Hydrogène contre batteries, les termes du débat

Décarboner la mobilité est devenu le leitmotiv des gouvernements et l'obsession des industriels, désireux de proposer aux marchés des solutions technologiquement viables et économiquement satisfaisante. De fait il y a désormais une course de vitesse entre les constructeurs et les réglementations.

Le débat entre VEB (véhicules électriques à batteries) et véhicules électriques à pile à combustible ne fait que commencer. Il s’agit en effet de deux solutions concurrentes pour alimenter les véhicules électriques qui ont chacune leurs propriétés et leurs partisans.

L’enjeu est la propulsion des véhicules du XXIe siècle où l’on sait que la lutte contre le CO2 impose dans tous les cas de réduire drastiquement l’usage des énergies fossiles. La fin du moteur à combustion interne à pétrole sera une des grandes avancées scientifiques et techniques du XXIe siècle après 140 ans de domination incontestée sur la mobilité individuelle. Mais on ne remet pas en cause impunément un système industriel qui a fait ses preuves.

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Aujourd’hui, la disparition effective du moteur thermique dans les véhicules neufs, programmée dans la plupart des pays industriels entre 2030 et 2050, est conditionnée par la capacité de l’industrie à produire des véhicules électriques peu coûteux et apportant un gain global en matière d’émission de CO2 et d’autres polluants, tout au long de leur vie. Si la technologie du moteur électrique est parfaitement maîtrisée, la question porte sur l’utilisation de l’électricité à bord du véhicule, problème technique résolu pour le transport ferroviaire, mais qui a été l’obstacle majeur au développement de l’électricité dans l’automobile. Deux solutions sont exploitées, le stockage de l’électricité par batteries à bord du véhicule ou sa production par une pile à combustible à partir d’hydrogène.

 Leur point commun entre ces deux solutions, c'est qu'elles n'émettent au lieu d'usage ni polluant (gaz toxique comme les NOx ou résidus de combustion) ni CO2. L'une emporte à bord de l'électricité produite par des centrales électriques, conventionnelles, nucléaires ou renouvelables et distribuée par le réseau généraliste (avec un mix énergétique fonction du lieu de charge) et l'autre la fabrique à bord avec de l'hydrogène embarqué.

L’hydrogène n’existe pas à l’état naturel mais est combiné avec d’autres composants. Pour libérer l’hydrogène, il faut dissocier la molécule et ce processus de cracking demande de l’énergie. Ce processus de production peut être vertueux (hydrogène vert produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable) ou très polluant (hydrogène noir ou gris produit par reformage à partir de pétrole ou de gaz). Aujourd’hui 90% de l’hydrogène utilisé dans le monde est noir ou gris. L’hydrogène doit ensuite être stocké, transporté et distribué pour constituer un réseau spécifique de distribution. La chaîne de distribution d’hydrogène implique également de la consommation d’énergie.

Dans les deux cas, la vertu environnementale du véhicule est entachée par la qualité de l’électricité qu’il utilise, ou fabrique, et par son propre processus de fabrication. Ce qui les différencie sur ce point ce sont les batteries d’un côté et la pile à combustible de l’autre, tous les autres éléments, base roulante, électronique et moteurs électriques étant identiques.

Sans titre

  • Les batteries

Dix ans après son véritable lancement commercial -Nissan Leaf, Renault Zoé, Chevrolet Volt-, la voiture électrique est devenue une réalité tangible pour le grand public ; 20% des véhicules neufs vendus en Europe en 2021 étaient électriques ou hybrides rechargeables. Tous les constructeurs mondiaux ont désormais à leur catalogue plusieurs véhicules électriques, de la citadine au SUV et même au pick-up. Des camionnettes légères sont également disponibles. L’autonomie de ces véhicules varie dans l’état actuel du marché de 200 à 600 km effectifs selon la norme WLTP. Le temps de recharge varie également selon le mode de recharge. Sur une prise électrique standard 220 v 10 A à domicile, la charge complète prendre plus de 20 heures. Sur une borne de recharge accélérée, ce temps est réduit à 3 h pour les bornes de 22kW et 1h30 pour les bornes les plus puissantes de 50 kW à 250 kW.  La charge à 80% de la capacité maximale, complémentaire à la charge principale nocturne, prendra sur ces bornes puissantes moins d’une demi-heure.

La fabrication de batteries à grande échelle dans les gigafactories nécessite de l’énergie, comme l’extraction de ses composants (lithium, cobalt, manganèse…). L’industrie - jeune- de la batterie de traction automobile travaille à améliorer chacun de ces points pour baisser les coûts, accroitre autonomie et vitesse de charge et réduire l’empreinte environnementale, dans une équation complexe où les gains sont, dans le contexte technique actuel, incrémentaux. Si le coût des batteries est passé en dix ans de 1200 $ par kWh à 150 $, cette baisse est considérée aujourd’hui comme asymptotique. Une des voies de progrès est d’utiliser des matériaux plus courants dans la construction de l’anode et de mettre en œuvre un électrolyte solide à la place du liquide utilisé actuellement. Les travaux sont en cours dans les laboratoires partout dans le monde. La compétence régionale alpine est forte dans ces domaines. Le CEA à Chambéry et Grenoble emploie 150 chercheurs dédiés à l’électromobilité et Air Liquide a son centre mondial de recherche sur l’hydrogène mobilité à Grenoble.

Enfin, la fin de vie des batteries de traction a fait l’objet de nombreux travaux et investissements industriels. Les batteries peuvent être recyclées par plusieurs processus industriels, maîtrisés, ou utilisées dans d’autres usages que la mobilité comme stockage statique.

  • La pile à combustible

La pile à combustible est un dispositif léger qui utilise comme catalyseur du platine, coûteux et peu abondant, mais recyclable. Le stockage de l’hydrogène à bord se fait dans des réservoirs en composites où l’hydrogène est stocké sous pression à 700 bars. A poids équivalent, l’hydrogène produit dix fois plus d’énergie que l’électricité. L’autonomie des véhicules à hydrogène actuellement disponibles sur le marché (Toyota Mirai, Hyndai Nexo) est supérieure à 600 km pour un temps de recharge de moins de 5 minutes.  C’est encore une solution coûteuse. Il faut 30 g de platine pour une pile à combustible de 100 kW soit 800 €. Une station de recharge d’hydrogène coûte environ un million € et un « plein » d’hydrogène coûte le même prix qu’un plein d’essence.

  • La charge

Pour le véhicule électrique à batteries, la durée de charge, notion beaucoup plus importante en termes d’usage que l'autonomie, est toujours plus lente (même si elle baisse rapidement) que pour l'hydrogène (chargement par pistolet équivalent à l'essence en quelques minutes).

Enfin le rendement global du processus « du puits à la roue » est meilleur pour l’électrique à batteries (95%) que pour l’hydrogène (35%). Enfin, même avec un rendement médiocre, l’utilisation d’hydrogène produit moins de CO2 (110 g de CO2/kWh) que l’essence (300 g CO2 par kWh).

Dans l’état actuel des connaissances et du marché, l’hydrogène ne semble être une solution plus pertinente que la batterie que pour les flottes captives, dont le rayon d’action est limité autour du point de distribution d’hydrogène, et pour les véhicules lourds, ou pour les usages pour lesquels les batteries seraient trop lourdes et encombrantes, comme les avions.

Pour illustrer l'écart dans le coût d'investissement, un bus électrique coûte environ 400 k€, un bus à hydrogène 600 k€. A terme ( dix ans?) cet écart pourra se résorber mais le coût de production du carburant devra également suivre, l'avantage de l'électricité étant considérable car elle est abondante, distribuée par un réseau généraliste et facile à gérer.

Ressources

https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/energies-renouvelables/tout-savoir-lhydrogene

https://liten.cea.fr/cea-tech/liten/Pages/Axes-de-recherche/Solutions-de-flexibilite/Batteries.aspx

https://www.airliquide.com/fr/science-nouvelles-energies/energie-hydrogene

https://www.engie.fr/actualites/mobilite-verte-bus-hydrogene/

 


Rassurée, l'automobile mondiale se cherche (timidement ) un nouveau modèle

Le salon de Genève s’ouvre début mars sur un paysage rassurant. La dépression du marché automobile mondiale est bien finie. En croissance depuis 2011, la production automobile mondiale a connu, avec 89,4 millions de véhicules, en 2015 une nouvelle progression de 2,3% qui confirme le retour de la dynamique du marché et donc de la santé des constructeurs. Tous affichent des résultats flatteurs, comme en témoignent les résultats récemment publiés de Renault et PSA. Les cours anémiques du pétrole rassurent les clients, surtout aux Etats-Unis, sur la pertinence du séculaire moteur à explosion qui fait le bonheur des conducteurs de F-150, voiture la plus vendue aux USA . Tout semble donc sourire à cette industrie coriace qui a démontré une fois encore qu’elle était capable de rebondir après une crise profonde, non sans avoir été contrainte de solliciter l’aide des pouvoirs publics. L’automobile serait-elle comme la banque, too big to fail ?

Peut-on pour autant refermer sans souci la page d’histoire ouverte en 2008 et qui a vu l’industrie automobile trembler sur ses fondements. L’histoire de l’automobile est émaillée de crises qui ne laissent jamais intacts les constructeurs survivants, même si le retour à bonne fortune tend à faire oublier les mauvais moments. Cette industrie a une forte capacité d’oubli, confiante dans le fait qu’il n’y ait pas de problème sérieux qu’un bon produit ne puisse résoudre. Cette confiance est fondée sur les constats que l’automobile reste indispensable à plus de 70% des déplacements dans les pays matures et que la plus grande partie des habitants de la planète n’est pas encore motorisée.

Mais la période qui s’ouvre ne ressemble en rien à la situation post-crise de 1974. Le monde est aujourd’hui largement motorisé et il est devenu urbain, peuplé et… pollué. Le web a changé l’usage du l’automobile, comme du reste. La prise de conscience de l’impact environnemental négatif de l’automobile s’est développée dans tous les pays, notamment dans le premier marché du monde, la Chine. Le fait que des constructeurs aient été obligés de tricher pour respecter les normes environnementales n’a pas accru la confiance des consommateurs dans l’industrie.

