Le futur de l’industrie automobile européenne

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Citroën Ami One Concept, Salon de Genève, mars 2019


Depuis la crise de 2008, l’industrie avait cru réussir à retrouver, avec ses volumes antérieurs, une zone relative de calme. Il n’en est rien. Le « dieselgate » a démontré difficultés des constructeurs pour respecter la rigueur des nouvelles normes, au point de devoir inventer des systèmes illégaux de contournement des mesures d’émission. Cette crise  a profondément ébranlé les constructeurs et leur a coûté des dizaines de milliards d’euros en pénalités et compensations commerciales. Si sur le plan économique, ils ont été en mesure de supporter le premier choc de cette crise de confiance, ils doivent faire face à un défi industriel de taille pour accompagner la réduction de la demande de véhicules diesel et proposer une alternative crédible.

Mais au-delà de la crise du diesel, les industriels européens voient subitement plusieurs fronts s’ouvrir  dans un métier habitué aux évolutions lentes et contrôlées. L’accumulation de ces menaces remet en cause l’organisation et la domination d’un secteur industriel dont l’influence déborde largement les constructeurs et les équipementiers. L’économie de la route est indissociable de la prospérité économique générale et sa remise en cause provoque quelques insomnies auprès des décideurs. Le Salon de Genève a été le théâtre de quelques déclarations de rébellion devant la dureté des normes européennes d’émission pour la décennie 2020, mais ces réactions ne sont que le début d’une prise de conscience générale de l’ampleur des défis à surmonter pour cette industrie-mère.  Le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, publié le 20 mars 2019, chargé d’évaluer la faisabilité de l’arrêt des ventes de véhicules à moteur thermique à horizon 2040, est l’expression d’une première prise de conscience de l’ampleur des séismes qui vont frapper l’industrie européenne dans les dix prochaines années.

Cette transformation peut se synthétiser en quatre lettres : CAPE.

Connectée, Autonome, Partagée, Électrifiée, la voiture de demain, comme les véhicules utilitaires, ne pourront plus être traités comme des objets de consommation unitaires, certes atypiques par leur taille, leur poids, leurs conditions d’usage, mais comme des composants d’un système global de mobilité. Cette évolution n’est pas dictée par le seul souci de réduire les émissions de CO2, de particules et de NOx. La réduction de l’usage des hydrocarbures est un objectif technique et géopolitique majeur, en ligne avec la décarbonation de l’économie imposée par la COP 21. Mais ce sont l’ensemble des conditions d’usage, le coût de possession de plus en plus élevé, l’urbanisation de la société, les bénéfices de la société de l’information et les progrès considérables des transports publics qui bousculent le monde de l’automobile. Cette convergence des transformations remet en cause le modèle historique de la voiture individuelle, naguère seule alternative libre et confortable aux transports publics. L’automobile va subir la même mutation que les autres secteurs en se fondant dans une économie de l’usage, qui va la faire passer d’un modèle « vehicule-as-a-service » à un nouveau modèle en cours d’émergence, « mobility-as-a-service ». Elle n’y est pas préparée car toute la structure de l’industrie automobile a été édifiée pour un tout autre modèle.

 

L’industrie automobile, premier pourvoyeur d’emplois industriels en Europe

La filière automobile et transport emploie 2,2 millions de personnes en France, soit 8% de la population active. L’industrie automobile proprement dite en emploie directement 605 000, partagées, à parts égales, entre les constructeurs et les équipementiers. Mais l’usage de l’automobile a induit la création d’un secteur aval qui emploie lui aussi 500 000 personnes environ. C’est une vingtaine de métiers de la distribution et de la maintenance automobiles qui contribuent à la maintenance d’un parc de 39 millions de véhicules. Les transports et les infrastructures regroupent 1,1 millions de personnes, dont 95 000 pour la construction et l’entretien du réseau d’un million de kilomètres de routes.

Malgré un solde négatif de 10 milliards €, l’automobile contribue à hauteur de 50 milliards aux exportations de la France et l’industrie française représente 8 % du marché mondial Depuis le milieu du XXe siècle, la route a pris progressivement un rôle primordial dans l’économie du pays. Il en est de même pour les principaux pays européens, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Italie, vieux pays initiateurs de la révolution automobile, mais également l’Espagne, qui produit plus d’automobiles que la France, la République tchéque, la Slovaquie, la Pologne, la Hongrie et la Roumanie  qui les ont rejoint depuis les années quatre-vingt.  L’industrie européenne est donc multiforme, avec  la perte d’influence de la Grande-Bretagne, la domination de l’industrie allemande, seule à être multi-continentale, avec une forte présence en Chine et aux Etats-Unis, et qui a constitué à l’Est un « Hinterland » compétitif.

L’Europe occidentale a produit en 2017 14,7 millions de véhicules, dont 38% pour la seule Allemagne, et l’Europe centrale et orientale 5,7 millions de véhicules. Le parc européen est de 387 millions de véhicules, l’Amérique du Nord, 324 millions, la Chine 164 millions  et le Japon 77 millions, soit un stock de 1,28 milliards de véhicules dans le monde.

Pour être complet dans les positions respectives des acteurs, il faut noter que les États-Unis ne cessent de perdre du terrain en matière de production automobile et que le Japon, sur son sol, demeure un acteur solide, avec 9,7 millions de véhicules. Mais on voit bien que désormais les combats se livrent entre les grands constructeurs en Chine où l’Allemagne, le Japon et les États-Unis ont établi, grâce aux co-entreprises, des positions solides.

L’Europe, qui a inventé l’automobile, est demeurée, malgré la poussée des constructeurs japonais et coréens, une terre d’élection pour l’automobile jusqu’à l’aube du XXIe siècle grâce à son excellence en matière de motorisation thermique. Mais alors que l’on craignait le Japon et la Corée, c’est surtout la Chine qui en vingt ans a totalement perturbé le paysage mondial au point de représenter désormais un tiers du marché mondial, mais surtout plus de la moitié du marché de l’électromobilité.  Rien ne peut plus s’imaginer désormais sans référence à la Chine dont la stratégie d’électrification massive du parc automobile crée une rupture qui affecte tous les constructeurs. Ceux qui, comme Volkswagen et GM, sont très actifs sur le marché chinois sont les premiers à s’y conformer pour conserver leur leadership. Tous les autres n’ont pas d’autre choix que de se donner les moyens d’électrifier leur gamme, ou de se retirer du marché chinois, qui n’accepte plus de nouvel entrant pour produire des véhicules à moteur thermique.

 

Un changement sans précédent se prépare

Connectée, Autonome, Partagée, Électrifiée : chacune de ces nouvelles propriétés s’éloigne du cœur historique de l’industrie automobile. Avant tout, mécaniciens, assembleurs, motoristes, les industriels que sont les constructeurs  doivent désormais puiser dans d’autre corpus disciplinaires leurs compétences nouvelles. Seront -ils les mieux placés pour y parvenir ? Ils ont sur le faire progressivement, grâce aux équipementiers, pour l’électronique mais sans toucher à leurs compétences centrales.

Or le monde qui se prépare est fort différent. L’électrification de l’automobile n’est pas simplement un changement de mode de propulsion pour une énergie plus propre à l’usage,  c’est un bouleversement car la voiture électrique est beaucoup plus simple à concevoir, construire et maintenir tout au long de sa vie. Plus encore, la marche vers le véhicule autonome va retirer progressivement à l’automobile un de ses atouts historiques sur lequel les constructeurs ont orienté massivement leur marketing : le plaisir de conduire. La voiture devient un robot motorisé qui assiste, d’ores et déjà, son conducteur par de multiples aides et  qui ultimement n’aura plus besoin de conducteur. De fait, le partage deviendra totalement naturel, et même indispensable pour réduire le coût d’usage. Or si une voiture reste immobile 97% de son temps, comme c’est le cas actuellement, le coût du kilomètre parcouru est très élevé. Plus elle tournera, comme les avions commerciaux, moins elle coûtera cher au kilomètre. La mutualisation est donc la voie naturelle de la baisse des coûts d’usage. Mais plus de kilomètres parcourus par moins de véhicules, électriques, signifie un parc plus limité et donc une production réduite.  Comme, de plus, il s’avère que les coûts de maintenance des voitures électriques sont beaucoup plus faibles que ceux des voitures thermiques, la chaîne de maintenance aval verra son volume d’interventions diminuer, et donc également son chiffre d’affaires et ses effectifs.

De proche en proche, se dessine un modèle fort différent de celui que la voiture individuelle à moteur à combustion interne, en pleine possession, avait construit tout au long du XXe siècle. Même si ces perspectives peuvent légitimement inquiéter le monde de l’automobile, elles se situent sur un temps long de plusieurs décennies. Le parc mondial de 1,2 milliards de voitures restera encore longtemps thermique et  même si l’on vend 1 million de voitures électriques en France en 2025, soit la moitié du flux annuel, il restera un stock largement dominant de voitures thermiques à maintenir. Les prévisions de développement du marché électrique, faites par des constructeurs comme l’Alliance au début des années 2010, se sont révélées très optimistes et même si le marché mondial est passé de 47000 véhicules en 2011 à plus de 2 millions en 2018, il ne représente qu’une part minime du marché mondial de 95,6 millions  de véhicules, privés et utilitaires, produits en 2018.

 

Les grands défis

 Incertitudes techniques, hésitations des marchés, scepticisme du client final, manque de stabilité des politiques publiques  composent une toile de fond  très complexe, et anxiogène, pour les constructeurs. Ils doivent néanmoins faire évoluer leur offre, faute rapidement de perdre le contact avec le marché et de se faire dépasser par des concurrents mieux armés et mieux soutenus par une volonté politique ferme, comme le démontre la Chine. Les constructeurs vont devoir dans les prochaines années composer avec des facteurs en rupture peu compatibles avec les contraintes d’une industrie de grande série, à évolution lente et à faible marge.

 

    Le stockage et la production d’électricité à bord

Le cœur de l’électrification est le système de stockage, solution aujourd’hui la plus courante, ou de production d’énergie à bord. Véhicule à batteries, hybride rechargeable ou véhicule à pile à combustible à hydrogène, ils constituent ce que les Chinois appellent les NEV, ou New Energy Vehicule.  C’est ce mix de solutions qui va faire l’objet de la transformation du parc, sachant qu’il sera nécessaire pendant une longue période de trouver des solutions pour réduire les émissions du parc de moteurs thermiques. Le biogaz, issu de la méthanisation des déchets organiques apparait comme le candidat le plus solide.

Or les constructeurs sont placés devant une difficulté stratégique. Ils n’ont pas de signaux suffisamment clairs de l’évolution du marché pour consentir de façon sereine les investissements nécessaires. Les chaines de traction électriques ne sont pas dans le cœur de leur métier historique et ces systèmes doivent aujourd’hui être acquis par les constructeurs qui ne les conçoivent pas. Comme il représentent la moitié du coût du véhicule, c’est une part essentielle de la valeur ajoutée, entre 30 et 50%, qui leur échappe. Mais c’est un champ technologique qui n’est pas arrivé à maturité et pour lequel la recherche développement va jouer un rôle majeur dans les prochaines années. Dans tous les cas, il faut accroître l’autonomie du véhicule électrique et le temps de recharge pour le rapprocher des pratiques actuelles des moteurs à combustion interne. Si l’hydrogène répond à ces critères, le production décarbonée d’hydrogène est encore coûteuse et surtout trop peu répandue pour alimenter une offre de véhicules significative. Le VEB, véhicule électrique à batteries, apparait donc aujourd’hui comme la solution la plus réaliste.

Les performance de la batterie ion-lithium sont la cause  du retour en grâce de l’électrique dans l’automobile depuis dix ans. Elles ne cessent de progresser et leur prix baisse. Le prix des batteries lithium-ion est passé de 1000 $/Kwh en 2010 à 200 $/Kwh en 2017. Aussi l’autonomie des véhicules a pu passer d’une centaine de kilomètres il y a dix ans à plus de 400 km sur les derniers modèles. Mais la batterie ion-lithium est devenue une spécialité asiatique, partagée entre les Chinois de CATL et BYD, les Japonais de Panasonic et les Coréens de LG Chem. La Chine détient 60% du marché mondial des batteries automobiles et impose à tous les constructeurs présents sur son sol de n’utiliser que des batteries chinoises. La Chine s’engage à produire en 2030 40% de véhicules à énergie nouvelle sur la production totale de véhicules, soit 15,2 millions de véhicules, ce qui assure à son industrie une visibilité forte sur le fléchage de ses investissements.

Il n’y a pas d’acteurs européens ! Quelques fabricants de batteries asiatiques ont décidé de installer en Europe pour accompagner leurs clients, mais pour y assembler les cellules non pas pour développer une filière complète. Cette dépendance est le premier défi de l’Europe. La constitution d’une filière européenne de batteries pour la conception et la fabrication des cellules de batteries est la priorité qui a conduit la France, l’Allemagne et la Commission à conclure en accord en décembre 2018 pour développer une filière européenne des batteries. Si pour le lithium-ion, il est probablement trop tard pour reprendre des parts de marché aux asiatiques, il est indispensable de préparer les générations futures de batteries, notamment avec un électrolyte solide, mais les concurrents ne resteront pas inertes. Il faut donc une stratégie européenne qui ne soit pas angélique et implique, notamment, un protectionnisme symétrique à celui de la Chine.

