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Faire basculer la France dans le XXIe siècle : le numérique

Le G9+, think tank informatique, télécoms et numérique des anciens des grandes écoles, a lancé une démarche de réflexion collective pour 2017 : "100 idées pour une France numérique". Ce texte, sous une forme adaptée,  s’intègre dans cet ensemble de contributions qui sera débattu le 19 novembre.

De multiples rapports ont été consacrés au développement numérique de la France. Un des plus importants est celui publié en 2014 par la commission Lemoine sur « la transformation numérique de l’économie française ». De nombreuses structures, think tanks et organismes professionnels, ont émis des propositions et réunis les acteurs engagés dans la révolution numérique. Ce n’est donc pas l’originalité, ni l’exhaustivité, des mesures qui doit être prise en compte dans le cadre de cette réflexion, mais la recherche d’un effet de masse sur la société. Dans la situation actuelle de la société et de l’économie française, il est indispensable de sortir du champ de l’intention et de l’expérimentation pour franchir un seuil irréversible d’adoption massive.

Bureaucratie-paperasse

Dans ce débat qui  a commencé à la fin des années quatre-vingt dix quand certains ont commencé à prendre conscience que le développement mondial de l'internet et du web était un phénomène d'une ampleur qui promettait d'être exceptionnelle. La France a beaucoup hésité face à ce processus clairement américain dont elle n'avait pas été à l'origine, et qu'elle avait sous-estimée, malgré les courageuses initiatives de Louis Pouzin. Vingt ans plus tard, internet et les services du web ont conquis le monde avec trois milliards d'internautes.

Aussi les ultimes résistances tendent enfin à s’estomper devant la prise de conscience de l’irréversibilité de la transformation en cours partout dans le monde. Plus que la somme des techniques de communication, désormais disponibles à faible coût et sans complexité,  qui permettent d'accéder sans limite à des informations de toutes natures, ce sont les changements culturels et comportementaux qui marquent la vie sociale. Or l’expérience des succès de l’économie du web démontre que c’est la rencontre entre un besoin, souvent latent, et une offre, ergonomique et économique, qui déclenche l’adoption. La créativité des start-upers  est sans frein ce qui conduit les magasins d'applications à proposer des millions d'applications diverses dont certaines ne sont jamais exploitées par ceux qui les ont téléchargées. Cet usage privé, que chacun gère en fonction de ses envies et de ses besoins, est une première étape plaisante et pratique dans la numérisation. Mais il faut aller au-delà pour ancrer le numérique dans les pratiques sociales qui, en France, nécessitent la plupart du temps l'engagement de l'Etat. Car, dès lors qu’il s’agit de rechercher un effet de masse qui dépasse l’adoption privée, poussée par l’innovation, les évolutions du cadre législatif et réglementaire se révèlent nécessaires pour rendre possibles ces transformations.

Au-delà d'un mouvement comme  la French Tech, qui mobilise les talents des entrepreneurs,  et la dynamique des start-ups, relayée par les écosystèmes régionaux, ce sont les pratiques régaliennes qu'il faut revisiter à travers le prisme de la culture numérique. Dématérialisation, réactivité, engagement, décentralisation sont les vecteurs de cette transformation qui doit transformer nos modes de fonctionnement conventionnels pour faire basculer notre culture du papier et de l'autorité vers celle du numérique et de la responsabilité.

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Si, en France, les infrastructures sont globalement capacitaires, si l’adhésion spontanée des consommateurs est forte,  Il s’agit maintenant de fournir un cadre de confiance collective envers le numérique qui ne peut être produit sans impulsions législatives et réglementaires. Il faut également améliorer l’offre de services collectifs, sans qu’ils soient nécessairement publics, au-delà des propositions du marché pour produire un effet de transformation collective des comportements.