L’ambiguïté génétique de l’automobile n’est certes pas dissipée : outil de travail, pour se déplacer, c’est aussi un produit statutaire, pour se différencier, et un objet générateur de plaisir, pour s’évader. Même si personne n’a « besoin » d’une Ferrari ou d’une Porsche pour se déplacer à 90 km/h, l’attrait de ces produits dépasse toute logique pratique. Il en est de même pour les véhicules moins ostentatoires qui n’échappent pas la surenchère de la puissance et des équipements au détriment de la consommation et des émissions. Le marketing des constructeurs insiste toujours sur le plaisir de conduire et la sensation de liberté en mettant en scène leurs produits dans les déserts de l’Utah et non pas sur les autoroutes urbaines engorgées de toutes les grandes villes du monde. La saturation de l’espace urbain, les redoutables problèmes des pollutions au NOx et des rejets de particules sont délibérément occultés par les constructeurs et seules les autorités de régulation tentent de faire progresser la profession. Maintenir le « désir d’automobile », qui est le leitmotiv d’une industrie qui ne connait son salut, dans son modèle actuel, que dans la production de masse n’est pas évident alors que les facteurs économiques, sans même invoquer la conscience environnementale, plaident pour un usage contrôlé et partagé de l’automobile.

Le marché cherche à couvrir tous les segments de la demande sans opter clairement pour des choix sociétaux vertueux. Les constructeurs se retranchent devant la logique de la demande contrairement aux industriels de l’informatique et de l‘électronique qui ont ouvert des horizons radicalement nouveaux en n’hésitant pas à sacrifier leurs prés carrés. Cette ambigüité pousse par exemple Renault, qui est avec Nissan le leader mondial des véhicules électriques, à relancer avec fierté sa marque de véhicule de sport Alpine et à revenir en Formule 1. Cette même ambiguïté pousse à mettre en avant le rêve technologique de la voiture autonome qui ne règle pas de façon évidente les problèmes de saturation de l’espace urbain ni d’optimisation du transport interurbain. Même autonome et électrique, une voiture de 1,5 tonne pour transporter en moyenne 80 kg n’est pas une bonne réponse technique au problème du déplacement. De plus, pour des raisons de sécurité évidentes, elle ne pourra être que coûteuse et donc ne constituer qu’une fraction infime du parc. Même Tesla qui se pare aussi bien de vertus écologiques que de culture technologique, classée fin 2015 troisième entreprise les plus innovantes du monde, fabrique un objet de plus de 2 tonnes, 5 m de long, pour rouler à 250 km/h. Certes, sans moteur thermique...

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Le concept car Eolab de Renault consomme un litre aux 100.


Sortie de la crise après avoir recherché en toute hâte, pendant cinq ans, à présenter une image plus en ligne avec les besoins de la société pour finalement n’avoir produit fin 2015 qu’un million de véhicules électriques, soit moins de 0,1% du parc mondial. La France se révèle plutôt pionnière avec 17000 voitures vendues en 2015, toutefois sur un volume total de 1,91 million de véhicules, et seulement 61000 hybrides. Le véhicule thermique conventionnel n’a pas vraiment été contesté au terme de ces années de crise. Des avancées techniques ont été réalisées, les voitures électriques et hybrides existent vraiment maintenant avec une offre significative, mais cela reste un marché marginal qui n'est pas vraiment poussé par les constructeurs, leurs réseaux, la presse automobile qui restent attachés aux valeurs conventionnelles de l'automobile. Ces maigres avancées ne créent pas les conditions d’une transformation de long terme de l’industrie. Pour avoir tout misé sur les marchés émergents pour relayer les marchés historiques saturés et contraignants, les constructeurs se retrouvent face à des murs bien solides : insolvabilité des clients du Brésil et de Russie, absence d’infrastructure moderne en Inde et, encore plus inquiétant notamment pour le segment premium, conscience chinoise de l’urgence de la réduction de la pollution urbaine et réveil de la morale nationale. Certes la baisse inattendue du prix du pétrole apporte, pour de mauvaises raisons, un peu d’oxygène dans des marchés très sensibles au prix du carburant, comme les Etats-Unis. Ce ne peut être une solution de long terme car elle diffère la recherche de solutions durables tant sur les motorisations efficientes que sur les usages.

Certes plusieurs tentatives existent. Le CES de Las Vegas, où les constructeurs étaient très présents, n’a pas insisté seulement sur les prouesses techniques des voitures connectés et autonomes, mais aussi sur la fonction de mobilité qui ne peut selon les constructeurs comme Ford que faire appel à plus de partage. GM a même présenté son accord avec Lyft, opérateur de covoiturage, où il a investi 500 millions $, comme modèle d’évolution. Or plus d’usage de chaque véhicule produit implique moins de volume de production ! Il est admis qu’un véhicule en autopartage remplace 7 voitures en pleine propriété, qui restent 97% du temps inutilisés

De plus la fuite en avant technique implique le recours à de multiples partenaires qui disposent de compétences exclusives. Le stand de Nvidia au CES volait la vedette à ceux des constructeurs avec ses démonstrations de capteurs et de traitement de l’image, essentiels au véhicule autonome. Bosch et Valeo exposaient également avec force démonstrations leur incontournable savoir-faire technique. Architectes et assembleurs, les constructeurs automobiles ne peuvent plus être leaders sur chaque composant de la chaîne de valeur et voient émerger de redoutables concurrents potentiels.

L’industrie automobile mondiale reste donc confrontée à des choix cruciaux. La voiture individuelle n’est qu’un outil qui s’insère dans une gamme de solutions de mode transport, collectifs ou partagés, qui s’est considérablement enrichie au cours des dernières décennies dans les pays matures, mais aussi en Chine. Fondamentalement, la voiture n’est pas la meilleure solution pour les transports intra-urbains. Or la population de la planète va se concentrer en ville. Inexorablement, la demande d’automobile en sera affectée. Il faut donc inventer des véhicules légers, électriques, partagés pour la fraction des usages qui ne peut être satisfait par l’offre mutualisée. Il en est de même pour les usages de loisirs et les transports péri-urbains et inter-urbains où le couplage transport partagé et gestion des rabattements de flux vers les infrastructures à haut débit implique également des véhicules appropriés. Il devient totalement absurde de concevoir des véhicules pour rouler à plus de 200 km/h alors que ce cas d’usage est simplement interdit partout sur la planète, en dehors des circuits.

La créativité des constructeurs devrait en priorité se concentrer sur l’allégement des véhicules, la simplicité des motorisations et la réduction drastique de leur impact environnemental comme sur l’agrément d’usage dans la vie de tous les jours. Certes il restera toujours un segment premium où les revenus des acheteurs comme leur ego leur permettent de justifier l’irrationalité de leurs achats, généralement payés par d’autres. Mais pour la majorité des habitants de la planète une voiture fiable, pratique et peu consommatrice de ressources naturelles est l’objectif premier. C’est au marché de la proposer et de la rendre accessible et attractive. C’est aussi au consommateur de montrer un nouveau niveau d’exigence pour contribuer à l’évolution de ce produit essentiel mais dont l’usage inapproprié est générateur de profondes perturbations.


Renault, un enjeu capital pour la France

Comprendre le débat actuel entre l’Etat actionnaire de Renault, par la voix du Minstre de l'Economie, Emmanuel Macron,  et son dirigeant, Carlos Ghosn, qui, au terme d’une semaine tendue, a conduit celui-ci à convoquer un conseil d’administration exceptionnel de Renault le 6 novembre, implique de remonter aux sources de l’Alliance.

Renault a été l'artisan du renouveau de Nissan au moment où l'entreprise était dans une crise profonde : gamme vieillissante, appareil industriel inapproprié, relations endogames avec les fournisseurs. Déficitaire pendant toute la décennie quatre vingt-dix, sauf 1996, surendettée (18 milliards €) , au bord de la faillite, Nissan était en quête d’alliances pour survivre. Après l’échec des négociations avec Daimler, c’est Louis Schweitzer qui réussit à prendre 44% des actions du constructeur en 1999. Cette opération était risquée mais représentait une opportunité essentielle pour Renault de prendre place sur le marché mondial après l’échec de la fusion avec Volvo en 1994. Mais les cultures de deux constructeurs étaient fort dissemblables, Tokyo est très loin de Billancourt, et Louis Schweitzer et son homologue de Nissan, Yoshikazu Hanawa, ont l’habileté de construire à partir de mars 1999 un modèle original de relations fondé sur une alliance plutôt que sur une prise de contrôle. Selon Louis Schweitzer, il s'agissait de former "un groupe binational, fondé sur le respect, la compréhension réciproque et le maintien de l'identité des deux entreprises". Cette Alliance respecte les cultures et sensibilités des deux entreprises.

L'équipe de management de Renault déléguée sur place, sous la direction de Carlos Ghosn, le support technique de toute l'entreprise, et le marché bondissant du début des années 2000, notamment avec le développement spectaculaire d'Infini au Etats-Unis, ont permis un redressement exceptionnel à travers l’ambitieux et drastique Nissan Revival Plan. Solide en Europe et Amérique latine, Renault était beaucoup moins international que Nissan, firme dont la croissance s’est faite dès l’origine sur le marché mondial. Si Renault a investi ses hommes et ses ressources ( 6,4 milliards €) dans Nissan, l’entreprise a été payé en retour par 17 milliards de dividendes. C’est donc un excellent investissement pour Renault. Il est dès lors naturel de souhaiter conserver une influence majeure dans l'avenir du groupe. 

Renault est propriétaire de 43,40% des parts de Nissan, qui détient 15% de Renault. L’Etat est monté en juillet à 19,7% du capital, avec la promesse de revendre ces actions supplémentaires, pour peser dans les réflexions sur le réaménagement de la gouvernance de l’Alliance en acquérant des droits de vote double. Il faut aussi mentionner que Daimler possède également 3,1% de Renault et de Nissan. Aussi l'Etat actionnaire veut conserver le contrôle de cette Alliance dont, théoriquement, Renault devrait être leader.

Devenu CEO de Nissan en juin 2001, puis de Renault en mai 2005, Carlos Ghosn est à l’épicentre de ce qui n’est plus, de fait, l'Alliance des origines, mais plutôt une « union personnelle » selon la formule constitutionnelle, le président de Renault ne pouvant ignorer ce que pense le président de Nissan. Mais l’évolution relative des deux entreprises crée une dissymétrie économique. En 1999, Nissan produisait comme Renault de l'ordre de  2,4 millions de véhicules. Aujourd'hui, Renault produit 2,6 millions de voitures, mais Nissan a cru rapidement pour atteindre 5,3 millions de véhicules en 2014, dont 1,4 million aux Etats-Unis et 1,2 million en Chine. Nissan pèse deux fois plus que Renault en termes de chiffre d'affaires, notamment parce que le mix produit est nettement plus haut de gamme, grâce notamment à Infiniti, et que Nissan est présent en Chine et aux Etats-Unis. Enfin la capitalisation boursière de Renault est de 27,5 milliards d’euros contre 42 milliards pour Nissan.

