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Résilience

En ces temps d'instantanéité des réactions, et des colères, sur les réseaux sociaux, continuer à entretenir cette forme qui passe pour surannée qu'est le blog peut apparaitre comme un attachement suspect au passé et je sens les "Ok blogger" naitre avec une (affectueuse) ironie.

Et pourtant, écrire sur un support unique et stable permet de consigner des idées et de comprendre mieux l'évolution, je pense, que des capsules éphémères.

Commencé, sans plan, en septembre 2005, ce blog comprend aujourd'hui 367 notes et enregistre plus de 302 000 pages vues, soit au cours de ses 18 ans d'existence,  46,8 pages vues par jour !  La plupart de mes amis m'ont déconseillé à l'époque où j'étais DSI de Renault d'écrire publiquement ce que je pensais de l'évolution des technologies. Je ne le regrette pas. Avec une moyenne de 8 000 caractères par texte, ce sont donc 2,9 millions de caractères, soit une dizaine de livres ! Mais sur cette période, il y a eu également une dizaine de livres et de brochures Fondapol.

LIvres JPC

Merci aux lecteurs de soutenir l'intérêt de ce travail. Continuons !

 

 


Le Diesel Gate, un scandale qui ne s'éteint pasl

 

Cartels automobiles : ces scandales que l’industrie allemande ne parvient plus à étouffer

Volkswagen a reconnu en 2015 avoir équipé 11 millions de ses véhicules diesel de moteurs truqués afin de les rendre moins polluants lors de tests en laboratoire. Lors du procès, Rupert Stadler a plaidé coupable dans l'affaire du Dieselgate.

Atlantico : Le « diesel gate » a eu des effets dévastateurs sur l'image de qualité et de rigueur de l'industrie automobile allemande . Mais comment s'est soldée cette affaire révélée en 2015 alors que l'ancien patron d'Audi, Rupert Stadler, a plaidé coupable ce mardi devant le tribunal de Munich ? Quelles en sont les conséquences réelles ?

Jean-Pierre Corniou : L’industrie automobile allemande aimerait bien oublier ce sombre épisode de son histoire quand fut révélé aux Etats-Unis en 2014 l’utilisation massive d’un subterfuge pour dissimuler les émissions réelles de NOx de ses véhicules diesel. Lorsqu’en

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Avec Jean-Pierre Corniou

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2015 le Président du groupe Volkswagen dut reconnaitre que son groupe avait exploité un logiciel qui optimisait temporairement les émissions du moteur quand le véhicule était soumis à un essai, le Diesel gate éclatait et entrainant des conséquences majeures pour le groupe Volkswagen mais aussi pour toute l’industrie qui se relevait de la crise de 2008.

C’est aux Etats-Unis que cette fraude fut mise à jour par un organisme indépendant, l’ICCT, The International Council of Clean Transportation en mai 2014.

A la suite de la publication de cette étude mettant en cause des écarts significatifs de mesure d’émission entre les essais réels et les données livrées par Volkswagen pour son moteur diesel 2 litres, les agences gouvernementales de Californie et l’Agence fédérale de protection de l’environnement demandent au constructeur d’expliquer ces écarts. La stratégie de défense du groupe Volkswagen est confuse et peu convaincante et conduit l’EPA à menacer de ne pas homologuer les modèles du groupe Volkswagen, ce qui alerte bien entendu l’état-major du groupe. Jusqu’en juillet 2015, le groupe, conscient du caractère frauduleux de l’utilisation d’un logiciel truqueur sur les véhicules vendus aux Etats-Unis, persiste dans des réponses dilatoires et ce n’est que le 3 septembre 2015 que le responsable du développement moteur avoue l’existence de ce logiciel. Le scandale est dévoilé par les Etats-Unis lors du Salon de Francfort le 18 septembre 2015 et on apprend en novembre que les moteurs trois litres du groupe font l’objet de la même fraude. Martin Winterkorn, le puissant président du Groupe Volkswagen, est poussé à la démission par ce scandale fin septembre 2015.

