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CES, amplificateur de la révolution numérique

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La transformation numérique est la plus récente étape de la révolution cognitive de l’homme. Elle diffère des étapes précédentes par son caractère à la fois global et rapide. Elle concerne la planète toute entière, et se développe de façon exponentielle depuis la démocratisation de l’internet avec le web en 1995. Jamais dans son histoire l’humanité n’avait accumulé autant de potentiel technique et d’information pour transformer son environnement et ses connaissances. Et les progrès que nous avons accomplis en dix ans dans la maîtrise de chacun des composants techniques - processeurs, réseaux, logiciels - sont stupéfiants.

Le CES révèle la dualité de la révolution numérique. L’industrie informatique ne cesse de gagner en puissance et de se concentrer, quelques acteurs majeurs ayant la maîtrise de l’infrastructure technique qui constitue le socle indispensable de la performance. Simultanément, viennent se greffer sur ce socle une multitude de solutions, parfois marginales ou éphémères, issues de centaines de milliers d’entrepreneurs et d’innovateurs répartis sur toute la planète. De cette effervescence créative, brouillonne et spontanée, émergeront des pratiques et des usages qui contribueront à tisser les mailles d’un nouvel environnement socio-technique. Les formes de ce nouvel environnement émergent progressivement de ce double mouvement de transformation technique et de création d’opportunités. Elles sont encore floues, certaines pistes ne se concrétiseront pas comme nous l’avons vu pour la promesse avortée de la généralisation de l’image 3D ou de la transformation du système de production par la multiplication des imprimantes 3D. Elles prendront certainement des formes imprévisibles et une ampleur encore insoupçonnable. L’intérêt du CES est de nous plonger dans ce mouvement puissant de tectonique des plaques techniques et d’usages et de permettre sinon des prévisions fiables, tout au moins des analyses des vecteurs de force en présence.

La transformation continue des pratiques sociales

Chacun peut observer dans son environnement immédiat, au travail, dans la vie quotidienne, la transformation effective des pratiques courantes. Avec l’irruption du smartphone, on sait désormais, avec ce seul outil, prendre des décisions informées et contextuelles pour organiser son temps, ses itinéraires, l’usage des moyens de transport, ses relations personnelles et professionnelles. On sait choisir, comparer, acheter, payer. On peut améliorer sa forme physique, gérer la température de son domicile, surveiller ses enfants à distance, piloter sa consommation d’énergie. Et tout ceci sans délai, de n’importe quel point, à n’importe quelle heure.… Quand à chaque nouvelle version de smartphone, la presse boude en trouvant qu’il n’y a plus d’innovations, on a tout simplement oublié qu’avec cet outil, et son environnement technique de logiciels, de réseaux, de géolocalisation, de capteurs, tout a déjà profondément changé. Et si le marché ralentit, les chiffres font encore rêver avec environ 1,6 milliard de ventes en 2016.

L’innovation se porte massivement dans l’industrie qui a su rapidement apprendre à acclimater robots et capteurs, drones et imprimantes 3D, pour repenser les processus industriels dans un souci d’optimisation énergétique et de meilleure gestion des ressources naturelles. L’homme y trouve  sa place dans une coopération nouvelle homme/machines qui appelle de nouvelles compétences. La continuité numérique permet de gérer simultanément plusieurs niveaux d'implication personnelle et donc d'augmenter sa capacité d'interaction avec l'environnement. C'est certainement au prix d'effets secondaires, comme un risque de superficialité, une forme de distraction, ou encore de stress. Tout ceci commence à faire l'objet d'études scientifiques, mais force est de reconnaître que chacun d'entre nous a su apprendre à évoluer dans ce nouveau monde sans difficulté et sans douleur.

L’innovation, ce n’est plus une percée isolée d’un nouvel usage, d’un nouveau produit, c’est une avancée systémique qui englobe une multitude de nouvelles pratiques et de nouveaux services, tellement intégrés dans la vie sociale qu’ils sont immédiatement métabolisés.

Le CES de Las Vegas, dans les premiers jours de janvier chaque année, est avant tout un lieu d’observation de cette nouvelle réalité numérique, qu'il faut analyser à travers la visite des stands, écouter comme au spectacle lors des keynote et des conférences, humer lors des échanges entre participants. Plus exactement, il ne faudrait pas parler de "réalité numérique" mais d'"amplification numérique de la réalité". Car le numérique ne se substitue pas au monde réel, il y ajoute une couche de simplification et de mise en cohérence qui rend plus faciles les décisions les plus triviales comme les plus complexes. Mais nous vivons dans le réel. Notre rythme de vie est scandé par des activités réelles et notre rythme biologique. Jusqu‘alors, l’informatique était bien éloignée des considérations quotidiennes des terriens. Bien sûr, l’informatique est déjà présente depuis des décennies dans les grandes organisations, et imprime sa marque sur toutes les transactions. Mais c’est une action invisible souterraine, pilotée par d’autres. Ce n’est vraiment que depuis le début du web que l’on peut toucher chaque jour un objet informatique, produit et application, qui va nous aider à accomplir une tâche, à régler un problème, par nos propres moyens, sans investissement coûteux en ressources, en temps et en compétences.