Cette dissymétrie est souvent perçue par le personnel de Renault comme humiliante et l’esprit de compétition qui règne entre les équipes est parfois plus amer que collaboratif. Il est difficile de comprendre les arbitrages entre équipes alors que le dirigeant central est le même. Mais au delà des personnes, il est clair que dans le paysage industriel mondial, Renault et Nissan n’ont d’autre choix que de coopérer efficacement pour développer, comme ils le font sur les véhicules électriques, des stratégies communes, et accroître encore la mise en place de synergies techniques et économiques. La mise en place de trois plateformes communes, la multiplication des livraisons croisées, l’installation de véhicules Nissan sur des lignes de montage de Renault sont les signaux clairs que la construction d’un groupe industriel efficient est en marche. L’affaiblissement du groupe Volkswagen ouvre potentiellement la voie à un accès au podium mondial derrière Toyota et GM.

Il est clair que les autres dirigeants de Nissan ne peuvent exprimer une opinion qui n’ait pas son aval. On ne peut pas imaginer, dans la culture japonaise, qu’ Hiroto Saikawa, directeur de la compétitivité, expliquant que Nissan « voudrait résoudre cette question dès que possible afin de pouvoir rétablir les bases d’une alliance fructueuse » le fasse sans l’aval de son président.

 

Images Nissan Qashqai et Renault Kadjar partagent la meme plate-forme CMF (Common Modula Family)Kadjar-signature-red.jpg.ximg.l_full_m.smart

Il est toutefois impératif de dépasser ce qui pourrait être facilement perçu comme un combat entre egos, trop facilement sur-médiatisé. Au delà des personnes, transitoires, le seul enjeu est bien la constitution robuste du 4e constructeur mondial automobile avec une influence capitalistique française durable. Le gouvernement ne veut pas voir les centres de décision d’un constructeur emblématique qui a su, grâce à la vision de Louis Schweizer, se construire une authentique personnalité internationale, échapper totalement à la France après une longue série de reculs industriels dans d’autres secteurs. Il y a une cohérence de voir reconnu durablement le rôle de Renault et de ses équipes dans le redressement de Nissan. Il y aussi une exigence pour conserver une dynamique de l’Alliance de laisser une place importante aux équipes de Nissan dans le management du groupe pour gagner les combats futurs. C’est cette alchimie que le conseil d’administration de Renault, dont l’Etat actionnaire, doit faire émerger en visant le long terme.Renault 


Tesla inspire les constructeurs allemands

Ce texte est une adaptation du texte publié le 21 septembre par le site d'information Atlantico.

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Tesla ne cesse d'intriguer. Cette société américaine née en 2013 est en train de s'imposer comme la référence des berlines positives de luxe dans le monde. Or c'est une voiture électrique pure, à l'autonomie de 500 km, qui redéfinit le luxe avec un intérieur raffinée, une ligne exceptionnelle et un silence de fonctionnement unique.  Surtout c'est une voiture qui a mis le logiciel au coeur de son fonctionnement comme le manifeste l'étonnante planche de bord où trône un immense écran d'ordinateur. Au moment où Tesla Motors s'apprête à lancer un second model, un SUV, lance une usine de batteries au coeur du Nouveau Mexique, l'industrie automobile s'interroge sur les performances de ce trublion qui prétend changer les règles du jeu et inspire d'autres acteurs redoutables que sont Apple et Google. Où va l'automobile au XXIe siècle, entre le grand luxe de la Tesla S et la sobriété inventive du nouveau véhicule d'entrée de gamme de Renault, conçu en Inde, Kwid, qui sera vendu autour de 5000 €, quand on sait que pour le prix d'une Tesla on pourrait acquérir une flotte de 15 Kwid ?

1/ Pourquoi les véhicules électriques Tesla se vendent mieux aux Etats-Unis qu'en Europe (11700 véhicules vendus aux Etats-Unis contre 7100 en Europe durant la première moitié de l'année)?

Les véhicules électriques suivent l’évolution globale du marché. Le marché nord-américain a retrouvé une puissante dynamique, en grande partie nourrie par l’excès de crédit, qui fait que les volumes y sont plus élevés qu’en Europe. Le marché américain est le premier marché au monde pour les voitures électriques avec 345000 voitures vendues entre 2008 et juin 2015, dont 46% pour la seule Californie. Nissan est leader avec 82000 Leaf vendues, suivi de GM avec 79000 Chevrolet Volt et Tesla avec près de 50000 Model S. Le gouvernement fédéral et 37 états subventionnent l’acquisition d’un véhicule électrique..

Au premier juillet 2015, Tesla avait vendu 21550 voitures dans le monde, dont 11900 aux Etats-Unis, son objectif étant de 55000 pour l’année. Tesla a une politique de distribution originale et n’a pas de concessionnaire. Les boutiques Tesla sont présentes dans 22 états, mais la vente ne se fait que sur le web

 2/ Comment analysez-vous les freins que rencontre la marque dans ses ventes en Europe, notamment en Allemagne et en France ?

La Tesla S est un véhicule de très haut de gamme qui coûte plus de 80000 € ! Malgré son prix et son niveau de prestations, Tesla Model S se vend presque aussi bien en Europe au premier semestre que Renault Zoe (7382 Tesla contre 8479 Zoe) ! La performance du Model S est remarquable car elle se compare aux véhicules très haut de gamme essentiellement allemands. En France, les ventes de ce type de voiture sont très marginales. En Allemagne, elles sont plus courantes mais la préférence nationale pour haut de gamme allemand est une solide tradition. Il faut rappeler que Tesla ne vend la Model S en Europe que depuis août 2013. La renommée de cette marque originale, qui n’est pas issue du monde de l’automobile, n’en est que plus remarquable. Il s’est ainsi vendu en France au second trimestre 326 Tesla au prix de base de 76000 € contre 146 BMW i3 à 28000 €, après aide de 7000 €, alors que le réseau et la renommée de la marque n’ont rien de comparables.

Le marché global du véhicule électrique en Europe a atteint en 2014 65200 véhicules, en croissance de 61% par rapport à 2013. La progression en 2015 continue avec le réveil notable du marché britannique qui prend la seconde place devant la France et l’Allemagne. Il est dominé par l’Alliance Renault Nissan avec ses deux véhicules, Zoe et Leaf. C’est encore un marché très conditionné par le niveau des aides fiscales.

 3/ Pourquoi Tesla rencontre-t-elle un tel succès en Norvège ?

La Norvège a décidé d’adopter une démarche très volontariste de développement du véhicule électrique. Cette politique est unique au monde et crée les conditions optimales pour les constructeurs de véhicules électriques au détriment de leurs concurrents thermiques. Les aides fiscales en faveur des véhicules électriques y sont très élevées alors que les taxes à l’importation se situent à un haut niveau. 50000 voitures électriques ont été vendues en 2013 et 2014, alors que cet objectif gouvernemental avait été fixé pour 2018. Les voitures électriques représentent 12,5% du marché en 2014, contre en France. Tesla est leader, suivi de la Volkswagen e_golf et de la Nissan Leaf. Fin décembre 2014, il y avait en Norvège 16000 Leaf immatriculées et 6000 Tesla. Les Norvégiens qui veulent accéder au haut de gamme préfèrent acheter des véhicules technologiques en rupture plutôt que des berlines traditionnelles. Aussi une BMW Serie 7 va coûter 3 fois plus cher qu’une Tesla S. Un tiers des véhicules immatriculés au premier semestre 2015 sont des véhicules électriques, situation unique au monde. Les avantages accordés au véhicule électrique sont multiples : droit d’utilisation des voies d’autobus, gratuité des parkings, péages et ferries. Cette politique d’aide massive, coûteuse, a été reconduite jusqu’en 2017.

 3/ Quelle politique doit adopter la marque pour augmenter ses ventes en Europe ?

Elle doit se faire connaître et a commencé à le faire tant par l’implantation d’un réseau des bornes de recharge (supercharger) qui permettent aux Tesla se sillonner l’Europe que par des actions promotionnelles visant un public très large. Il y avait récemment une présentation de la Tesla S à la Gare de Lyon. Il y a 150 stations de recharge Tesla en Europe, qui permettent une charge permettant 270 km en 30 minutes. Mais c’est surtout en sortant de la niche du très haut de gamme que la marque peut espérer les volumes dont elle a besoin pour rentabiliser l’investissement de son usine de batteries. Une petite Tesla est prévue pour 2018 autour de 35000 $, après la sortie cet automne d’un luxueux SUV.

 4/ Quel est l'état de la concurrence ? Dans quelle mesure Tesla peut-elle s'en inspirer ?

La grande force de la marque est d‘être unique. Il n’y a pas de concurrence pour ce véhicule, ni pour ses performances en autonomie, ni pour le niveau de prestations, ni pour l’effort particulier qui a été consenti pour en faire un objet technologique d’exception. D’ailleurs les constructeurs allemands commencent à en prendre ombrage et après avoir longtemps traité par l’ignorance cette « start-up » insolente qui refuse de suivre les canons de l’automobile ont tous annoncé au salon de Francfort préparer des véhicules concurrents. Le concept car Porsche Mission E avec 500 km d’autonomie montre que les constructeurs historiques du segment sport ne veulent pas se laisser dépasser. Mais il ne s’agit que d’un concept alors que Tesla roulent ! BMW, Audi et Daimler ont tous annoncé des véhicules avec une autonomie de 500 km, qui est indiscutablement le point fort de Tesla.

 5/ Tesla parviendra-t-elle selon vous à débloquer cette situation ? Si oui, comment ?

Tesla n’emprunte pas les chemins habituels. Elon Musk et ses équipes ont défini, à partir de zéro,  un genre à part de voiture haut de gamme électrique aux prestations exceptionnelles. Ils vont descendre en gamme en gardant un caractère exclusif à la marque ! L’avance de Tesla sur les batteries reste considérable et la nouvelle usine, qui va produire dès 2017 un nombre de cellules supérieur à toute la production mondiale de 2013, va donner à la marque, en partenariat avec Panasonic, les moyens industriels d’en baisser le coût de l’ordre de 30%. On compare souvent Tesla à Apple dans sa démarche technique et marketing. Tesla ne veut pas être un constructeur automobile comme les autres. Il reste à savoir si la concurrence acharnée que les constructeurs allemands, mais aussi Toyota avec la Miura à piles à combustible à hydrogène, va menacer Tesla dont le développement spectaculaire n’a toujours pas permis de rendre la société rentable alors que sa capitalisation en bourse est estimée à 34 milliards $. 


