Hydrogène contre batteries, les termes du débat
23 janvier 2022
Décarboner la mobilité est devenu le leitmotiv des gouvernements et l'obsession des industriels, désireux de proposer aux marchés des solutions technologiquement viables et économiquement satisfaisante. De fait il y a désormais une course de vitesse entre les constructeurs et les réglementations.
Le débat entre VEB (véhicules électriques à batteries) et véhicules électriques à pile à combustible ne fait que commencer. Il s’agit en effet de deux solutions concurrentes pour alimenter les véhicules électriques qui ont chacune leurs propriétés et leurs partisans.
L’enjeu est la propulsion des véhicules du XXIe siècle où l’on sait que la lutte contre le CO2 impose dans tous les cas de réduire drastiquement l’usage des énergies fossiles. La fin du moteur à combustion interne à pétrole sera une des grandes avancées scientifiques et techniques du XXIe siècle après 140 ans de domination incontestée sur la mobilité individuelle. Mais on ne remet pas en cause impunément un système industriel qui a fait ses preuves.
Aujourd’hui, la disparition effective du moteur thermique dans les véhicules neufs, programmée dans la plupart des pays industriels entre 2030 et 2050, est conditionnée par la capacité de l’industrie à produire des véhicules électriques peu coûteux et apportant un gain global en matière d’émission de CO2 et d’autres polluants, tout au long de leur vie. Si la technologie du moteur électrique est parfaitement maîtrisée, la question porte sur l’utilisation de l’électricité à bord du véhicule, problème technique résolu pour le transport ferroviaire, mais qui a été l’obstacle majeur au développement de l’électricité dans l’automobile. Deux solutions sont exploitées, le stockage de l’électricité par batteries à bord du véhicule ou sa production par une pile à combustible à partir d’hydrogène.
Leur point commun entre ces deux solutions, c'est qu'elles n'émettent au lieu d'usage ni polluant (gaz toxique comme les NOx ou résidus de combustion) ni CO2. L'une emporte à bord de l'électricité produite par des centrales électriques, conventionnelles, nucléaires ou renouvelables et distribuée par le réseau généraliste (avec un mix énergétique fonction du lieu de charge) et l'autre la fabrique à bord avec de l'hydrogène embarqué.
L’hydrogène n’existe pas à l’état naturel mais est combiné avec d’autres composants. Pour libérer l’hydrogène, il faut dissocier la molécule et ce processus de cracking demande de l’énergie. Ce processus de production peut être vertueux (hydrogène vert produit par électrolyse de l’eau à partir d’électricité renouvelable) ou très polluant (hydrogène noir ou gris produit par reformage à partir de pétrole ou de gaz). Aujourd’hui 90% de l’hydrogène utilisé dans le monde est noir ou gris. L’hydrogène doit ensuite être stocké, transporté et distribué pour constituer un réseau spécifique de distribution. La chaîne de distribution d’hydrogène implique également de la consommation d’énergie.
Dans les deux cas, la vertu environnementale du véhicule est entachée par la qualité de l’électricité qu’il utilise, ou fabrique, et par son propre processus de fabrication. Ce qui les différencie sur ce point ce sont les batteries d’un côté et la pile à combustible de l’autre, tous les autres éléments, base roulante, électronique et moteurs électriques étant identiques.
- Les batteries
Dix ans après son véritable lancement commercial -Nissan Leaf, Renault Zoé, Chevrolet Volt-, la voiture électrique est devenue une réalité tangible pour le grand public ; 20% des véhicules neufs vendus en Europe en 2021 étaient électriques ou hybrides rechargeables. Tous les constructeurs mondiaux ont désormais à leur catalogue plusieurs véhicules électriques, de la citadine au SUV et même au pick-up. Des camionnettes légères sont également disponibles. L’autonomie de ces véhicules varie dans l’état actuel du marché de 200 à 600 km effectifs selon la norme WLTP. Le temps de recharge varie également selon le mode de recharge. Sur une prise électrique standard 220 v 10 A à domicile, la charge complète prendre plus de 20 heures. Sur une borne de recharge accélérée, ce temps est réduit à 3 h pour les bornes de 22kW et 1h30 pour les bornes les plus puissantes de 50 kW à 250 kW. La charge à 80% de la capacité maximale, complémentaire à la charge principale nocturne, prendra sur ces bornes puissantes moins d’une demi-heure.