A la suite de ces révélations, les gouvernements lancent des enquêtes judicaires qui vont conduire plusieurs dirigeants en prison et condamner le groupe à des lourdes amendes pour avoir livré onze millions de véhicules non conformes dans le monde. En marge du dossier des logiciels truqueurs, les constructeurs allemands ont également été poursuivis par l’Union Européenne pour s’être concertés pendant cinq ans sur la gestion en commun, et a minima, des dispositifs de dépollution des NOx. C’est 502 millions d’amendes que Volkswagen a dû payer en 2021, BMW devant payer 373 millions et Mercedes, bien qu’impliqué, étant exonéré pour avoir dénoncé cette entente illicite.

Après la COVID, qui a plongé l’industrie dans une nouvelle crise en 2020, on pensait cette affaire réglée, toute l’industrie étant désormais tournée vers l’électrification rapide de ses gammes de véhicules. Toutefois, la justice est venue réactiver le dossier avec l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 21 mars 2023 qui considère que tout acheteur d’un véhicule utilisant ce logiciel a droit à réparation de la part de son constructeur. Outre Volkswagen, plusieurs constructeurs ont également été mis en examen en 2021 comme Renault, Peugeot, Citroën et Fiat. Le groupe Volkswagen a déjà dû payer 30 milliards d’euros, essentiellement aux Etats-Unis. Mais les actions se multiplient 8 ans après le démarrage de l’affaire. Une action collective a été lancée en France en février 2023 pour les véhicules d’entreprises des marques Renault, Stellantis et Volkswagen. Elle pourrait concerner 3,6 millions de véhicules pour une indemnisation estimée à 3 000 € par véhicule

Or cet organisme à l’origine du scandale, l’ICCT, vient de publier le 22 mars 2023 les résultats d’études exhaustives démontrant que 8 ans après la découverte de cette fraude, la plupart des

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véhicules diesel Euro 5 circulant en Europe continuent d’émettre du Nox au-delà des normes. Cet organisme estime que 19 millions de véhicules dépassent les normes, dont 13 présentent des émissions dangereuses. Cette aventure du diesel européen, naguère présenté comme une solution, se poursuit en devenant un problème sérieux sans solution immédiate.

Les réticences de l'industrie allemande à renoncer au moteur thermique ont conduit à un intense lobbying qui a fait finalement céder la Commission, très partiellement néanmoins puisque les carburant liquides décarbonés ont été admis dans des conditions très strictes. Peut-on considérer que les affaires sont en quelque sorte liées ?

L’industrie automobile européenne a été la seule à miser à grande échelle sur la technologie diesel pour réduire les émissions de CO 2 . Elle a pensé que son investissement

considérable sur ces moteurs lui donnerait une avance suffisante qui lui permettrait de ne pas être contrainte de changer totalement de technologie pour faire face à une réglementation internationale de plus en plus contraignante sur les émissions de CO2 et de Nox. Ce pari industriel sur une seule technologie était osé mais pouvait se comprendre car les investissements mis en en œuvre sur le diesel ont été considérables. Le Diesel Gate a rapidement déconsidéré la technologie diesel, habilement présentée par les constructeurs comme vertueuse car le moteur diesel, consommant moins, émet effectivement environ 20% de moins de CO2. Mais l’usage du diesel produit des gaz toxiques qu’il est difficile et coûteux d’éliminer, les oxydes d’azote. Malgré les efforts des constructeurs, comme PSA, pour démontrer que les moteurs diesel de dernière génération étaient particulièrement efficaces pour éliminer les NOx, le public n’a pas suivi et très vite la part du diesel dans les ventes de véhicules neufs a décru. Les constructeurs eux-mêmes y ont renoncé pour des motifs de coût sur les plus petites cylindrées. Les voitures diesel sont ainsi tombées de 78% des ventes en 2007 à 48% en 2017, puis 21% des ventes en 2021 et 15,6 % en 2022 pour descendre encore à 11% sur les quatre premiers mois de 2023. C’est un changement radical du paysage automobile.

