Rassurée, l'automobile mondiale se cherche (timidement ) un nouveau modèle
24 février 2016
Le salon de Genève s’ouvre début mars sur un paysage rassurant. La dépression du marché automobile mondiale est bien finie. En croissance depuis 2011, la production automobile mondiale a connu, avec 89,4 millions de véhicules, en 2015 une nouvelle progression de 2,3% qui confirme le retour de la dynamique du marché et donc de la santé des constructeurs. Tous affichent des résultats flatteurs, comme en témoignent les résultats récemment publiés de Renault et PSA. Les cours anémiques du pétrole rassurent les clients, surtout aux Etats-Unis, sur la pertinence du séculaire moteur à explosion qui fait le bonheur des conducteurs de F-150, voiture la plus vendue aux USA . Tout semble donc sourire à cette industrie coriace qui a démontré une fois encore qu’elle était capable de rebondir après une crise profonde, non sans avoir été contrainte de solliciter l’aide des pouvoirs publics. L’automobile serait-elle comme la banque, too big to fail ?
Peut-on pour autant refermer sans souci la page d’histoire ouverte en 2008 et qui a vu l’industrie automobile trembler sur ses fondements. L’histoire de l’automobile est émaillée de crises qui ne laissent jamais intacts les constructeurs survivants, même si le retour à bonne fortune tend à faire oublier les mauvais moments. Cette industrie a une forte capacité d’oubli, confiante dans le fait qu’il n’y ait pas de problème sérieux qu’un bon produit ne puisse résoudre. Cette confiance est fondée sur les constats que l’automobile reste indispensable à plus de 70% des déplacements dans les pays matures et que la plus grande partie des habitants de la planète n’est pas encore motorisée.
Mais la période qui s’ouvre ne ressemble en rien à la situation post-crise de 1974. Le monde est aujourd’hui largement motorisé et il est devenu urbain, peuplé et… pollué. Le web a changé l’usage du l’automobile, comme du reste. La prise de conscience de l’impact environnemental négatif de l’automobile s’est développée dans tous les pays, notamment dans le premier marché du monde, la Chine. Le fait que des constructeurs aient été obligés de tricher pour respecter les normes environnementales n’a pas accru la confiance des consommateurs dans l’industrie.
L’ambiguïté génétique de l’automobile n’est certes pas dissipée : outil de travail, pour se déplacer, c’est aussi un produit statutaire, pour se différencier, et un objet générateur de plaisir, pour s’évader. Même si personne n’a « besoin » d’une Ferrari ou d’une Porsche pour se déplacer à 90 km/h, l’attrait de ces produits dépasse toute logique pratique. Il en est de même pour les véhicules moins ostentatoires qui n’échappent pas la surenchère de la puissance et des équipements au détriment de la consommation et des émissions. Le marketing des constructeurs insiste toujours sur le plaisir de conduire et la sensation de liberté en mettant en scène leurs produits dans les déserts de l’Utah et non pas sur les autoroutes urbaines engorgées de toutes les grandes villes du monde. La saturation de l’espace urbain, les redoutables problèmes des pollutions au NOx et des rejets de particules sont délibérément occultés par les constructeurs et seules les autorités de régulation tentent de faire progresser la profession. Maintenir le « désir d’automobile », qui est le leitmotiv d’une industrie qui ne connait son salut, dans son modèle actuel, que dans la production de masse n’est pas évident alors que les facteurs économiques, sans même invoquer la conscience environnementale, plaident pour un usage contrôlé et partagé de l’automobile.
Le marché cherche à couvrir tous les segments de la demande sans opter clairement pour des choix sociétaux vertueux. Les constructeurs se retranchent devant la logique de la demande contrairement aux industriels de l’informatique et de l‘électronique qui ont ouvert des horizons radicalement nouveaux en n’hésitant pas à sacrifier leurs prés carrés. Cette ambigüité pousse par exemple Renault, qui est avec Nissan le leader mondial des véhicules électriques, à relancer avec fierté sa marque de véhicule de sport Alpine et à revenir en Formule 1. Cette même ambiguïté pousse à mettre en avant le rêve technologique de la voiture autonome qui ne règle pas de façon évidente les problèmes de saturation de l’espace urbain ni d’optimisation du transport interurbain. Même autonome et électrique, une voiture de 1,5 tonne pour transporter en moyenne 80 kg n’est pas une bonne réponse technique au problème du déplacement. De plus, pour des raisons de sécurité évidentes, elle ne pourra être que coûteuse et donc ne constituer qu’une fraction infime du parc. Même Tesla qui se pare aussi bien de vertus écologiques que de culture technologique, classée fin 2015 troisième entreprise les plus innovantes du monde, fabrique un objet de plus de 2 tonnes, 5 m de long, pour rouler à 250 km/h. Certes, sans moteur thermique...
