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Noël 2014, plus numérique que jamais !

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Depuis plusieurs années, les cadeaux numériques sont  sans conteste les préférés des familles au pied du sapin de Noël.  Ce blog en a déjà rendu compte. Ce choix est naturel : c’est tendance, il y en a pour tous les goûts, tous les âges, tous les prix… Les grands firmes du numérique comme les magasins et sites web  spécialisés se préparent à faire une fois encore de la fin de l’année une année record dans leurs ventes, cette période représentant jusqu'à 50% de leur chiffre. 

Mais les choix évoluent au fil des années en fonction du parc installé dans les familles, qui s’alourdit d’année en année, comme de l’innovation qui condamne les produits des années antérieures à l’obsolescence technique. Le panier de Noël change ainsi rapidement de contenu, même s’il y a quelques invariants qui certes se transforment, mais conservent leur fonction première, comme les  appareils photos.

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Withings, réussite française 


Si le numérique est ainsi plébiscité, c’est que les produits qui accolent à leur fonctionnalité première le mot « numérique » sont devenus légion. Aucun compartiment de la consommation culturelle, du sport ou du loisir ne peut faire l’impasse sur l’inéluctable processus de numérisation qui concerne toutes nos activités et tous les objets qui y contribuent.

Est désormais numérique tout objet familier qui non seulement fait ce qu’il a toujours fait, mais désormais en rend compte à volonté et à distance, comme par exemple une station météorologique. Apparissent tous les jours  des objets qui remplissent des fonctions nouvelles pour capter chaque instant de notre vie quotidienne et nous apporter une aide  contextuelle à tout moment. Les nouveaux venus de 2014 touchent de nouvelles fonctions, comme les montres numériques, mais les appareils traditionnels sont revisités. Les appareils photos savent maintenant communiquer sans fil avec une fonction Wi-Fi et se localiser grâce à leur puce GPS… Les balances personnelles deviennent des auxiliaires de santé en captant, mémorisant et transmettant toutes leurs informations. Et le vieux téléphone connait avec le développement sans limite visible des fonctionnalités des « téléphones intelligents », véritables couteaux suisses de l’ère numérique, une mutation génétique de telle ampleur que le dernier snobisme est de ressusciter des téléphones vintage qui ne peuvent que… téléphoner.

Pour rendre compte de cette offre pléthorique, à la croissance exponentielle, qui ne concerne plus d’ailleurs que les seuls pays riches puisqu’il va se vendre en 2014 1,2 milliard de téléphones intelligents, il faut classer et hiérarchiser.

Commençons cet inventaire en différenciant les objets fixes et les objets mobiles. Les objets fixes sont de moins en moins nombreux, puisque la miniaturisation rend désormais toute chose mobile. Et parmi les objets mobiles, il faut distinguer ceux que l’on porte, comme le téléphone intelligent ou la tablette, ou ceux qui se portent, comme la montre ou le capteur d’activité. Il faut aussi introduire comme variable de choix le prix. Mais tous ces articles, sauf les derniers produits techniques les plus pointus, font l’objet d’une concurrence acharnée qui se traduit par une baisse constante des prix. Par ailleurs les distributeurs classiques se battent avec les acteurs du web ce qui crée un marché dynamique sur lequel il faut prendre le temps de faire des comparaisons, de lire les tests et les forums. Car aujourd’hui, sur les marchés de biens culturels ou de biens techniques, tous en baisse en valeur depuis plusieurs années, le consommateur est roi !

Parmi les objets fixes, attachés à la maison, il y a les ordinateurs fixes, dont l’attrait est en baisse, et les grands écrans  connectés au web. La révolution des écrans plats qui date de 1997, avec le premier téléviseur Philips de 42 pouces vendu 15000 $, a fait éclore dans les lieux de vie des écrans géants au réalisme de plus en plus saisissant. La haute définition laisse déjà la  place à la ultra haute définition  -UHD 4K-  et l’écran plat, LED et maintenant OLED, qui ne prenait pas de place, se courbe pour renforcer la profondeur de champ. Il n’est pas sûr que cette prouesse technique ait un succès durable. Tous ces écrans sont de fait 3D, mais là encore l’innovation qui devait être fracassante n’a pas véritablement tenu ses promesses, faute de  programmes adaptés et surtout de confort visuel. La tendance à la baisse des prix des téléviseurs, alimentée par la concurrence entre les coréens Samsung et LG, et bientôt par les constructeurs chinois, permet de dénicher de très beaux objets à la pointe de la technique de 2013 à moins de 400 €.