    La conception des véhicules innovants pour stimuler le marché

Le Salon de Genève de mars 2019 a démontré que les constructeurs étaient tous présents sur le front de l’innovation électromobile. Mais il faut rompre avec beaucoup de pratiques pour faire évoluer un marché qui, fonctionnant à plus de 70% avec des véhicules d’occasion, n’a toujours pas adopté le véhicule électrique qui reste marginal en volume et quasi-inexistant en occasion. Seule la Norvège avec 50 % du marché des véhicules neufs est en pointe en matière d’adoption par le public. Il faut dire que la politique de subventionnement des VE et de forte taxation des véhicules thermiques, ainsi que de larges mesures pour favoriser l’usage du VE, ont su convaincre les acheteurs.

Pour arrêter les moteurs thermiques en 2040, il fait infléchir de façon volontariste le marché par une politique de prix et une offre attractives. C’est pourquoi, pour convaincre les clients récalcitrants, les constructeurs misent avant tout sur l’autonomie et le design, pari qui a réussi à Tesla devenu en 2018 premier constructeur d’automobiles électriques du monde. Plusieurs start-up chinoises en ont faire leur modèle, comme Byton ou Nio , et Tesla est en train de créer son usine à Shanghai. Le coréen Hyundai est en train de réussir à convaincre aussi bien la clientèle professionnelle que celles des particuliers avec son SUV Kona électrique particulièrement soigné et salué par les critiques. PSA a annoncé à Genève que tous ses nouveaux véhicules auront une déclinaison électrique. Volkswagen annonce plus de 20 modèles électriques en 2019, la gamme I.D, conçue autour de sa plate-forme électrique modulaire (MEB). Car outre le segment premium, très courtisé, c’est surtout par le développement d’une offre d’entrée et le moyen de gamme que l’électrification trouvera son public. Et c’est un segment très concurrentiel où le prix est déterminant. Or l’industrie chinoise est déjà très présente sur ce segment avec, par exemple, l’EC200, de la filiale électrique de BAIC, BJEC (Beijing Electric Vehicle Company), disponible pour 11 000 €, ou le petit SUV BYD Yuan EV 360. C’est une à refonte des gammes et aussi une ouverture à de nouveaux types de véhicules, plus légers, plus pratiques, moins polyvalents que devront se résoudre les constructeurs, entraînés à l’inverse depuis des années, notamment par les constructeurs allemands,  vers le poids, la vitesse et l’augmentation des consommations.

Donc, les constructeurs peuvent dissiper le scepticisme avec des véhicules bien conçus et abordables. Une fiscalité incitative et un parc de bornes de recharges suffisamment dense ( la norme d’un point de charge pour dix véhicules et couramment admise)  pour supprimer toute inquiétude de « panne sèche » complètent le paysage de l’électromobilité pour en faire une alternative non seulement crédible mais surtout compétitive. La décarbonation de la mobilité individuelle ne peut se faire que si elle est perçue comme utile et agréable, et non pas le fruit d’un volontarisme idéologique.

    Une fiscalité incitative

Pour compenser temporairement le surcoût des batteries dans les véhicules électriques, il a été admis, partout dans le monde, qu’une incitation fiscale était nécessaire. C’est le modèle qui a fait le succès de l’électrification en Norvège. Tous les autres pays y recourent, avec plus ou moins d’audace et de continuité. Mais on en connait les limites : plus le modèle fonctionne, plus il coûte cher à la collectivité qui, de plus pour des raisons d’équité, ne peut pas créer durablement un tel avantage pour une partie de la population. La seule solution de long terme est la baisse du coût des batteries, pari que le gouvernement chinois semble faire en annonçant la suppression de l’aide fiscale aux voitures électriques en 2022 et en reportant l’effort de la baisse des coûts vers la filière. C’est la seule solution raisonnable à long terme, même si cela oblige toute la filière a des efforts majeurs d’adaptation de son offre.

Par ailleurs l’électrification du parc va progressivement priver l’Etat, en France, d’une recette massive, la TICPE, la Taxe intérieure de consommation de produits énergétiques, qui représente un montant de l’ordre de 37 milliards répartis entre le budget général de l’Etat (45%) et les collectivités territoriales (33%)

    Les ruptures d’usage

Acheter, maintenir en condition, assurer et stationner une voiture va devenir obsolète dans les prochaines années. Posséder une voiture dimensionnée pour les quelques jours annuels où on a besoin d’un grand véhicule pour partir à plusieurs en vacances commence à poser question. Ce qui est désormais perçu comme rationnel, c’est d’obtenir le véhicule le mieux adapté à l’usage quand on en besoin et pendant ce temps-là seulement. Ce qui est une évidence pratique n’a pas été possible pendant des décennies. Et ce n’est pas un choix encore admis pour une grand partie de la population dans les pays au marché automobile mature. Mais le développement rapide des solutions comme Uber, Lyft, Didi, l’évolution des compagnies de taxi qui utilisent maintenant les mêmes outils numériques que les pionniers, la multiplication des moyens de transport comme le vélo électrique ou les trottinettes en libre-service, et la rénovation des transports publics, offrent aux citadins une palette de moyens de déplacement. Le fait de conduire seul, d’un point A à un point B,  est de plus ne plus perçu comme une activité intéressante et utilitaire pour un nombre croissant de conducteurs, notamment les jeunes. Pour les trajets les plus longs, le covoiturage a conquis toutes les couches de la population avec le succès de BlaBlaCar. Il reste à trouver des solutions pour les zones peu denses, notamment avec les navettes électriques à la demande.

Le sentiment de perdre son temps pour une activité coûteuse pose désormais à beaucoup la question cruciale de ne plus posséder de voiture, et aux jeunes de ne pas posséder de permis de conduire, dès lors que les solutions alternatives sont attractives et peu coûteuses.  On commence ainsi à parler de «car peak», point maximal de nombre de voitures qui serait proche aux Etats-Unis, où les jeunes de 16 ans ne sont plus que 26% à se bousculer pour obtenir leur permis de conduire, rite de passage incontournable il y a trente ans. Même en Chine, la demande de voitures est en baisse depuis le milieu de l’année 2018 et 550 millions de Chinois ont  réalisé en 2018 10 milliards de parcours avec l’opérateur Didi.

 

L'électricité peut conquérir la mobilité individuelle et les transports publics comme elle a réussi à le faire pour tous les autres usages de l'énergie industrielle. Mais c'est une rupture globale d modèle aux multiples conséquences qui ne peut venir que d'une vision planificatrice globale entre nous els acteurs européens pour retrouver une capacité d'investissement industriel, préserver les emplois et en inventer de nouveaux et rendre la mobilité souple et non polluante. C'est un immense chantier mobilisateur et enthousiasmant qu'il faut maîtriser avec une rigueur et un esprit collaboratif dont l'Europe n'a guère donné de manifestations récentes. C'est d'autant plus nécessaire de l'engager dans une totale transparence.


La voiture autonome face à ses responsabilités

Pour les conducteurs pris dans les embouteillages quotidiens de toutes les villes de la planète, conduire, loin d'être un plaisir, se transforme en corvée fatigante et dangereuse. Le rêve de confier cette charge à un automate se rapproche mais est encore loin de pouvoir se concrétiser facilement.

Le chemin à parcourir est d'abord technique, mais aussi réglementaire. Il est plus encore comportemental car la voiture touche au coeur même de la modernité. La circulation routière de plus d’un milliard de véhicules n’est pas une activité banale. Elle est encadrée par une convention internationale conclue à Vienne le 8 novembre 1968 qui remplace les textes antérieurs de 1926, 1943 et 1949. C’est un document central qui rend la circulation possible sur l’ensemble de la planète avec des règles communes. Son article 8 définit le rôle particulier du conducteur que la technique promet d’éloigner prochainement du volant.

La modification de cette convention sera un chantier est complexe car les recherches sur la voiture autonome mettent en évidence ce qui avait finalement été banalisé par plus d’un siècle d’usage, c’est que la conduite automobile est une activité multitâche exigeante, nécessitant le recours à de multiples mécanismes cérébraux et musculaires, stimulés en temps réel. L’homme, au terme d’un apprentissage initial souvent sommaire, finit par en venir à bout de façon assez performante même si c’est un processus coûteux en vies humaines. Selon l’OMS, c’est en effet plus d’un million de personnes qui meurent en effet chaque année dans un accident automobile sur la planète.

Confier cette mission périlleuse à une machine suppose que l’on soit capable d’obtenir en toutes circonstances, de façon fiable et répétitive, moins coûteuse en temps, en énergie et en erreurs un résultat performant supérieur à celui atteint par l’homme. Et ceci pour un coût acceptable !

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Au CES de Las Vegas 2018, présentation d'une approche de transformation de l'interface homme/machine par Valeo

La longue marche de la voiture autonome : quelle échéance crédible ?

L’ambition qui n’est pas nouvelle puisque dès 1939 General Motors avait imaginé pour la Foire internationale de New York, « The World of Tomorrow », des autoroutes où circuleraient des voitures dont la vitesse et l’espacement étaient régulés.

Depuis 1980, les expériences, isolées, ont stimulé la recherche et le fameux challenge du DARPA, agence de recherche du Ministère de la Défense des États-Unis, a mis en concurrence plusieurs équipes pour faire circuler, laborieusement, un véhicule autonome entre 2003 et 2007. C’est l’équipe gagnante du défi 2005, issue de Stanford, qui est à l’origine du projet de Google. Cependant, la ruée actuelle vers ce concept est apparue en sortie de la crise de 2009 comme une réponse de l’industrie automobile au besoin ressenti de renouvellement et d’imaginaire, incarné de façon dominante par l’industrie numérique. Quand Google a annoncé en 2010, de façon très prématurée, être capable de produire une voiture autonome, les constructeurs automobiles ont été piqués au vif. Il est paradoxal que, soudain, ceux qui exaltent le plaisir de conduire, qui à lui seul déclencherait le désir d’achat du véhicule, nous promettent d’en être prochainement débarrassé en confiant à une cohorte de robots le soin de s’acquitter de cette tâche.

Mais quelle est la finalité d’une voiture autonome ? Il est clair que le maillon faible de la conduite automobile, c’est l’homme : 90% des accidents automobiles sont dus à des facteurs humains. La motivation est noble : tendre vers le zéro accident et le zéro mort. Plus d’un million de personnes meurent dans un accident de la route sur la planète chaque année. Au CES 2018, les intervenants ne parlaient que des 35000 morts sur les routes américaines pour justifier la voiture autonome.

L’inattention, l’utilisation d’un téléphone ou d’un smartphone au volant, la surestimation de ses capacités poussant à des vitesses excessives, la fatigue, comme la drogue et l’alcool qui dégradent les réflexes sont les multiples causes humaines, souvent additives, à l’origine des accidents. Par ailleurs, les personnes âgées ou handicapées perçoivent leur impossibilité de conduire comme une aggravation de leur isolement. Mais on attend aussi de l’automatisation de la conduite des économies d’énergie, une réduction des embouteillages et un gain de temps considérable. On peut aussi imaginer que la voiture relaie et soulage le conducteur dans des situations fatigantes et sans intérêt, comme la conduite dans un embouteillage, les longs parcours sur route dégagée ou encore les manœuvres urbaines comme le stationnement. A plus long terme, il suffira d’une flotte limitée de voitures sans conducteur, roulant en permanence, pour assurer un service personnalisé à domicile. Les perspectives sont séduisantes et emballent le milieu automobile même si des voix prudentes, comme celle du responsable de la recherche de BMW, expliquent que la technologie est loin d’être en mesure de résoudre sans risque tous les problèmes de la conduite.

Une voiture autonome n’est qu’un robot aveugle et ignorant auquel on chercher à donner une intelligence contextuelle pour sentir, planifier et agir. Il faut donc apprendre à ces robots à prendre des décisions saines dans un contexte varié où les risques potentiels sont très différents. Une autoroute du Nevada n’est pas une petite route enneigée de l’Ardèche ni la place de l’Etoile. Comme il est impossible de modéliser a priori la diversité de situations possibles, on éduque les logiciels en leur faisant absorber le plus grand nombre possible de données et de règles de conduite. Le travail du conducteur est dans les voitures modernes assisté par de multiples copilotes prévenants. Or il faut infuser dans les ordinateurs de bord l’expertise du conducteur. C’est le pari de l’intelligence artificielle qui va permettre aux véhicules d’apprendre la complexité de la conduite par l’expérience. Ceci prendra donc des années et l’apparition de la voiture autonome sera graduelle, limitée à certains sites et cas d’usage.

