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Technologie, usage et marché : de l'informatique au numérique...

Chaque jour le secteur des "technologies de l'information" produit de chiffres impressionnants qui pulvérisent les records antérieurs. Apple ainsi a réalisé au cours du dernier trimestre 2014 le meilleur bénéfice enregistré par une entreprise dans l'histoire économique, 18 milliards $. Et tout ceci grâce à un smartphone, l'iPhone 6, que les analystes considéraient comme banal... Aussi l’expansion du monde des « technologies de l’information » semble infinie. La puissance des processeurs, la connectivité des machines et objets, les progrès d’autonomie des batteries sont  autant de potentiels exploités par la créativité des développeurs. Se dessine progressivement un monde nouveau, mobile et connecté où les interactions entre les hommes sont désormais amplifiées par l’usage de machines connectées en réseau, l'internet des objets.

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Mais derrière l’avancée fracassante des grands acteurs du GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) qui sont devenus les nouveaux leaders de l’économie mondiale, tant par leur capitalisation boursière et leurs résultats spectaculaires que par leur influence, derrière le halo d’intérêt généré par la nuée de start-up, notamment françaises, qui démontrent avec brio leur inventivité, se dissimulent les réalités économiques de toujours. Qui gagne ? Qui perd ? Où sont les capitaux, les marges, les emplois, les secteurs porteurs, les activités déjà  déclinantes ? Le monde qualifié de "numérique" recouvre en effet des réalités économiques très différentes qu’il serait dangereux d’enrober sous une appellation unique. Le risque est  réel de développer une vue miraculeuse, mythique d’un secteur tellement composite qu’il rassemble les acteurs monopolistiques d’une industrie lourde comme des jeunes développeurs de quinze ans. Bien évidemment ni les moyens, ni les ambitions ni le destin de ces acteurs ne sont comparables.

Mauvaise nouvelle , le "digital" ce n'est que de "l'informatique"

Les activités numériques qui pénètrent et refaçonnent tous les secteurs sont pour  beaucoup d’acteurs économiques, et de dirigeants, une découverte d’autant plus magique qu’elle est parée du vocable, aussi flatteur que dépourvu de signification précise, de « digital ». Or elles s’inscrivent en fait dans la continuité historique de l’expansion de l’informatique engagée depuis les années cinquante.  Le numérique, c’est donc d’abord de l’informatique, c’est à dire des données, des programmes, des infrastructures de réseau et de l'exploitation de machines, ordinateurs et unités d stockage. Si tous les composants du système sont présents depuis les origines, formalisés en 1945 dans le modèle de Von Neumann, ils ont bien évidemment changé de forme, de niveau de performance et de prix.  La révolution numérique actuelle n’est qu’une étape d’une révolution industrielle majeure dont la finalité est la maîtrise de l’information et de la connaissance. C'est l'expansion considérable de la sphère de traitement informatique de l'information qui produit une société nouvelle. Pour marquer cette différence de dimension, on peut parler de "société numérique" fondée sur l'informatisation du traitement de toutes les informations.

Un changement de dimension et d'usage : du centre vers la périphérie

Les ordinateurs centraux ont changé, ce ne sont plus des « mainframes » propriétaires, installés dans les entreprises, mais des fermes de milliers de dizaines de milliers de serveurs standard regroupés dans des usines hautement sécurisées et optimisées sur le plan énergétique. Le poste de travail n’est plus un terminal passif ou même un PC avec son clavier et son écran, mais prend les formes les plus diverses du « téléphone intelligent » jusqu’aux écrans de toutes tailles. Le plus souvent mobile, l’ordinateur est désormais multiple et omniprésent, connecté en permanence au réseau internet. Ce réseau  couvre la totalité de la planète et son protocole de communication, TCP-IP, n’est pas propriétaire et permet à tous les serveurs et terminaux  de travailler ensemble. Les programmes, ce ne sont plus seulement les programmes maison en Cobol ou les lourds et coûteux ERP, fruits de longues années de projet d’implantation,  supportant la gestion des processus stables de l’entreprise, ce sont des centaines des milliers de programmes légers, téléchargeables instantanément, couvrant les besoins les plus divers au gré des utilisateurs.  Bien évidemment, ces transformations s’additionnent à des rythmes différents selon les contextes, les pays, les entreprises. Le numérique avance à la fois dans les entreprises sur les bases de l'informatique historique "legacy" comme il prend de vitesse ce monde historique en en cassant les normes et les règles pour s'appuyer sur les pratiques individuelles.