Selon les dernières données publiées par l’ACEA - Association des Constructeurs Automobiles Européens - la flotte de véhicules en circulation en Europe (UE + UK + Suisse, Norvège, Islande) en 2021 est de 294 millions de voitures particulières contre 276 millions en 2017, soit une hausse de 6,5% malgré l’impact de la crise COVID sur le marché automobile. Il faut aussi intégrer dans ce parc 35 millions de véhicules commerciaux et 7 millions de poids lourds. Ce parc européen est composé de 42% de véhicules diesel, les véhicules commerciaux étant, quant à eux, à 91% diesel. Compte tenu de l’espérance de vie de ces véhicules, l’électrification représente un chantier considérable qui va prendre plusieurs décennies.

Pour garder sa suprématie mondiale sur le haut de gamme tout en se pliant aux contraintes de la décarbonation, quelles sont les voies possibles pour l'industrie automobile allemande ?

Dès les années soixante-dix, l’industrie automobile allemande par sa stratégie de montée en gamme a fait oublier la culture de la Coccinelle de l’après-guerre au profit de berlines puissantes, statutaires et hautement rémunératrices dont elle est devenue la spécialiste,

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détrônant définitivement les voitures américaines et anglaises. Avec ses marques emblématiques telles que Mercedes, Porsche, BMW, puis Audi, elle s’est imposée par le luxe et la puissance de ses motorisations. Elle a également obtenu, par un intense lobby auprès du gouvernement allemand, que l’Allemagne soit le seul pays au monde refusant les limites de vitesse sur une portion significative de son réseau autoroutier en prônant une auto-limitation à 250 km/h de ses véhicules.

Avec le rachat de Rolls Royce en 1998 par BMW et de Bentley par le groupe Volkswagen, elle a triomphé en s’appropriant ses deux concurrents les plus prestigieux après une bataille interne qui a été conclue par un partage des dépouilles de vaincus.

Mais appuyée sur la robustesse de son prestige et des situations acquises sur les marchés les plus rémunérateurs, l’industrie automobile allemande a négligé trop longtemps les conséquences du passage à l’électrification de l’automobile sur lequel misait l’industrie chinoise et un nouveau venu ambitieux, Tesla. De leader elle est devenue challenger. Les codes du luxe en sont bouleversés car pour les clients fortunés et les voitures de haut de gamme des flottes d’entreprise, le choix s’est subitement ouvert.

La première riposte des constructeurs allemands a consisté à équiper leurs véhicules de moteurs hybrides rechargeables qui, nominalement, font baisser les émissions de CO2 en affichant des chiffres flatteurs selon la norme WLTP. L’expérience démontre toutefois que pour y parvenir réellement, il faut avoir la discipline de recharger régulièrement les batteries pour privilégier l’utilisation du moteur électrique. Mais pour les véhicules de flotte, cette discipline est rarement démontrée ; de fait une voiture hybride rechargeable en mode essence ne présente aucun intérêt et pèse plus lourd qu’un véhicule simplement essence. L’Institut Fraunhofer a démontré en juillet 2022 que les consommations réelles des hybrides rechargeables éraient trois fois supérieures aux données publiées par les constructeurs et cinq fois supérieures pour les véhicules de fonction. De fait, les gouvernements tendent à réduire, voire supprimer, les aides fiscales sur ces véhicules, qui feront l’objet de normes plus strictes en 2025. En Allemagne, le marché des hybrides rechargeables, non subventionné,

a chuté de 45% au premier trimestre 2023. En Chine les hybrides rechargeables restent subventionnées, et la demande est en croissance, mais les véhicules chinois sont préférés aux véhicules allemands, leur part étant tombée de 34% à 7% au premier trimestre 2023.