Dans l’état actuel des connaissances, il n’est pas envisageable d’en imaginer un développement de masse avant au moins une décennie. Mais les véhicules commercialisés dans les prochaines années bénéficieront des retombées de ces recherches, apportant au conducteur une assistance à la conduite de plus en plus riche. Les constructeurs travaillent, pragmatiquement, sur un éventail de solutions qui vont instiller au sein du véhicule un nombre croissant d'outils de conduite assistée qui vont faire évoluer le confort et la sécurité d'utilisation des véhicules par les humains avant d'en confier, dans certains cas, la responsabilité à des outils automatique. On va passer du niveau 3 au niveau 5 par touches successives et la modernisation du parc automobile va permettre cette familiarisation.

Une réglementation complexe à faire évoluer

Mais le problème n’est pas que technique, il touche la responsabilité et donc la réglementation. Un changement majeur dans la réglementation mondiale Il est important de citer quelques extraits du texte de l’article 8 de la convention de Vienne.

1. Tout véhicule en mouvement ou tout ensemble de véhicules en mouvement doit avoir un conducteur.

3. Tout conducteur doit posséder les qualités physiques et psychiques nécessaires et être en état physique et mental de conduire.

4. Tout conducteur de véhicule à moteur doit avoir les connaissances et l'habileté nécessaires à la conduite du véhicule ; cette disposition ne fait pas obstacle, toutefois, à l'apprentissage de la conduite selon la législation nationale.

5.2 Tout conducteur doit constamment avoir le contrôle de son véhicule …/….

5bis. Les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite du véhicule sont réputés conformes au par. 5 du présent article et au premier paragraphe de l'art. 13 s'ils sont conformes aux prescriptions en matière de construction, de montage et d'utilisation énoncées dans les instruments juridiques internationaux relatifs aux véhicules à roues et aux équipements et pièces susceptibles d'être montés et/ou utilisés sur un véhicule à roues.

6. Les systèmes embarqués ayant une incidence sur la conduite d'un véhicule qui ne sont pas conformes aux prescriptions en matière de construction, de montage et d'utilisation susmentionnées sont réputés conformes .../...pour autant qu'ils puissent être neutralisés ou désactivés par  le conducteur.

7. Le conducteur d'un véhicule doit éviter toute activité autre que la conduite. La législation nationale devrait prescrire des règles sur l'utilisation des téléphones par les conducteurs de véhicules. En tout cas, la législation doit interdire l'utilisation par le conducteur d'un véhicule à moteur ou d'un cyclomoteur d'un téléphone tenu à la main lorsque le véhicule est en mouvement

Cette énumération contraignante éclaire le champ de la rupture qu’implique la mise sur le marché de véhicules autonomes. Il faut en effet détricoter cette réglementation qui supporte des textes d’application partout dans le monde. Le marché de l’automobile étant international, il faut pour vendre ces voitures, qu’elles puissent être utilisées partout. Plus encore, l’annexe 5 de la convention de 1968 définit les prescriptions techniques détaillées auxquelles doivent satisfaire les véhicules pour obtenir leur immatriculation.

C’est aussi un élément majeur de définition de la responsabilité, les autorités devant s’assurer que les règles nouvelles de conformité seront respectées par les constructeurs. C’est pourquoi ne circulent aujourd’hui dans le monde que des véhicules autonomes supervisés par des conducteurs humains, les États ayant délivré des autorisations provisoires de circulation. Il n’y a donc pas de « vraie » voiture autonome sur route ouverte. Toutefois des véhicules autonomes peuvent circuler sur des sites protégés, à petite vitesse, comme la navette Navya sur le site de la Défense ou à Lyon. La législation française -loi Badinter de 1985- prévoit l’indemnisation de la victime d’un accident impliquant un véhicule motorisé par l’assurance de ce véhicule. Mais se pose alors la question de la responsabilité : est-ce une défaillance du véhicule, du propriétaire, de l’occupant ? Or en droit actuel les machines ne peuvent être tenues pour responsables. Ce vide juridique implique de nombreux travaux regroupant juristes, compagnies d’assurance et autorités de réglementation et de certification.

La voiture autonome objet de toutes les attentions

Quelles sont les motivations qui explique cet engouement du gouvernement et de certains politiques et acteurs économiques pour la voiture autonome ? La rationalité de cette démarche n’est pas, a priori, évidente : la technique n’est pas au point, le coût inconnu, la demande ignorée et donc le modèle économique aléatoire. Mais l’automobile est le plus sophistiqué des marchés de masse. C’est une industrie capable de produire cent millions de véhicules par an qui génère un chiffre d’affaires et des dépenses récurrentes considérables. Ignorer que cette industrie puisse connaitre une révolution majeure sans en faire partie serait, pour les constructeurs comme pour les grands pays qui les abritent, suicidaire.

La motivation est bien d’abord d’embarquer dans une aventure humaine qui touche la vie au quotidien et a donc des conséquences environnementales, économiques et sociales considérables. C’est un changement majeur du modèle de mobilité qui ferait clairement de la voiture un composant d’un système collectif de transport. C’est de plus une transformation radicale du modèle d’affaires de l’industrie automobile qui passerait de la possession à l’usage, les voitures autonomes ayant vocation à être partagées car leurs capacités leur permettraient de circuler constamment.

C’est enfin un pari technique qui embarque constructeurs et les équipementiers de l’industrie automobile, mais aussi tous les acteurs de la filière numérique et de la recherche puisque le défi porte plus sur les logiciels que sur la technique automobile. Il est estimé qu’un véhicule autonome exploitera 4000 Gbits de données par jour, entre les caméras, radars, sonars, lidars, GPS dont il sera équipé.

Confier sa vie à des automates et des algorithmes impose le zéro défaut, donc une validation du code informatique et des modèles de décision comme la protection des données personnelles et la robustesse contre les cyberattaques. C’est la condition majeure de l’acceptabilité du véhicule autonome qui est la base de la démarche préconisée par Anne-Marie Idrac et qui implique du temps, de l’expérimentation et un travail coopératif entre tous les acteurs impliqués, dont l’État.


Genève 2018 : entre conformisme du marché et audace de l'image

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Renault Zoe, la star européenne des voitures électriques abordables, désormais dotée de 400 km d'autonomie

Genève est un salon automobile à part. Sur un des marchés les plus haut-de-gamme de la planète et sans constructeur national, c’est une enceinte où la compétition bat son plein à armes égales. Les halls d’exposition sont à taille humaine. On peut, en quelques heures, embrasser du regard la production mondiale et sentir les frémissements annonciateurs de changements. Les constructeurs y soignent particulièrement leurs stands et polissent leurs annonces en ce début d’année automobile qui pourrait annoncer quelques nuages après le sans faute de 2017.

Car le marché automobile, si friand de publicités et d’annonces spectaculaires, est un marché de raison, plutôt conservateur. La Suisse, pays à haut pouvoir d’achat, est aussi un de ceux dont le parc neuf émet, en moyenne, le plus de CO2, fortes puissances et SUV obligent.

C’est pourquoi la progression de la part des véhicules alternatifs au pétrole y représente un caractère emblématique au-delà du seul marché helvétique. En effet les émissions moyennes de CO2 des véhicules neufs se sont établies, en Suisse, à près de 134 grammes de CO2 par kilomètre en 2016, ce qui représente une baisse de 1,2% par rapport à l'année précédente (2015: 135 g/km) mais la plus faible baisse depuis 2006.

Les émissions moyennes de CO2 des véhicules à essence se sont situées, comme en 2015, à 136 g de CO2/km. Les émissions des véhicules diesel ont quant à elles baissé à 136 g de CO2/km (139 g/km en 2015). La part des véhicules électriques a engendré une diminution des émissions moyennes de plus de 2 g de CO2/km. La part des voitures de tourisme fonctionnant partiellement ou entièrement à l'électricité représentait 2% du parc de véhicules neufs en 2016 (1,9% en 2015). La part des véhicules diesel a légèrement progressé pour s'établir à 39,5%. La France, en 2016, enregistre un résultat largement plus positif avec seulement 110 g/km contre 176 g/km en 1995. Pendant 21 ans, la baisse des émissions des véhicules neufs vendus a été continue jusqu’en 2016, 2017 enregistrant une légère hausse pour passer à 111 g.

L’électrification du parc, une solution séduisante

Il est évident que la modernisation du parc et l’augmentation de la part des véhicules électriques sont une solution pour réduire massivement les émissions de CO2 et de polluants.  Le secteur des transports représente avec 27% la plus forte source d’émission de CO2 en Europe.

Selon une étude publiée en 2017 par le European Climate Foundation (ECF) il serait possible de réduire les émissions de CO2 des voitures d'ici à 2050, passant de 605 millions de tonnes en 2018 à 70 millions de tonnes en 2050 en adoptant massivement le véhicule électrique avec 71% de véhicules électriques à batteries et 26% de véhicules à piles à combustible.De même, les émissions d'oxydes d'azote (NOx) seraient considérablement réduites, passant de 1,3 million de tonnes par an actuellement à 70.000 tonnes. Quant aux émissions de particules fines, elles chuteraient de 28.000 à 750 tonnes par an.

La baisse du CO2 est une tendance de long terme. Depuis 1990, la circulation des véhicules français et étrangers sur le territoire français a augmenté de 43 % ; leurs émissions de CO 2 associées n’ont quant à elles crû que de 10 %.

Différents facteurs sont à l’origine de cette amélioration de l’efficacité́ énergétique. Ainsi, au niveau des voitures particulières immatriculées en France et en circulation, la baisse de leur consommation unitaire moyenne a été de plus de 22 % entre 1990 et 2016 sous l’effet d’une amélioration technique des véhicules et des mesures de politiques publiques décourageant les fortes cylindrées. D’autre part, la quantité́ de CO2  nécessaire pour le déplacement d’une tonne de marchandises sur un kilomètre par un véhicule industriel sur le territoire français a baissé́ de 29 % entre 1990 et 2016, malgré́ l’impact de la crise économique et financière qui a ralenti le renouvellement des flottes. Il y a donc un progrès de long terme qui doit néanmoins beaucoup à la diésélisation du marché. Or avec le Dieselgate et la prise de conscience que le seul critère CO2 ne suffisait pas à rendre l’automobile vertueuse, le reflux du diesel est très rapide ce qui a pour effet de remonter en moyenne le taux de CO2 du parc neuf ! Les constructeurs cherchent donc désespérément à baisser les émissions de CO2 tout en constatant une baisse brutale, mal anticipée, des ventes de leurs moteurs diesel. Même en Allemagne les moteurs diesel risquent bien de disparaître des centres villes, ce qui les condamne à terme.

Hybridation et électrification sont les seules solutions sur le papier car pour le moment les clients sont peu convaincus. La transformation est décidemment lente et complexe car on parle d’un marché de masse, travaillé depuis des décennies par un marketing qui a mis l’accent sur le plaisir de conduire et la performance et dont l’inertie du parc est fondée sur le fonctionnement du marché de l’occasion.

Le Salon de Genève 2018 s’inscrit dans une continuité

Les voitures électriques n’ont une part marginale dans les ventes mondiales. Il s’est vendu en 2017 1,223 million de voitures électriques à batteries et plug-ins rechargeables, dont 50% en Chine, sur une production mondiale 2017 de plus de 90 millions de véhicules. Dix ans après leur apparition, elles n’ont pas conquis un large public car la proposition de valeur qu’elles représentent n’est toujours pas claire pour les acquéreurs. D’une part, malgré les subventions, elles restent chères sauf quand les véhicules thermiques sont lourdement taxés comme en Norvège.  Le prix des batteries est le facteur déterminant et s’établit, mondialement, autour de 200 $ le kWh. On estime que pour déclencher un marché de masse il faudrait que ce prix tombe au-dessous de 100 $ le kWh, ce qui n’est pas attendu avant 2025, même si beaucoup d’annonces se font régulièrement sur de possibles ruptures techniques dans les batteries. Le passage industriel aux grands volumes reste problématique. De plus, leur autonomie reste un obstacle même si dans la vie quotidienne, les 250 à 300 kms d’autonomie réelle que proposent les derniers véhicules couvrent la quasi-totalité du spectre des besoins. Le rechargement apparait comme problématique, lent et difficile, même si partout les pouvoirs publics ont financé, sans espoir de retour rentable, une offre significative de bornes de recharge. Il y a ainsi en France, fin 2107, plus de 20000 bornes publiques et on estime à plus de 100000 les points de charge à domicile et sur les lieux de travail. Pour un parc roulant de 115 000 véhicules électriques, cet équipement semble raisonnable.

Si la crise de 2008 a brutalement cassé l’essor de l’industrie automobile mondiale, les espoirs d’une réflexion cohérente de l’ensemble des acteurs sur une utilisation raisonnée de l’automobile, que cette situation brutale a pu faire naître, se sont révélés vains. En effet les gouvernements ont continué à faire pression sur les constructeurs pour réduire les émissions de CO2, mais globalement l’usage de l’automobile n’a pas fondamentalement évolué. La conception des véhicules non plus. La puissance, et la vitesse de pointe restent des facteurs marketing majeurs. Sur une sélection des « cent véhicules de l’année 2017 » effectuée par l’hebdomadaire Auto plus, 53 voitures affichaient une puissance égale ou supérieure à 150 cv et une vitesse de pointe moyenne de 184 km/h. La réduction de la vitesse maximale de 10 km/h sur le réseau secondaire suscite ainsi en France une réaction virulente.

