Le mécanisme est simple et éprouvé, il s’appuie sur le suffrage universel et s’appelle le système représentatif. Voilà pour les principes…

Volatilité des opinions

Regardons, avec lucidité, quelle est la réalité en ce début de XXIe siècle ? Comment se fabriquent les opinions ? Est-ce un processus transparent, honnête, « sous qualité totale »? Est-ce que les industriels et grossistes, qui assemblent et distribuent les opinions en s’appuyant sur les médias d’information ou les vecteurs d’opinion que sont les partis, mouvements, cercles, think tank, font correctement leur travail d’élaboration d’une offre compétitive ? Une fois au pouvoir, que font les dirigeants de la confiance qu’on leur a déléguée ? Le web, qui a libéré tant de secteurs, peut-il aujourd’hui influencer le processus de fabrication des opinions et d’élaboration du choix des dirigeants en corrigeant les biais du système représentatif ?

N’oublions pas que la démocratie, avec toutes ses imperfections, est toujours meilleure que le moins agressif des systèmes totalitaires pour des raisons simples :

- chacun peut s’y exprimer et s’y défendre librement, dans le limite des droits définis par la communauté

- chacun peut choisir ses représentants et s’en débarrasser librement par des moyens pacifiques.

Ce socle constitue les conditions de base à partir desquelles un régime peut être qualifié de démocratique. Il faut d’abord que ces conditions soient acquises puis constamment consolidées. Ce n’est que sur cette base que l’on peut ensuite commencer à discuter d’améliorations au système. Car le système démocratique est vulnérable s’il ne peut pas garantir une libre expression et des élections non faussées. L’espoir d’Internet était de soustraire la « fabrique d’opinions » aux professionnels qui en avaient les codes pour permettre à chacun d’exprimer son point de vue et de contribuer directement à la décision. Or cette vision, vite rangée au magasin des utopies, a laissé la place à un chaos informationnel.

La multiplication des opinions individuelles, associatives, citoyennes ne garantit en rien un modèle de prise de décision démocratique. La profusion d’informations qu’autorise aujourd’hui le web n’est pas contrôlable. Cette question a été remise à jour par le débat soulevé lors des élections américaines sur l’influence des réseaux sociaux. Par la nature même du débat démocratique, la construction des opinions a toujours été influencée par de multiples moyens. Il n’a pas fallu attendre le web et Facebook. L’édition, puis la presse écrite, puis la radio et la télévision contribuent depuis des centaines d’années à façonner l’opinion de façon partisane, car l’objectivité ne peut être que relative. C’est du choc des idées qu’émerge une pensée structurée qui va permettre de construire un modèle de prise de décision. Le processus d’accès au pouvoir en régime démocratique passe par cette confrontation naturellement biaisée par le filtre d’analyse que choisissent les acteurs dans le but avoué d’accéder au pouvoir. Pour les autres systèmes évidemment la question est résolue d’avance. Comme il n’y a pas de règles dans la compétition, c’est le plus fort, le plus rusé qui gagne, et qui ensuite s’installe durablement au pouvoir en empêchant les autres de s’en approcher par la violence.

La démocratie est un système complexe qui pour fonctionner convenablement doit être assuré que chacun des composants est en mesure de livrer le service attendu. Les opinions, constituent un recueil organisé d’analyses sur la nature des problèmes que la société doit résoudre. Elles sont ensuite distribuées par des canaux qui doivent effectuer correctement leur travail de transmission sans détérioration du message. Elles sont portées par des personnes issues des rangs du peuple, c’est-à-dire sans privilège de naissance, mais dotées de caractéristiques personnelles qui les distinguent. Ce sont les leaders d’opinion. Enfin elles sont reçues par des « clients » - les citoyens - qui jugent la qualité de ce qu’on leur propose en fonction de multiples filtres culturels, idéologiques, comportementaux. Un de ces filtres est la personnalité, la force de conviction, le talent de ceux qui portent les opinions. Agissent-ils dans leur intérêt propre pour finalement exercer une fonction qui peut être perçue comme lucrative et en tout cas créant une image médiatique, ce qui, en soi, dans notre société a de la valeur? Ou tentent-ils d’agir de façon « désintéressée » pour le bien commun ?