Francfort triomphal, la Chine en panne

Alors que le Salon de Francfort ouvre ses portes en mettant en scène le triomphe mondial de l'industrie automobile allemande, puissante et technologique, c'est de Chine que quelques mauvaises nouvelles suscitent des inquiétudes pour la profitabilité à long terme de l'industrie automobile allemande très dépendante de la bonne santé du marché chinois. Il faut donc essayer de remettre dans une perspective historique ce toussotement du marché chinois en 2015 Est-ce durable ? Comment peut réagir l'industrie allemande et de façon générales les constructeurs des pays au marché automobile mature ravis de trouver en Chine un formidable espace de conquête ?

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Le marché chinois est devenu depuis 2009 le premier marché automobile de la planète, dépassant les Etats-Unis. Un mois d’immatriculations y représente plus d'une année du marché français ! Désormais le premier marché mondial, avec 18,4 millions de véhicule's individuels et 5,1 millions de véhicules utilitaires vendus en 2014, la Chine est aussi le premier centre de production mondial. Tous les plans d’investissement des constructeurs chinois, avec ou sans leurs alliés nippons et occidentaux, tendent à construire un gigantesque complexe industriel qui pourrait dépasser en 2020 une capacité de production de plus de 40 millions de véhicules. Compte tenu du taux de motorisation actuel de la Chine, cette situation de premier pays constructeur mondial est définitivement acquise, ce qui n’exclut nullement des risques de surcapacité si la demande intérieure se ralentit. C’est donc en Chine que les constructeurs mondiaux s’affrontent et jouent leur avenir. Or tous les constructeurs veulent y augmenter leur capacité de production. On prévoit que le nombre d’usines d’assemblage va passer de 218 à 235 en 2020. PSA y dispose de quatre usines pouvant monter jusqu’à un million de voitures par an. Volkswagen prévoit d’atteindre 4 millions de voitures en 2018 avec 21 usines en 2020. Renault, dernier arrivé en Chine, y construit avec Dong Feng une usine d’une capacité de 300000 véhicules qui va ouvrir en 2016. 

La Chine bouleverse donc le marché mondial de l'automobile en imposant par son volume un changement durable de dimension. Mais ce recentrage asiatique du marché mondial de l'automobile a des conséquences majeures sur les perspectives de l'industrie européenne.

Un coup de tonnerre dans un ciel radieux  ?

Dans ce marché euphorique, la crise que traverse la Chine a fait reculer, en juillet, de 7% les ventes d'automobiles.  L’année 2015 devrait en effet connaitre une croissance beaucoup plus faible de la demande que les années précédentes et la prévision de 25 millions de véhicules risque de ne pas être atteinte. Les constructeurs, très confiants, ont entretenu l’image d’un marché chinois inaltérable pour justifier leur stratégie massive d’investissements dans ce pays et dissiper les inquiétudes des marchés financiers. En réalité, l’expérience des constructeurs dans les nouveaux pays consommateurs d’automobiles (Inde, Russie, Brésil…) les a préparés à de brutaux revirements de marché. Les signaux d’un ralentissement du marché étaient d’ailleurs nombreux. La plupart des grandes villes ont pris des mesures de restriction de la circulation. Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping, les autorités ont multiplié les gestes pour lutter contre la corruption et les dépenses ostentatoires, ce qui a ralenti l’engouement pour les berlines de luxe et voitures de sport d’exception. Mais l’avenir du marché automobile réside dans sa démocratisation et donc une évolution vers les modèles d’entrée de gamme, transformation qui profitera aux constructeurs chinois et à ceux qui pourront répondre à cette nouvelle attente des classes moyennes. Le succès de la Peugeot 2008 est un signal encourageant pour les constructeurs français.

 Cette crise est-elle inquiétante pour les constructeurs occidentaux ?

Il est clair que le Japon, les Etats-Unis et surtout l’Allemagne sont très exposés aux variations du marché chinois. L’Allemagne joue un rôle majeur dans le marché automobile chinois, tant par ses exportations directes (28 % du total de ses exportations en Chine, 613000 véhicules) que par sa production locale. Toutefois, avec 821000 véhicules vendus en Grande-Bretagne en 2014, le marché britannique est plus important que la Chine pour les constructeurs allemands. Après une croissance de leurs exportations en Chine de 11% en 2014, les constructeurs allemands subissent une contraction de leurs ventes avec une croissance de seulement 1,4% sur le premier semestre 2015. La Chine a représenté en 2014 40% des ventes totales de Volkswagen, soit 3,5 millions de véhicules. Pour BMW, qui a connu une hausse de 45% de ses ventes, chaque année entre 2005 et 2012, la Chine représente un marché considérable. En 2015, en six mois, 231000 BMW y ont été vendues. Audi y réalise un tiers de ses ventes mondiales. Et Mercedes, moins présent,  voit sa progression augmenter. Pour les constructeurs premium allemands, la Chine a été très profitable jusqu’en 2014. Or le marché, qui descend en gamme, va générer moins de profits.

L’industrie automobile britannique exporte beaucoup en Chine : 137000 véhicules en 2104, en croissance de 14,5% et 11% de ses exportations totales. La France est très présente par le groupe PSA qui a enregistré 743000 ventes en 2014.

Les constructeurs japonais, en dépit des tensions politiques entre les deux pays, sont très présents en Chine. Nissan y a vendu 1,2 million de voitures en 2014, Toyota 907000 voitures. General Motors est également très implanté et a vendu plus de trois millions de véhicules, Ford, un million. Les Coréens sont aussi actifs, Hyndai et Kia ayant vendu 1,6 million de voitures en 2014.

Il y a donc une imbrication étroite du marché chinois avec toute l’industrie mondiale ! Et donc une dépendance accrue...

Un investissement dans l’industrie automobile ne se fait pas dans l’urgence et ne se remet pas en cause facilement. Ayant patiemment construit leurs implantations en Chine, et croyant à l’avenir à long terme du marché chinois, les constructeurs ne prendront pas le risque de froisser les autorités chinoises en manifestant ouvertement leur fébrilité. Les déclarations des constructeurs sont plutôt rassurantes, tant pour les investisseurs que pour leurs partenaires chinois. L’Allemagne a continue à investir, toutes activités confondues,  2,10 milliards $ en Chine en 2014 et a encore accru de 21% le rythme d’investissement au premier trimestre 2015... Les constructeurs, et équipementiers, doivent jouer le long terme, car ils n’ont pas le choix compte tenu de la saturation des marchés classiques – Europe, Etats-Unis, Japon – et de la grande instabilité des autres pays émergents. Ceci n’exclut pas quelques réallocations de moyens.

Le marché chinois commence à s'intéresser...  aux voitures chinoises

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Haval H7, grand SUV de la marque chinoise Great Wall Motors, au salon de Shanghai  2015

 En août 2015, la part des constructeurs nationaux dans les voitures individuelles a continué à croître de 2,3% par rapport à 2014 pour atteindre 40% du marché. L’offre évolue : les SUV d’origine chinoise représentent 51% du marché du segment. Les monospaces (MPV) chinois ont plus de 80% de part de marché du segment. Les Chinois ont manifesté beaucoup de pragmatisme dans le développement de leur industrie nationale. Ils ont misé massivement sur la carte des joint-ventures pour acquérir l’expertise et accélérer leur développement. Néanmoins, les autorités politiques, centrales et provinciales, considèrent que l’industrie automobile est une industrie stratégique. Elles prendront les mesures nécessaires pour en assurer le développement tant pour le marché interne que pour les exportations, qui sont aujourd’hui dérisoires (2,3% de la production) pour un grand pays producteur.  Et il serait logique que les constructeurs chinois, qui captent le savoir-faire de leurs alliés, s’estiment un jour suffisamment compétents pour être autonomes et notamment se développent sur les grands marchés. Ils ont déjà envoyé un signal en exigeant que les produits des joint-ventures portent un nom chinois. Mais une des difficultés des constructeurs pour s’imposer sur leur marché, et progresser à l’exportation, est leur trop grand nombre qui disperse les efforts techniques et empêche d’atteindre la masse critique. La consolidation du nombre de constructeurs est indispensable, mais se heurte à beaucoup de freins internes, notamment le poids des provinces qui défendent chacune leur industrie. Toutefois les dix premiers constructeurs représentent 90% des ventes en 2015.

Crise environnementale et impact sur le marché

Les Chinois sont d’autant plus attentifs à l’impact de la pollution atmosphérique qu’ils sont confrontés dans leurs  grandes métropoles à de graves problèmes. Il est certain qu’un développement non contrôlé de la  voiture individuelle à moteur thermique serait totalement catastrophique pour la population et donc pour les autorités politiques. Shanghai, Pékin, Guangzhou et Hangzhou ont sérieusement limité la circulation des voitures individuelles.  La voiture électrique n’est qu’une réponse partielle parce que le mix énergétique chinois, très dépendant du charbon, n’est pas favorable à une production d’énergie électrique décarbonée. L’augmentation du nombre de véhicules électriques, qui est un objectif clair du gouvernement chinois, doit aller de pair avec une évolution du parc de centrales électriques, avec plus de nucléaire et d’énergies renouvelables. Sur le plan technologique, les industriels chinois maîtrisent la technologie des batteries et n’ont pas besoin d’un support des constructeurs occidentaux. Malgré un soutien gouvernemental, le marché du véhicule électrique progresse peu avec 47000 ventes en 2014. Mais la ville de Pékin  a imposé qu’en 2016 40% des nouveaux véhicules immatriculés soient électriques, ce qui pousser rapidement le marché dans les grandes villes.

La structuration du marché intérieur est en marche

La Chine dispose aujourd’hui d’un parc de millions de véhicules, dont une grande partie est encore composée de véhicules anciens. Avec 61 véhicules pour 1000 personnes, contre 770 aux Etats-Unis et 582 en Europe, le taux d’équipement du pays aux standards occidentaux est très faible. La demande est donc avant tout une demande de primo-équipement. Toutefois, compte tenu de la rapide croissance du parc, un marché de l’occasion de véhicules récents va se développer, favorisant l’accès à l’automobile. Il faut rappeler qu’en France le marché de l’occasion représente deux fois le marché des véhicules neufs. La situation du marché chinois est déterminée par la capacité de la classe moyenne à acquérir un véhicule dans des conditions de circulation acceptable. Avant la crise boursière, il y avait consensus pour considérer que le taux de motorisation allait tripler d’ici 2020, pour atteindre  184 véhicules /1000 habitants. La part de la Chine dans le parc mondial devant passer de 10% en 2012 à 20% en 2020. Malgré la crise, il est peu vraisemblable que la croissance du marché chinois soit totalement remise en cause. En revanche cette démocratisation va se traduire par une hausse de la part de marché des véhicules chinois.