Globalement, les voitures sont plus puissantes, plus rapides et plus lourdes, dépassant 1500 kg. L’électrique ne représente que 1% du marché mondial et les hybrides 5%. En France en 2017 il s’est vendu 24904 voitures électriques, pour 20 modèles, sur un volume de ventes total de 2142704, soit 1,16% contre 1,08% en 2016. La seule Renault Zoe représente 61% des ventes. Ces chiffres ne progressent que très peu car l’offre reste marginale et peu soutenue par les réseaux. On voit plus de concepts cars que de véhicules attractifs pouvant déclencher une intention d’achat récurrente et générer un marché de l’occasion sain.

On peut dire que si les salons automobiles immédiatement post-crise laissaient une large part à la recherche de solutions alternatives, les salons de cette fin de décennie sont décevants car ils ne suscitent pas une offre à la fois utile et agréable.

L’offre présentée à Genève confirme l’orientation du marché

La voiture électrique inspire le haut de gamme élitiste. Que Porsche, avec sa Mission E, déclinée en break Cross, ou Jaguar, avec son SUV I-Pace présentent des voitures électriques ne changera pas l’état du marché. Ce sont des voitures d’exception surpuissantes, lourdes, avec une autonomie de 500 km, et très coûteuses. Volkswagen présente l’I.D. Vizzion, pour le moment un concept de voiture autonome de niveau 5 visant 650 km d’autonomie, annoncé pour 2025. Audi annonce également son grand SUV électrique, l’e-tron Quattro. La cible de ces marques est clairement Tesla qui avec son modèle 3 amorce une transition vers le marché de masse dès lors que les problèmes de production auront été maîtrisés.

Hyundai avec le SUV Kona vise des marchés plus larges avec des véhicules bien conçus, permettant une autonomie de l’ordre de 480 kilomètres selon le nouveau cycle de test WLTP. Ce véhicule devrait être vendu mi-2018. Mais la marque présente aussi la Nexo, un SUV à pile à combustible à hydrogène très abouti, de 800 km d’autonomie destiné à remplacer le ix35 Fuel Cell vendu à 1000 exemplaires dans le monde.

Toyota, pionnier de ces solutions, reste fidèle à son engagement dans l’hybride et l’hydrogène, mais annonce son engagement à produire aussi des véhicules électriques à batteries. Toyota rénove son modèle Auris et dévoile un Lexus SUV urbain, l’UX.

Plusieurs marques avancent des solutions hybrides rechargeables, plus rassurants pour le client en termes d’autonomie. C’est le cas de Mitsubishi qui annonce pour 2019 le rajeunissement de son modèle phare,  l’Outlander PHEV, vendu à plus de 100000 unités en Europe depuis 2013, à travers le concept e-Evolution. Skoda innove avec son concept Vision X, un SUV urbain hybride utilisant le gaz naturel

Mais à côté de ces véhicules plus vertueux, Genève exhibe les chevaux des traditionnelles BMW, Audi, Mercedes. PSA présente sa nouvelle berline haut de gamme 508, très riche en équipements électroniques. Les hypercars, dont les stands attirent toujours un public nourri, sont très présents avec une hypertrophie de chevaux. Lamborghini, McLaren avec sa Senna, Ferrari 4888 Pista, Bugatti Chiron rivalisent en performance et en prix.

Le marché automobile demeure conservateur. Clients et constructeurs bougent lentement malgré la pression constante des pouvoirs publics pour discipliner l’usage de l’automobile individuelle au profit d’une stratégie de mobilité multimodale. Cette partie de bras de fer, source d’incompréhensions et de frustrations, n’a pas de raison de cesser tant l’automobile reste pour la plupart un fort symbole de liberté individuelle au-delà de tout calcul économique et sociétal. La voiture électrique n’a pas encore conquis le cœur du marché et reste contestée tant pour son rapport coût/valeur que pour sa contribution réelle à l’environnement sur son cycle de vie complet. Mais si l’électrification a conquis en un siècle tous les marchés, sauf l’automobile, l’innovation du XXIe siècle sera sans nul doute un basculement technique de l’automobile vers l’électrique, l’omni-connectivité et l’autonomie que l’on peut imaginer à partir de 2030.


De la complexité, de l'échec et de la SNCF

Nous sommes dans un monde physique. Avec ses lois, ses contraintes, la masse, le temps, l'énergie, l'espace.  Tout s'y mesure. Mais nous avons inventé son double numérique. Et nous voulons que le jumeau physique du jumeau numérique se comporte sans défaut, sans délai. Nous mesurons chaque jour  que c'est une tâche immense, peut-être impossible.  Nous voulons que dans le monde physique tout fonctionne sans défaut, sans neige glissante les samedis de transhumance d'hiver, sans rats qui s'attaquent aux gaines des câbles électriques, sans gel qui fait éclater les canalisations, sans rivières qui débordent, gorgées  de pluie et entrainent des glissements de terrain. Nous sommes en colère parce que nous constatons que l'espérance de vie de la civilisation c'est en gros 24 h, la durée d'autonomie des batteries de nos téléphones portables. A Saint-Martin, un tempête nous a montré l'extrême vulnérabilité de la dimension physique du vaisseau spatial Terre. Et nous protestons contre cette terrible injustice, être menacés dans notre confort, dans notre survie même par le vent et l'eau.

Notre tentative rassurante de tout rationaliser, modéliser, construire de façon idéale se heurte aux adhérences de notre système industriel qui souffre d'être né il y a si longtemps que même le smartphone n'existait pas. Elle se heurte aux faiblesses de nos organisations, ballotée par les politiques, les dirigeants, les changements intempestifs de direction, les hésitations qui ont fait, par exemple, séparer la SNCF de son réseau physique pour ouvrir en 1997 la voie, au sens propre, de la concurrence. Et puis on s'est dit quand même que c'était pas si simple et on a refermé en 2015 cette parenthèse en réinventant un nouveau système artificiellement séparé en deux, le réseau physique et la circulation des trains, mais au sein d'une même entité juridique. Et tout ceci prend du temps, de l'argent, de l'attention. Pendant ce temps là, le temps poursuit son oeuvre corrosive. Et il faut réparer à marche forcée en faisant pression sur les hommes et les éléments, et les ressources... 

La SNCF c'est un réseau de 30000 km de rails, d'appareils de voie, d'outils de signalisation, de ballast et de caténaires. Du solide qui parfois casse. Défaut d'entretien dit-on. La réalité est complexe, l'homme démiurge veut la soumettre à son désir d'absolu. Le réseau, tout réseau, ce n'est pas une abstraction sur un bel écran. C'est vieux, compliqué, soumis à l'usure, au temps. L'aventure du rail a commencé en 1832 en France. Elle est essentielle pour nos territoire et notre prospérité. L'efficience du réseau, et sa sécurité sont des composants indissociables de notre vécu collectif. S'il est insupportable de laisser en rade les voyageurs du week-end, ce serait pire encore de prendre le risque d'un accident. 

Les pannes à la SNCF illustrent ce terrible conflit entre notre désir d'idéal épuré d'un monde lisse et sans incident et la réalité des cicatrices que le temps et la fatigue impriment sur les choses. Cette crise doit nous mettre en garde. Il y en aura d'autres. Tous les secteurs sont fragilisés par l'accroissement des attentes, l'impatience du résultat parfait dont nous sommes chacun porteurs. Aux effet plus graves, peut-être. Il est notre devoir de travailler pour éviter que cela survienne. Mais aussi de nous préparer à en minimiser l'impact. Il faut investir avec clairvoyance, renforcer les compétences, développer l'ingénierie car faire rouler des trains, mais aussi produire de l'électricté, des voitures , des soins, ce n'est pas du marketing, mais cela met en oeuvre une alliance subtile entre l'intelligence et la matière. Et dans la méthode il faut surtout  ne pas blâmer tous ceux qui font leur travail quotidien avec professionnalisme. Plutôt que des coupables, il faut chercher les causes et les remèdes. 

http://bfmbusiness.bfmtv.com/mediaplayer/video/sncf-a-quand-un-service-de-qualite-0412-1010179.html

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Le marché automobile évolue-t-il : le test des nouveautés 2017 ?

Il y a le discours officiel des constructeurs, la volonté des pouvoirs publics… et la réalité du terrain. Dans la presse économique, il n’est plus possible d’aborder la question du futur de l’automobile sans que soient détaillées les menaces qui pèsent sur ce produit emblématique du XXe siècle. Elles sont majeures. Car elles impliquent à court terme la réduction de l’espace qui lui sera consacré et le durcissement des conditions d’usage, surtout en ville. Plus radicalement, l’interdiction future des voitures à « gaz de pétrole » est inscrite dans la plupart des agendas politiques.

Pour autant, est-ce que ces nuages noirs influent sur l’offre disponible en concession, est-ce que le marché amorce une évolution sensible préparant ces échéances futures ? Qu’en pense la presse automobile, acteur majeur de l’opinion sur l’automobile ?

Ce passage de la vision stratégique à la réalité opérationnelle est au cœur de toute grande transformation. Comment mesurer cela ? Toute méthode ayant ses imperfections, il m’est difficile de prétendre que celle que j’ai choisie est la meilleure. J’ai simplement choisi un numéro d’un magazine[1] représentatif de la presse automobile, présentant un dossier « exceptionnel » sur 100 nouveautés à l’essai.

La lecture détaillée des fiches consacrées à ces essais et le traitement simple des données livre un panorama de l’offre de véhicules nouveaux de cette fin d’année 2017. Ce qui est intéressant c’est que les échéances dont parlent les maires des grandes villes et les ministres en charge de l’environnement dans les grands pays sont désormais inférieures à l’espérance de vie des modèles neufs qui seront vendus en 2018. Quand on évoque une interdiction en 2040, cela parait très loin. La réalité est qu’une bonne moitié des voitures en circulation sur la planète rouleront encore dans quinze ans. On a de sérieuses chances de retrouver encore en pleine forme sur les routes en 2032 les modèles illustrés dans ce panel de fin 2017. En effet, les voitures actuelles sont mieux conçues, mieux construites, sont plus fiables et roulent moins.

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L'extravagante Bugatti Chiron peut-elle encore faire rêver ?

Cet inventaire des nouveautés met aussi en évidence ce que les rédacteurs de ce journal ont envie de mettre en avant dans leur propre vision du monde automobile comme ce que les lecteurs ont envie de lire. Il est évident que les 1500 chevaux et 420 km/h de la Bugatti Chiron ont peu de chances de peser sur l’atteinte des objectifs de la COP 21. Néanmoins, le fait qu’elle puisse exister et que l’on fasse rêver avec ce type de véhicule est signifiant.

Livrons-nous à un décryptage de ce dossier.

Sur les 100 véhicules choisis par la rédaction, 53 affichent une puissance égale ou supérieure à 150 cv. Mais pour donner encore plus de place à la frugalité, 26 dépassent 250 cv. Cette hyper représentation d’une catégorie de véhicules qui représente quelques pourcents du marché traduit un attachement de la presse automobile à la voiture puissante et statutaire dont la performance reste théorique car personne ne peut utiliser ces chevaux sur la route. Elle démontre aussi que les constructeurs restent attachés pour des raisons de prestige à la conception de véhicules hors normes qui leur assure auprès d’un public traditionnel une image forte et, quand ils vendent ces véhicules, ce qui est marginal, de robustes marges. Le marché français est en effet beaucoup moins centré sur la gamme supérieure que la moyenne européenne : 7% contre 13% en Union Européenne. A l’inverse la gamme économique et inférieure représente 52% des ventes, contre 41% en Union Européenne, la gamme moyenne supérieure étant à 13% contre 18% pour la moyenne européenne. De fait la puissance moyenen des véhicules neufs vendus en France ets de 86 kW contre 95 en UE,  108 en Allemagne, 122 en Suisse et 102 en Grande-Bratagne.

Dns ce panel de cent véhicules figurent toutefois six voitures électriques et dix hybrides dont  4 rechargeables, de même qu’un véhicule au GPL.

Les véhicules diesel sont désormais minoritaires : 36 contre 44 modèles essence et 10 hybrides essence.  Toutefois ce sont des véhicules puissants puisque les petites cylindrées ne sont plus équipées de motorisation diesel en raison du coût et de la complexité du dispositif de traitement Euro 6. Ce panel amplifie la baisse réelle de part de marché des véhicules diesel observée en 2017 par rapport à 2016. Le diesel représente désormais, avec 47,6% des immatriculations des voitures particulières, moins de la moitié des ventes. Cette baisse est rapide.

Sur le plan des performances affichées, la vitesse reste le critère de sélectivité le plus courant. La vitesse de pointe annoncée – hors voitures à haute performance – s’établit en moyenne à 184 km/h sur ce panel. 40 voitures affichent même une vitesse de pointe supérieure à 200 km/h. La consommation moyenne annoncée est de 6,8 l/100 et 22 modèles affichent plus de 8 l/100. La sobriété et la discrétion ne sont pas les critères privilégiés, même pour les hybrides rechargeables souvent surpuissantes.

