Où va le Canada ?
14 septembre 2015
Les élections canadiennes ont été fixées au 19 octobre. Le Premier ministre conservateur, Stephen Harper, remet pour la troisième fois son mandat en jeu et, cette fois, le contexte lui paraît moins favorable. L’entrée du Canada en récession au premier semestre, du notamment à la baisse des cours du pétrole, s’ajoute à un climat tendu dans les relations entre le gouvernement fédéral et les provinces. Stephen Harper multiplie les frictions avec les provinces. C’est avec l’Alberta, qui vient d’élire un gouvernement NPD (nouveau parti démocratique), parti de Thomas Mulcair, chef de l’opposition et sérieux candidat au poste de Premier ministre, et avec l’Ontario dont la Première ministre libérale, Kathleen Wynne, est un actif soutien du candidat libéral à Ottawa, Justin Trudeau, qu’Harper est en querelle. Alors que traditionnellement les niveaux de gouvernement fédéral et provincial n’interfèrent pas lors des élections, le caractère clivant d’Harper justifie ce climat exceptionnel dans un pays qui ne pratique généralement pas l’art des joutes politiques épiques. Harper a même réussi à se mettre en opposition avec les autochtones en ne participant pas à la rencontre annuelle des chefs autochtones et des premiers ministres provinciaux de 2015.
Ces élections sont importantes pour le Canada qui, sous le leadership strictement conservateur de Stephen Harper, s’est effacé graduellement de la scène politique mondiale. Un changement politique à Ottawa pourrait changer la donne, notamment à quelques semaines de la COP 21. En effet, le Canada est un des pays majeurs de la planète. 10e pays le plus riche du monde pour le PIB par tête, 15e puissance économique par son PIB, membre du G8, le Canada est un immense pays de 10 millions de kilomètres carrés, ce qui en fait le 2e pays au monde pour sa superficie, faiblement peuplé avec seulement 35,7 millions d’habitants et terre d’attraction pour de nombreux immigrants. Riche en ressources naturelles, en eau douce et en hydroélectricité, le Canada est aussi un pays manufacturier où la construction automobile et aéronautique a toujours joué un rôle majeur. Néanmoins, dépendant à 75%, des Etats-Unis pour ses exportations, l’économie industrielle a beaucoup souffert de la crise de 2008, passant de 18% du PIB en 2000 à 10% en 2013 et l’emploi industriel a baissé de 500000 personnes. Si le Canada demeure un pays prospère, où le consensus social et les politiques économiques ont longtemps été plus proches des démocraties du nord de l’Europe que de la culture américaine, il doit affronter une transformation économique majeure qui ébranle ses deux piliers, l’industrie et les matières premières, et crée une dissymétrie entre l’économie pétrolière de l’Alberta et l’économie diversifiée du coeur historique de l’Ontario et du Québec.
Les positions « révisionnistes » du gouvernement Harper sur le réchauffement climatique l’ont isolé des autres nations, y compris de son voisin du Sud. Le Canada, qui apparait à l’opinion française comme un pays « vert », est en fait un de ceux qui font le moins d’effort en matière de lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, Harper ayant refusé en 2011 de respecter l’accord de Kyoto qui, selon lui, comporte des « cibles stupides ». Ce n’est que cet été, face aux violents incendies de forêts qu’a connu la Colombie britannique, qu’Harper a reconnu que le réchauffement climatique pouvait en être responsable… La dépendance économique envers les sables bitumineux d’Alberta , qui représentent 60% des revenus pétroliers, et le lobby pétrolier ont poussé le gouvernement à encourager le développement sans nuance des énergies fossiles en mettant un terme brutal aux efforts d’économies d’énergie et de recherche d’énergies alternatives. Les crédits aux agences fédérales en charge de l’environnement ont été régulièrement réduits depuis 2007, ce qui a suscité de vives réactions de la communauté scientifique internationale. Le Canada est jugé comme le 27e , et dernier, pays de l’OCDE pour sa contribution à la réduction des émissions de gaz à effet de serre ! Les choix fédéraux n’ont toutefois pas empêché les provinces de s’engager dans une politique plus ouvertement favorable à l’environnement.
Sur le plan sociétal, parmi ses positions conservatrices sur la famille, l’emploi, la sécurité, la libéralisation des ventes d’armes aux particuliers, par l’abolition et la destruction du registre des armes de chasse en 2012, a créé une vive opposition dans un pays pacifiste où le taux d’homicide par armes à feu est infiniment moins élevé qu’aux Etats-Unis (130 contre 30000 par an).
Canada ou Québec ?
Le Canada jouit d’une image très positive dans l’opinion française. C’est même, après les Etats-Unis, le second pays de destination privilégiée pour les actifs qui désirent quitter la France en dehors de l’Europe. Chaque année, le Canada accueille comme résidents permanents plus de 6000 Français dont 3000 à 4000 par an s’établissent durablement au Québec. Il y aurait entre 130000 et 150000 Français à Montréal.