Il faut donc évidemment développer des véhicules entièrement électriques qui offrent les mêmes prestations de confort et de luxe, mais imposent une maitrise parfaite des batteries et des moteurs qui n’était pas dans le cœur de métier de ces motoristes thermiques au sommet de leur art.

Le groupe Volkswagen, piqué au vif par le Diesel Gate, a été le premier à engager une offensive massive de réorientation de ses gammes vers l’électrique, s’appuyant notamment sur sa connaissance du marché chinois. Mercedes s’est engagé plus tard avec sa gamme EQ comme BMW, pionnier avec l’i3 lancée en 2013, qui propose désormais sa gamme complète de berlines électriques. Toutefois les constructeurs allemands n’ont pas réussi à convaincre les consommateurs chinois des vertus de leurs véhicules hybrides rechargeables, et, ce qui est

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plus grave pour le longe terme, de leurs véhicules électriques ; les constructeurs chinois qui ont parié sur cette technologie et y démontrent un savoir-faire remarquable – pour 20 000 €, la berline BYD Qin Plus dispose de 120 km d’autonomie en hybride électrique contre 60 km pour le modèle équivalent de VW - dominent leur marché domestique. Volkswagen est ainsi passé de 17% du marché chinois des hybrides rechargeable en 2021 à 2,8% en 2023.

Enfin, il faut souligner que refusant d’abandonner le moteur thermique à carburant liquide, quelques constructeurs, comme Porsche et Ferrari s’accrochent à une alternative à base de carburants de synthèse modernes ne rentrant pas en concurrence avec les productions agricoles, le e-fuel, qui est un carburant de synthèse produit par combinaison de l'hydrogène, issu de l'électrolyse de l'eau, et de monoxyde de carbone, produit à partir du CO2 émis dans les processus industriels ou capté dans l'air, pour produire un hydrocarbure aux mêmes propriétés que l'essence. Cette technique, qui utilise de l'électricité, mais renouvelable, réduirait de 90% la production de CO2. Cette technologie se heurte à un problème technique, leur production et leur distribution en volume suffisant, et leur prix, plusieurs fois supérieur au carburant fossile qu'elles peuvent remplacer. Le carburant produit, neutre en CO2, n'est pas exempt de toxicité. Ce serait donc une alternative intéressante sur le plan environnemental s’il était possible de produire de façon économique et en volume ces carburants « décarbonés ». Porsche ou BMW financent des recherches pour produire des e-carburants de façon compétitive tout en continuant leurs efforts pour les véhicules électriques à batteries. Mais il n’est pas aujourd’hui réaliste d’imaginer à grande échelle l’utilisation de ces carburants alors que la production en sera limitée et coûteuse.

Il est donc fort à craindre que l’industrie automobile allemande ait beaucoup plus perdu dans le Diesel Gate que les milliards d’amendes et d’indemnités qu’elle a dû payer aux gouvernements et à ses clients. Elle y a perdu sa crédibilité technique et son aura de confiance.


Quel impact l’électrification de l’automobile va avoir sur l’industrie automobile européenne ?

Article publié par Atlantico en février 2023

Le Financial Times a alerté que « Les travailleurs de l'automobile européens paieront le prix de la promotion des véhicules électriques » et que les emplois crées par l’industrie électrique ne vont pas compenser ceux de l’industrie actuelle ? Dans quelle mesure se dirige-t-on vers une réduction des emplois dans l’automobile ?