Il faut aussi noter que le poids des véhicules essayés est rarement en baisse et dépasse allégrement 1500 kg. La consommation et les émissions en pâtissent naturellement, mais n’apparaissent pas dans l’article comme une préoccupation. Au contraire, le poids est mis en avant comme argument pour critiquer le manque de puissance des moteurs.

Certes ce panel hétéroclite est arbitraire, mais résulte néanmoins de choix conscients. Il renvoie, dans un magazine de grande diffusion, à une image traditionnelle de l’automobile qui laisse une part essentielle à la puissance, à la vitesse et au statut. Mais l’émergence des véhicules hybrides et électriques traduit une inflexion significative. Absents il y 5 ans, ils sont l’avant-garde d’une mutation automobile qui s’installe sans hâte mais devrait connaitre d’ici 2020 une accélération majeure annoncée par les plans produit des constructeurs.  En 2016 en France les véhicules électriques ont représenté 1,1% du marché et les hybrides 2,9%, soit au total 80000 unités.

Iu-2Automatique, électrique, la navette Transdev

A l’heure de la COP 23, comme du Smart City Expo World Congress, qui s’est tenu mi-novembre à Barcelone, où l’on prépare un monde sans carbone, on peut déduire de cette analyse que les vieilles recettes ont la vie dure car la résistance du moteur à essence et des « belles mécaniques » est vive, même si une autre histoire commence timidement à s’écrire.

 

[1] N° du 3 novembre 2017 d’Auto Plus


L'impossible consensus... ou comment malgré tout y parvenir !

Chaque individu abrite plusieurs personnages aux intérêts contradictoires. Nous jouons chacun de ces rôles alternativement avec conviction. Et nous nous attendons à être chaque fois pleinement satisfait sinon nous sommes furieux et frustrés. Cette colère devient rapidement, quand on est français, révolte. Forcément légitime. Et bien sûr nous attendons de nos gouvernants qu’ils satisfassent chacun de nos personnages avec un zèle égal.

Comme « fournisseur de service », que ce service soit une prestation intellectuelle, ou une prestation technique ou physique, soit simplement des heures de notre liberté qui nous sont prélevées par un patron, nous attendons, et si besoin, revendiquons une juste rémunération de notre contribution.

Comme « client », nous attendons, voire nous exigeons, d’avoir une qualité irréprochable pour le prix le plus bas possible, ceci au pied de notre porte et sans délai.

Comme « épargnant », même modeste, nous voulons que le sacrifice de notre non-consommation de revenu soit, d’une part, sécurisé contre les aléas économiques, et d’autre part justement rémunéré pour en tirer un revenu additionnel. Nous sommes allergiques aux risques mais friands d’une confortable sécurité.

Comme « contribuable », nous considérons que chaque centime arraché à notre poche et à notre libre arbitre pour être confié à des mains inexpertes de fonctionnaire anonyme est une pure spoliation, l’objectif de chaque contribuable étant de payer le moins possible pour lui en faisant payer les autres.

Comme « citoyen », nous exigeons des routes en parfait état, des écoles qui fassent de chacun de nos enfants des génies, des hôpitaux qui guérissent de tous les maux, une police exemplaire, une armée moderne, bien équipée, efficace pour nous protéger, une « vraie » politique familiale, une retraite confortable. Et tout ceci évidemment pour un coût tendant vers zéro…

Il y a donc en chacun d’entre nous, tout à tour, une montagne d’exigences qui doivent être satisfaites par… les autres. Car nous sommes hélas entourés d’incapables. Les patrons qui ne trouvent pas les bonnes commandes au bon moment, les enseignants qui font des fautes d’orthographe et bien sûr les transmettent à nos gamins, les salariés-du-public-en-grève, les syndicats, et au cœur de tout cela, deux responsables majeurs : le CAC 40, entité aveugle et anonyme, et les banques, cupides et prédatrices. Je pourrais ajouter, mais ce serait certainement excessif, que parmi les incapables majeurs qui nous nuisent avec acharnement il y a les étrangers, uniquement quand ils nous concurrencent comme fournisseurs de services, pas quand ils contribuent au paiement des factures collectives comme contribuables, et surtout le grand Satan coupable de tout cela, l’Europe. Certaines raffinent le modèle et les campagnes électorale sont un festival de vœux pour éliminer tous les obstacles à notre bonheur de citoyen, de contribuable, de fournisseur, de consommateur et d’épargnant…

Regardons de plus près le fonctionnement de ce modèle. Le fournisseur de service, de son temps, de son travail, de ses compétences, veut être mieux rémunéré de son effort. C’est légitime. Mais vu de l’entreprise qui intègre cette contribution dans le prix de revient total du produit ou du service qu’elle va mettre sur le marché, la rémunération devient un coût. Si ce coût de production ne permet pas de vendre le produit plus cher, il deviendra trop cher aux yeux du consommateur qui veut lui limiter les coûts de ses acquisitions. Donc le consommateur qui cherche les prix les plus bas nuit à son voisin de palier fournisseur qui veut les revenus les plus hauts. Le contribuable qui veut réduire sa facture d’impôt en cherchant à dissimuler des revenus ou acheter sans taxe, au noir ou en contrebande, nuit au citoyen qui veut les meilleurs services publics. On estime à une soixantaine de milliards le coût de la fraude fiscale directe. Toute fraude, même mineure, est une atteinte au partage de la contribution collective aux services que l’Etat fournit aux citoyens. L’épargnant qui exige les taux d’intérêt les plus élevés nuit à l’investisseur qui va créer des activités et des emplois par le financement de biens productifs et qui a besoin de payer le moins cher possible les capitaux dont il a besoin. Nous devons bien comprendre que l’économie est un jeu à somme nulle, les gains des uns étant les coûts des autres. La croissance, l’ouverture internationale et l’inflation, déforment cette mécanique de redistribution en augmentant les opportunités car le cadre devient plus large et les flux plus importants. Cette vision implique une compréhension de la difficulté des arbitrages. Chacun de nous sait par expérience qu’une dépense va accroître notre satisfaction immédiate au détriment de notre épargne. Mais l’épargne peut nous offrir une satisfaction différée et donc aléatoire car le long terme est un pari. Il en est de même pour une collectivité nationale qui va préférer donner immédiatement satisfaction aux électeurs-citoyens par une augmentation d’une prestation de rentrée scolaire, par exemple, plutôt que d’investir pour le long terme sur le développement du haut débit mobile. Mais ce ne sont pas les mêmes décideurs, les mêmes mécanismes, les mêmes budgets et les mêmes effets induits. Les arbitrages personnels, comme les arbitrages collectifs, sont donc des choix difficiles qui ne peuvent garantir à chacun le même niveau de satisfaction. Par ailleurs tout ceci se déforme dans le temps !

Cet impossible consensus, qui pourrait mener à des tensions inacceptables, et se traduit périodiquement par des crises, nécessite pour être toutefois résolu que les acteurs économiques acceptent des compromis. La transparence, le débat, la négociation et le respect des arbitrages sont donc indispensables dans une économie complexe. Le marché y pourvoie, pour partie seulement car le signal prix, s'il fonctionne bien, ne suffit pas à résoudre tous les problèmes. C'est bien parce que le consommateur tend à remporter sur le producteur que l'on transfère la fabrication de sèche-linge de France en Pologne.

Le débat collectif, documenté, le vote fréquent sur des questions précises doivent être largement exploités pour rendre les arbitrages et leur conférer une autorité forte pour éviter la remise en cause systématique des décisions prises. Ainsi écrivait Condorcet en 1794 : « Ainsi, l’on n’osa plus partager les hommes en deux races différentes, dont l’une est destinée à gouverner, l’autre à obéir ; l’une à mentir, l’autre à être trompée ; on fut obligé de reconnaître que tous ont un droit égal de s’éclairer sur tous leurs intérêts, de connaître toutes les vérités, et qu’aucun des pouvoirs établis par eux sur eux-mêmes, ne peut avoir le droit de leur en cacher aucune. » Condorcet, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain.

Ce travail est encore loin d'être accompli. Il est pourtant la clef de la recherche de solutions collectives dont nous avons besoin pour continuer à progresser.


Drôle de campagne, vrais enjeux...

Beaucoup de scrutins, peu de débats de fond

Cette drôle de campagne électorale pour les vrais scrutins d’avril, mai et juin entretient un malaise qui dure depuis le démarrage  de cette  longue campagne pré-présidentielle qui nous a valu déjà quatre scrutins. Tout se passe comme si l’opinion, oubliant les enjeux réels, usée par ces débats, et ces scrutins dont on peut aujourd’hui douter de l’utilité, se laissait aller, apathique, assommée face aux scandales qui offrent une dramaturgie renouvelée à chaque instant. Par ailleurs, tétanisée par l’improbable show quotidien qu’offre Trump, qui démontre que tout est possible et tout est à craindre d’une machine politique devenue folle, l’opinion se met sérieusement à s’inquiéter sur l’issue opérationnelle du scrutin. Car même si ce théâtre peut passionner par ses rebondissements, nul n’ignore que pendant les travaux les ventes doivent continuer. Avec les primaires et la mise en place de la nouvelle équipe de l’exécutif, c’est plus d’une année d’incertitude que le pays s’offre.

Malgré cet état d’apesanteur et ces manœuvres dilatoires qui retardent le moment où le débat va devoir finalement se dérouler pour dessiner le futur des cinq prochaines années, il va bien falloir travailler, réfléchir et in fine décider. Or le temps presse car même si le pouvoir du Président de la République est beaucoup moins large que ne laissent entendre les candidats, il occupe une place essentielle dans le jeu politique de la Ve République.

Pour prendre le temps de la réflexion, ce qui est toujours difficile quand on vit les événements en temps réel, il faut se rappeler que nous sommes dans un régime mixte, présidentiel et parlementaire. Les décisions qui sont prises impliquent une forme de consensus entre des deux pouvoirs également issus du suffrage universel. La plupart des décisions de gestion sont du ressort du gouvernement, responsable devant l’Assemblée, comme l’ont démontré les cohabitations toujours possible même si l’alignement des calendriers des élections présidentielle et législative a pour but de les éviter. Parfois la cohabitation se déroule au sein du même camp. Si l’affrontement  présidentiel surmédiatisé agite les esprits depuis des mois par sa dramaturgie, il n’est qu’une pièce d’un système plus large qui va également nous occuper en juin 2017 et bien au-delà….

Ces précisions nous incitent à mieux comprendre que si les enjeux électoraux sont décisifs, ils ne sont pas exclusifs car la vie économique et sociale d’un pays ne dépend que pour partie des choix politiques. Les déterminants socio-techniques jouent un rôle beaucoup plus important car ils fixent des limites et ouvrent des opportunités aux intentions des gouvernants en dépassant le cadre territorial et temporel de l’action publique. Toutefois les dirigeants surestiment de façon récurrente leur capacité à comprendre ces mécanismes systémiques complexes et à intervenir pour infléchir le jeu des facteurs. Ils ont tous le sentiment que le volontarisme, martelé avec plus ou moins de vigueur, pourra faire revenir les fleuves à leur source. Ceci serait facilité par un « retour » aux frontières nationales, la souveraineté nationale étant proposée à l’opinion comme le cadre magique de la résolution de la plupart de nos problèmes. 

Pour la première fois dans un tel scrutin, la question du protectionnisme est en effet au cœur du débat. Une majorité de candidats en fait un axe central de leurs propositions. Cette audace dans un pays qui depuis la fin de la seconde guerre mondiale a fait de son ancrage dans une Europe économique, puis politique, l’invariant de sa stratégie internationale, surprend car l’opinion semble s’accoutumer d’une idée qui tourne résolument le dos a une culture qui a marqué plusieurs générations.

L'ancrage international de la France

Les attendus du Traité de Paris de 1951 créant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, en 1951, ont en effet ouvert la voie à un effort continu et ambitieux  de coopération en Europe. L’Europe a été conçue à la fin de la seconde guerre comme l’outil indispensable de la paix et de la prospérité. La France a ainsi  toujours été motrice dans le processus d’élargissement de l’Union Européenne,  mais également sur le plan mondial avec une adhésion sans réserve à l’Organisation Mondiale du Commerce.