La fabrication de batteries à grande échelle dans les gigafactories nécessite de l’énergie, comme l’extraction de ses composants (lithium, cobalt, manganèse…). L’industrie - jeune- de la batterie de traction automobile travaille à améliorer chacun de ces points pour baisser les coûts, accroitre autonomie et vitesse de charge et réduire l’empreinte environnementale, dans une équation complexe où les gains sont, dans le contexte technique actuel, incrémentaux. Si le coût des batteries est passé en dix ans de 1200 $ par kWh à 150 $, cette baisse est considérée aujourd’hui comme asymptotique. Une des voies de progrès est d’utiliser des matériaux plus courants dans la construction de l’anode et de mettre en œuvre un électrolyte solide à la place du liquide utilisé actuellement. Les travaux sont en cours dans les laboratoires partout dans le monde. La compétence régionale alpine est forte dans ces domaines. Le CEA à Chambéry et Grenoble emploie 150 chercheurs dédiés à l’électromobilité et Air Liquide a son centre mondial de recherche sur l’hydrogène mobilité à Grenoble.
Enfin, la fin de vie des batteries de traction a fait l’objet de nombreux travaux et investissements industriels. Les batteries peuvent être recyclées par plusieurs processus industriels, maîtrisés, ou utilisées dans d’autres usages que la mobilité comme stockage statique.
- La pile à combustible
La pile à combustible est un dispositif léger qui utilise comme catalyseur du platine, coûteux et peu abondant, mais recyclable. Le stockage de l’hydrogène à bord se fait dans des réservoirs en composites où l’hydrogène est stocké sous pression à 700 bars. A poids équivalent, l’hydrogène produit dix fois plus d’énergie que l’électricité. L’autonomie des véhicules à hydrogène actuellement disponibles sur le marché (Toyota Mirai, Hyndai Nexo) est supérieure à 600 km pour un temps de recharge de moins de 5 minutes. C’est encore une solution coûteuse. Il faut 30 g de platine pour une pile à combustible de 100 kW soit 800 €. Une station de recharge d’hydrogène coûte environ un million € et un « plein » d’hydrogène coûte le même prix qu’un plein d’essence.
- La charge
Pour le véhicule électrique à batteries, la durée de charge, notion beaucoup plus importante en termes d’usage que l'autonomie, est toujours plus lente (même si elle baisse rapidement) que pour l'hydrogène (chargement par pistolet équivalent à l'essence en quelques minutes).
Enfin le rendement global du processus « du puits à la roue » est meilleur pour l’électrique à batteries (95%) que pour l’hydrogène (35%). Enfin, même avec un rendement médiocre, l’utilisation d’hydrogène produit moins de CO2 (110 g de CO2/kWh) que l’essence (300 g CO2 par kWh).
Dans l’état actuel des connaissances et du marché, l’hydrogène ne semble être une solution plus pertinente que la batterie que pour les flottes captives, dont le rayon d’action est limité autour du point de distribution d’hydrogène, et pour les véhicules lourds, ou pour les usages pour lesquels les batteries seraient trop lourdes et encombrantes, comme les avions.
Pour illustrer l'écart dans le coût d'investissement, un bus électrique coûte environ 400 k€, un bus à hydrogène 600 k€. A terme ( dix ans?) cet écart pourra se résorber mais le coût de production du carburant devra également suivre, l'avantage de l'électricité étant considérable car elle est abondante, distribuée par un réseau généraliste et facile à gérer.
Ressources
https://liten.cea.fr/cea-tech/liten/Pages/Axes-de-recherche/Solutions-de-flexibilite/Batteries.aspx
https://www.airliquide.com/fr/science-nouvelles-energies/energie-hydrogene
https://www.engie.fr/actualites/mobilite-verte-bus-hydrogene/