Si l’attractivité du Canada est très forte aux yeux des Français, c’est souvent le résultat d’un malentendu très largement lié à la confusion des images entre le Canada, état fédéral, puissance très proche des Etats-Unis économiquement et politiquement, et membre important du Commonwealth, et le Québec, qui n’en est qu’une province avec 15% de la superficie, et 22% de la population. Le Général de Gaulle par son discours de Montréal de 1967 et son fameux « Vive le Québec libre » est largement responsable de cette ambiguïté qui a conféré au Québec, aux regards des Français, un statut d’état qu’il n’a pas juridiquement. De fait le Canada, puissance majeure majoritairement anglophone apparaît au second plan de la relation avec la France au nom de la francophonie et de cet attachement affectif au Québec. Mais même sur ce plan, l’effet de halo québécois nuit à la francophonie dans les autres provinces qui comprennent de nombreuses minorités francophones actives, notamment les provinces de l’Est (Nouveau Brunswick) et l’Ontario. 30% des Canadiens déclarent pouvoir soutenir une conversation en français, et 21 % le parlent couramment à la maison en 2011, contre 24,6% en 1981. 82,5% des Québécois parlent le français à la maison.
Une histoire troublée
Les relations entre le Canada et la France sont marquées depuis 50 ans par cette ambigüité au parfum de revanche sur l’histoire.
Peu de gens savent que le Canada est encore un Etat sous le régime constitutionnel britannique. La reine d’Angleterre en est encore le souverain et elle représentée à Ottawa par un gouverneur général. Les Français qui émigrent au Canada et reçoivent la nationalité canadienne doivent prêter serment à… la Reine d’Angleterre. Le Canada est un membre influent du Commonwealth.
En fait l’histoire des relations entre la France et la Canada est complexe. La France a été évincée de ce vaste espace à la suite de sa défaite devant Québec en 1759 par le Traité de Paris de 1763. Ce qui fut la Nouvelle France, contrôlant un vaste territoire allant du Mississipi aux Rocheuses est devenu un espace centré le long du Saint-Laurent, confiné dans ses frontières par les Etats-Unis au sud, le Haut-Canada anglophone à l’ouest, et sauvé de l’assimilation anglophone par la résistance de ses paroisses catholiques dans un monde protestant. Lâchés pendant des décennies par la France, les « canadiens français » n’ont commencé à retrouver une visibilité que par leur présence en France lors de deux guerres mondiales. Les batailles de la Somme (1916) et de Vimy (avril 1917) sont à l’origine de l’identité et de la souveraineté canadienne. Le débarquement de Dieppe le 19 août 1942, qui a coûté la vie à près de 1000 hommes en une journée, a également fortement marqué le rôle du Canada lors de cette opération sans espoir de victoire mais qui a permis de préparer le débarquement de juin 1944. Il a fallu la révolution tranquille des années soixante et le formidable mouvement de libération culturelle et politique engendré par René Levesque et le parti québécois, entre 1976 et 1985, après le discours du général de Gaulle à l’Hôtel de ville de Montréal, pour que la France découvre que la seconde ville francophone du monde était Montréal.
Or si la France et le Canada ont des relations diplomatiques naturelles entre états souverains, la France a construit avec le Québec des relations diplomatiques particulières. Dans ce cadre, les deux premiers Ministres se rencontrent régulièrement pour définir des ententes bilatérales qui sont gérées par la Commission permanente de coopération franco-québécoise (CPCFQ) et le groupe franco-québecois de coopération économique (GFQCE), instruments d’échanges entre la province du Québec et la France. De fait le Consulat général de France à Québec a pris un rôle privilégié dans la relation avec la province du Québec, qui entretient à Paris, depuis 1961, une puissante délégation générale.
« L’effet Québec » se traduit par un attrait particulier pour la culture québécoise, célèbre depuis les années soixante-dix pour ses chanteurs et son cinéma. 80% des étudiants français au Canada fréquentent les universités québécoises où, jusqu’en 2015, ils bénéficiaient de droits d’inscription privilégiés. Le Québec accueille 60 % des entreprises françaises au Canada, mais les entreprises commencent à s'intéresser aux autres provinces. Et le tourisme français se limite souvent aux villes de Montréal, Québec et le Saguenay Lac Saint-Jean... L’image d’Epinal des « cousins d’Amérique » et leur accent agace profondément les québécois et dissimule une ignorance durable de la réalité socio-économique du Québec, de son ancrage durable dans la fédération canadienne, et de son caractère nord-américain.
Or derrière le Québec, le Canada est un pays que les Français devraient faire l’effort de connaître et de comprendre. Si l’Alberta grâce au boom pétrolier a attiré une main-d’oeuvre française, les autres provinces sont peu populaires. Il ne faut pas oublier que, selon le classement de The Economist en 2015, Vancouver et Toronto, et même Calgary, sont régulièrement classées parmi les villes les meilleures au monde pour la qualité de vie. Montréal est 14e.
Il est certain que pour les entreprises françaises la présence au Canada permet de se développer en Amérique du Nord dans un environnement social et économique, souvent bilingue, à mi-chemin entre l’Europe et les Etats-Unis. Il ne faut toutefois pas se faire d’illusions. Même quand ils parlent français, les Canadiens sont des nord-américains pragmatiques et solides en affaires. Le sous-estimer serait faire une grave erreur et pourrait justifier notre image de « maudits français ».
Note post-électorale
L'élection de Justin Trudeau et la nomination d'un gouvernement paritaire de 30 membres ouvre la voie d'un renouveau de l'action fédérale au Canada. "Canada is back" a déclaré Justin Trudeau après son élection. La première conséquence est une participation active du Canada à la COP 21, l'équipe gouvernementale ayant affirmé être très impliquée dans la lutte contre le réchauffement climatique.
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