Aux objets classiques, il faut ajouter d’autres objets immobiles et connectés qui ont fait leur apparition, comme les pèse-personnes, les caméras de surveillance, en croissance de 10% par an, les stations météo, les thermostats, les alarmes. Tous connectés en Wi-Fi à la box du fournisseur d’accès internet de la maison, ces objets livrent leurs informations à distance à travers le réseau sur un smartphone, et peuvent être également actionnés à distance. Les français Withings et Netatmo font preuve sur ce marché d‘une forte dynamique créative.

Les objets mobiles représentent une famille en voie d’extension continue. On pense que chacun d’entre nous portera et transportera une dizaine d’objets connectés d’ici 5 ans. La place de choix revient au smartphone. C’est l’objet universel, terminal intelligent, truffé de capteurs qui tend à absorber les fonctionnalités des autres objets. Ainsi de plus en plus de photographies sont faites à partir d’un smartphone, au détriment des petits appareils photos numériques compact, comme les petits films vidéo destinés au web. Mais le marché de la photographie reste un vecteur très dynamique où les offres sont très segmentées et difficiles à trancher. Les compacts deviennent experts et adoptent même les objectifs interchangeables. Hybrides et bridges cherchent à concilier, autour de 500€,  qualité photographique, longues focales et compacité. Les caméras vidéo  souffrent de ces concurrences sauf les modèles destinés au sport, dont GoPro est le leader, qui connaissent grâce à You Tube un très beau succès. Au sommet du monde de l’image trône le reflex, qui sait aujourd’hui très bien faire de la vidéo soignée,  avec son aura de professionnalisme.

Le marché des montres numériques connectées est aussi un marché qui bien que récent est déjà très fertile. Des dizaines de produits s’affrontent certaines étant limité au suivi de l’activité sportive, d’autres modèles visant le haut de gamme et même le luxe pour être le prolongement au poignet des fonctionnalités des smartphones enfouis dans la poche ou le sac. Quelques capteurs sont plus discrets, et se fixent à la ceinture, comme le Pulse de Withings.

Alors, que choisir ?

Il faut d’abord réfléchir à l’usage réel de ces produits qui dans la vie courante peuvent encombrer sans être vraiment pertinent et créer un cortège de contraintes avec leurs piles, leurs alimentations toutes différentes qu’il faut emporter en voyage. Il faut se dire que traiter et classer photographies et vidéos représente un vrai travail que peu font réellement.

Ensuite il faut penser aux risques d’usage abusifs de ces produits, notamment sur les plus jeunes. Il est vraiment déconseillé d’utiliser longtemps des écrans, tablettes ou jeux vidéo, avant l’âge de 4 ans et il est toujours indispensable d’en contrôler l’usage avec discernement.

Enfin il faut se méfier de l’engouement qui laisse vite place à la lassitude et à l’abandon prématuré de produits dont le coût, ramené à l’heure d’usage réel, peut être prohibitif.

La consommation numérique  doit rester une consommation plaisir mais sans négliger la responsabilité éthique, éducative et environnementale.


Informatique, banalisation, usage: retour vers le passé

Ce texte date de 2004. Nous avons le sentiment de vivre une période d'accélération de l'histoire des technologies. Or dix années plus tôt, en avril 2004, au moment du lancement de la sonde Rosetta, j'écrivais cet article pour la revue L'informatique professionnelle. Il est intéressant de relire ce document qui traduisait les proéccupations de l'époque pré-iPhone et qui ouvrait quelques perspectives largement confirmées.

L’informatique connaît une banalisation démocratique qui la range peu à peu au rang des autres industries. Désacralisée par le web, elle participe à la convergence générale des technologies. Bien des innovations sont encore à venir mais c’est l’usage qui en déterminera la valeur.