La confirmation de la stratégie européenne d’interdiction de la vente de véhicules thermiques en Europe à partir de 2035 a pu créer un profond malaise auprès des industriels qui vont devoir adapter leur système de production à ce changement majeur de type de motorisation. Il ne s’agit pas seulement de produire des voitures dont la chaine cinétique est nouvelle par rapport à leur expertise accumulée depuis la fin du XIXe siècle. Il faut faire évoluer l’ensemble de l’écosystème industriel, attirer des compétences nouvelles, former ceux dont les métiers doivent évoluer et accompagner la disparition progressive des emplois strictement liés à la chaîne thermique. C’est un projet global pour l’Europe qui commence à se dessiner. Car pour les constructeurs et équipementiers, cette mutation rapide implique d’arrêter à terme en Europe la production et l’assemblage de tous les composants nécessaires à une chaine thermique. Or ces composants sont nombreux et diversifiés, mobilisent beaucoup de ressources industrielles et d’emplois, à travers un réseau serré d’équipementiers et de sous-traitants alors qu’une voiture électrique est beaucoup plus simple à produire. En raisonnant grossièrement, on peut dire qu’une voiture électrique nécessite 40% de travail en moins. Certaines études parlent de la disparition à terme de 500 000 emplois. La presse européenne commence à faire état des inquiétudes sur l’impact sur l’emploi de cette mutation.

Renault Megane e-tech

 

Longtemps rétifs à cette décision politique qui ne répond pas à leurs propres choix et constitue une intrusion majeure des pouvoirs publics dans leur stratégie technique et leur savoir-faire, les constructeurs se sont finalement rangés à l’évidence. La lutte contre le réchauffement climatique, aux multiples facettes, pousse les dirigeants politiques à prendre des mesures fortes et visibles qui prennent pour l’industrie automobile la forme d’une électrification à marche forcée de l’ensemble de leur gamme de produits, en moins de quinze ans. S’ils ont eu la décennie 2010 pour commencer à mesurer de façon progressive l’ampleur du changement, ce n’est vraiment que depuis 2021 que chacun des constructeurs européens a affiné sa stratégie de développement de véhicules électriques. C’est en 2017 que les véhicules électriques ont dépassé 1% du marché mondial. En 2021, le marché des VE a dépassé 12% du marché européen. La progression est désormais rapide, le véhicule électrique trouve sa place dans les offres des constructeurs et répond à la demande.

 

Aussi, officiellement, les constructeurs sont désormais convertis à l’électrification. Mais s’ils sont très loquaces sur leur capacité à livrer au marché des véhicules électriques séduisants, annonçant des vagues entières de nouveaux véhicules électriques pour les prochaines années, ils sont discrets sur les conséquences sur leur système de production de cette mutation qui devra, d’ici 2035, être totale. Toutefois, c’est cette mutation qu’ils sont commencé à opérer, avec l’aide des pouvoirs publics qui ne veulent pas s’exposer à une crise sociale majeure. C’est pourquoi il faut inscrire cette vision dans le temps au-delà même de l’échéance de 2035 pour assure une transition la plus douce possible entre les emplois qui vont disparaître et ceux qui vont se créer. C’est un programme complexe de deux décennies.

L’Europe va-t-elle être particulièrement touchée par la désindustrialisation automobile en raison de l’absence de filière électrique ?

Première industrie européenne, la filière emploie en Europe environ 12 millions de personnes, tous secteurs confondus. Ce total comprend 2,6 millions d'emplois directs, dont presque un tiers basé en Allemagne. La France emploie 200 000 employés en direct chez les constructeurs et 600 000 sous-traitants et réseaux de distribution et de maintenance. Les constructeurs allemands emploient 900 000 personnes.

L’industrie européenne est loin d’être désarmée devant la transformation technique en cours. Il faut bien comprendre que pour un constructeur passer à l’électrique n’est pas un changement total de métier. Les qualités routières, l’esthétique, la qualité perçue, le confort d’un véhicule restent les éléments majeurs de son attractivité. La force des grandes marques européennes sur ces caractéristique clefs est intacte et ne souffrira pas du passage à l’électrique. Avec la généralisation des limitations de vitesse, rares sont les constructeurs qui avaient encore mis les seules vertus de la motorisation de leurs véhicules au cœur de leur stratégie de communication.  En effet, une voiture électrique reste un véhicule qui doit répondre à des normes de fonctionnement, de durabilité, de sécurité et de maintenabilité établies depuis des décennies et que les constructeurs et leurs équipementiers européens savent maîtriser. Une voiture électrique est, encore pour de nombreuses années, une voiture conventionnelle avec le même type de carrosserie, la même base roulante, les mêmes équipements qu’une voiture thermique. Mais toute la chaine du groupe motopropulseur – moteur, boîte de vitesse, transmission, réservoir à carburant, ligne d’échappement et de traitement des gaz - est remplacée dans un véhicule électrique par un ou plusieurs moteurs électriques, un pack de batteries et un système de gestion électronique de ces batteries. 