« CONSIDÉRANT que la paix mondiale ne peut être sauvegardée que par des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent;

CONVAINCUS que la contribution qu'une Europe organisée et vívante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques;

CONSCIENTS que l'Europe ne se construira que par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait, et par l'établissement de bases communes de développement économique;

SOUCIEUX de concourir par l'expansion de leurs productions fondamentales au relèvement du niveau de vie et au progrès des oeuvres de paix;

RÉSOLUS à substituer aux rivalités séculaires une fusion de leurs intérêts essentiels, à fonder par l'instauration d'une communauté économique les premières assises d'une commumaulé plus large et plus profonde entre des peuples longtemps opposés par des divisions sanglantes, et à jeter les bases d'institutions capables d'orienter un destin désormais partagé »

Si ces principes forts ne font plus aujourd’hui l’unanimité, ils n'ont toutefois pas perdu leur sens et leur actualité. L’Europe comme construction volontariste a été mal comprise et mal aimée des peuples.  Les bénéfices de cette coopération apparaissent insuffisants au regard des contraintes que des gouvernants peu courageux ont fait porter sur une Europe qualifiée de désincarnée, et donc jugée bureaucratique. Or ce n’est pas la Commission qui gouverne l’Europe, mais le Conseil de l’Union européenne, composé des chefs de gouvernement des Etats que rassemble l’Europe. La complexité des institutions européennes, le manque de soutien populaire à cette construction difficile à appréhender et mal expliquée ont rendu l’idée européenne peu porteuse au cours des dernières années, même si le Parlement européen, élu au suffrage universel, apporte une indéniable dimension de transparence et de démocratie. Mais à 28 membres, la cohérence et la lisibilité de l’action sont difficiles à valoriser. Est-ce que face à la Chine, aux Etats-Unis, à la Russie, la France seule peut aborder la complexité systémique d'un monde multiple mais confronté aux mêmes problèmes : menaces climatiques, raréfaction des ressources naturelles, fragilisation des océans, dégradation de la biodiversité, migrations non désirées ? Les Etats sont trop grands pour les petits problèmes, mais certainement trop petits pour las grands problèmes. Le moment est-il bien bien choisi pour détricoter l'oeuvre de la construction européenne, certes incomplète et imparfaite, mais qui constitue un cadre de résolution de problèmes existant, démocratique et améliorable. 

Le sentiment de déclassement nourrit la colère 

Mais c’est surtout la crise de 2009 et la transformation rapide des équilibres économiques du monde avec l’émergence de la Chine et de l’Asie qui ont conduit plusieurs courants politiques à développer dans les pays matures l’idée que la mondialisation était la cause des problèmes rencontrés dans ces nations qui, ayant été à l’origine du développement économique mondial, souffraient de voir leur leadership contesté et leur économie ralentie. Cette montée d’un désir de protection contre la concurrence mondiale, jugée déloyale, s’est incarnée dans le vote de sortie du Royaume Uni de l’Union européenne et dans l’élection de Donal Trump aux Etats-Unis.  Les peuples frappés par la remise en cause de leur environnement professionnel et social se sentent abandonnés, trahis par leurs dirigeants qui eux s'en sortent bien. 

Friches
Le discours d’investiture de Donald Trump présente une théorisation de ce mouvement. Une analyse intéressante du Guardian de ce discours met bien en évidence qu’il s’agit d’une déclaration de guerre contre les compromis conduits depuis des décennies par la classe dirigeante américaine dans le concert mondial. C’est une promesse de redressement national fondé sur le retour au protectionnisme et une vision sans nuance et sans précaution du "America first" au profit des classes moyennes et populaires qui auraient été victimes de la mondialisation... Analyse sommaire, discours sans nuance, tout ceci est nouveau dans l'histoire contemporaine car, malgré ce volontarisme cinglant, les Etats-Unis restent une démocratie avec des contre-pouvoirs, comme les premiers mois du mandat de Trump le démontrent,  et doivent respecter les engagements internationaux. Il reste que cette vision repose sur une analyse aussi limpide que celle des populistes européens : le peuple a été trahi par la classe dirigeante qui s'est enrichie par la mondialisation, alors qu'elle transformait un pays prospère en champ de ruines industrielles et de dégénération morale. Le diagnostic est sans précaution, les réponses sont simples : droits de douane élevés, arrêt total de l'immigration, préférence nationale en matière d'emplois et d'investissements. Cette vision prend le contrepied exact de cinquante années de croissance et de relations internationales.

Aujourd'hui nul ne peut dire si cette rupture majeure voulue en 2016 aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, qui ont avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher initié la vague de libéralisation économique des années quatre-vingt, va ouvrir une nouvelle page de l’histoire économique mondiale. Il est certain que ces positions ouvrent le débat sur les limites de la libéralisation de l’économie mondiale et sur les conditions de la transformation technique et sociale des économies matures. Mais on ne tue pas une idée, car c'est trop coûteux, on l'améliore ! 

Et pendant ce temps-là, rien n'arrête la révolution numérique 

Car indépendamment de l’émergence cette culture protectionniste, d’année en année se dessine, de façon systémique, un monde où le numérique revisite chaque secteur, chaque métier, chaque processus. Le numérique se joue des frontières. Sur toute la planète, ce sont des milliards d'humains de tous âges qui utilisent le téléphone mobile, désormais "intelligent", et accèdent aux savoirs et services du web.Il ne s’agit pas de louer candidement une « digitalisation » à tout crin de la société pilotée par quelques entreprises si habiles, qu’elles pourraient en devenir cyniques, mais d'en comprendre les ressorts, les enjeux, les risques. L'iconomie, ce n’est pas chanter les louanges d’une disruption ravageuse, mais chercher à construire une société plus efficiente dans la gestion des ressources naturelles et plus ambitieuse dans le respect des hommes et la stimulation de leurs infinies compétences cognitives. 

Robots

Pour y parvenir nous allons, comme les générations précédentes, exploiter la science et la technique, mais plus vite et à plus grande échelle puisqu’il s’agit de notre planète Terre et plus seulement de l'Occident ou de la Chine. Tout ce que nous voyons chaque année au CES de Las Vegas, de l’hygiène bucco-dentaire à la voiture autonome, des exo-squelettes pour handicapés aux imprimantes 3D pour fabriquer des voitures,  aux jeux pour apprendre à construire et programmer des robots dès le plus jeune âge fait sens par rapport à une perspective historique globale : l’amélioration de nos compétences et de notre discernement. Lucidement, en mesurant les conséquences et en trouvant des parades aux problèmes potentiels, nous pouvons construire un monde meilleur où le progrès retrouvera tout son sens : vivre mieux, plus longtemps et en bonne santé, rendre le travail stimulant et non épuisant grâce à la coopération avec les robots, se déplacer en toute sécurité avec des véhicules autonomes, anticiper  les tensions sur les ressources et le climat grâce au big data, apprendre toujours et encore pour donner à chaque habitant de la terre ses chances dans le respect le plus total et sans discrimination avec le concours de l’intelligence artificielle.

Transférer à des machines et à des logiciels des tâches pénibles et peu valorisantes est plutôt une bonne nouvelle. Mais ce sont des humains qui vont, au moins temporairement,  perdre ces emplois et ces revenus, et on ne peut contempler ce phénomène ne se croisant les bras. Ce tarissement progressif d'une source d'emploi faiblement qualifiés impose une réflexion lucide et des mesures d'accompagnement de long terme.

C'est un chantier complexe qui ne peut que se développer dans un esprit de co-construction pragmatique visant l’intérêt général, c’est à dire la prospérité et la sécurité.  Peut-on le faire isolément ? Peut-on le faire à partir d'une lecture partisane, idéologique, du monde et du progrès ? La France seule a-t-elle la taille critique pour concevoir et mettre en œuvre la politique nécessaire pour embrasser ces problèmes ?

De toute évidence, non… L'exercice de la souveraineté n'exclut pas la recherche de solutions mutualisées au niveau régional face aux grands ensembles qui sont constitués sur la planète. Il faut rechercher inlassablement le bon niveau d'exercice de cette orchestration dont nous avons besoin pour éviter que le destin des nations et des peuples soit décidé par les nouveaux maîtres de la technologie. 


CES, amplificateur de la révolution numérique

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La transformation numérique est la plus récente étape de la révolution cognitive de l’homme. Elle diffère des étapes précédentes par son caractère à la fois global et rapide. Elle concerne la planète toute entière, et se développe de façon exponentielle depuis la démocratisation de l’internet avec le web en 1995. Jamais dans son histoire l’humanité n’avait accumulé autant de potentiel technique et d’information pour transformer son environnement et ses connaissances. Et les progrès que nous avons accomplis en dix ans dans la maîtrise de chacun des composants techniques - processeurs, réseaux, logiciels - sont stupéfiants.

Le CES révèle la dualité de la révolution numérique. L’industrie informatique ne cesse de gagner en puissance et de se concentrer, quelques acteurs majeurs ayant la maîtrise de l’infrastructure technique qui constitue le socle indispensable de la performance. Simultanément, viennent se greffer sur ce socle une multitude de solutions, parfois marginales ou éphémères, issues de centaines de milliers d’entrepreneurs et d’innovateurs répartis sur toute la planète. De cette effervescence créative, brouillonne et spontanée, émergeront des pratiques et des usages qui contribueront à tisser les mailles d’un nouvel environnement socio-technique. Les formes de ce nouvel environnement émergent progressivement de ce double mouvement de transformation technique et de création d’opportunités. Elles sont encore floues, certaines pistes ne se concrétiseront pas comme nous l’avons vu pour la promesse avortée de la généralisation de l’image 3D ou de la transformation du système de production par la multiplication des imprimantes 3D. Elles prendront certainement des formes imprévisibles et une ampleur encore insoupçonnable. L’intérêt du CES est de nous plonger dans ce mouvement puissant de tectonique des plaques techniques et d’usages et de permettre sinon des prévisions fiables, tout au moins des analyses des vecteurs de force en présence.

La transformation continue des pratiques sociales

Chacun peut observer dans son environnement immédiat, au travail, dans la vie quotidienne, la transformation effective des pratiques courantes. Avec l’irruption du smartphone, on sait désormais, avec ce seul outil, prendre des décisions informées et contextuelles pour organiser son temps, ses itinéraires, l’usage des moyens de transport, ses relations personnelles et professionnelles. On sait choisir, comparer, acheter, payer. On peut améliorer sa forme physique, gérer la température de son domicile, surveiller ses enfants à distance, piloter sa consommation d’énergie. Et tout ceci sans délai, de n’importe quel point, à n’importe quelle heure.… Quand à chaque nouvelle version de smartphone, la presse boude en trouvant qu’il n’y a plus d’innovations, on a tout simplement oublié qu’avec cet outil, et son environnement technique de logiciels, de réseaux, de géolocalisation, de capteurs, tout a déjà profondément changé. Et si le marché ralentit, les chiffres font encore rêver avec environ 1,6 milliard de ventes en 2016.

L’innovation se porte massivement dans l’industrie qui a su rapidement apprendre à acclimater robots et capteurs, drones et imprimantes 3D, pour repenser les processus industriels dans un souci d’optimisation énergétique et de meilleure gestion des ressources naturelles. L’homme y trouve  sa place dans une coopération nouvelle homme/machines qui appelle de nouvelles compétences. La continuité numérique permet de gérer simultanément plusieurs niveaux d'implication personnelle et donc d'augmenter sa capacité d'interaction avec l'environnement. C'est certainement au prix d'effets secondaires, comme un risque de superficialité, une forme de distraction, ou encore de stress. Tout ceci commence à faire l'objet d'études scientifiques, mais force est de reconnaître que chacun d'entre nous a su apprendre à évoluer dans ce nouveau monde sans difficulté et sans douleur.

L’innovation, ce n’est plus une percée isolée d’un nouvel usage, d’un nouveau produit, c’est une avancée systémique qui englobe une multitude de nouvelles pratiques et de nouveaux services, tellement intégrés dans la vie sociale qu’ils sont immédiatement métabolisés.

Le CES de Las Vegas, dans les premiers jours de janvier chaque année, est avant tout un lieu d’observation de cette nouvelle réalité numérique, qu'il faut analyser à travers la visite des stands, écouter comme au spectacle lors des keynote et des conférences, humer lors des échanges entre participants. Plus exactement, il ne faudrait pas parler de "réalité numérique" mais d'"amplification numérique de la réalité". Car le numérique ne se substitue pas au monde réel, il y ajoute une couche de simplification et de mise en cohérence qui rend plus faciles les décisions les plus triviales comme les plus complexes. Mais nous vivons dans le réel. Notre rythme de vie est scandé par des activités réelles et notre rythme biologique. Jusqu‘alors, l’informatique était bien éloignée des considérations quotidiennes des terriens. Bien sûr, l’informatique est déjà présente depuis des décennies dans les grandes organisations, et imprime sa marque sur toutes les transactions. Mais c’est une action invisible souterraine, pilotée par d’autres. Ce n’est vraiment que depuis le début du web que l’on peut toucher chaque jour un objet informatique, produit et application, qui va nous aider à accomplir une tâche, à régler un problème, par nos propres moyens, sans investissement coûteux en ressources, en temps et en compétences.