L’ère numérique décrit cette situation nouvelle dans laquelle se multiplient les situations personnelles et professionnelles où l’utilisation d’un objet, généralement connecté au réseau internet, et doté de programmes quasiment gratuits et faciles à utiliser, va s’insérer dans notre vie pour nous aider de façon continue à accomplir des tâches. On observe depuis dix ans au CES l’amplification de ce phénomène dans trois directions:

  • le nombre d’objets connectés, couvrant un nombre croissant de cas d’usage, augmente
  • ces objets ne se contentent plus d’interagir de façon unitaire avec l’homme, mais coopèrent pour apporter un service qui recouvre plusieurs types d’interactions spécifiques
  • cette coopération laisse de plus en plus de place à l’utilisation des outils de l’intelligence artificielle pour affiner le service rendu de façon prédictive et contextuelle

Au-delà des fausses bonnes vraies idées qui foisonnent avec des start-up souvent éphémères, il y a plusieurs courants de fond qui, de fait, vont changer la manière dont nous vivons et dont la société est organisée. Robots, intelligence artificielle auto-apprenante ("machine learning"), traitements informatiques et stockages de données déportés dans des serveurs distants ("cloud"), déploiement de réseaux à bas coût pour les objets connectés, déploiement de la 5G à haut débit, tout ceci compose la couche technique qui permet d'inventer des services peu coûteux et facilement déployables. Les progrès fulgurants du matériel et du logiciel permettent de constituer aujourd'hui de nouvelles plateformes qui offrent un niveau de service aux intégrateurs que deviennent les constructeurs automobiles, les transporteurs, les institutions de santé, les opérateurs de voyage. Evidemment ce niveau de service élevé s'appuie sur la maîtrise fine d'une information personnalisée et géolocalisée, dont l'usage ouvre également des champs d'intrusion dans nos vies à un niveau jamais imaginé. Il y a donc un défi nouveau pour les législateurs : trouver le juste niveau d'équilibre entre les bénéfices fournis et le niveau de risque. Au CES, il y a encore beaucoup d'innovations et de transformations, parfois subtiles d’année en année, de l’écosystème mais aucune ne revêt de caractère spectaculaire. Désormais c'est la cohérence systémique qui va devenir révolutionnaire, tous les outils étant mis à profit simultanément pour délivrer un service efficient et utile. La technique doit servir l'homme, pour de grands projets comme pour la vie quotidienne. C'est moins spectaculaire mais plus profond. La question du sens de l’innovation technique, l’impact sur la transformation de l’emploi, le problème du traitement des données personnelles sont des sujets qui ont été abordés de façon directe pendant les conférences du CES 2017 avec une certaine gravité. La prise de conscience auprès des acteurs engagés dans cette révolution de son caractère anthropologique, avec des conséquences majeures sur la vie de hommes, est récente. C’est un fait important de ce CES 2017 qui replace l’innovation dans un contexte beaucoup plus large de l’intérêt de la technique pour les humains.

La France est désormais très présente

La France peut s'enorgueillir d'une forte présence au CES 2017 dans tous les secteurs. Le CES n’a longtemps été qu’une manifestation commerciale américaine. Depuis plusieurs années, les entreprises chinoises ont étendu leur présence passant du statut discret de fournisseurs de composants et d’assembleurs aux premières places désormais occupées par des entreprises de stature mondiale, comme Huawei ou Baidu, ou des acteurs majeurs en Chine mais encore faiblement implantés sur les grands marchés mondiaux comme Hisense ou Haier. Si l’influence japonaise s’étiole, avec la disparition de Sharp, les difficultés de Sony, Panasonic est encore largement présent notamment grâce à son partenariat avec Tesla dans les batteries. Les grands firmes coréennes LG et Samsung rivalisent en créativité pour faire de leurs stands au CES un brillant démonstrateur de leur savoir-faire dans tous les segments du marché.

Il faut se féliciter de la forte présence française en 2017. Car si les start-up sont actives, le tissu économique régional très présent, on peut rencontrer dans des stands plus grands et établis au cœur des grandes marques une première génération d'ETI qui ont fait leurs débuts au CES il y a quelques années, comme Netatmo, Sculpteo ou Withings, des éditeurs comme Dassault Systems, des services publics comme La Poste, des énergéticiens (EDF, Engie) des entreprises historiques comme Valeo, Air Liquide ou Somfy et Terraillon. Loin d'être une opération vitrine, la présence française au CES, il y a encore quelques années marginale, illustre un savoir-faire systémique qu'il faut valoriser et développer.