Ce qui rend ce système complexe, voire ambigu, c’est que les citoyens sont au deux bouts de la chaine. Le constitutionnaliste Georges Burdeau définissait (en 1952) deux types de liberté : la liberté-autonomie, qui se définit par l’indépendance de l’individu par rapport aux contraintes extérieures, et la liberté-participation, « prérogative qui permet à l’individu d’être associé à l’exercice du pouvoir ». C’est cette dualité qui permet aux peuples de résister à l’oppression des gouvernants tout en leur donnant le moyen concret d’exercer leur souveraineté. Puisque le pouvoir leur appartient, les signaux qu’ils émettent sont à la source des offres qu’on leur propose. Ils peuvent toutefois ne pas se reconnaître dans ces offres. Et penser qu’on ne les comprend pas ! Alors, en régime démocratique, ils ont la liberté de changer de gouvernants.

Imaginer ainsi qu’une opinion serait un produit sur étagère, packagée pour se vendre avec tous les atours du marketing et de la communication, est indigne de la noblesse de l’exercice du pouvoir. Or cette nouvelle vision a commencé à s’imposer avec l’émergence de la télévision puis avec internet. Le temps où les gens s’assemblaient dans des locaux inconfortables dans des instances de réflexions, nommées, selon les familles d’opinion, sections, cellules ou clubs, pour débattre et construire avec leurs propres moyens, leur temps, leurs convictions, leurs propres sources d’information, cette offre de solutions est révolu. La source même de l‘opinion, le débat démocratique, sanctionné par un vote, est tarie. Trop lent, trop cher, trop aléatoire…

Les fabricants officiels d’opinion y ont préféré un autre système facile et peu coûteux, le sondage. Les sondages scientifiquement établis ont pour mérite de faire dire à mille personnes ce que pensent des millions. Mais ce système, mis en défaut car fondé sur des modèles prédictifs vieillissants, s’est lui-même fait hacker par les réseaux sociaux, encore plus rapides, encore moins chers. Il suffit qu’une opinion apparaisse, sur Facebook ou Twitter, qu’elle soit suffisamment saignante pour capter l’attention, et immédiatement elle se propage par transmission virale. Elle n’est plus opinion certifiée, elle devient vérité ultime. On peut ironiser, se défendre, menacer, démentir. Rien n’y fait. Prisunic, enseigne que tout le monde avait oubliée, devient un marqueur politique indélébile. Mais cela ne durera pas, car ces grands coups de cymbales médiatiques sont sans lendemain ce qui n’empêche pas qu’ils puissent avoir un effet toxique sur la qualité du débat.

On a ainsi inventé une démocratie hors sol, sans terroir, sans travail méticuleux, mais dopée aux engrais de la communication, dominée par le sens de la formule, l’angle de l’image. Ce fast food démocratique, sans autre nourriture que la volatilité d’opinions fragmentées, ne peut satisfaire personne et inquiète même ceux qui en sont à l’origine, ces communicants dont tous les pouvoirs se sont entichés tant leurs recettes paraissaient miraculeuses. Le système échappe à ses créateurs. Les erreurs multiples faites par les sondeurs démontrent que les modèles ne sont plus prédictifs. La créature leur échappe. Buzz, surenchères, bruits ne sont plus des parasites, ils sont devenus le message.

La fragilité intrinsèque de la démocratie

Or la démocratie est un bien fragile qui suppose un pacte stable entre tous ses acteurs. La liberté individuelle n’existe qu’encadrée par des normes, règles et lois. Prendre prétexte que ce cadre contraignant n’a pas été produit « démocratiquement », parce qu’il ne prend pas chaque point de vue en compte et s’appuie sur des compromis pour rejeter le système démocratique parlementaire est une posture en vogue. Elle est dangereuse car elle excuse par anticipation toute transgression. La pensée libertarienne qui rejette en bloc toute autorité a pour but de donner à l’individu seul le pouvoir ultime sur ses choix. Elle inspire une frange importante de l’opinion aux Etats-Unis et tend à attirer quelques européens. Le populisme qui simplifie le débat pour faire appel au bon sens prêté au peuple à partir d’idées apparemment séduisantes par leur simplicité tend aussi à tordre le débat en lui enlevant toute dimension analytique perçue comme une manipulation des « élites » évidemment présentées comme méprisantes pour le peuple.