Avec la croissance du marché, s’installe un écosystème automobile où les concessionnaires jouent un rôle majeur. Mais s’ouvrent aussi les magasins plus petits, couvrant les zones moins peuplées, appelés pop-up stores. Dans ce pays très connecté qu’est la Chine, internet et les réseaux sociaux se sont imposés comme premier vecteur de diffusion de l’information automobile. Le puissant Alibaba s’intéresse de près à l’automobile et s’est associé au constructeur SAIC pour créer une entreprise dédiées aux véhicules connectés. Enfin la modernisation du marché concerne également le financement. Jusqu’ici, avec leur épargne abondante, les acheteurs payaient en cash. Or le crédit automobile démarre seulement maintenant et près de 20% des achats intègrent un plan de financement.

Les constructeurs chinois vont-ils conquérir le monde comme les japonais dans les années soixante ?

Le contexte est radicalement différent. Les constructeurs japonais se sont imposés aux Etats-Unis dans les années soixante-dix avec des véhicules nouveaux, petits et fiables. Ils apportaient une offre alternative aux constructeurs américains qui s’étaient totalement endormis techniquement. Aujourd’hui la présence des véhicules chinois sur les marchés matures est inexistante. L’image de marque est déplorable, la sécurité encore insuffisante, la capacité d’innovation très faible, et le design sans originalité malgré les efforts de quelques compagnies, comme Geely, d’assurer une présence dans les salons automobiles comme Genève. Mais cette situation pourrait rapidement évoluer si les constructeurs chinois doivent se réorienter vers l’exportation. 

(Sur la base d'un texte publié par le site Atlantico)


Energie et information, une complémentarité vitale

Sans énergie, accessible et économique, rien n’aurait été possible pour l’homme. Toute l’histoire du développement est conditionnée par la capacité des terriens à domestiquer l’énergie. C’est le fruit d’un long et patient travail qui a commencé par la découverte du feu, il y a 400000 ans. La domestication du feu en permettant la cuisson des aliments, a changé fondamentalement la capacité physique des hommes et allongé leur espérance de vie  en limitant les maladies. Elle a aussi permis le développement de la vie sociale. A chaque étape, la maîtrise du vent et de l’eau, la conquête de la vapeur, l'exploitation    maîtrisée du charbon et du pétrole, puis avec le nucléaire, le système technique mis en place a conditionné le système social, et induit un mode d’exercice du pouvoir. Au moins autant que la lutte pour l’information et la connaissance, la maîtrise de l’énergie est le grand vecteur de structuration de la société. Nous en mesurant pleinement les conséquences avec l’avènement récent - les années cinquante - d’une géopolitique du pétrole qui a totalement transformé les rapports de force entre Etats depuis soixante-dix ans.

Mais en ce début du XXIe siècle, nous touchons à de nouvelles limites. Elles sont politiques, économiques, techniques, sanitaires. Nous avons pris conscience que les ressources énergétiques de la planète lorsqu’elles sont présentes sous forme de stocks ne sont pas renouvelables. Aller forer plus loin, plus profond, continuer par la fracturation hydraulique le travail inachevé des millions d’années pour libérer le gaz ou le pétrole des roches qui l’enferment, ne sont pas des actes anodins. Les conséquences sur l’environnement des océans, sur les nappes phréatiques qui nous alimentent en eau potable sont tangibles même si elles alimentent une controverse sans fin. Produire plus d’énergie fossile, c’est aussi  envoyer plus de carbone dans l’atmosphère… Mais l’engouement pour les énergies renouvelables ne règle pas par magie tous les problèmes. Car quelles que soient leurs vertus, les énergies renouvelables ne sont pas non plus sans impact sur l’environnement, tant pour les produire, comme les  panneaux photovoltaïques, que pour les faire fonctionner – énergie des fleuves ou des océans, éoliennes -. Elles ont aussi la faiblesse de dépendre de facteurs exogènes et instables, le soleil comme le vent,  et imposent leur rythme aux réseaux de distribution en l’absence, pour le moment, de moyens de stockage souples et économiques.

Nous avons le sentiment d’une profonde menace sur la sécurité de la planète quand Iran et Arabie Saoudite, surarmés et belliqueux, pour le moment par vassaux interposés, se font face et peuvent instantanément condamner le détroit d’Ormuz qui reste le cordon ombilical énergétique de la planète. Nous avons tous tremblé devant les conséquences de Tchernobyl ou Fukushima en nous appuyant sur la certitude que rien de ceci ne serait possible chez nous. Nous savons bien qu’il existe un lien fort, démontré,  entre les allergies, les affectations respiratoires, les cancers qui affectent les populations urbaines et les rejets atmosphériques de la combustion imparfaite des carburants fossiles.

Mais entre les peurs, la lucidité et le déclenchement de l’action pour changer, il y a un pas immense. Aujourd’hui, à quelques mois de la grande conférence sur le climat de décembre 2015, on peut reconnaître sans peine qu’il n’y a pas de consensus pour changer notre manière de vivre, ni encore moins pour y accéder pour les pays qui s’en sentent exclus, en remettant profondément en question notre relation ambigüe avec l’utilisation à bon marché des sources d’énergie. Cet arbitrage inconscient se déchire parfois  lors des drames et des crises pour bien vite revenir à la situation antérieure. Jusqu’à la prochaine crise.

Or si nous avons besoin d’énergie pour bien vivre, on peut aussi imaginer utiliser les possibilités de la science et de la technique pour vivre tout aussi bien, et certainement de façon moins angoissée, en repensant notre relation à l’énergie. L’équation est simple : consommer moins, tout produire différemment, dont l’énergie.

La lecture du rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie est un exercice de salubrité intellectuelle auquel devraient rituellement sacrifier dirigeants, hommes politiques et journalistes. Il n’y a rien de plus excitant que de comprendre les données collectées par des centaines d’experts. Tous nous disent sans ambigüité que d’ici 2040 l’approvisionnement énergétique de la planète sera composé en parts égales de pétrole, de charbon, de gaz et de sources à bas carbone incluant le nucléaire et les énergies renouvelables. Tous disent que d’ici 2040 nous n’avons aucune chance d’atteindre les objectifs d’émission nous permettant d’éviter une augmentation de la température de la planète supérieure au 2° C communément admis pour éviter des conséquences dramatiques non contrôlables

.Tesla home battery, which is currently produced for SolarCity's home energy storage system (House Photo: Shutterstock)

 

Si l’énergie est le vecteur principal de notre bien-être et de notre style de vie et de consommation, il est difficile d’extraire la composante énergétique de ce que nous produisons et consommons pour en faire un objet spécifique d’attention et donc d’action… Chaque produit, chaque service a en effet une composante énergétique importante. Quand on jette des produits alimentaires, on gaspille aussi l’énergie qui a été nécessaire pour les produire, les transporter, les distribuer, les stocker. Consommer moins d’énergie de façon consciente suppose en effet que l’énergie soit isolée et identifiée pour devenir un facteur spécifique de décision. Or il n’y a rien de plus complexe même si des efforts d’information sont faits, à l’achat de certains produits, grâce notamment aux étiquettes énergétiques. Néanmoins, il est difficile de pouvoir prendre des décisions rationnelles sur la consommation d’énergie car on ignore les conséquences de nos actes aussi bien sur le volume que sur le coût.

Si adopter un comportement vertueux dans la consommation est difficile, il est encore plus complexe de modéliser l’impact d’une décision d’investissement sur le moyen terme compte tenu des évolutions de la technologie, du prix et de la fiscalité. Les acheteurs de véhicules diesel  ou de véhicules GPL, les investisseurs en panneaux photovoltaïques, peuvent être déçus de leurs prévisions. Les industriels ont eu meilleure capacité que les consommateurs mais ne sont pas non plus à l’abri des variations des cours et de la fiscalité.

Que ce soit pour l’habitat ou pour l’automobile, les innovations énergétiques suscitent beaucoup d’interrogations et de scepticisme auprès des acheteurs, qui sont rarement guidés dans leur choix par un avis impartial et documenté des vendeurs eux-mêmes.

Nous sommes donc confrontés à des choix cruels. La prise de conscience de la nécessité d’une économie moins gourmande en énergie se heurte à la difficulté des consommateurs à comprendre cette composante énergétique et à prendre des décisions pertinentes.

Les Etats disposent de moyens puissants pour faire évoluer les comportements par la réglementation et la fiscalité, tant pour encourager les comportements réputés vertueux que pour sanctionner les choix critiquables peur leurs effets nocifs. Mais leur action n’est pas exempte de biais. Le manque d’études scientifiques  justifiant des positions tranchées, l’influence des lobbies, les choix idéologiques viennent nourrir des décisions nécessairement partiales. Si le subventionnement public peut créer l’incitation nécessaire pour convaincre les clients à opter pour une technique nouvelle, ce n’est pas toujours sans risque d’erreur ni d’effet secondaire non maitrisé. Par ailleurs cet usage des fonds publics pose le problème de l’utilité marginale des fonds limités ainsi affectés.

Les gouvernements, partout dans le monde, tendent à influencer les automobilistes dans leur choix de motorisation. Ils subventionnent largement les véhicules électriques ou hybrides pour faire naître un marché de masse, sensibiliser le public et baisser les coûts industriels. La réglementation vient encadrer cette politique pour forcer les constructeurs à réorienter leur offre. C’est une logique que l’on retrouve partout avec une sévérité diverse entre les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Europe.

Mais in fine c’est le consommateur lui-même qui doit être en mesure d’opérer des choix les plus rationnels et c’est donc, par rapport à la valeur perçue,  le signal prix et le coût total de possession qui orientent réellement les choix.

La révolution numérique donne à la politique de l’énergie une autre voie d’action. Par l’information contextuelle captée par multiples objets de l’internet des objets, par les aides à la décision apportées aux utilisateurs d’énergie pour prendre à tout moment la décision la plus efficiente, par la multiplication des actionneurs automatiques, nous allons disposer d’un puissant  arsenal d’outils. Le but reste le même : prendre des décisions informées pour économiser la ressource rare. Mais là où les informations étaient incomplètes et diffuses, l’internet des objets et le traitement des données massives (« big data ») apportent les éléments qui faisaient défaut pour créer un réseau interopérable et efficient.

La révolution scientifique sur l’ensemble des moyens de production et sur les produits eux-mêmes va offrir des potentiels nouveaux pour consommer moins de ressource et gérer en temps réel de façon efficiente l’énergie.

Mais comme le souligne l’Agence internationale de l’énergie, ces changements nécessiteront des investissements considérables, consommateurs de capitaux, et prendront du temps.