Les mesures proposées, qui s’inscrivent dans le prolongement de mesures déjà engagées,  ou incluses dans les projets de loi d'Axelle Lemaire et Emmanuel Macron, visent une accélération du développement universel des usages en stimulant la confiance envers les solutions numériques de tous les citoyens et la créativité numérique. Il s’agit de renforcer les motivations des pionniers et développer l’adhésion des milieux encore sceptiques, ou hostiles, en créant les conditions transparentes d’adhésion lucide et responsable à la société numérique du XXIe siècle. Le besoin de sécurité et de confidentialité est un élément structurant de la demande sociale. Faute d’y répondre clairement, la transformation numérique reste partielle et ne livre pas ses promesses économiques et culturelles. Cinq mesures ne suffisent pas. Mais il est important de créer un cadre général sur des sujets pour lesquels le changement de pratiques pourra induire le développement d'une nouvelle culture d’initiatives et de responsabilités dont la France a besoin.

1/ Rendre obligatoire la facturation électronique pour tous les échanges inter-entreprises au 1er janvier 2019

La dématérialisation des commandes et des factures est le seul mécanisme collectif déclencheur d’une transformation numérique des processus. En effet, l’échange de documents informatisés implique la mise en place de processus et d’outils dans toutes les entreprises et organisations, quel que soit leur taille. C’est donc le moyen d’obtenir que se mettent en place des processus numérisés de bout en bout.

2/ Mettre en œuvre un titre universel d’identification numérique individuelle

Contexte :

Le projet d’une carte d’identité numérique est ancien. Il a été  lancé en 2003 et visait  de produire une’identification forte associant un cadre régalien et un cadre commercial.  Ce qui fait l’originalité de ce projet a justement conduit à de multiples tergiversations qui ont finalement différé son adoption qui nécissattn une loi n’a pas trouvé le cadre et les supports requis.

Relancé en 2012 sous l’appelation IDéNum, le projet a été adopté mais de nombreuses dispositions ont été jugées anticonstitutionnelles.

Objectif

Doter chaque personne d’un outil d’identification numérique irréfragable, sécurisé et garanti par l’Etat, permettant à la fois de répondre aux objectifs régaliens et d’assurer dans toutes les transactions, publiques ou commerciales, une preuve d’identité.

3/ Dématérialiser tous les documents concernant la vie professionnelle et la gestion du patrimoine avec l’instauration d’un service de coffre-fort électronique personnel.

Objectif

Eviter l’émission de millions de documents en double (papier et numérique)  notamment la feuille de paye avec stockage électronique à vie,  les actes de gestion individuelle et patrimoniale (contrats, titres de propriété…)

Faciliter la liquidation des droits à pension de retraite et de façon générale simplifier la gestion des actes administratifs personnels

Fournir sous forme numérique tous les éléments validés pour des transactions (achats immobiliers, achats de véhicules…)

Unifier toutes les informations sociales

Garantir  la sécurité juridique des éléments clefs de la vie sociale

Offrir un cadre pérenne, sécurisé, permettant la sécurisation de long terme

 

4/ Déployer le « contrat de coopération » pour fluidifier la circulation des compétences 

Contexte

L’ouverture, la flexibilité, la prise d’initiatives, la collaboration spontanée, l’esprit entrepreneurial constituent des propriétés naturellement développées et encouragées par les écosystèmes numériques. Réinventer les parcours de travail au cours de la vie à l’ère du numérique implique de multiples changements dans notre compréhension du travail contemporain, dans les organisations et la culture managériale mais aussi dans l’affirmation de sa responsabilité individuelle dans le développement de son parcours professionnel. Les entreprises qui sauront devenir des fédérateurs naturels de talents individuels gagneront la compétition économique. Affranchie des contraintes conventionnelles issues de la fragmentation de la société, la mise en synergie des talents peut trouver des réponses radicalement nouvelles aux problèmes de notre société et combler les lacunes des mécanismes classiques. 

Quand on fait appel au « cerveau-d’œuvre », plus il y a d’acteurs, plus il y a d’idées qui germent et réussissent. Il faut donc abattre toutes les barrières à l’entrée à l’activité en renforçant, avec un code du travail simplifié, l’efficacité des sanctions.