Il y a encore quelques temps, il aurait pu paraître curieux, voire même provocateur, de s’interroger sur les relations entre informatique et innovation tant l’informatique a longtemps été porteuse, dans la représentation collective, d’une image de modernité et de progrès. Il y a en effet très peu de secteurs économiques qui peuvent s’enorgueillir de repousser sans cesse depuis si longtemps leurs limites technologiques, à l’image de l’emblématique loi de Moore, et de célébrer avec tant d’éclat leurs performances. Depuis un siècle, et surtout depuis les années cinquante, tout réussit à l’informatique, propulsée par quatre puissantes vagues d’innovation matérielles et logicielles. Dans les années soixante IBM et le BUNCH inventent les ordinateurs centraux, puis au début des années soixante dix DEC lance les ordinateurs départementaux. En quatre vingt apparaît le révolutionnaire micro-ordinateur, vite relié en réseau, puis connecté mondialement grâce au web en 1993. Mais après la frénésie d’investissements justifiés par le passage de l’an 2000 et l’éclatement de la bulle le monde informatique semble patiner. L’informatique serait-elle en panne d’inspiration ? Aurait-elle perdu son aura et sa magie ?

Pour qui sonne le glas ?

Industrie écologiquement bien pensante, composée de personnel qualifié, à l’image moderniste, l’informatique n’a guère suscité de rejet, tout au plus de l’indifférence. Le marketing et les relations publiques de l’industrie de l’informatique et des télécommunications se sont chargés d’entretenir la flamme et se sont toujours révélés prodigieusement efficaces pour focaliser l’attention sur les nouvelles prouesses de leurs produits. Toutefois, l’informatique traverse une crise de désenchantement qui amène tous les acteurs à s’interroger sur les perspectives réelles de cette industrie. Et tout porte à croire que ce n’est pas une baisse de forme passagère. L’article de Nicolas Carr paru en mai 2003 dans la Harvard Business Review, « IT doesn’t matter », a sonné bruyamment la première charge contre l’informatique toute puissante, ouvrant  une brèche dans laquelle se sont engouffrés tous ceux que l’arrogance de l’informatique a pu agacer et qui finalement se sont révélés plus nombreux que prévu ! La question, nouvelle, est désormais posée : l’industrie informatique va-t-elle définitivement se banaliser et rejoindre dans l’anonymat  de la routine quotidienne d’autres industries stars qui, en leur temps, ont révolutionné notre appréhension du monde avant de succomber à la fatalité de la courbe en S ? Ou bien va-t-elle continuer son essor vers de nouvelles perspectives de transformation en se réinventant grâce à une nouvelle alchimie composée de rêve, de réussite économique et d’appropriation collective ? Qui pourrait gagner, qui pourrait perdre, parmi les acteurs de l’écosystème informatique : éditeurs, consultants, intégrateurs, fabricants de matériel, sociétés de télécommunications, informaticiens d’entreprise, direction des systèmes d’information d’entreprises ? A quelles évolutions de la localisation des compétences va-t-on assister ?

De l’innovation

L’innovation technologique ne provient pas d’un monde extérieur désincarné en percutant nos sociétés telle une météorite. Les innovations naissent au sein de nos sociétés et sont  le fruit de l’interaction dynamique de trois vecteurs : les hommes qui les imaginent, les conçoivent, les réalisent ; les structures qui les financent et les propagent, les utilisateurs qui s’en emparent et se les approprient. Elle s’inscrit dans une logique sociétale où s’arbitrent en permanence ce qui est techniquement possible et ce qui est socialement accepté. C’est à travers cette mécanique complexe d’acteurs que, dans le temps et dans l’espace, se joue le sort des innovations technologiques.

La production d’innovation vient enrichir le stock de ce qui est utilisable, alors que les logiques économiques, l’acceptabilité sociale et la capacité d’apprentissage font un tri pour choisir ce qui est utilisé, et en définitive c’est l’usage qui finit par consacrer ce qui est vraimentutile.