L’énergie est au cœur de la civilisation. Nous n’avons pas toujours conscience des implications considérables d’une raréfaction de l’énergie à bon marché. Aussi l’action n’est pas seulement du ressort des entreprises et des Etats mais relève aussi de la prise de conscience collective. Le fait énergétique doit devenir un objet public, connu, compris et documenté aussi bien dans le débat public que dans la vie quotidienne.

 

http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-Agence-internationale-de-l,41647.html

http://www.developpement-durable.gouv.fr/L-Agence-internationale-de-l,43313.html


Electrique, hybride, hydrogène, la voiture de demain se cherche toujours

Après 130 ans d’adhésion sans partage au moteur thermique, l’industrie automobile s’est mise à explorer fébrilement depuis 2009, face aux menaces pressantes sur l’énergie et l’environnement, toutes les voies imaginables en renouant avec les sources historiques de l’automobile. Alors que chacun se réjouit de la subite division par deux du prix du pétrole, qui écarte au moins temporairement les menaces, que reste-t-il de cet activisme 6 ans plus tard dans les propositions de l’industrie française de véhicules alternatifs ?

L’offre se cherche face à une demande hésitante

Les faits sont décidemment têtus.

A l’aube du XXe siècle, trois types de motorisations s’affrontaient encore : la vapeur, en déclin, l’essence, en plein essor, et l’électricité, qui suscitait déjà beaucoup d’espoir. L’air comprimé a été également expérimenté, mais sera vite abandonné faute d’autonomie pour le volume embarqué et en raison d’un rendement médiocre. Toutefois c’est une idée qui persiste et a été reprise en France par un inventeur tenace, Guy Négre, qui tente d‘industrialiser ses véhicules à air comprimé, et en Inde par Tata. Cette idée a trouvé une nouvelle crédibilité avec le projet PSA. PSA avait annoncé tenir une solution avec l’annonce de son véhicule hybride/air, financé notamment dans le cadre du programme gouvernemental  de recherche sur la voiture à très faible consommation « 2 litres aux 100 ». Sans être vraiment ni nouvelle ni révolutionnaire, cette solution, développée avec Bosch,  présentait l’intérêt d’être hybride c’est-à-dire de n’utiliser la solution pneumatique que sur de courtes distances, en ville notamment, et de recourir pour les autres situations à un petit moteur essence. PSA avait aussi misé sur une autre solution atypique, l’hybride diesel, avec des véhicules aboutis, DS5, 508, 3008, qui ont en 2013 représenté un succès réel sur le marché. Las, dans la remise à plat de son portefeuille, ces deux solutions n’ont pas survécu au réalisme de Carlos Tavares, face à l’incapacité de trouver un partenaire pour développer et commercialiser cette nouvelle technologie. Le partenariat avec Mitsubishi sur le véhicule électrique s’est également achevé. PSA se tourne vers l’hybride rechargeable essence, solution qui semble aujourd’hui cumuler les avantages. En effet le marché des hybrides en France a reculé de 8,5% en 2014 pour s'établir à 42 000 immatriculations en raison de la forte baisse des ventes des hybrides diesel du groupe PSA qui ont chuté de 32%.

Pour avoir moins souffert de la crise que son concurrent historique, Renault  qui avait mise sur la voiture électrique dès  continue dans cette voie, soutenu par son partenaire Nissan. Si beaucoup d’annonces n’ont pas été suivies d’effet, notamment la création à Flins d’une usine de batteries, Renault est le seul constructeur français à offrir une gamme de voitures, recentrée sur deux modèles de voitures, Zoe et Kangoo, et sur un quadricycle Twizy. La berline Fluence a été victime de l’échec de l’ambitieux plan de Better Place de développer un service de voitures électriques en location. Ce plan a connu un début de déploiement en Israël et au Danemark, mais Better Place, confronté à un problème de liquidités, a fait faillite en mai 2013 après avoir consommé 850 millions $.

Avec persistance, l’Alliance Renault Nissan croit en l’avenir de l’électrique  et est devenu dans un marché mondial, encore marginal s'il est plus confidentiel, le premier constructeur mondial de véhicules électriques. Si les volumes demeurent faibles, leur progression est encourageante. La France est un territoire où l’idée électrique a un succès certain. Notons que le paradis de la voiture électrique est en 2014 la Norvège où 65200 voitures électriques sont été immatriculées, soit 12,5 % du marché et 31% des ventes de voitures électriques en Europe. La Norvège qui aide massivement l’achat de véhicule électrique avec une exonération de taxes et des aides à l’usage nous dépasse en volume. Cette situation qui résulte d'une fiscalité exceptionnelle, dans un pays riche... de son pétrole, pourrait subitement changer si le gouvernement décide de changer ce régime.

Le marché français, premier de l’UE, était de  10560 véhicules particuliers dont 56 % de Renault Zoe 15% de Nissan Leaf et 4485 véhicules utilitaires en 2014, dont 59% de Kangoo ZE. Twizy s’est vendu  à plus de 15000 exemplaires depuis son lancement. Les premiers chiffres de 2015 amplifient ces tendances. Le premier trimestre cumule 2877 ventes dont 54% de Zoe et 21% de Leaf. L’onéreuse Tesla S atteint 4,2% de part de marché contre 3,1% sur l’année 2014. Rappelons qu’en 2010 il ne s’était vendu que 184 voitures électriques. Enfin, la voiture électrique la plus vendue au monde et aux Etats-Unis est la Nissan Leaf produite entre 2010 et fin 2014 à 158000 exemplaires. Le marché existe donc et l’existence d’un parc visible a un effet d’entrainement sur la demande. Notons que ni Renault; ni Nissan ne proposent de voitures hybrides pour l'instant.

Avec des ventes cumulées en 2014 de 290 000 véhicules les Etats-Unis sont  le pays où circulent le plus de véhicules à motorisations alternatives. La Chine vient plus loin avec 113 000 voitures  devant le Japon, 104 000.  C’est la Californie où règne Tesla et les hybrides, menées par Toyota, Ford et GM qui a stimulé avec sa réglementation restrictive cet essor du marché.  

Un enjeu technique complexe

Les motorisations alternatives s’affrontent dans un combat incertain où le marché arbitre en fonction de  la séduction des offres et de la pertinence de leur  rapport coût/valeur. Techniquement, il n’y a pas en effet de solution absolue. Dans tous les cas, il faut de l’énergie  pour se déplacer, qu’elle soit fabriquée à l’extérieur du véhicule (essence, gaz naturel, électricité, hydrogène) ou à bord (piles à combustible, air comprimé). Pour être crédible, les solutions alternatives au pétrole doivent résoudre des problèmes complexes : poids, fiabilité, sécurité, autonomie, coût de la technique, coût d’usage. Si l’électricité peine à s’imposer – 10000 véhicules vendus en France en 2014 sur 1,8 millions – c’est que cette équation n’est pas encore convaincante, notamment en termes d’autonomie.

Dans un marché très fragilisé, une technique nouvelle ne pourra s’imposer que si elle est en mesure de rassurer le consommateur sur une série de paramètres : coût de possession, coût d’usage, valeur de revente, autonomie, fiabilité. Or le marché automobile est très conservateur, notamment dans son réseau de distribution,  et le client démontre son scepticisme face aux nouvelles technologies, multiples, difficiles à comprendre et instables. Le conducteur classique hésite à acheter un véhicule dont il a peur qu’il ne couvre qu’une partie de ses besoins. Et dont la valeur de revente est aléatoire  Les flottes sont plus innovantes et peuvent notamment pour la ville considérer cette nouvelle offre si elle démontre son intérêt économique. L'exemple de La Poste avec ses 16000 véhicules électriques est jugé très probant par les gestionnaires comme par les postiers conducteurs de VE.

 

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Le groupe Toyota met largement en valeur le fait que la Yaris soit fabriquée à Valenciennes


L’industrie automobile est certes condamnée à innover sur l’ensemble des composants de son offre, mode de propulsion, mais aussi conception générale du véhicule, coût de possession, qualité des services associés. Les constructeurs automobiles qui sont des industriels sont à l’aise dans un système de production de masse aux rouages parfaitement maîtrisés depuis des décennies et régulièrement optimisés de façon incrémentale. Toute innovation majeure mettra du temps à s’imposer si elle ne représente pas un gain incontestable. Tout le mérite de Toyota est d’avoir proposé un système hybride suffisamment attractif pour ne pas être très éloigné des normes de l’industrie tout en proposant des gains visibles d’agrément et de consommation. Mais en 15 ans, et plus de 7 millions de véhicules hybrides vendus, dont la « française » Yaris,  en tête des ventes des hybrides en 2014 avec plus de 10000 exemplaires, Toyota a pris une avance qu’il est difficile d’égaler pour ses concurrents. Toyota entend bien mettre cette expérience unique au service de son ambition dans les véhicules à piles à combustible à hydrogène, dont sa Mirai, en vente depuis fin 2014, est le premier véhicule conçu pour être vendu en série. Une percée technologique d’une autre nature ne pourra se développer que sur une longue période et nécessitera beaucoup d’opiniâtreté et des moyens financiers que les constructeurs français ne peuvent espérer réunir que dans une coopération poussée. 


Objets connectés et usines numérisées

J'ai été conduit à participer récemment à deux débats qui illustrent les thèmes régulièrement traités dans ce blog, les objets connectés, nouvelle frontière du numérique, et l'automobile.

BFM Business nous a incité à réfléchir sur la transformation numérique de l'usine automobile :

http://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/video/automobile-les-usines-nouvelles-generations-paolo-del-noce-jean-pierre-corniou-arnaud-de-la-fortelle-et-pascal-samama-2403-480094.html

Et dans le cadre du concours Génération mobilité organisé chaque année en partenariat entre Job teaser, Orange et Sia Partners, cette discussion avec els participants sur les opportunités et les risques de la généralisation des objets connectés :

http://www.generation-mobilite.com

https://youtu.be/9DNzF5sBSY4


Automobile mondiale, sortie de crise ?

Le paysage automobile que présente le marché mondial en ce début d’année 2015, entre les salons de Detroit, qui ouvre l’année automobile début janvier aux Etats-Unis, et celui de Genève, qui marque le début de la campagne commerciale européenne, est complexe car il reflète des réalités bien différentes selon les pays. L’économie mondiale pots-crise est loin d’être homogène et l’automobile est un marqueur précis de ses clivages.