Mesure

Introduire un « contrat de coopération »  à échéance variable, de 2 à 5 ans,  qui n’est pas un contrat de subordination, mais définit contractuellement les droits et obligations des deux parties, et précise la nature de la contribution et les règles d’évaluation. La rémunération reste un salaire, chargé, mais le salarié ne figure pas parmi les effectifs statutaires de l’entreprise et n’entre pas dans le comptage des seuils sociaux.  Il est soumis aux conditions de travail de l’entreprise mais peut également inclure le télétravail.

5/ Développer l’industrie du logiciel éducatif et pédagogique à travers les enseignants et le diffuser à travers l’enseignement

Contexte

Le développement des supports numériques pédagogiques inclus dans les programmes  est très lente alors que l’échec scolaire s’accroît, surtout sur les disciplines fondamentales comme la langue française, les langues étrangères, les mathématiques, l’histoire géographie…

Objectif

L’objectif est d’exploiter l’appétit naturel des jeunes générations pour les outils numériques pour installer le numérique au cœur des processus pédagogiques. Ce mouvement ne peut passer que par les enseignants eux-mêmes et par l’inclusion des outils numériques dans tous les processus d’apprentissage.  Il ne s’agit pas d’ajouter le numérique comme matière d’enseignement ( même si la question est pertinente pour la formation à la programmation) mais d’inclure les outils numériques dans la progression pédagogique et l’évaluation ;

La mesure proposée est donc d’inciter les enseignants à partager leur expérience pédagogique par la création de logiciels professionnels. C’est une action qui permettra l’émergence de start-up francophones produisant des produits totalement insérés dans les processus pédagogiques et dans les programmes.

 

 


L'urgence iconomique

S’il faut stimuler la réflexion, ce n’est pas pour le plaisir de l’exercice de style, mais pour contribuer à aider les acteurs sociaux à trouver des repères et à anticiper. Notre travail collectif, au sein de l’Institut de l’Iconomie, est précisément de réfléchir à l’ampleur des transformations en cours sur notre planète pour comprendre, anticiper, construire. Il y a urgence. Nous devons revoir en profondeur nos méthodes de travail, notre culture managériale pour ouvrir, partout, des espaces de liberté et de créativité.

 Ce décodage est indispensable quand tout bouge simultanément et que le découragement gagne face à l’inefficacité des réponses convenues. L’erreur la plus commune est en effet de vouloir résoudre des problèmes nouveaux avec des solutions anciennes. Notre pire ennemi, c’est le passé, répète Elon Musk. Il faut inventer en matière d’organisation de la société comme nous savons si bien le faire en matière technique, sans tabou ni totem.

La révolution du web n'est pas technologique

Internet et le web sont arrivés à la fin du XXe siècle sans que personne n’ait vraiment pris la mesure de l’ampleur de cette transformation. Le monde des entreprises où se déploient les règles, les pratiques et les rituels  du travail, ne considérait pas cette innovation grand public comme pertinente pour le monde professionnel. En 2007, c’était l’iPhone qui allait ouvrir le champ à une profonde mutation de la communication et de la connaissance, probablement une des plus riches de conséquences de l’histoire de l’humanité. En permettant l’accès mobile à toute l’information, on mettait fin à la suprématie de « l’informatique assise » qui servait de base à toutes les pratiques sociales de l’organisation du travail. Car la mobilité casse les frontières, remet en cause les processus, le temps et le lieu de travail, donne à celui qui est proche du terrain le moyen d’agir et d’interagir avec son environnement. Loin d’être achevée, cette révolution entraine une désintermédiation massive des métiers. Cette « ubérisation », redoutée par toutes les entreprises, est à l’œuvre partout au grand bénéfice du client, libéré des carcans des monopoles et des processus bureaucratisés. Mais le client, qui est aussi un producteur, est entraîné lui aussi dans les conséquences de ce bouleversement systémique.