Le déplacement des vagues de l’innovation se fait ainsi à partir du cœur de la recherche scientifique transformée par la maîtrise industrielle vers la périphérie de l’usage. Plus une technologie est adoptée, plus elle se dissout dans la banalisation qui a fait son succès et perd son aura. C’est ce qui se passe avec l’informatique. Le modèle de Von Neuman qui a formalisé la structure de base de l’informatique et permis l’essor de cette industrie n’a pas changé. Mais qui sait qu’une calculette à 2 euros ou un téléphone portable sont des ordinateurs. Même les grands ordinateurs scientifiques ont laissé la place à des fermes de serveurs banalisés. Qui s’en soucie désormais dès lors que la rareté a disparu ? Des produits souvent banals intègrent des technologies sophistiquées, un des meilleurs exemples étant le DVD, réussite de l’intégration de l’optique, de l’électronique et des algorithmes de compression de l’information. Dans cet exemple, l’adoption rapide du service rendu a fait baisser les prix au point qu’un lecteur DVD est aujourd’hui vendu le prix de deux disques … DVD !

Ce qui fait de l’informatique un objet désormais banal est précisément ce qui a fait son succès : accélération de la vitesse, augmentation de la fiabilité, miniaturisation, autonomie en énergie croissante, facilité d’accès grâce à des logiciels de plus en plus simples (le navigateur web est devenu l’outil universel d’accès) mobilité et interopérabilité et surtout baisse des prix. Non seulement les outils sont plus performants, mais l’utilisation de l’informatique se répand dans tous les secteurs de l’activité, des plus classiques comme le commerce de détail aux plus sophistiqués comme la chirurgie ou les bio-technologies. Ce mouvement se poursuivra. Ceci signifie nullement la fin de l’histoire informatique car il se prépare bien sûr dans les laboratoires d’autres innovations qui vont permettre d’élargir l’usage en enrichissant les contenus et en rendant encore attractifs les contenants. Mais l’addition de techniques ne suffit plus à alimenter le mythe quand la magie est dissipée.

La banalisation démocratique

Au milieu du XIXéme siècle, l’électricité statique était une attraction de foire. Comme le cinéma.  Puis ces prouesses individuelles ont donné naissance à de puissantes industries qui ont mis quelques décennies à trouver leur taille adulte. L’exposition universelle de Paris en 1881 consacrait le statut industriel de l’électricité, mais l’électrification de la France a pris des décennies. Un immeuble sur trois seulement était électrifié à Paris dans les quartiers riches, en 1914, mais seulement un sur vingt dans les quartiers populaires. La photographie a mis des décennies pour sortir du domaine de la découverte et se démocratiser. Il est paradoxal que la numérisation rattrape pour la déstabiliser une firme aussi robuste que Kodak qui avait innové en contribuant à rendre la photographie facile et populaire dès 1900 avec ses célèbres appareils Brownie à 1$.

L’informatique, elle, est née adulte et mondiale, sérieuse et coûteuse. Elle ne s’adressait qu’aux grandes entreprises et aux puissantes organisations publiques. Et même si la mise au point de cette technique s’est révélée complexe et coûteuse, tout allait bien pour la poignée de spécialistes qui en avaient la charge. Au grand dam de ces experts, l’informatique a commencé à quitter le champ des grandes organisations pour percer dans le grand public avec le micro-ordinateur et c’est la généralisation de la micro-informatique propulsée par le web qui en quelques années lui a donné le statut d’industrie de masse désacralisée. Il y a désormais un milliard de micro-ordinateurs dans le monde. En quatre ans, un tiers des 22 millions d’internautes français se sont connectés au web par des lignes à haut débit ADSL usage qui était absolument inimaginable pour les informaticiens d’entreprise… comme pour les sociétés de télécommunications.

Depuis lors, cette industrie portée à célébrer le culte de la technologie assiste à sa propre banalisation. Qui se soucie désormais de la puissance de son micro-ordinateur ? Le langage codé des systèmes d’exploitation, des gigabytes et des méga-octets ne fait plus recette. De plus cette transformation ne se limite plus au grand public, mais concerne aussi maintenant les infrastructures des grandes entreprises. Il n’est plus nécessaire de posséder avec fierté ses grands ordinateurs, car la banalisation, appelée ici « utility computing », (fiabilisation, puissance et économie d’usage) concerne aussi les composants centraux des systèmes d’information des entreprises. Certes la technicité y demeure forte, le poids de l’héritage applicatif est encore lourd, mais les méthodes et les outils industriels mis au point au cours des dernières années permettent de gérer l’énergie informatique de façon industrielle. Cette révolution s’est faite en quelques années et brutalement l’industrie informatique a accédée à la maturité, c’est à dire à la baisse des prix et donc des profits. Ce qui compte désormais c’est l’usage, pour tous, de la puissance, de la fiabilité, de la bande passante et de l’ergonomie. La discrimination dans les choix se fait désormais plus sur des critères consuméristes que sur les performances techniques intrinsèques.