L’automobile connectée, un nouveau front

Il faut souligner qu’entre ces deux salons classiques du monde automobile, le CES de Las Vegas, début janvier, peut désormais apparaître comme le salon de l’automobile connectée, tant les constructeurs ont investi cet évènement dans les stands comme dans les conférences. Le fait qu’après Google c’est Apple qui envisage de produire des automobiles électriques montre que si la voiture, progressivement, s’est informatisée, elle risque à terme, comme le téléphone, de devenir ordinateur et donc d’être absorbée par l’ambition sans limite des tycoons de la côte ouest des Etats-Unis. Il faut dire que le cash dont dispose Apple, 178 milliards $, permettrait d’alimenter les dépenses en capital de GM pour 20 ans ! Toutefois l’argent ne suffit pas dans ce métier complexe qu’est l’automobile !  Tesla, qui a brûlé 1,3 milliards de cash depuis 2008, et ne pense pas être bénéficiaire avant 2020, peut considérer qu’avoir vendu en 2014 31000 voitures est un exploit quand il a fallu 3 ans à un industriel établi, Nissan, pour vendre 100000 exemplaires de sa Leaf.

Les ventes continuent...

Il faut dire que la voiture ne laisse personne indifférent,  aussi séduisante dans les show-rooms qu’agaçante dans les embouteillages, oscillant sans cesse entre les charmes du produit plaisir et les contraintes de l’outil de transport. Toutefois, l’automobile reste fondamentalement conservatrice, contrairement aux marchés de l’électronique grand public, et ne change guère ni d’architecture ni de fonctionnalité même si elle devient de plus en plus équipée d’outils hérités de la révolution numérique. C’est pourquoi bien que chacun ait une opinion bien tranchée sur l’automobile, la voiture continue inexorablement sa progression. Le marché mondial de ce produit, cher et encombrant, est une synthèse mouvante des passions et aversions que suscite l’automobile. Sans connaître le destin fulgurant du « téléphone intelligent », la voiture, de plus en plus intelligente elle-aussi, continue de croître sur la planète pour atteindre bientôt 100 millions de véhicules produits, vraisemblablement en 2017.

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Pollution automobile, Pékin

Le marché mondial est plus que jamais contrasté

Les résultats de la production mondiale de l’année 2014 marquent la poursuite tempérée de l’atonie des marchés européens et japonais, le ralentissement relatif du marché chinois, avec une croissance de 7% en 2014 contre 14% en 2013,  et le retour à la prospérité du marché américain. Pour les autres grands marchés mondiaux, Inde, Iran, Brésil, Russie, 2014 aura été une année décevante pour les constructeurs qui ont beaucoup misé sur ces marchés prometteurs mais très instables.

Le grand gagnant de la production industrielle est clairement la Chine qui en quelques années a su grimper à la première place du podium et reléguer les Etats-Unis au second plan. Les ventes de voitures ne représentaient en 2002 que 1,75 millions de véhicules en Chine ! En produisant en 2014 22,5 millions de voitures et utilitaires, le Chine fait deux fois plus que les Etats-Unis avec 11,4 millions de véhicules, doublement acquis entre 2008 et 2014 seulement. Tous les constructeurs mondiaux se sont implantés en Chine qui est devenue pour certains comme Volkswagen ou GM leur première base de production industrielle. C’est à la Chine que Volkswagen doit le fait en dépassant dix millions de véhicules produits de tenir la corde pour dépasser Toyota comme premier constructeur mondial. Les ventes sur le marché chinois représentent 50 % des revenus des constructeurs allemands. C’ets encore à la Chine que PSA doit la réussite de son année 2014 avec une croissance de ses ventes de 32% pour atteindre 734 000 véhicules.  Il faut noter que les constructeurs chinois, nombreux, régionaux, endettés et mal structurés, profitent moins de cet engouement que les constructeurs étrangers. L’émergence de champions chinois à vocation internationale tarde à se concrétiser, les ambitions planétaires des SAIC, Chery, BYD restant très limitées à quelques pays émergents. Les exportations de véhicules particuliers ne représentent que 3% de la production..

L’évolution géographique du marché est sans surprise

Le marché de l’automobile est la résultante de l’évolution de paramètres multiples. En premier lieu la santé économique et les perspectives de revenus des ménages, comme des entreprises, représentent la première motivation des acheteurs pour un produit qui reste le seconde poste de dépense des ménages après l’immobilier. Le prix du véhicule, liés aux conditions commerciales et au coût du crédit, permet le passage de l’intention à l’acte d’achat. Les perspectives d’usage – coût de l’essence et des assurances, prix du stationnement, taxes et péages – orientent le choix du véhicule notamment en matière de motorisation comme dans l’alternative véhicule neuf ou véhicule d’occasion. Cette équation est très sensible à l’ambiance générale envers l’automobile,  la perception des utilisateurs sur la facilité d’usage au regard des réglementations sur la vitesse et l’environnement pesant sur la demande générale et le choix du type de véhicule. Et tous ces facteurs agissent différemment s’il s’agit de marchés matures ou de marchés en phase d’équipement.

Aussi il n’est pas surprenant de constater que la principale bonne nouvelle pour les constructeurs provienne du marché américain. Après les années noires, Detroit a brillamment retrouvé ses couleurs, avec un marché 2014 de 16,5 millions de véhicules, contre 10 millions en 2009,  qui a rattrapé celui de 2007. Toutes les marques ont brillamment progressé en 2014 et le salon de Detroit a pu exhiber sans complexe ses néons et ses chromes pour afficher le retour au culte américain des voitures musclées. L’humilité écologique a fait long feu, place aux trucks ! Certes Ford annonce que son camion mythique, le F150, voiture la plus vendue sur le marché américain, fait une cure d’amaigrissement de150 kg grâce à l’emploi de l’aluminium, mais ses moteurs sont toujours des V6 et V8 qui ont certes progressé mais restent gloutons.

Les véhicules hybrides et électriques ont toutefois su trouver leur place  à la faveur de la crise sur un marché climato-sceptique. Avec des ventes cumulées en 2014 de 290000 véhicules les Etats-Unis sont  le pays où circulent le plus de véhicules à motorisations alternatives. La Chine vient plus loin avec 113 000 voitures  devant le Japon, 104 000.  C’est la Californie  où règne Tesla et les hybrides, menées par Toyota, Ford et GM qui a stimulé avec sa réglementation restrictive cet essor du marché.  Il faut souligner que Nissan Leaf est la voiture électrique la plus vendue dans le monde et aux USA. Mais le prix actuel de l’essence est une incitation à la puissance et à la consommation dans un pays de gros rouleurs qui n’a jamais vraiment été sensible à l’environnement.

L’évolution du marché chinois sera sur ce point intéressante à suivre attentivement. Car si tous les constructeurs considèrent que l’avenir de l’automobile mondiale, et le leur particulièrement,  se joue en Chine, les contraintes environnementales et sociétales risquent de tempérer cet enthousiasme.

90% des villes chinoises dépassent largement les critères de l’OMS en matière de pollution. L’encombrement ne fait que croître et plusieurs mégalopoles ont dû prendre des mesures restrictives. Le gouvernement a engagé en 2014 le retrait du marché de plus de 5 millions de voitures anciennes et polluantes, sur un parc de 230 millions de véhicules. Car la pollution atmosphérique, dont l’automobile n’est pas la seule cause, devient en Chine un problème politique sérieux.

Le Japon est le seul pays au monde où une réglementation spéciale a fait émerger un marché de petits véhicules légers, les Kei (moins de 660 cm3, moins de 3,4 m) dont la croissance en 2014 a été spectaculaire (+ 7%). Ces véhicules représentent désormais 40% du marché automobile ! Les hybrides sont la seconde spécialité du Japon, qui les a inventés. Ils représentent 40% du marché des voitures individuelles. 

Le diesel, dont les modèles les plus récents ont des performances très élevées en matière de rejet de particules amorce son repli sur le marché européen qui représente 70 % des ventes mondiales mais commence à percer, marginalement, sur les marchés dont il était traditionnellement exclu, Corée, Japon, Etats-Unis.

Notons que le paradis de la voiture électrique est en 2014 la Norvège où 65200 voitures électriques sont été immatriculées. 2014 aura vu également le lancement de la voiture à hydrogène de Toyota, la Mirai.

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Toyota Mirai
C’est déjà un véhicule accompli, performant, avec 500 km d’autonomie, qui s’appuie sur la longue expérience acquise avec les 7 millions de véhicules hybrides produits sous les marques Lexus et Toyota. Mais le réseau de distribution d’hydrogène reste encore plus confidentiel que les bornes de recharge électrique.

Et la France ?

Quant aux constructeurs français, ils ont réalisé une année en progression en chiffre d’affaires de 0,3 % pour Renault et Dacia, mais de 3,2 % en volume avec 2,7 millions de véhicules,  et de 4,3% en volume pour le groupe PSA, avec 2,93 millions de véhicules vendus. PSA, avec une nouvelle direction et un nouvel actionnariat, ouvre une nouvelle étape de son histoire après de sérieuses turbulences et mise sur le marché chinois pour retrouver une rentabilité durable.

Les constructeurs allemands enregistrent une nouvelle excellente année avec un haut niveau de volume et de profits qui consolide leur domination mondiale dans le marché premium. Obligés de réagir face aux règlements européens, qui les pénalisent, les constructeurs allemands font preuve d’ingéniosité pour baisser la moyenne des émissions de CO2 de leurs gammes en multipliant les petits modèles et en engageant des efforts significatifs vers l’hybridation ou l’électrique. BMW communique largement sur ses i3 et i8, qui sont des électriques à prolongateur d’autonomie et Audi fait de sa gamme e-tron un démonstrateur de son savoir-faire technique.

Marché de volume, le marché automobile devrait atteindre 88 millions de véhicules en 2015... Après le décrochage de 2009, l'automobile retrouve grâce à son territoire mythique historique, les Etats-Unis, suivis de la Chine, une croissance soutenue... Jusqu'à la prochaine crise, économique, pétrolière, environnementale...


L'odyssée de l'innovation à travers le CES 2015

Quels messages retenir du CES 2015 ? Il ne faut pas se limiter à une vision immédiate de cet évènement car il s’inscrit dans une perspective de long terme. L’informatisation de la société est un processus engagé depuis la fin de la seconde guerre mondiale et en constante accélération, chaque étape préparant la suivante. C’est un des leviers majeurs des changements qui façonnent notre vie et permettent, grâce aux progrès convergents des sciences et des techniques, une amélioration des performances humaines qui se traduit, in fine, par l’allongement de la vie humaine.