Deuxième mauvaise nouvelle, la base du numérique, ce ne sont pas les start-up

Il faut comprendre que la révolution numérique est une révolution technique et industrielle menée par une industrie lourde et concentrée. La baisse des coûts et l’accroissement des performances sont le résultat des progrès scientifiques et techniques conduits depuis des décennies par une poignée d’industriels qui ont su attirer les plus grands savants et travailler avec les universités de pointe notamment IBM, HP, ATT, Intel, Cisco... Si ces derniers subsistent, parfois en méforme comme IBM, beaucoup de ces acteurs pionniers ont disparu. Le monde informatique est exigeant, complexe et cruel pour les vaincus. Cette industrie capitalistique investit dans les usines de processeurs qui coûtent des milliards de dollars, entretient un réseau mondial de fibres optiques et continue à lourdement investir dans la recherche développement pour étendre sans cesse la capacité de la technique. Elle prend des risques considérables.

Si aujourd’hui on parle de révolution numérique, c’est que cette industrie lourde a su se rendre invisible pour nourrir une transformation des usages qui étant facilement accessible se propage  du grand public vers les entreprises, contrairement à la phase initiale où l’informatique se cantonnait au monde de l’entreprise. Cette invisibilité de la technique entretient une illusion, celle de la gratuité, ou du faible coût, du numérique. Elle met en valeur les start-up brillantes qui peuvent entretenir l'illusion qu'il suffit de quelques mois de développement pour percer mondialement.

Le numérique aujourd’hui ce sont également de nouveaux produits et services qui sont rendus possibles par la baisse des prix des composants et par l’interopérabilité des applications. Sur la couche historique des infrastructures informatiques et télécommunications peut se développer un monde d’innovations beaucoup moins coûteuses à produire et diffuser.  Ainsi le monde des objets connectés ne peut se développer que parce que ces objets envoient des informations, via généralement le smartphone, vers des serveurs installés sur le réseau. Certes il est désormais facile et peu coûteux d’écrire les programmes rendant ces informations intelligibles et utiles à l’utilisateur, mais les utiliser implique d'emprunter des machines et réseaux dont le développement et l'entretien est coûteux et complexe.

Le monde des objets connectés, nouvelle frontière volatile

Mais il faut aussi reconnaître que cette prolifération de services ne change pas spontanément la qualité de vie des utilisateurs. Il n’y a pas de miracle numérique parce qu’on peut régler à distance la température de son domicile et comptabiliser le nombre de pas effectués chaque jour. Chaque usage pris isolément peut répondre à un besoin réel ou encore se révéler inutile et tomber en désuétude. Mais derrière un produit, il y une entreprise, des capitaux, une attente de rentabilité, qui peuvent se révéler totalement volatile si le marché ne fabrique pas une demande solvable.

L’économie numérique diffère de la phase antérieure de l’économie capitaliste en autorisant beaucoup plus facilement un cycle d’essais et d’erreurs aux conséquences  certes désagréables pour les acteurs, mais non catastrophiques pour le tissu économique. Pour un constructeur d’automobile rater un modèle qui a coûté plusieurs milliards € en développement peut être fatal. Parmi toutes les start-up qui ont besoin pour se lancer de quelques dizaines de milliers d’euros, un grand nombre disparaîtra et seules quelques-unes atteindront une taille leur permettant ou de continuer à croître mondialement ou de se vendre confortablement. C’est le marché qui décide, et on a vu depuis 1995 avec l’essor du e-commerce des fortunes se faire et se défaire très rapidement. L’échec fait partie du modèle.