Or l’individu en société doit s’effacer devant le citoyen faute de quoi la vie sociale revient à un état totalement instable où le pouvoir du plus fort retrouve toute sa légitimité brute. Mais pour que la contrainte collective soit acceptable, il faut que les conditions d’élaboration de la règle soient insoupçonnables et que le champ des contraintes crée soit perçu comme légitime. Les exemples récents de toutes natures ont démontré que loin d’être exemplaires, certains dirigeants politiques ont fait passer leur intérêt particulier avant la mission qui leur était confiée qui suppose une impartialité sans faille.

Trop d’exemples de déviances de députés, de commissaires européens, de ministres entachent la neutralité du processus d’élaboration des règles. L’expression d’intérêts privés leur retirent leur impartialité, donc leur légitimité. L’organisation puissante des lobbies démontre que nombre d’élus sont sous influence. Le financement des campagnes électorales, de plus en plus coûteuses, est perçu comme une avance sur bénéfices ultérieurs. Ces exemples, marginaux, de formes diverses de corruption suffisent à délégitimer les règles. L’individu, au mépris du citoyen, se sent libéré. Quand un ministre ne paie pas ses impôts ou ses contraventions, on trouve naturel d’imiter cet exemple en s’engouffrant avec complaisance dans cette faille. Par ailleurs, une critique courante de l’opinion porte sur la pertinence des règles, souvent jugées inutiles et agaçantes. La bureaucratie, plus encore quand elle est lointaine, à Bruxelles ou Washington, serait la coupable universelle de la multiplication des règles absurdes dont les exemples abondent, la taille des abattants de WC, l’affichage des paquets de cigarettes …

Là encore l’idée qu’il puisse y avoir une autorité collective qui pourrait agir sur les individus pour influencer le bien commun est en perte de vitesse. Même si la cause est noble, elle est facilement caricaturée. En cherchant à limiter la pollution atmosphérique, le réchauffement climatique, les accidents de la route, l’exposition aux méfaits du tabac, la « bureaucratie » exercerait un pouvoir tatillon et vengeur qui briderait l’exercice de la liberté individuelle. Oublier le bien commun c’est aussi saper une des sources de la démocratie qui doit imposer la même loi à tous.

C’est un moment critique pour les démocraties européennes car le déficit d’offre crédible dans les partis traditionnels fait face à de profondes insatisfactions, voire colère, de la demande des individus-citoyens. La démocratie est mal armée pour faire face à ces défis. Elle apparait inefficiente, lente, inadaptée face à un monde en changement rapide et anxiogène… Mais il n’y a pour le moment rien de mieux ! Car la logique populiste, de gauche comme de droite, peut s’enfoncer sans difficulté dans le ventre mou d’un système qui a tardé à prendre conscience du caractère insupportable de ses failles.

Il y a donc urgence à travailler sur l’amélioration rapide du fonctionnement des systèmes démocratiques. La revitalisation de l’intérêt démocratique ne peut pas provenir que du spectacle, même s’il est aussi riche que 2016 en coups de théâtre. Elle doit s’ancrer dans la recherche méthodique de solutions aux problèmes complexes que nos sociétés traversent. Or rien ne peut se faire sans rigueur, sans méthode, sans débat non biaisé, sans temps… Le web peut y contribuer. Sans miracle. Rappelons, sans conclure, le remarquable essai de Dominique Schnapper, déjà analysé dans ce blog pour reprendre cette conclusion « A travers les modalités diverses de la vie publique, elle {la démocratie} reste un projet d’émancipation de tous les êtres humains par-delà leur diversité» Dominique Schnapper, L’esprit démocratique des lois.