Les télécommunications en panne 

L’histoire récente du téléphone préfigure assez largement le sort de l’informatique, au moins dans ses couches d’infrastructure. L’ère du 22 à Asnières est définitivement révolue dans nos pays. Tous les habitants des pays développés utilisent un téléphone même s’il ne faut pas oublier que près de deux habitants de la planète sur trois ne passeront jamais de coup de téléphone de leur vie. Ce qui laisse un bel avenir à l’industrie du mobile qui relègue les vieilles dames du fixe au statut d’icônes préhistoriques, devenues des mamies Bell. Le téléphone vocal a longtemps été une machine magique, un objet de désir. Aujourd’hui ce n’est qu’un objet banal qu’on jette rapidement au gré des modes. La grande force de l’industrie du mobile est de se renouveler par l’usage, certains futiles comme le téléchargement des fonds d’écran ou des sonneries, mais aussi par de vraies trouvailles sociologiques comme le SMS et peut-être l’image. Mais c’est une industrie sous pression des coûts, avec des marges laminées et une concurrence féroce entre les grands anciens comme Motorola ou Nokia et les nouveaux venus agressifs comme Samsung et LG avant que n’entrent en scène à grande échelle les producteurs chinois.

La convergence

Depuis plusieurs années, l’utilisation de composants et de logiciels informatiques dans les appareils électroniques conduisait à prédire la convergence des industries informatiques et des industries électroniques. De fait, la numérisation des informations conduit à ce rapprochement sans toutefois que les deux familles industrielles se confondent, chacune conservant son indépendance. Cette hésitation semble révolue, la convergence gagne du terrain à travers des industries comme celle des écrans plats qui servent aussi bien l’informatique que la télévision, ou la numérisation complète des supports audio et vidéo. Dès lors les fournisseurs informatiques n’ont pas de difficulté à franchir le pas pour investir le domaine des écrans de télévision que les grands fabricants d’ordinateur commencent à attaquer. L’industrie du disque, autant support physique que contenu, vit cette transformation dans la douleur, alors que les acteurs de l’informatique excellent, comme Apple, dans la captation de ce marché de la musique numérique à consommer plutôt qu’à posséder.

Nouveau produit cherche service

Les revues et séminaires informatiques bruissent des innovations qui vont à nouveau faire faire un bond en avant à l’industrie. La question se pose de savoir si ces innovations vont générer de nouveaux usages attractifs, justifiant ces nouveaux investissements, ou simplement entretenir le renouvellement du parc applicatif et des infrastructures. Car pour les utilisateurs professionnels, il faut des motifs sérieux pour investir dans des techniques nouvelles plus perturbatrices que génératrices de gains.

Le champ majeur de développement restera la poursuite de la numérisation complète des informations et donc des processus de création, d’industrialisation, de commercialisation et d’échanges entre acteurs économiques. Autour d’internet, se développeront les échanges entre les acteurs des mêmes écosystèmes pour créer de vastes entreprises étendues, comme se développera entre les personnes d’une même entreprise, d’une même communauté d’intérêt un tissu de relations économiques, culturelles et sociales. Les usages collectifs d’Internet sont encore limités par l’insuffisant équipement des ménages et les difficultés d’apprentissage, obstacle qui se diluera dans les jeunes générations du « chat » et de Kazaa.