Mais à l’intérieur de la « galaxie numérique » tout le monde n’est pas confronté aux mêmes règles économiques. On voit que les fournisseurs d’infrastructures – concepteurs et fondeurs de processeurs, opérateurs de réseaux, services d’hébergement, fabricants de terminaux – sont confrontés à une concurrence sévère alors que leurs coûts d’investissements (usines, réseaux, marketing, R&D)  sont élevés. Une usine de production de microprocesseurs coûte 7 milliards $. La mise aux enchères des licences 4G aux Etats-Unis a coûté 28 milliards $ aux candidats à l’obtention d’une licence. La vulnérabilité de ces grands acteurs ne doit pas être sous-estimée même s’ils bénéficient, pour un temps, de positions dominantes sœur permettant d’engranger de confortables trésors de guerre. Aucun leader n’est à l’abri, ni Intel, concurrencé sur le monde mobile par Qualcomm, ni Samsung, concurrencé par les fabricants chinois, ni Cisco, attaqué par Huawei, ni même Apple, en dépit de son insolent succès actuel du à l’abandon du dogme maison de ne pas produire de grands smartphones.

Aussi rien n’est jamais joué dans ce marché turbulent.

Le CES 2015 a révélé une floraison d drones, d'imprimantes 3D, de montres connectées et de toutes sortes d'objets connectés qui vont envahir notre quotidien. Il y a beaucoup d'appelés et il y aura peu d'élus. Le secteur des imprimantes 3D est un exemple d’un marché qui stimule l’imagination mais qui reste aujourd’hui marginal. Il y aurait 110000 imprimantes 3D dans le monde. Est-il vraiment utile d’acheter une imprimante 3D aujourd’hui pour mettre des heures à fabriquer une Tour Eiffel de 5 cm de haut comme on le voit dans les démonstrations ? Quel est le véritable usage sur une base régulière justifiant un achat de plusieurs milliers d’euros ? Si on voit  se dessiner un usage industriel pertinent, pour quelques micromarchés de hobbyists passionnés, pour développer rapidement des prototypes, produire à la demande des pièces détachées, il est très prématuré de voir se construire une solution industrielle sur la base des outils actuels. Mais ce qu’il faut retenir, c’est un changement majeur dans le modèle de la production industrielle qui pendant des siècles était fondé sur la production de pièces par élimination de matière, induisant une forte consommation d’énergie et une production importante de déchets, alors que l’impression 3D est fondée sur une logique additive, économe en ressources.  Aussi ce marché encore embryonnaire peut totalement exploser pour les particuliers si les acteurs produisent des solutions acceptables, efficaces et répondant à de véritables besoins. L’entrée d’un acteur aussi expérimenté qu'HP dans ce marché, prévue pour 2016, pourrait rapidement le faire décoller. 

Le monde numérique est fascinant et procure une excitation largement partagée par tous les acteurs devant la pluralité des produits, des services, l'audace des entrepreneurs, la fulgurance des résultats. Mais derrière quelques réussites légendaires, il y a et aura beaucoup d'échecs. Le modèle de "chaos innovant" est stimulant, mais il ne doit pas fasciner les gouvernants et les décideurs au point d'ignorer les réalités économiques et technologiques solides qui rendent possibles  ces prouesses individuelles.

Pour que la société numérique livre ses promesses, il faudra à la fois des innovations d'usage et des infrastructures performantes.


