Le futur de l'automobile
29 janvier 2021
Depuis 1886, avec la présentation publique du tricycle de Carl Benz, l’automobile a connu une croissance continue, interrompue à de rares moments par des évènements extérieurs. Mais, à l’issue de chaque crise, l’industrie automobile est parvenue à retrouver et dépasser sa dynamique antérieure. L’année 2020 marquera l’histoire par une récession automobile d’une ampleur sans précèdent. En ce début de décennie, comment l’industrie automobile mondiale évoluera-t-elle lorsque la planète aura surmonté le SARS-CoV-2?
Une industrie résiliente
L’industrie automobile est une industrie résiliente. Elle a toujours su s’adapter au contexte énergétique, industriel, réglementaire et faire évoluer son offre pour répondre aux attentes des clients. La plupart des grands constructeurs de la planète sont au moins octogénaires (VW, Toyota) sinon centenaires (GM, Daimler, BMW, Renault, Peugeot, Fiat…) et l’industrie a connu un constant processus de consolidation avec très peu de nouveaux entrants durables. L’automobile a initié une révolution mondiale de la mobilité individuelle qui a transformé les pratiques sociales, modifié les structures urbaines, imprégné les paysages et nourri une des industries majeures de la planète, le tourisme.
Les critiques contre l’automobile n’ont jamais cessé depuis sa création. Considérée comme dangereuse, bruyante, polluante, envahissante, coûteuse, l’automobile n’est pas un objet anodin, sans conséquence environnementale ni sociale. D’autant plus que son succès en a fait un produit de consommation courante, accessible et désormais répandu sur toute la planète. Il y aurait environ 1,4 milliard d’automobiles et de véhicules utilitaires sur la planète et on continuait avant la crise à en produire plus de 90 millions par an. Mais l’automobile ce sont également 1,2 million de morts par an, et, selon les données de l’Agence internationale de l’énergie, 57% de la consommation totale de pétrole et 18% des émissions de CO2 en 2019.
Pourquoi ce succès ? La voiture est le produit de grande diffusion le plus coûteux qui répond le mieux aux deux objectifs fondamentaux de la consommation : joindre l’agréable à l’utile. L’industrie a su par une stratégie d’innovation technique constante rendre ses produits toujours plus performants, sûrs, efficients et moins polluants. N’importe quelle voiture à essence de 2021 a des performances infiniment supérieures, sur chacun de ces critères, aux meilleurs véhicules des années soixante-dix, sans remonter le temps… Par une compréhension sans cesse renouvelée des attentes de la clientèle, et un marketing efficace, l’industrie a su renouveler ses produits, les rendre désirables en jouant habilement sur les deux faces de l’automobile, le désir de posséder un bel objet statutaire, et la capacité à répondre aux besoins variés de mobilité. La polyvalence de l’automobile est la principale explication de son succès durable.
Mais aujourd’hui la question majeure n’est plus la capacité industrielle à concevoir et réaliser des véhicules performants, elle est dans le nombre. Le poison, c’est la dose. Entre l’automobile et ses bénéfices pour la société, et l’auto-immobile, synonyme de congestion routière et de pollution, il n’y a qu’une différence, le volume. Les constructeurs l’ont compris même si la nature de leur modèle d’affaires les a toujours conduit à arbitrer en faveur des volumes, qui font tourner les usines et assurent la rentabilité des capitaux engagés.
Quand on parle d’automobile, on aborde simultanément deux problématiques : l’évolution de l’objet industriel et l’usage que l’on en fait, c’est-à-dire la mobilité. Longtemps l’automobile a été le seul moyen pratique de gérer sa mobilité personnelle. L’usage et le produit se confondaient. Il faut maintenant être en mesure de dissocier les deux fonctions. L’avenir de l’automobile devrait être analysé sous l’angle essentiel de la question de la mobilité, dont les contraintes environnementales obligent à considérer qu’elle ne peut être que choisie, encadrée, frugale en énergie et en ressources.
Quand Renault annonce dans son plan stratégique Renaulution que son objectif n’est plus la course au volume, mais la création de valeur, ses dirigeants actent, lucidement, le fait qu’un constructeur ne devrait plus être jugé sur son rang mondial en volume produit, mais dans sa capacité à apporter une réponse convaincante aux enjeux de l’époque. Mais est-ce une décision forte ou un constat d’impuissance à être le premier constructeur mondial ? Car, en même temps, Toyota, avec 9,53 millions de voitures vendues (-11,3%), annonce avoir battu Volkswagen, crédité de 9,3 millions de véhicules (-15,2 %) en 2020 sur le seul critère des volumes. L’Alliance Renault-Nissan-Mitsubishi qui se targuait d’être le premier constructeur mondial en 2018 a lourdement subi la crise et perdu 24 % de ventes en 2020 avec 7,7 millions de véhicules. Le nouvel ensemble Stellantis justifie le rapprochement PSA/FCA par les volumes, qui permettraient, seuls, une rationalisation des plateformes et des synergies d’achats.
La valorisation boursière, avec son prisme, propose une autre approximation de cette évolution. Tesla, créée en 2003, avec 500 000 véhicules produits en 2020, est estimé valoir plus de 800 milliards $, soit plus de trois fois Toyota (233 milliards $) qui produit vingt fois plus. Les constructeurs historiques ironisent sur cette situation qu’ils jugent déraisonnable comme ils pensaient il y a dix ans que Tesla n’avait aucune chance de devenir un constructeur crédible.