Concevoir et fabriquer une voiture électrique implique un savoir-faire technique que les constructeurs européens sont en train d’acquérir rapidement. Les équipementiers comme Valeo ou Plastic Omnium se félicitent d’un passage rapide à l’électrique qui valorise leur portefeuille d’activités et stimule leur croissance. Au CES de 2023, Valeo mettait en évidence son potentiel de 6 000 ingénieurs, notamment dans le logiciel.

Pour beaucoup de spécialistes, les véhicules électriques ont d’ailleurs beaucoup d’atouts : souplesse, silence, puissance à bas régime. Pour l’utilisateur final, une fois intégrée dans les pratiques sociales courantes, la voiture électrique fera rapidement oublier le véhicule à moteur thermique à deux conditions : le prix d’achat, qui devra rapidement être identique, et la capacité de recharge qui devra se rapprocher des pratiques actuelles avec l’essence.

Mais la logique industrielle implique pour toute l’industrie l’obligation d’assurer une transformation beaucoup plus rapide et radicale que dans les évolutions techniques précédents, comme, par exemple, le passage à la carrosserie tout acier depuis les années trente ou plus récemment l’intégration de la télématique et de l’électronique. La mutation industrielle passe par une double stratégie. D’une part les constructeurs doivent internaliser et contrôler un savoir technique qu’ils ne maitrisaient pas tant sur le moteur électrique, les batteries que sur l’électronique de puissance. D’autre part ils doivent être en mesure de contrôler l’ensemble des paramètres techniques de fabrication et d’assemblage pour garantir au client final un produit conforme et stable dans le temps, et être en mesure d’en assurer la maintenance.

 

Les régulations et décisions européennes en la matière sont-elles en train de renforcer la gravité de la situation ?

Il est évident que le maintien d’une industrie automobile compétitive en Europe est un enjeu économique, industriel et politique majeur. Les états membres, la commission et le parlement en mesurent le caractère critique.  L’Europe ne peut accepter de perdre durablement du terrain face à la Chine dont la stratégie de développement des véhicules électriques est au cœur de sa stratégie industrielle. Elle en a les moyens tant dans la constitution d’une filière électrique performante, de l’extraction des minerais, la production de batteries, l’assemblage jusqu’au recyclage et à l’économie circulaire. Le fait de disposer d’une vision stratégique partagée en Europe est pour beaucoup de constructeurs un atout dans leur stratégie de mutation mondiale.

De plus l’automobile, ce n’est pas que la fabrication de véhicules neufs et Renault l’a compris dans sa transformation de l’usine de Flins en « Refactory », destinée au recyclage et à la prolongation de vie des véhicules. La maintien d’un stock de véhicules thermiques après 2035  et des besoins traditionnels de tout véhicule dans les métiers traditionnels comme la tôlerie, les pneus, les services vont justifier une organisation pérenne.