French Tech et CES 2015

Voici la vidéo que j'ai enregistré pour Xerfi sur le thème de la présence française dans le monde des start-ups vue à travers le CES 2015 à Las Vegas

 

http://www.xerfi-precepta-strategiques-tv.com/emission/Jean-Pierre-Corniou-CES-2015-la-percee-de-la-French-Tech_2198.html


L'odyssée de l'innovation à travers le CES 2015

Quels messages retenir du CES 2015 ? Il ne faut pas se limiter à une vision immédiate de cet évènement car il s’inscrit dans une perspective de long terme. L’informatisation de la société est un processus engagé depuis la fin de la seconde guerre mondiale et en constante accélération, chaque étape préparant la suivante. C’est un des leviers majeurs des changements qui façonnent notre vie et permettent, grâce aux progrès convergents des sciences et des techniques, une amélioration des performances humaines qui se traduit, in fine, par l’allongement de la vie humaine.

Les formes de  l’informatisation ont évolué par grandes étapes en fonction des capacités techniques. Du premier processeur Intel en 1971, le 4004 et ses 2300 transistors, au Pentium Pro de 1995, avec 3,1 millions de transistors, au processeur i7 Haswell de 2014 avec 2,6 milliards de transistors, les performances ont connu une croissance exponentielle qui confirme, à chaque étape, la loi de Moore. Si la puissance de traitement des machines est désormais considérable, c’est l’exploitation de cette puissance à travers une multitude d’usages, dans toutes les situations, tous les contextes géographiques, et par tous les utilisateurs  qui est véritablement le déclencheur d’une révolution.

Car cette informatisation ne serait qu’une simple prouesse technique si elle ne provoquait pas une mutation sociale  sans précédent dans l’histoire de l’humanité par son ampleur et sa profondeur. La révolution informatique est aujourd’hui le moteur d’un changement de civilisation, avec ses promesses et ses angoisses. Il suffit de se plonger, au cœur du décor surréaliste de Las Vegas, dans la plus grande manifestation mondiale consacrée au numérique  pour comprendre que cette mutation est profonde, irréversible et va changer nos vies dans la plupart de leurs composantes.

La révolution numérique s'incarne au CES

Le CES, qui a débuté à New York, dans les années soixante, comme Consumer Electronic Show, salon consacré à l’émergence du règne de l’image télévisée et du son haute-fidélité, est devenu depuis dix ans le théâtre global de la révolution numérique. La différence sémantique entre informatique et numérique n’a pas de sens technique, mais traduit, dans une acceptation commune, le fait que l’informatisation du XXe siècle consacrée aux tâches professionnelles est désormais régie par le rythme des innovations grand public. L’entreprise n’est plus maîtresse du rythme de ses évolutions car elle doit intégrer dans ses fonctionnements internes ces innovations plébiscitées par ses clients et son personnel. Or si le PC en 1981 et la facilité d’accès à internet en 1993, grâce au navigateur, ont fait déjà vaciller l’informatique centralisée classique sur des bases en introduisant la liberté de l’individu dans la gestion des systèmes, c’est bien l’apparition de l’iPhone en 2007 qui, cumulant pour le première capacité de communication, puissance de traitement, mobilité et diversité des usages,  a marqué l’ouverture d’une autre ère.

A travers l’expérience d’une dizaine de CES, il est possible de visualiser cette accélération en surimposant les images de chaque CES. En effet, en mesurant la taille et le positionnement des stands comme en analysant le dosage des thématiques des conférences et le choix des intervenants, on comprend que ces mutations parfois subtiles sont à la fois les marques des changementsdésormais actés comme les signaux annonciateurs des transformations à venir.