Le concept car Eolab de Renault consomme un litre aux 100.
Sortie de la crise après avoir recherché en toute hâte, pendant cinq ans, à présenter une image plus en ligne avec les besoins de la société pour finalement n’avoir produit fin 2015 qu’un million de véhicules électriques, soit moins de 0,1% du parc mondial. La France se révèle plutôt pionnière avec 17000 voitures vendues en 2015, toutefois sur un volume total de 1,91 million de véhicules, et seulement 61000 hybrides. Le véhicule thermique conventionnel n’a pas vraiment été contesté au terme de ces années de crise. Des avancées techniques ont été réalisées, les voitures électriques et hybrides existent vraiment maintenant avec une offre significative, mais cela reste un marché marginal qui n'est pas vraiment poussé par les constructeurs, leurs réseaux, la presse automobile qui restent attachés aux valeurs conventionnelles de l'automobile. Ces maigres avancées ne créent pas les conditions d’une transformation de long terme de l’industrie. Pour avoir tout misé sur les marchés émergents pour relayer les marchés historiques saturés et contraignants, les constructeurs se retrouvent face à des murs bien solides : insolvabilité des clients du Brésil et de Russie, absence d’infrastructure moderne en Inde et, encore plus inquiétant notamment pour le segment premium, conscience chinoise de l’urgence de la réduction de la pollution urbaine et réveil de la morale nationale. Certes la baisse inattendue du prix du pétrole apporte, pour de mauvaises raisons, un peu d’oxygène dans des marchés très sensibles au prix du carburant, comme les Etats-Unis. Ce ne peut être une solution de long terme car elle diffère la recherche de solutions durables tant sur les motorisations efficientes que sur les usages.
Certes plusieurs tentatives existent. Le CES de Las Vegas, où les constructeurs étaient très présents, n’a pas insisté seulement sur les prouesses techniques des voitures connectés et autonomes, mais aussi sur la fonction de mobilité qui ne peut selon les constructeurs comme Ford que faire appel à plus de partage. GM a même présenté son accord avec Lyft, opérateur de covoiturage, où il a investi 500 millions $, comme modèle d’évolution. Or plus d’usage de chaque véhicule produit implique moins de volume de production ! Il est admis qu’un véhicule en autopartage remplace 7 voitures en pleine propriété, qui restent 97% du temps inutilisés
De plus la fuite en avant technique implique le recours à de multiples partenaires qui disposent de compétences exclusives. Le stand de Nvidia au CES volait la vedette à ceux des constructeurs avec ses démonstrations de capteurs et de traitement de l’image, essentiels au véhicule autonome. Bosch et Valeo exposaient également avec force démonstrations leur incontournable savoir-faire technique. Architectes et assembleurs, les constructeurs automobiles ne peuvent plus être leaders sur chaque composant de la chaîne de valeur et voient émerger de redoutables concurrents potentiels.
L’industrie automobile mondiale reste donc confrontée à des choix cruciaux. La voiture individuelle n’est qu’un outil qui s’insère dans une gamme de solutions de mode transport, collectifs ou partagés, qui s’est considérablement enrichie au cours des dernières décennies dans les pays matures, mais aussi en Chine. Fondamentalement, la voiture n’est pas la meilleure solution pour les transports intra-urbains. Or la population de la planète va se concentrer en ville. Inexorablement, la demande d’automobile en sera affectée. Il faut donc inventer des véhicules légers, électriques, partagés pour la fraction des usages qui ne peut être satisfait par l’offre mutualisée. Il en est de même pour les usages de loisirs et les transports péri-urbains et inter-urbains où le couplage transport partagé et gestion des rabattements de flux vers les infrastructures à haut débit implique également des véhicules appropriés. Il devient totalement absurde de concevoir des véhicules pour rouler à plus de 200 km/h alors que ce cas d’usage est simplement interdit partout sur la planète, en dehors des circuits.
La créativité des constructeurs devrait en priorité se concentrer sur l’allégement des véhicules, la simplicité des motorisations et la réduction drastique de leur impact environnemental comme sur l’agrément d’usage dans la vie de tous les jours. Certes il restera toujours un segment premium où les revenus des acheteurs comme leur ego leur permettent de justifier l’irrationalité de leurs achats, généralement payés par d’autres. Mais pour la majorité des habitants de la planète une voiture fiable, pratique et peu consommatrice de ressources naturelles est l’objectif premier. C’est au marché de la proposer et de la rendre accessible et attractive. C’est aussi au consommateur de montrer un nouveau niveau d’exigence pour contribuer à l’évolution de ce produit essentiel mais dont l’usage inapproprié est générateur de profondes perturbations.