L'avenir de l'automobile se joue en Chine
24 octobre 2018
S’il est une industrie qui a pu façonner le monde physique à grande échelle, c’est bien l’industrie automobile. Depuis 130 ans, parti d’Europe, un grand changement s’est opéré partout sur la planète. Les piétons sont devenus automobilistes, les charretiers sont désormais chauffeurs de poids lourds, les chemins poussiéreux se sont transformés en autoroutes. Presque tous les habitants de la planète utilisent pour se déplacer ces objets mécaniques, produits en millions d’exemplaires par une industrie mondiale. Ces objets ont conquis les paysages. Ils occupent l’espace jusqu’à l’encombrer et le dénaturer. Ils sont familiers. Et devenus indispensables.
En 130 ans, il y a eu un engouement croissant pour cet engin qui a rendu possible l’envie d’espace avec un minimum de contraintes. Faibles contraintes techniques – tout le monde arrive, un jour ou un autre, à conduire une automobile –, faible contrainte énergétique – le « gaz de pétrole » qui alimente le moteur à combustion interne est largement disponible, peu onéreux, facile d’usage -, faible contrainte économique - le rêve d’automobile est devenu banal pour ce produit industriel de grande diffusion. Qu’il soit neuf, ou surtout d’occasion, rutilant sur la Ve Avenue ou totalement rouillé en Sibérie, l’objet automobile est omniprésent. Ainsi le monde entier a été conquis et façonné par l’automobile. Outil de liberté, c’est aussi un outil de prospérité qui a fait naitre une industrie qui va produire en 2019 cent millions de véhicules pour un chiffre d’affaires de 3000 milliards $. Mais si le désir de liberté a alimenté pendant des décennies la demande automobile, le succès triomphal de l’automobile en dénature désormais la liberté d’usage. Congestion urbaine et pollutions sont devenus pour les dirigeants politiques, poussés par les citoyens, des défis majeurs, dont les solutions, complexes et coûteuses, remettent en question la suprématie de la solution automobile.
Pour l’automobile, confrontée à de multiples défis techniques et sociétaux, le fait nouveau est qu’après avoir été française, américaine, européenne, japonaise, coréenne, cette industrie est désormais dominée depuis 2009 par la Chine. Qui a déjà entendu parler de Geely, Byd ? Peut-être… Mais FAW, SAIC, Brilliance, Changan, JAC Motors, Lifan, DFM, Great Wall ? Toutes ces entreprises sont des producteurs automobiles chinois, membres de la China Association of Automobile Manufacturers, la CAAM. Ils sont récents, moins de trente ans et produisent désormais le quart de la production automobile mondiale. Et peuvent demain être tentés de pousser hors des routes leurs prédécesseurs. Naguère marginale, l’industrie chinoise grignote ce qui est devenu le premier marché automobile du monde avec 28,7 millions de véhicules en 2017. Les constructeurs chinois y représentent 44% de part de marché avec des marques totalement inconnues en dehors de Chine. Mais ils ne sont pas absents de l’autre moitié du marché. Grâce aux co-entreprises, imposées par le gouvernement, les constructeurs chinois sont partenaires de tous les grands constructeurs mondiaux. Et avec eux ils ont appris patiemment à maîtriser la complexité du monde automobile grâce aux transferts de technologie.
Peu de gens se souviennent que le « suédois » Volvo est passé sous le contrôle du constructeur privé chinois Geely en 2010. Plus encore, Geely, qui n’a été créé qu’en 1986, vient de prendre une participation de 9,69% au capital du constructeur emblématique de l’industrie automobile allemande, Daimler, pour 7,2 milliards €.
La Chine est devenue le premier marché mondial mais aussi le premier producteur mondial. Ce résultat est le fruit d’un long travail stratégique. Il n’est que le début d’une longue marche qui va changer le paysage automobile mondial. La question centrale réside dans la capacité de la Chine à modifier le modèle historique de l’automobile qui fondamentalement n’a pas changé depuis les origines. Au-delà de ses immenses capacités industrielles, la Chine saura-t-elle résoudre la redoutable équation automobile : plus de voitures individuelles rend impossible le libre usage individuel de l’auto-mobile ? Le modèle industriel de la Chine n’est pas dissociable de son modèle politique. Or la croissance chinoise n’est pas un long fleuve tranquille. Contrairement aux apparences sereines du pouvoir, la Chine n’est pas un ensemble monolithique. Elle a ses propres fractures notamment entre le monde des villes et celui des campagnes. Le pouvoir y est partagé entre Pékin, les provinces et les municipalités et la puissance unificatrice du Parti Communiste Chinois est elle-même soumise à des tensions internes. Elle vit comme tous les pays industrialisés, de façon accélérée, le passage d’une industrie de main-d’oeuvre à une société de cerveau-d’œuvre, fondée sur la science, les techniques, la robotisation et les sciences cognitives. L’accompagnement politique de ces mutations dans un monde fracturé où régresse le multilatéralisme et où s’intensifient les défis démographiques et environnementaux est un défi au moins aussi grand pour les dirigeants chinois que pour leurs homologues asiatiques et occidentaux.
La voiture, symbole du XXe siècle occidental, va-t-elle survivre à sa migration asiatique dans ce XXIe périlleux et exaltant ?
NB : ce texte est issu du livre en préparation pour une publication en janvier 2019 chez "Lignes de repères", "La voiture du XXIe siècle sera chinoise"
Bonsoir ,
Je ne sais pas qui vous êtes mas vos articles sont d'une lucidité remarquable !
cordialement
Rédigé par : Algermon | 27 novembre 2018 à 23:27
Merci vivement ! C'est très agréable d'avoir des lecteurs heureux ! Car ce ne sont que des bouteilles à la mer... Quand quelqu'un la récupère, c'est plaisant !
Rédigé par : Jean-Pierre Corniou | 05 février 2019 à 15:04