S’il ne fallait retenir qu’un seul symbole de ces mutations, il faut se souvenir que dans l’entrée du hall central, cœur prestigieux du LVCC, Las Vegas Convention Center où était centrée la partie exposition du CES, se faisaient face Microsoft et Intel, les deux acteurs du monde Wintel qui a brillamment  façonné le monde du PC pendant trente ans. Mais en 2015 c’est un constructeur chinois de téléviseurs, encore méconnu en occident, Changhong, leader du marché chinois des téléviseurs, qui occupe cette place prestigieuse. Intel à cause de cette relation trop intime  avec le monde du PC a raté son entrée dans celui de la mobilité au profit de Qualcomm. Intel est toujours là, très combatif, pour retrouver sa place et son prestige dans le monde de l’informatique des objets dont la part dans la croissance de son chiffre d'affaires a déjà bondi de 19% en 2014

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S’il y a cinq ans, la santé et le bien être occupaient quelques stands minimalistes, dont celui de Withings, timide start-up française montrant en 2009 un objet improbable, un pèse-personnes connecté. Aujourd’hui ce sont des travées entières qui y consacrées avec des stands richement dotés où brillent d'ailleurs les entreprises françaises comme Netatmo, Withings, Sculpteo, Sen.se...  Il a d’ailleurs fallu quitter le LVCC car la place y manquait. C’est un nouvel espace, immense, au Sands, qui est intégralement consacré au monde bruissant des objets connectés. De même, le cycle de conférences consacrées au monde de la santé est devenu une manifestation à part entière, the Digital Health Summit. Le système de santé est en effet devenu un ensemble complexe où interagissent de multiples disciplines et professionnels partageant des donnéees communes.

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De façon générale, l’expansion de la sphère de l’informatisation se traduit par la multiplication des approches verticales où experts et firmes spécialisées discutent de la dynamique de ces nouveaux environnements numériques qui refaçonnent les activités traditionnelles que sont le bien-être et la santé, l’éducation, l’automobile, la publicité, les medias. Sur le socle de base de l’économie numérique, qui se consolide autour du smartphone, du cloud computing et des réseaux à haut débit, viennent se greffer une multitude d’écosystèmes verticaux qui embarquent entreprises conventionnelles et start-up dans une irrésistible dynamique de transformation accélérée.

Tout est connectable et connecté

Le CES est donc sur quatre journées non seulement une exposition commerciale où se croisent 170000 visiteurs de toute la planète et 5000 journalistes, face à 3600 entreprises, mais aussi des milliers de dirigeants qui dialoguent, analysent et construisent les transformations de demain, publiquement mais aussi discrètement dans les suites et salons des hôtels. C’est pourquoi les keynotes du CES sont aussi prisés. Véritables shows millimétrés, fort coûteux, ils traduisent la vision des dirigeants et la force des entreprises leaders. Il s’agit d’impressionner, de marquer les participants et par là les analystes de la planète entière. Ford s’illustre depuis des années dans cet exercice et le nouveau  président, qui a succédé à Alan Mullaly, Mark Fields, a bien montré que l’avenir de l’automobile ce n’était pas la puissance brute mais la capacité de faciliter la mobilité de la planète. Le président d’Intel, Brian Krzanich, a illustré de façon spectaculaire qu’il entendait bien mettre ses processeurs au centre de la réconciliation du réel et du virtuel qui pour lui est « the next big thing ». Et il a invité sur scène HP pour lancer officiellement l’entrée de ce constructeur dans le monde de l’impression 3D, scanneurs, imprimantes et puissances de calcul permettant de passer l’objet réel à sa définition numérique en 3D pour pouvoir être reproduit à l’infini… Mais c’est surtout la présentation du nouveau processeur Curie, qui intègre en un format unique de la taille d'un bouton, son système d’exploitation, des capteurs et des capacités de communication Bluetooth, qui a frappé en montrant la détermination d’Intel à prendre le leadership de l’équipement des objets connectés et du wearable computing.

Un nouveau modèle d'innovation

La leçon du CES ne réside pas dans la diversité des produits proposés, mais dans la convergence de chacune des approches. Par touches se construit un monde où l’ordinateur s’efface au profit d’une multitude d’objets qui vont échanger des informations pour alimenter la prise de décision dans chaque acte de la vie quotidienne, personnelle ou professionnelle.