Les formes de  l’informatisation ont évolué par grandes étapes en fonction des capacités techniques. Du premier processeur Intel en 1971, le 4004 et ses 2300 transistors, au Pentium Pro de 1995, avec 3,1 millions de transistors, au processeur i7 Haswell de 2014 avec 2,6 milliards de transistors, les performances ont connu une croissance exponentielle qui confirme, à chaque étape, la loi de Moore. Si la puissance de traitement des machines est désormais considérable, c’est l’exploitation de cette puissance à travers une multitude d’usages, dans toutes les situations, tous les contextes géographiques, et par tous les utilisateurs  qui est véritablement le déclencheur d’une révolution.

Car cette informatisation ne serait qu’une simple prouesse technique si elle ne provoquait pas une mutation sociale  sans précédent dans l’histoire de l’humanité par son ampleur et sa profondeur. La révolution informatique est aujourd’hui le moteur d’un changement de civilisation, avec ses promesses et ses angoisses. Il suffit de se plonger, au cœur du décor surréaliste de Las Vegas, dans la plus grande manifestation mondiale consacrée au numérique  pour comprendre que cette mutation est profonde, irréversible et va changer nos vies dans la plupart de leurs composantes.

La révolution numérique s'incarne au CES

Le CES, qui a débuté à New York, dans les années soixante, comme Consumer Electronic Show, salon consacré à l’émergence du règne de l’image télévisée et du son haute-fidélité, est devenu depuis dix ans le théâtre global de la révolution numérique. La différence sémantique entre informatique et numérique n’a pas de sens technique, mais traduit, dans une acceptation commune, le fait que l’informatisation du XXe siècle consacrée aux tâches professionnelles est désormais régie par le rythme des innovations grand public. L’entreprise n’est plus maîtresse du rythme de ses évolutions car elle doit intégrer dans ses fonctionnements internes ces innovations plébiscitées par ses clients et son personnel. Or si le PC en 1981 et la facilité d’accès à internet en 1993, grâce au navigateur, ont fait déjà vaciller l’informatique centralisée classique sur des bases en introduisant la liberté de l’individu dans la gestion des systèmes, c’est bien l’apparition de l’iPhone en 2007 qui, cumulant pour le première capacité de communication, puissance de traitement, mobilité et diversité des usages,  a marqué l’ouverture d’une autre ère.

A travers l’expérience d’une dizaine de CES, il est possible de visualiser cette accélération en surimposant les images de chaque CES. En effet, en mesurant la taille et le positionnement des stands comme en analysant le dosage des thématiques des conférences et le choix des intervenants, on comprend que ces mutations parfois subtiles sont à la fois les marques des changementsdésormais actés comme les signaux annonciateurs des transformations à venir.

S’il ne fallait retenir qu’un seul symbole de ces mutations, il faut se souvenir que dans l’entrée du hall central, cœur prestigieux du LVCC, Las Vegas Convention Center où était centrée la partie exposition du CES, se faisaient face Microsoft et Intel, les deux acteurs du monde Wintel qui a brillamment  façonné le monde du PC pendant trente ans. Mais en 2015 c’est un constructeur chinois de téléviseurs, encore méconnu en occident, Changhong, leader du marché chinois des téléviseurs, qui occupe cette place prestigieuse. Intel à cause de cette relation trop intime  avec le monde du PC a raté son entrée dans celui de la mobilité au profit de Qualcomm. Intel est toujours là, très combatif, pour retrouver sa place et son prestige dans le monde de l’informatique des objets dont la part dans la croissance de son chiffre d'affaires a déjà bondi de 19% en 2014

Withings  011
S’il y a cinq ans, la santé et le bien être occupaient quelques stands minimalistes, dont celui de Withings, timide start-up française montrant en 2009 un objet improbable, un pèse-personnes connecté. Aujourd’hui ce sont des travées entières qui y consacrées avec des stands richement dotés où brillent d'ailleurs les entreprises françaises comme Netatmo, Withings, Sculpteo, Sen.se...  Il a d’ailleurs fallu quitter le LVCC car la place y manquait. C’est un nouvel espace, immense, au Sands, qui est intégralement consacré au monde bruissant des objets connectés. De même, le cycle de conférences consacrées au monde de la santé est devenu une manifestation à part entière, the Digital Health Summit. Le système de santé est en effet devenu un ensemble complexe où interagissent de multiples disciplines et professionnels partageant des donnéees communes.

Healthcare  007

De façon générale, l’expansion de la sphère de l’informatisation se traduit par la multiplication des approches verticales où experts et firmes spécialisées discutent de la dynamique de ces nouveaux environnements numériques qui refaçonnent les activités traditionnelles que sont le bien-être et la santé, l’éducation, l’automobile, la publicité, les medias. Sur le socle de base de l’économie numérique, qui se consolide autour du smartphone, du cloud computing et des réseaux à haut débit, viennent se greffer une multitude d’écosystèmes verticaux qui embarquent entreprises conventionnelles et start-up dans une irrésistible dynamique de transformation accélérée.

Tout est connectable et connecté

Le CES est donc sur quatre journées non seulement une exposition commerciale où se croisent 170000 visiteurs de toute la planète et 5000 journalistes, face à 3600 entreprises, mais aussi des milliers de dirigeants qui dialoguent, analysent et construisent les transformations de demain, publiquement mais aussi discrètement dans les suites et salons des hôtels. C’est pourquoi les keynotes du CES sont aussi prisés. Véritables shows millimétrés, fort coûteux, ils traduisent la vision des dirigeants et la force des entreprises leaders. Il s’agit d’impressionner, de marquer les participants et par là les analystes de la planète entière. Ford s’illustre depuis des années dans cet exercice et le nouveau  président, qui a succédé à Alan Mullaly, Mark Fields, a bien montré que l’avenir de l’automobile ce n’était pas la puissance brute mais la capacité de faciliter la mobilité de la planète. Le président d’Intel, Brian Krzanich, a illustré de façon spectaculaire qu’il entendait bien mettre ses processeurs au centre de la réconciliation du réel et du virtuel qui pour lui est « the next big thing ». Et il a invité sur scène HP pour lancer officiellement l’entrée de ce constructeur dans le monde de l’impression 3D, scanneurs, imprimantes et puissances de calcul permettant de passer l’objet réel à sa définition numérique en 3D pour pouvoir être reproduit à l’infini… Mais c’est surtout la présentation du nouveau processeur Curie, qui intègre en un format unique de la taille d'un bouton, son système d’exploitation, des capteurs et des capacités de communication Bluetooth, qui a frappé en montrant la détermination d’Intel à prendre le leadership de l’équipement des objets connectés et du wearable computing.

Un nouveau modèle d'innovation

La leçon du CES ne réside pas dans la diversité des produits proposés, mais dans la convergence de chacune des approches. Par touches se construit un monde où l’ordinateur s’efface au profit d’une multitude d’objets qui vont échanger des informations pour alimenter la prise de décision dans chaque acte de la vie quotidienne, personnelle ou professionnelle.

Le monde des objets consacre un nouveau modèle d’innovation très éloigné du modèle classique de l’investissement en recherche-développement tels que les grandes firmes l’ont pratiqué depuis des décennies. Face au modèle planifié et méthodique de la R&D, l’innovation venu du monde grand public ressemble  à un grand bazar où des objets divers émergent entre le concours Lépine et la science-fiction. Le CES avec ses stands exotiques donne évidemment cette impression. Mais comme l’a vivement défendu le fondateur de Parrot, Henri Seydoux, peu importe que les produits qui sortent de la créativité des start-up soient qualifiés de « gadgets ». C’est l’usage qui fait le tri et révèle des potentiels insoupçonnés au départ par les créateurs. Citant l’exemple des drones qu’il avait imaginé comme étant une forme de jeu vidéo en 3D, il a constaté que les usages professionnels, comme pour l’agriculture et la bâtiment, étaient parfaitement pertinents. Le créateur de la semelle chauffante et connectée, Digitsole, une start-up française parmi les dizaines présentes au CES , visait le marché des équipements sportifs, mais le monde professionnel des travaux en plein air se montre tout à fait intéressé.

Digitsole  009

Ce processus s’applique également aux grandes entreprises. Plusieurs grandes entreprises ont clairement affiché leur choix d'ouvrir leur R&D, leurs brevets en favorisant l'open innovation. Samsung, Toyota, mais aussi Ford opérent ce mouvement pour injecter dans leur ADN historiquement fermée des processus d'innovation radicalement nouveaux. La présence active de ces grandes entreprises mondiales, qui ignoraient le CES, est le symbole d'un tournant dans la recherche de synergies entre start-ups et entreprises établies. La Poste, qui est victime de l’érosion du marché du transport de documents papier, a fait de son image robuste et reconnue par la population un vecteur de développement en devenant fournisseur de services de confiance, à travers son réseau physique de proximité, de bureaux et de facteurs, mais également par l’innovation logicielle dans les services numériques et son soutien aux start-ups. Il faut aussi saluer pour ce souci d'ouverture à la créativité la forte présence des start-up françaises, accompagnées par Emmanuel Macron, Axelle Lemaire, Pierre Gattaz, Louis Schweitzer, de même qu'une forte délégation de DSI du CIGREF autour de leur président, autant de symboles témoignant d'un vrétible changement dans la culture française, salué par le président du CES, Gary Shapiro.

La Poste  008

Il se crée un cheminement, impossible à planifier, entre ce que permet de faire la technique, les objets qui en découlent, et la réalité des usages décidée par les utilisateurs.

 Innover, ou disparaître

Le choix est au fond très simple, et c’était le thème d’un keynote essentiel, rassemblant les dirigeants de Cisco, Bosch et Comcast : « Fast innovation : Disrupt or be Disrupted ». Innover s’impose comme une forme indispensable d’évolution pour toute entreprise. Innover c’est écouter ses clients, mais aussi aller au-delà des attentes, des formes convenues, des logiques d’image. C’est oser aborder des sujets nouveaux qui ne peuvent s’explorer à travers des études de marché. Steve Jobs a été expert dans cette approche en rupture. S’il avait attendu des études marketing la réponse des clients potentiels, il n’aurait jamais fait l’iPhone et c’est pourquoi Nokia, champion absolu du téléphone GSM, ne pouvait pas imaginer autre chose qu’un meilleur... téléphone GSM. Lire le CES, c’est comprendre le  rôle de ces chemins de traverse, c’est admettre d’être surpris, choqué par des visions au premier abord futiles, mais qui peuvent se révéler des pépites porteuses de rupture. Le CES implique beaucoup d’humilité et se remémorer que toute innovation suscite un cycle de réactions en trois étapes. La première étape, c’est de penser que c’est inutile, farfelu, absurde. La seconde étape c’est de s’indigner en considérant que c’est dangereux. Et enfin, troisième étape, considérer que c’est tout à fait banal, normal…