Plus que jamais il faut être tiré par ce futur entrepreneurial et innovant plutôt que poussé par un passé nostalgique. C’est la leçon pour la France d’un CES 2017 où la créativité est imprégnée de gravité face aux responsabilités des acteurs sociaux dans un monde qui se révèle avec ses multiples opportunités brillantes mais aussi fait émerger de nouvelles vulnérabilités..


Confiance et numérique, est-ce nouveau ?

La confiance est le fondement de la civilisation. Elle repose sur une anticipation positive des comportements des acteurs sociaux face à leurs engagements. La relation des humains avec leurs semblables est fondée sur un équilibre, dosé et fragile, entre confiance et contrôle. Pour gérer les relations des hommes entre eux, la civilisation a substitué à la seule violence du plus fort un ensemble de règles fondées sur l’éthique et le droit et mis en place un appareil répressif qui sanctionne les déviances.

A chaque état d’évolution du système socio-technique, les outils, pratiques et comportements se sont ajustés.

C’est pour établir des bases robustes de traçabilité des transactions commerciales que l’écriture a été inventée. C’est pour gérer les interactions sociales et économiques que le Code d’Hamurrabi a été mis en place à Sumer. On est progressivement passés d’un système de troc à un système monétaire fondé sur des matériaux, l’or et l’argent, qui avaient une valeur intrinsèque, puis à un système monétaire fondé sur le billet de banque dont la valeur est garantie par la communauté par le truchement de l’Etat et de ses outils financiers, Banque centrale, Trésor public. Pour assurer la confiance dans les produits et permettre ainsi l’essor de la société de consommation, on a inventé des normes garantissant une prédictibilité raisonnable du fonctionnement des produits et services vendus conforme à l’engagement commercial du vendeur, et là encore on a mis en place des systèmes de sanction.

Cette évolution n’a pas été sans douleur. Des crises sont venues régulièrement casser la confiance et ont conduit à l’adoption de sanctions et de règles plus robustes. On peut illustrer ces séismes par des exemples récents dans trois domaines différents : les subprimes, le Mediator dans le domaine critique de la santé ou encore le dieselgate. Dans ces trois cas, qui touchent des éléments clefs de la vie humaine, la santé ou le logement, des manœuvres frauduleuses menées de façon cynique pour un intérêt à court terme ont cassé la confiance du public envers les institutions, les marques et les régulateurs chargés d’appliquer les normes et les contrôles.

Le développement progressif d’une économie immatérielle a conduit les acteurs sociaux à accorder à des outils de plus en plus sophistiqués, c’est-à-dire éloignés d’une réalité physique compréhensible, la confiance indispensable au développement des relations commerciales. C’est ainsi que la carte de crédit et la monnaie électronique se substituent aux formes matérielles de monnaie en voie de disparition programmée.

La confiance dans le monde numérique s’inscrit donc parfaitement dans cette logique d’évolution de long terme.  La confiance n’est pas une donnée immanente, elle se construit à travers des règles, des pratiques et des expériences.

Or par rapport au monde antérieur, où les innovations se diffusaient lentement, le monde numérique est un monde caractérisé par la vitesse des transactions, dans tous les domaines, et par le caractère immatériel, global et instantané de la plupart des processus. Ces « propriétés » appellent à réviser les critères antérieurs de confiance pour introduire de nouvelles pratiques et de nouveaux outils. Il est évident que le cadre de la confiance ne s’applique par qu’aux relations interindividuelles ou à l’exécution de contrats. Il concerne le fonctionnement global de la société, par cercles concentriques, allant jusqu’aux relations avec et entre les Etats. De la photo postée sur Instagram à la cyber-défense, la confiance numérique emprunte naturellement  les mille facettes de la vie sociale. Et à chaque type de problème doit être appliqué la parade adaptée.

Chacun est amené à prendre des décisions sur la base de données et d’informations dont il serait trop long, complexe et coûteux de vérifier l’ensemble des caractéristiques. Il y a donc à chaque fois et pour chaque décision un « pari raisonnable » qui doit être validé par quelques contrôles simples, comme l’identité de la source ou du support, l’antériorité de son existence, la traçabilité des comportements, l’avis des pairs. La confiance se nourrit graduellement d’expériences positives antérieures et se détruit rapidement par la non-conformité du comportement au niveau d’attente.

Le référentiel international Cobit a défini les critères de l’information :

  • efficacité : qualité et pertinence de l’information, distribution cohérente
  • efficience : rapidité de délivrance
  • confidentialité : protection contre la divulgation
  • intégrité : exactitude de l’information
  • disponibilité : accessibilité à la demande et protection (sauvegarde)
  • conformité : respect des règles et lois
  • fiabilité : exactitude des informations transmises

Cette trame est pertinente pour concevoir et mettre en place des systèmes d’information et de prise de décision qui réduisent le risque d’une prise de décision fondée sur des informations inappropriées. C’est aussi une check-list pertinente pour juger les éléments sur lesquels on va prendre une décision.