Une industrie confrontée à une mutation rapide
Avec la crise financière de 2008, l’industrie automobile mondiale s’était retrouvée face à une crise de la demande qui l’a conduit, avec l’aide des États, à se restructurer dans la hâte. La crise de 2020 est plus complexe car elle touche à la fois l’offre, avec la fermeture des usines et des réseaux de vente qui ont paralysé les ventes comme le production, et la demande, confrontée à d’autre priorités. Mais cette crise touche une industrie qui avait déjà engagé au cours de la décennie 2010 une mutation majeure touchant ses caractéristiques fondamentales.
D’une part après 120 ans de domination sans nuance du pétrole comme source d’énergie, cette industrie de motoristes se trouve face à un défi considérable, se reconfigurer comme ensemblier de composants, moteurs électriques et batteries, qui ne sont pas dans son ADN. D’autre part, le développement des composants électroniques font du véhicule un réseau local en mouvement, connecté à son environnement et piloté par des capteurs multiples. Le logiciel est désormais au cœur de la performance du véhicule. Enfin, le modèle historique de distribution de l’industrie automobile - le véhicule en pleine propriété – est remis en cause par l’émergence de l’usage comme accès à la mobilité plutôt que la propriété. Cela prend des formes diverses - autopartage, co-voiturage, VTC - qui conduisent à partager l’usage d’un véhicule plutôt que d‘en avoir la jouissance exclusive.
Ces facteurs ébranlent l’industrie qui doit se repenser en sortant de ses pratiques habituelles.
L’industrie automobile n’a commencé à imaginer que l’électricité puisse devenir une alternative sérieuse au pétrole que depuis une décennie. Elle y est allée contrainte et forcée, tant par l’arrivée d’acteurs nouveaux qui ont compris que la conception d’un véhicule à moteur thermique était pleine d’obstacles et ont opté pour l’électrique, plus simple et plus facile à maîtriser. C’est le chemin choisi par Tesla et par les constructeurs chinois. Elle a été poussée par les législateurs qui, en imposant des normes d’émission de plus en plus draconiennes pour la moyenne des véhicules mis sur le marché, ont obligé les constructeurs à recourir à ses solutions d’électrification pour remplir ces objectifs. Cette électrification à marche forcée n’est pas en soi vertueuse quand elle conduit à augmenter sans cesse le poids et la taille des véhicules. La troisième génération de véhicules électrique, celle qui produira des véhicules légers, modulaires, mutualisables, qui ne seront pas conçus pour rouler à 250 km/h, n’est pas encore arrivée sur le marché même si les micro-cars chinoises, comme la Wuling Mini EV, vendue 3 600 €, les kei japonais ou la Renault Dacia Spring en propose quelques interprétations
Le développement de l’électronique embarquée, commencée avec l’implantation de l’ABS dès les années 70, a aussi complétement changé la conception du véhicule et l’équilibre entre le constructeur et ses fournisseurs spécialisés. Les composants et les logiciels jouent un rôle majeur sur l’efficacité du véhicule et son attractivité. Ils contribuent à la sécurité du véhicule comme assistants intelligents du conducteur, étape dans la longue et aléatoire marche de l’industrie vers le véhicule autonome. Ils en deviennent un maillon sensible comme la crise sanitaire l’a démontré ou la rareté actuelle des composants qui retarde la production de nombreux constructeurs.
Tout se passe comme si cette puissance industrie mécanique de voitures à pétrole, symbole emblématique du XXe siècle, était progressivement happée vers le monde de l’électronique et de l’électricité qui ne sont pas les siens. Nouveaux produits, nouveaux concurrents, nouvelles logiques d’usage, l’industrie séculaire est sommée de s’adapter ou de disparaitre par des concurrents qui viennent d’un monde différent. Le constructeur chinois BYD était d’abord un constructeur de batteries, Tesla vient de la Silicon Valley, les constructeurs chinois n’ont jamais été performants en motorisation thermique et on fait l’impasse pour sauter directement à l’électricité. Ali Baba ou Apple qui ont des ambitions dans l’automobile viennent du monde de l’informatique et de la distribution.
Ce choc considérable va créer une vague de riposte de cette vieille industrie automobile qui ne veut pas disparaître au profit de ces jeunes compétiteurs, arrogants et immatures. Elle a les moyens techniques et l’ambition comme Mary Barra, présidente de GM l’a démontré au CES 2021 en annoncant le lancement de 60 modèles électriques d’ici 2025, Volkswagen et son offensive électrique en Chine, Renault qui veut faire 20% de son chiffre d’affaires dans les services avec sa nouvelle branche Mobilize.
Les projets sont désormais là. Il reste le défi de l’exécution. Industrie de volumes, industrie systémique avec son écosystème de fournisseurs et sous-traitants, sa distribution encore conventionnelle, l’automobile est attachée à son appareil industriel, ses multiples usines anciennes et ses millions de collaborateurs qu’elle devra fait évoluer dans un monde bien différent. Les enjeux sont considérables. Mais c’est une part majeure du PIB et de l’emploi qui se joue aussi bien en Amérique du Nord, en Europe, au Japon, en Chine, ce qui ne laisse indifférents ni les États, ni les salariés, ni les clients. C’est pourquoi la complexité systémique que représente la mobilité, et l’automobile qui en est un vecteur essentiel, ne peut se réduire à des paramètres simples, techniques, industriels, énergétiques ou comportementaux.