Il faut aussi miser sur l’innovation qui est dans l’ADN de l’industrie automobile européenne. Dans un marché de la mobilité qui sera désormais en majorité électrifié l’Europe devra accepter d’innover et sortir des gammes traditionnelles dans lesquelles elle a développé sa maîtrise de l’offre de véhicules thermiques.  La diversification des solutions de mobilité individuelle (2,3,4 roues), pour le moment une spécialité chinoise,  implique une révision des segmentations, de la distribution et des modes d’accès (car sharing, co-voiturage, LOA, LDD, etc…). On observe, au-delà de la pionnière Renault Twizy, que des véhicules atypiques comme la Citroën AMI ont trouvé leur marché en France et dans plusieurs pays européens avec près de 30 000 ventes.  La Dacia Spring, même si elle est fabriquée en Chine apporte également la réponse attractive d’un véhicule électrique moderne pour 20 000 €. Car la bataille du prix sera un des facteurs clefs de la capacité offensive de l’industrie européenne.

Il faut également en finir, pour accélérer l’acceptabilité de la transition électrique, avec des stratégies qui ont provoqué une opposition ville /campagne car la mobilité décarbonée ne doit plus être perçue comme un objectif des urbains et des classes aisées en laissant les population rurales et péri-urbaines confrontées à un vieillissement de l’offre et une augmentation du coût des solutions de mobilité individuelle face à la rareté de l’offre de transports publics mutualisés.  La densité des bornes de recharge publiques, l’aide à l’installation de bornes privées sont de nature à rassurer l’utilisateur encore inquiet face à l’autonomie perçue comme insuffisante des véhicules électriques.


Ford a annoncé ce mois-ci son intention de supprimer 40 % de l'ensemble de son équipe d'ingénieurs européens. Est-ce le début d’une tendance plus large ?

L’industrie automobile, purement nationale jusque dans les années soixante-dix, s’est totalement mondialisée depuis le début du XXIe siècle avec l’entrée triomphale de la Chine devenue premier producteur mondiale en 2009. Les grands acteurs mondiaux sont désormais multi-locaux et apportent, compte tenu de leur positionnement, de leur image et de leurs forces industrielles et commerciales, la réponse la mieux adaptée aux marchés locaux et régionaux. La situation de Ford et de GM, alors qu’ils étaient très présents au Europe, traduit un désengagement continu de ce marché au profit de l’Asie. Chaque constructeur va donc choisir d’investir industriellement là où les conditions lui sont les plus favorables. C’est ainsi que plus aucun constructeur européen ne produit en Europe occidentale des voitures d’entrée de gamme.

Pour les constructeurs européens, eux-mêmes devenus mondiaux comme les constructeurs allemands, VW, Mercedes et BMW,  ou Stellantis, les défis que comporte l’électrification du parc de voitures neuves à marche forcée pour atteindre l’objectif de ventes en Europe intégralement consacrées aux voitures électriques en 2035 implique une feuille de route offensive.

Les principes en sont clairement posés :

  • Production de masse des batteries en Europe
  • Maîtrise des approvisionnements en lithium, cobalt, manganèse…
  • Rationalisation industrielle grâce à une stratégie de plateformes
  • Maîtrise par les constructeurs d’une filière innovante de moteurs électriques
  • Dynamisation du marché de l’occasion du véhicule électrique

Les constructeurs et leurs partenaires doivent mettre en place un nouveau système industriel en Europe fondé sur l’électrique sans abandonner l’expertise acquise dans l’écosystème thermique. En effet, le double investissement en thermique et en électrique qu’implique l’abandon du thermique en Europe en 2035, mais sa poursuite probable sur d’autres continents va obliger l’écosystème à recalibrer ses plans d’investissements, voir ses structures (par ex. projet de découplage pour Renault entre Horse, moteurs thermiques, et Ampere, véhicules électriques)

Le maintien mécanique, après 2035, d’une flotte de véhicules thermiques implique le maintien à niveau d’équipement industriels et de réseaux de maintenance et de fourniture d’énergie

Si la poursuite de la demande de véhicules thermiques optimisés suppose la continuité d’un effort industriel, les constructeurs envisagent de poursuivre en l’adaptant au nouveau contexte le mouvement qu’ils ont déjà engagé depuis des décennies en produisant en grande partie hors Europe les véhicules thermiques et en spécialisant les usines européennes sur les véhicules électriques à forte valeur ajoutée.