L’ère numérique décrit cette situation nouvelle dans laquelle se multiplient les situations personnelles et professionnelles où l’utilisation d’un objet, généralement connecté au réseau internet, et doté de programmes quasiment gratuits et faciles à utiliser, va s’insérer dans notre vie pour nous aider de façon continue à accomplir des tâches. On observe depuis dix ans au CES l’amplification de ce phénomène dans trois directions:

  • le nombre d’objets connectés, couvrant un nombre croissant de cas d’usage, augmente
  • ces objets ne se contentent plus d’interagir de façon unitaire avec l’homme, mais coopèrent pour apporter un service qui recouvre plusieurs types d’interactions spécifiques
  • cette coopération laisse de plus en plus de place à l’utilisation des outils de l’intelligence artificielle pour affiner le service rendu de façon prédictive et contextuelle

Au-delà des fausses bonnes vraies idées qui foisonnent avec des start-up souvent éphémères, il y a plusieurs courants de fond qui, de fait, vont changer la manière dont nous vivons et dont la société est organisée. Robots, intelligence artificielle auto-apprenante ("machine learning"), traitements informatiques et stockages de données déportés dans des serveurs distants ("cloud"), déploiement de réseaux à bas coût pour les objets connectés, déploiement de la 5G à haut débit, tout ceci compose la couche technique qui permet d'inventer des services peu coûteux et facilement déployables. Les progrès fulgurants du matériel et du logiciel permettent de constituer aujourd'hui de nouvelles plateformes qui offrent un niveau de service aux intégrateurs que deviennent les constructeurs automobiles, les transporteurs, les institutions de santé, les opérateurs de voyage. Evidemment ce niveau de service élevé s'appuie sur la maîtrise fine d'une information personnalisée et géolocalisée, dont l'usage ouvre également des champs d'intrusion dans nos vies à un niveau jamais imaginé. Il y a donc un défi nouveau pour les législateurs : trouver le juste niveau d'équilibre entre les bénéfices fournis et le niveau de risque. Au CES, il y a encore beaucoup d'innovations et de transformations, parfois subtiles d’année en année, de l’écosystème mais aucune ne revêt de caractère spectaculaire. Désormais c'est la cohérence systémique qui va devenir révolutionnaire, tous les outils étant mis à profit simultanément pour délivrer un service efficient et utile. La technique doit servir l'homme, pour de grands projets comme pour la vie quotidienne. C'est moins spectaculaire mais plus profond. La question du sens de l’innovation technique, l’impact sur la transformation de l’emploi, le problème du traitement des données personnelles sont des sujets qui ont été abordés de façon directe pendant les conférences du CES 2017 avec une certaine gravité. La prise de conscience auprès des acteurs engagés dans cette révolution de son caractère anthropologique, avec des conséquences majeures sur la vie de hommes, est récente. C’est un fait important de ce CES 2017 qui replace l’innovation dans un contexte beaucoup plus large de l’intérêt de la technique pour les humains.

La France est désormais très présente

La France peut s'enorgueillir d'une forte présence au CES 2017 dans tous les secteurs. Le CES n’a longtemps été qu’une manifestation commerciale américaine. Depuis plusieurs années, les entreprises chinoises ont étendu leur présence passant du statut discret de fournisseurs de composants et d’assembleurs aux premières places désormais occupées par des entreprises de stature mondiale, comme Huawei ou Baidu, ou des acteurs majeurs en Chine mais encore faiblement implantés sur les grands marchés mondiaux comme Hisense ou Haier. Si l’influence japonaise s’étiole, avec la disparition de Sharp, les difficultés de Sony, Panasonic est encore largement présent notamment grâce à son partenariat avec Tesla dans les batteries. Les grands firmes coréennes LG et Samsung rivalisent en créativité pour faire de leurs stands au CES un brillant démonstrateur de leur savoir-faire dans tous les segments du marché.

Il faut se féliciter de la forte présence française en 2017. Car si les start-up sont actives, le tissu économique régional très présent, on peut rencontrer dans des stands plus grands et établis au cœur des grandes marques une première génération d'ETI qui ont fait leurs débuts au CES il y a quelques années, comme Netatmo, Sculpteo ou Withings, des éditeurs comme Dassault Systems, des services publics comme La Poste, des énergéticiens (EDF, Engie) des entreprises historiques comme Valeo, Air Liquide ou Somfy et Terraillon. Loin d'être une opération vitrine, la présence française au CES, il y a encore quelques années marginale, illustre un savoir-faire systémique qu'il faut valoriser et développer.

Plus que jamais il faut être tiré par ce futur entrepreneurial et innovant plutôt que poussé par un passé nostalgique. C’est la leçon pour la France d’un CES 2017 où la créativité est imprégnée de gravité face aux responsabilités des acteurs sociaux dans un monde qui se révèle avec ses multiples opportunités brillantes mais aussi fait émerger de nouvelles vulnérabilités..


La voiture autonome, utopie ou nouvelle frontière de l'automobile ?

Conservatrice, établie, ancienne, l’industrie automobile subit comme tous les secteurs économiques les pressions de la dynamique des firmes qui organisent la société numérique. Désormais vieille industrie, elle doit, pour garder son statut d’industrie majeure démontrer qu’elle est capable de renouvellement en assurant la fusion de ses compétences propres avec celles issues du monde informatique et numérique. C’est un enjeu d’image, pour continuer à attirer l’attention du public, notamment jeune, sur le produit automobile, et attirer les ingénieurs les plus innovants. L’innovation technique répond à cet impératif dans un monde d’ingénieurs qui ne peut accepter d’être détrôné. Mais dans le monde actuel, ce sont les entreprises numériques qui incarnent cette dynamique. Google, Apple, Amazon et beaucoup d’autres attirent l’intérêt collectif, les clients, les talents, les capitaux. Lorsque Google a annoncé être en mesure de réaliser une voiture autonome, en se présentant comme un concurrent potentiel, l’orgueil de l’industrie automobile a été atteint ce qui a entraîné une réaction unanime des constructeurs classiques.

Aussi, 2014 a vu soudain apparaître dans le paysage automobile une nouvelle tendance technologique : la voiture sans conducteur. Il n’est pas de constructeurs qui n’aient annoncé, dans une surprenante surenchère, qu’ils allaient mettre « prochainement » sur le marché une voiture qui pourrait rouler sans que son conducteur ne se préoccupe de cette tâche désormais futile, conduire. Volvo, Daimler, Nissan, Ford, General Motors, Audi, BMW, Tesla se sont tous risqué à annoncer des dates probables de commercialisation, d’ici 5 à 10 ans, de ces véhicules autonomes ou semi-autonomes sans toutefois préciser l’ampleur du service rendu. Des partenariats inattendus se font jour comme Volvo et Uber.

Le projet n’est pas nouveau. On en trouve des prémices dans les visons futuristes des constructeurs dès les années 1950. Cependant, la ruée actuelle vers ce concept est apparue comme une réponse aux ambitions de Google des constructeurs automobiles établis qui prétendait pouvoir mettre sur le marché non seulement une voiture sans conducteur, mais aussi sans poste de conduite. Il est d’ailleurs bien curieux que, soudain, ceux qui exaltent et embellissent ce fameux plaisir de conduire, qui à lui seul déclencherait le désir d’achat du véhicule, nous promettent d’en être prochainement débarrassé en confiant à un automate le soin de s’acquitter de cette tâche.

Il faut toutefois questionner sérieusement l’intérêt de cette technologie en dépassant la fascination qu’elle inspire. Car après la valse des annonces, la réalité s’impose.

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Vue de la voiture autonome en 1956 (article de l'Association Québécoise des Transports, juin 2015)


Les voitures sont désormais très bien équipées en automatismes multiples qui assistent le conducteur dans sa tâche qui, dans les conditions réelles de circulation, est à la fois complexe et fastidieuse, mais aussi fatigante et dangereuse. Il n’y a que dans les publicités que l’on voit une voiture filer sur une route dégagée et sèche, sans aucun trafic. La réalité quotidienne de la route est bien éloignée de ces images du « plaisir de conduire » qui demeurent obstinément à la base du marketing de tous les constructeurs. Les glissements sémantiques des slogans, soigneusement calibrés, marquant l’identité de marque des constructeurs sont signifiants. Renault qui s’était illustré avec un slogan fédérateur des usages, « Des voitures à vivre » renvoyant à un univers familial, puis hésité entre « Créateur d’automobile » et « Changeons de vie, changeons l’automobile », a adopté en 2015 un slogan qui introduit clairement la passion et certainement une forme d’individualisme : « Passion for life ».

Les constructeurs ont tiré depuis longtemps profit des avancées de l’électronique pour équiper leurs véhicules d’outils d’aide à la conduite. De multiples capteurs et actionneurs ont été intégrés depuis l’apparition de l’antiblocage des roues au freinage, l’ABS, en 1978, pour aider à la conduite ou se substituer au conducteur en cas d’urgence. De fait, d’ores et déjà, une voiture moderne va prendre des décisions pour maintenir sa trajectoire avec l’ESP (Electronic Stability Program), assurer une vitesse constante avec le régulateur, améliorer l’adhérence en cas de pluie ou de neige, amplifier le freinage en cas d’urgence, avertir d’un franchissement de ligne ou de dépassement d’une vitesse autorisée, tout en pourvoyant le conducteur de multiples informations sur son itinéraire. La dernière Mercedes Classe S comprend une centaine de micro-processeurs pour s’acquitter de ces multiples tâches. Ces assistances ne se substituent pas au conducteur, même si elles corrigent, à la marge, ses décisions inappropriées.

En fait, le débat sur la voiture sans conducteur est parti de la volonté initiale de Google de valoriser la suprématie de son système de cartographie, élément fondamental d’un système de conduite autonome qui nécessite une précision de l’ordre du centimètre. Les constructeurs ont réagi en montrant qu’en équipant une voiture de capteurs, radars, scanners laser, outils de géolocalisation et servomoteurs, ils étaient également potentiellement en mesure de se passer du conducteur. Et on a vu ainsi quelques dirigeants se montrer au poste de pilotage de ces véhicules expérimentaux mais sans toucher le volant resté bien classique, position assez curieuse et très peu naturelle qui montre bien que le concept est encore plaqué sur des véhicules conventionnels… Plus encore, pour riposter à Google, les constructeurs automobiles ont décidé de se doter d’un accès direct aux technologies de cartographie de pointe. C’est pourquoi Daimler, BMW et Audi ont ensemble racheté en 2015 à Nokia sa filiale Here, l’ex-Navteq, pour 2,8 milliards €.

Est-ce utile ? Est-ce faisable ?

Il est clair que le maillon faible de la conduite automobile, c’est l’homme : 90% des accidents automobiles sont dus à des facteurs humains. L’inattention, l’utilisation d’un téléphone au volant, la surestimation de ses capacités poussant à des vitesses excessives, la fatigue, comme la drogue et l’alcool qui dégradent les réflexes sont les multiples causes humaines, souvent additives, à l’origine des accidents. Plus d’1,3 millions de personnes dans le monde, selon l’OMS, perdent la vie dans un accident de la route chaque année. Par ailleurs, les personnes âgées ou handicapées perçoivent leur impossibilité de conduire comme une aggravation de leur isolement.

Dès lors mettre au volant un ordinateur doté de capacités sensorielles puissantes et dépourvu des limites biologiques de l’homme est tentant. La motivation est noble : tendre vers le zéro accident et le zéro mort. On attend aussi de l’automatisation de la conduite des économies d’énergie, une réduction des embouteillages, un gain de temps considérable. On peut aussi imaginer que la voiture relaie et soulage le conducteur dans des situations fatigantes et sans intérêt, comme la conduite dans un embouteillage, les longs parcours sur route dégagée ou encore les manœuvres urbaines comme le stationnement. Mais pour atteindre ces résultats il faudrait que la machine elle-même soit exempte de failles, tant dans la conception que dans la gestion des décisions. Confier sa vie à des automates et des algorithmes impose le zéro défaut.

Soulignons d’abord qu’un nouveau vocabulaire est nécessaire pour rendre compte de cette nouvelle avancée technique. On ne devrait pas parler de « voiture autonome » mais de voiture à « délégation de conduite ». Une normalisation de ces niveaux de délégation de conduite a été élaborée. Ce terme de délégation de conduite à des ordinateurs, permet en effet de couvrir une large gamme de situations. Conduire un véhicule sur un parcours varié est une tâche complexe. Une voiture à conduite automatique qui se subsisterait aux véhicules actuels devrait remplir les missions polyvalentes d’un conducteur. Les obstacles sont multiples : emprunter un itinéraire varié, sur des routes hétérogènes, en milieu urbain dense ou en rase campagne, faire face aux aléas du trafic, aux comportements imprévisibles des piétons et autres usagers et aux conditions météorologiques, aux changements de la configuration de la route, en cas de travaux par exemple... Cette compétence du conducteur, ce serait aux ordinateurs du véhicule de l’assurer en s’appuyant sur les informations stockées et sur celles acquises en temps réel par dialogue avec les autres véhicules et les infrastructures au sol.

C’est là où le pari devient plus compliqué. S’il est relativement facile de faire rouler sans solliciter le conducteur une voiture sur autoroute dégagée, il faut que le véhicule soit en mesure d’atteindre une telle route par ses propres moyens et s’en dégager. Il faut donc définir à quel moment l’automatisme rend la main au conducteur s’il ne peut assurer en pleine sécurité une conduite en milieux variés. Il faut donc que le conducteur soit en permanence en situation de vigilance et que l’interface automatisme/humain soit parfaitement fiable. Même avec des pilotes expérimentés, et dans un espace dégagé, les pilotes automatiques des avions sont parfois sources de confusion aux conséquences fatales.