L'agilité, plus qu'un outil, une culture

 C’est probablement le changement que nous allons continuer de vivre dans les quinze prochaines années. Il sera graduel, continu, et va toucher tous les actes professionnels. L’informatique  a quitté le champ de l’industrialisation des processus répétitifs pour conquérir tous les espaces de la conception, de la production, de la diffusion.  L’action se nourrit de l’information et de la connaissance, du rationnel comme des émotions. Le système d’information, décloisonné, ouvert, traite aussi bien les données structurées internes, comme le font très bien les ERP, que les données structurées externes, et surtout les données non structurées, internes bien sûr, comme externes. C’est cette mise en relation continue et riche qui va donner à la décision, à tous les niveaux de l’organisation, une densité et une robustesse renforçant l’efficacité collective dès le niveau le plus fin, c’est à dire chaque collaborateur.  

 Ce nouveau modèle d’organisation est qualifié d’agile. L’objectif est de réduire la complexité pour s’adapter plus rapidement à un environnement changeant. Appliquée plus largement à l’entreprise, l’agilité est une vision du travail basée sur l’idée de changement permanent, itératif et incrémental, où le produit final, matériel ou immatériel, proposé doit pouvoir évoluer en s’adaptant au désir du client ou aux conditions du marché. L’entreprise agile privilégie des cycles de développement courts, développe ses produits par itérations en fonction, en priorisant les évolutions identifiées,  se confronte très tôt au feedback du marché et des clients. Au besoin, elle peut « pivoter », c’est à dire changer radicalement son produit ou son business model si le marché l’exige. L’entreprise agile se nourrit de collaborations extérieures et remet en cause constamment, et sans drame, son modèle d’organisation. S’appuyant sur le réseau maillé collaboratif, l’entreprise agile est infiniment « scalable », c’est à dire qu’elle s’adapte au contexte sans délai ni rupture.

Revitaliser le sens du travail

Il est clair que dans ce modèle, qui  n’a pas vocation à être marginal car il peut  couvrir l’essentiel des activités, l’homme est revenu au centre. Le travail n’est plus un exercice frustrant imposé par d’autres, mais le moyen d’exprimer ses compétences, son talent, ses envies dans un cadre robuste mais fluide. L’idée n’est pas neuve. Dès les années soixante-dix, la logique d’enrichissement du travail a permis graduellement de sortir de la déshumanisation imposée par le taylorisme de pure obédience. Ce n’est que la persistance de modèles autoritaires, inefficaces, qui prive beaucoup de collaborateurs du plaisir de la coopération, et alimentent les dégâts du stress au travail.

 Innover en matière de travail, c’est produire du sens et développer sans cesse la compréhension, le respect, la confiance et la formation, seuls moteurs de l’adhésion. Le numérique oblige certes à repenser le fonctionnement de  l’entreprise comme un réseau ouvert sur l’extérieur et non plus comme une pyramide fermée. Ce ne sont  plus les mêmes profils de compétence et de comportement. Mais l’ouverture, la flexibilité, la prise d’initiatives, la collaboration spontanée, ne constituent pas des propriétés naturellement développées. C’est un travail de remise en cause des acquis. Réinventer les parcours de travail au cours de la vie à l’ère du numérique implique de multiples changements dans notre compréhension du travail contemporain, dans les organisations et la culture managériale mais aussi dans l’affirmation de sa responsabilité individuelle dans le développement de son parcours professionnel.

Les entreprises qui sauront devenir des fédérateurs naturels de talents individuels gagneront la compétition économique. Affranchie des contraintes conventionnelles issues de la fragmentation de la société, la mise en synergie des talents peut trouver des réponses radicalement nouvelles aux problèmes de notre société et combler les lacunes des mécanismes classiques. Utopie ? Certainement moins que l'idée d'atteindre couramment cent ans pouvait apparaître folle au XIXe siècle au temps de Karl Marx... Reconnaître que toutes ces questions, sans réponses univoques, ne constituent pas un problème mais une formidable opportunité est une première étape. Admettre l’urgence et la remise en cause, sans inhibition, de la plupart des modèles qui ont construit l’entreprise, et donc la société, depuis la XIXe siècle est une seconde étape, courageuse, qu’il faudra rapidement franchir si on veut éviter l’effondrement de ces modèles devenus progressivement obsolètes.

Notre réflexion doit nourrir de façon tonique et coopérative, cette remise en cause lucide et efficace. C’est un long et exaltant chemin !