Le monde des objets consacre un nouveau modèle d’innovation très éloigné du modèle classique de l’investissement en recherche-développement tels que les grandes firmes l’ont pratiqué depuis des décennies. Face au modèle planifié et méthodique de la R&D, l’innovation venu du monde grand public ressemble  à un grand bazar où des objets divers émergent entre le concours Lépine et la science-fiction. Le CES avec ses stands exotiques donne évidemment cette impression. Mais comme l’a vivement défendu le fondateur de Parrot, Henri Seydoux, peu importe que les produits qui sortent de la créativité des start-up soient qualifiés de « gadgets ». C’est l’usage qui fait le tri et révèle des potentiels insoupçonnés au départ par les créateurs. Citant l’exemple des drones qu’il avait imaginé comme étant une forme de jeu vidéo en 3D, il a constaté que les usages professionnels, comme pour l’agriculture et la bâtiment, étaient parfaitement pertinents. Le créateur de la semelle chauffante et connectée, Digitsole, une start-up française parmi les dizaines présentes au CES , visait le marché des équipements sportifs, mais le monde professionnel des travaux en plein air se montre tout à fait intéressé.

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Ce processus s’applique également aux grandes entreprises. Plusieurs grandes entreprises ont clairement affiché leur choix d'ouvrir leur R&D, leurs brevets en favorisant l'open innovation. Samsung, Toyota, mais aussi Ford opérent ce mouvement pour injecter dans leur ADN historiquement fermée des processus d'innovation radicalement nouveaux. La présence active de ces grandes entreprises mondiales, qui ignoraient le CES, est le symbole d'un tournant dans la recherche de synergies entre start-ups et entreprises établies. La Poste, qui est victime de l’érosion du marché du transport de documents papier, a fait de son image robuste et reconnue par la population un vecteur de développement en devenant fournisseur de services de confiance, à travers son réseau physique de proximité, de bureaux et de facteurs, mais également par l’innovation logicielle dans les services numériques et son soutien aux start-ups. Il faut aussi saluer pour ce souci d'ouverture à la créativité la forte présence des start-up françaises, accompagnées par Emmanuel Macron, Axelle Lemaire, Pierre Gattaz, Louis Schweitzer, de même qu'une forte délégation de DSI du CIGREF autour de leur président, autant de symboles témoignant d'un vrétible changement dans la culture française, salué par le président du CES, Gary Shapiro.

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Il se crée un cheminement, impossible à planifier, entre ce que permet de faire la technique, les objets qui en découlent, et la réalité des usages décidée par les utilisateurs.

 Innover, ou disparaître

Le choix est au fond très simple, et c’était le thème d’un keynote essentiel, rassemblant les dirigeants de Cisco, Bosch et Comcast : « Fast innovation : Disrupt or be Disrupted ». Innover s’impose comme une forme indispensable d’évolution pour toute entreprise. Innover c’est écouter ses clients, mais aussi aller au-delà des attentes, des formes convenues, des logiques d’image. C’est oser aborder des sujets nouveaux qui ne peuvent s’explorer à travers des études de marché. Steve Jobs a été expert dans cette approche en rupture. S’il avait attendu des études marketing la réponse des clients potentiels, il n’aurait jamais fait l’iPhone et c’est pourquoi Nokia, champion absolu du téléphone GSM, ne pouvait pas imaginer autre chose qu’un meilleur... téléphone GSM. Lire le CES, c’est comprendre le  rôle de ces chemins de traverse, c’est admettre d’être surpris, choqué par des visions au premier abord futiles, mais qui peuvent se révéler des pépites porteuses de rupture. Le CES implique beaucoup d’humilité et se remémorer que toute innovation suscite un cycle de réactions en trois étapes. La première étape, c’est de penser que c’est inutile, farfelu, absurde. La seconde étape c’est de s’indigner en considérant que c’est dangereux. Et enfin, troisième étape, considérer que c’est tout à fait banal, normal…