 La conduite automobile est en effet une tâche humaine complexe de plus en plus automatisée. Le travail du conducteur est assisté par de multiples copilotes prévenants. Ces outils vont de l’assistance à la tenue de trajectoire et au freinage, fonctions désormais largement déployées sur les véhicules neufs, à l’assistance au stationnement, à la régulation de vitesses liée au trafic et ultimement à la prise de contrôle totale dans les embouteillages. Ces assistances sont graduellement installées dans les véhicules de dernière génération, chaque nouveau modèle étant l’occasion de compléter l’équipement vers la prise en charge de fonctions nouvelles. Mercedes s’est fait une spécialité de ces équipements, aussi divers que coûteux, et sa Mercedes Classe S constitue un laboratoire roulant, et onéreux, de tous ces outils. Mais les véhicules de moyen de gamme ont aussi, parfois en dotation de base, des équipements qui auraient fait rêver il y a encore cinq ans. Il faut bien admettre que cette course en avant technologique ne fait pas mieux vendre les voitures et n’est plus entre constructeurs un élément suffisamment différenciant. C’est devenu un élément de confort et de sécurité auquel les automobilistes s’habituent et ne souhaitent pas payer.

Où en est la délégation de conduite totale ? Une expérimentation onéreuse.

Pour le moment la délégation de conduite totale, qui fait de la voiture un véhicule réellement autonome à qui il s’agit d’indiquer la destination, n’est qu’un rêve. Les voitures sont soumises à des conditions de fonctionnement bien plus difficiles que les avions, dont les conditions d’usage sont plus simples à modéliser et à programmer. Pour atteindre une telle fiabilité il faut multiplier les capteurs, les processeurs de traitement faisant appel à des algorithmes complexes et à l’intelligence artificielle («machine learning »), les automatismes pour se prémunir de la défaillance d’un composant ou d’un programme. Un tel équipement complexe ne peut qu’être très coûteux. Ainsi un laser 3D, ou lidar, coûte encore 50 000 € pièce. Chaque prototype de la Google Car est équipé de machines représentant plus de 100 000 $. Comment prévoir toutes les situations auxquelles un conducteur pourrait être confronté ?

ll faut donc revenir à une réalité opérationnelle qui ne fera certainement pas rêver mais qui a plus de chances de se concrétiser rapidement. Toyota prône une approche pragmatique et graduelle qui parle de voiture autonome, par couches successives d’avancées techniques, mais non sans conducteur. L’humain, pour Toyota, doit en effet rester en permanence en situation de contrôle. Cette piste est la plus vraisemblable. Les constructeurs vont "simplement" même si le travail est déjà considérable étendre progressivement le champ des automatismes déjà installés, en commençant par le très haut de gamme pour financer le coût de ces installations. Car un des aspects sous-estimés de la voiture autonome est son modèle d’affaire. Comment justifier un tel surcoût par véhicule, même si on peut penser que les progrès de l’électronique embarquée et des logiciels permettront d’en abaisser le coût ?

L’émergence d’un marché de véhicules professionnels ?

Il n’y a vraisemblablement que dans les usages professionnels que ces équipements pourront se justifier dans les prochaines années. Le projet CityMobil2, financé par l’Union Européenne, a permis de tester cinq expérimentations de transport urbain autonome (ARTS : Automated Road Transport Systems) entre 2014 et 2016. Ces expériences ont permis de valider positivement le concept auprès des usagers en termes de confort, service et sécurité, sans enthousiasme particulier, et de tester leur sensibilité par rapport aux voitures autonomes. On voit en 2016 se multiplier ce type d’expériences dans des environnements variés. Il s’agit généralement de navette de passagers autonome adaptée aux espaces sous contrôle comme les aéroports, les ports, les parcs d’attraction ou d’exposition. L’expérience menée par Keolis avec la firme française Navya porte ainsi sur deux navettes de 15 passagers sur une distance linéaire de 1,3 km à 20 km/h dans le quartier lyonnais de Confluence. Ces véhicules coûtent 200 000 €.

Il faut également suivre les travaux d’Uber pour valider un modèle de conduite automatique hautement sécurisée qui permettrait de fournir le service sans devoir gérer les chauffeurs. Ce n’est pas une expérience anodine car Uber emploie dans le monde un million de chauffeurs. Quelques SUV Volvo XC90 ont été équipés pour tester le service dans les rues de Pittsburg, avec toutefois un chauffeur à bord pour des raisons de sécurité et d’acclimatation des usagers. Il est prévu que la flotte comporte dès fin 2016 cent véhicules, ceci dans le cadre d’un plan d’investissement de 300 millions $ copiloté par Volvo et Uber pour commercialiser des voitures autonomes en 2021. Mais si on estime que le coût total d’un chauffeur Uber en France ne dépasse pas 60 000 € par an, il faudrait que le coût supplémentaire d’un véhicule autonome soit significativement intérieur pour prendre ce risque commercial. L’expérience de taxis autonomes de Singapour qui a démarré mi-2016, porte sur un test plus modeste de véhicules électriques rendus autonomes par une start-up, nuTonomy, spécialisée en robotique et intelligence artificielle. Il s’agit de six Renault Zoe et Mitusbishi i-MIEV qui opèrent à partir d’emplacements précis dans un quartier d’affaires de 200 hectares. Ces voitures ont toutefois un chauffeur prêt à prendre les commandes. L’objectif de la start-up est de réduire le nombre de voitures circulant à Singapour de 900 000 à 300 000.

Les véhicules lourds comme les engins de manutention, en site propre, et les poids lourds profiteront certainement de l’avancée de ces techniques.

Carlos Ghosn, parmi d’autres dirigeants, s’est risqué à annoncer en 2016 un plan précis en trois étapes pour Renault et Nissan: conduite automatique dans les bouchons en 2016, conduite automatique sur autoroute en 2018 et conduite en ville en 2020. La conduite automatisée en toutes circonstances ne pourrait être imaginée qu’à partir de 2025. Dans le concert des effets d’annonce que ne va pas manquer de susciter le Mondial de l’automobile de Paris il va être intéressant de distinguer les constructeurs sur le caractère réaliste sur le plan économique de leurs projets de voitures à délégation de conduiteLa voiture autonome, nouvelle frontière de l'automobile ? 

Ce texte est tiré d'une étude Fondapol-Sia Partners qui va paraître fin septembre 2016 sur les enjeux politiques du véhicule électrique


Uberisation, menace ou opportunité ?

« Uberisation », du nom désormais célèbre de la start-up née en Californie il n'y a que quatre ans, en 2012, "UberCab", est devenu en quelques mois un nom commun. C'est un privilège que les grandes marques mettent des décennies à acquérir. or le treme Uber et ses déclinaisons sont devenus sur toute la planète à la fois le symbole des vertus du web et un repoussoir absolu pour l’économie traditionnelle. Cette polarisation extrême des opinions illustre parfaitement  l’ampleur des bouleversements induits par Internet et le web. rappelons qu'entre quatre ans Uber s'est déjà installé dans 66 pays et 500 villes.

Uber dégage Uber-980x420Deux visions du monde s'affrontent

Nés seulement  à la fin du XXe siècle dans la sphère des usages domestiques,  l’infrastructure internet et les services du web ont bousculé le monde des entreprises qui ne considérait pas cette innovation grand public comme pertinente pour le monde professionnel. Douze ans après les premières apparitions du web, c’est l’iPhone qui allait en 2007 provoquer une nouvelle vague de mutations. En permettant l’accès mobile à toute l’information, en exploitant à large échelle le potentiel de la géolocalisation,  le smartphone mettait fin au règne de « l’informatique assise » qui servait de base à toutes les pratiques sociales de l’organisation du travail. Le traitement de l’information et de la connaissance, en situation de mobilité, casse les frontières et remet en cause les processus. En bousculant le temps et le lieu de travail, l’informatique nomade donne à celui qui est proche du terrain le moyen d’agir et d’interagir avec son environnement.

L’ubérisation, le rêve d’un marché efficace

Loin d’être achevée, cette révolution se traduit par une désintermédiation massive des métiers. Quand on peut trouver à travers une plateforme informatique agréable la solution à son problème, on ne cherche plus à utiliser les processus traditionnels, guichets, téléphone, intermédiaires obligés et coûteux. L’utilisateur va au plus simple et au plus agréable. Cette « ubérisation », redoutée par toutes les entreprises, est à l’œuvre partout au grand bénéfice du client, qui trouve dans ces outils le moyen de se libérer des carcans des processus bureaucratisés et de la mauvaise humeur des intermédiaires. A travers une interface ergonomique, il peut trouver, en toute transparence et sans stress, le meilleur outil de transport, le meilleur billet d’avion, le meilleur rapport coût/valeur pour un produit, le restaurant ou l’hébergement le mieux adapté à ses besoins, la référence de la pièce détachée qui lui manque.  La désintermédiation à travers une plate-forme répond à un vieux rêve : être capable de prendre lucidement la meilleure décision en temps réel et de façon contextuelle. La technologie le permet, les utilisateurs l’ont adopté.

L'agilité, plus qu'un outil, une culture

La généralisation de ce modèle et de ses dérivés nourries par l’évolution technique  est le moteur du changement que nous allons continuer à vivre dans le futur. Il sera graduel, continu, et va toucher tous les actes professionnels comme privés. L’informatique,  quittant le champ de l’industrialisation des processus répétitifs, est en marche pour conquérir tous les espaces de la conception, de la production, de la diffusion.  L’action se nourrit de l’information et de la connaissance, du rationnel comme des émotions. C’est la mise en relation, continue et riche, qui va donner à la décision, à tous les niveaux de l’organisation, une densité et une robustesse renforçant l’efficacité collective dès le niveau le plus fin, c’est à dire chaque personne.  

 Ce modèle d’organisation est agile et réduit la complexité pour s’adapter plus rapidement à un environnement changeant. L’agilité est une vision du travail basée sur l’idée de changement permanent, itératif et incrémental, où le produit final, matériel ou immatériel, doit pouvoir évoluer en s’adaptant au désir du client et aux conditions du marché. L’entreprise agile privilégie des cycles de développement courts, développe ses produits par itérations en fonction, en priorisant les évolutions identifiées,  se confronte très tôt au feedback du marché et des clients. Au besoin, elle peut « pivoter », c’est à dire changer radicalement son produit ou son business model si le marché l’exige. L’entreprise agile se nourrit de collaborations extérieures et remet en cause constamment, et sans drame, son modèle d’organisation. S’appuyant sur le réseau maillé collaboratif, l’entreprise agile est infiniment « scalable », c’est à dire qu’elle s’adapte au contexte sans délai ni rupture.

Revitaliser le sens du travail

Dans ce modèle, qui  n’a pas vocation à être marginal car il peut couvrir l’essentiel des activités, la personne est revenue au centre. Ceci peut apparaître comme scandaleux pour beucoup de tenants d'une économie plus stable et prédictive, plus administrée, telle qu'ils ont le sentiment de l'avoir vécue au cours des dernières décennies. Mais c'était une économie de rarété gérée au seul profit des productuers. Dans la mouvance du web, produire ou consommer ne sont plus des exercices frustrants imposés par d’autres, mais le moyen d’exprimer ses compétences, son talent, ses envies dans un cadre à la fois solide et fluide. Les tenants de l’économie conventionnelle peuvent se lamenter sur les conditions de travail des chauffeurs Uber, mais eux-mêmes considèrent que conduire une voiture et rendre des services est moins déshonorant que le chômage et génère un niveau de revenus satisfaisant dans un cadre plus libre que le salariat traditionnel. Uber affirme créer 20000 emplois dans le monde chaque mois.

Or pour beaucoup de gens aujorud'hui, ce n’est pas le travail qui pose problème mais la façon dont il s’exerce. La persistance de modèles autoritaires, inefficaces, prive beaucoup de collaborateurs du plaisir de la coopération, et alimente les dégâts du stress au travail. Uber n'est certes pas un modèle paradisiaque d'organisation du travail et de la gestion des compétences. Mais en existe-t-il vraiment ? Est-ce que le modèle de protection historique auquel est attaché nombre de salariés, en France, garantit, dans un monde qui bouge et avec une technologie qui ne cesse de rebattre les cartes, l'épanouissement, le développement des compétences, le sens de l'initiative et de l'innovation. La rigidté engendre la crise. Les exemples d'entreprises indestructibles qui ont fini par sombrer le démontrent.

Innover en matière de travail, c’est produire du sens et développer sans cesse la compréhension, le respect, la confiance et la formation, seuls moteurs de l’adhésion. Le numérique oblige à repenser le fonctionnement de  l’entreprise comme un réseau ouvert sur l’extérieur et non plus comme une pyramide fermée. L’ouverture, la flexibilité, la prise d’initiatives, la collaboration spontanée, ne constituent pas des propriétés que l’on trouve à l’état naturel dans les entreprises. Il faut les fabriquer. C’est un travail de remise en cause des acquis. Réinventer les parcours de travail au cours de la vie à l’ère du numérique implique de multiples changements dans notre compréhension du travail contemporain, dans les organisations et la culture managériale mais aussi dans l’affirmation de sa responsabilité individuelle dans le développement de son parcours professionnel. L’ubérisation n’est pas seulement un risque, c’est une opportunité pour la plupart des entreprises de se remettre en cause en relevant leur niveau d’exigence qualitative et leur capacité d’innovation pour séduire et fidéliser aussi bien les clients que les collaborateurs.