La mobilité des personnes et des objets est un vecteur majeur d’innovation annoncée. L’utilisation de la voix sur IP, qui n’en fait qu’un cas particulier de flux de données, à travers un micro-ordinateur connecté en Wi Fi semble ouvrir une ère nouvelle de connectivité, l’extension des capacités du WI-FI vers le WIMAX (802.16) d’une portée de 50 km à 70 M bit/sec et l’UWB (Ultra Wide Band) pour les courtes distances compromettant même les chances, déjà fragiles de l’UMTS au moins dans les zones denses. Les étiquettes électroniques (RFID : radio frequency identification)  vont permettre de relier les objets, sans contact, aux systèmes d’information de façon plus facile et généralisable que les étiquettes à code à barres, fluidifiant la chaîne d’approvisionnement.

Enfin l’informatique continuera à repousser les limites de la modélisation dans les applications de santé, de bio-technologie, dans le développement industriel, dans la compréhension de la matière et de l’univers.

Ces nouveaux produits enrichiront les services existants dans une société plus avide de connaissance et de rapidité. Elles pourront continuer à laisser au bord de la route tous les exclus de la société numérique, ou, peut-on espérer, contribuer à leur réintégration dans la société tout court.

La course off shore

Si l’innovation dans les couches techniques va graduellement enrichir ce qui est possible, c’est par la capacité de mettre en œuvre ces outils par des logiciels appropriés que les changements se concrétiseront dans les processus métier. Les logiciels représentent donc la voie royale du changement. Il reste que la production de code applicatif demeure une activité consommatrice de ressources pour les éditeurs dont c’est le métier mais aussi pour beaucoup d’entreprises utilisatrices qui doivent gérer la transformation de leur parc applicatif. Le cœur applicatif des grandes entreprises est en effet composé d’applications anciennes mêlées de façon souvent  inextricable, sans urbanisme d’ensemble, sans cohérence technique. Ces couches historiques sont coûteuses en entretien technique et en modifications, parfois simplement pour des raisons légales et sans création de valeur. Toute insertion d’innovation perturbe l’équilibre souvent instable des applications antérieures, et coûte cher en création d’interfaces nouvelles.

Pour accomplir les tâches informatiques répétitives de maintenance ou de conversion de codes anciens, les entreprises ont engagé la recherche de solutions plus économiques que l’emploi de techniciens et de cadres de pays développés. Elles se sont orientés en premier lieu vers l’industrialisation et l’automatisation des tâches de réalisation de logiciels. Ces méthodes et outils ont toutefois trouvé leurs limites dans les technologies classiques, mais, de plus, les innovations confortables pour les utilisateurs, comme les interfaces web, se sont révélés contre-productives pour les développeurs. Puis dans une deuxième étape, les « producteurs » de code ont cherché des solutions moins onéreuses en coût de main d’œuvre dans des pays aux salaires plus compétitifs.

Ce mouvement vers l’externalisation off-shore a commencé aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne au début des années quatre-vingt dix. L’exploitation des ressources informatiques mondiales trouve son origine dans la même démarche économique que pour les métiers industriels. Elle a été beaucoup plus rapide dans les pays anglo-saxons qu’ailleurs pour des raisons culturelles, linguistiques, légales. Ceci a clairement favorisé l’essor de l’Inde dans ce secteur. Mais le problème n’est pas seulement économique. Les firmes indiennes ont développé une compétence rare dans la gestion des processus, sont devenus champions du niveau 5 du CMMI, et vont sans aucun doute étendre leurs compétences vers la gestion complète de processus. S’il s’agissait de simplement trouver une main d’œuvre meilleure marché, bien que formée, pour « faire du code », l’Inde se verrait elle-même dépassée par des pays plus compétitifs, comme les Philippines. Mais l’Inde est en train de construire une véritable usine informatique puissante qui sert tous les acteurs mondiaux de l’informatique et pose un énorme défi aux Etats-Unis, qui risquent de perdre des centaines de milliers d’emplois en informatique, ce qui devient un problème politique majeur aux USA.

La course off-shore se  joue non seulement sur les coûts mais désormais de plus en plus sur l’expertise. C’est un défi considérable pour les pays développés qui se croyaient mieux protégés dans les métiers de la « manipulation de symboles » que dans ceux utilisant la seule main d’œuvre.

Le monde de l’informatique et des informaticiens est instable. Si l’innovation ne gagne pas les couches les plus importantes de la population, dans les entreprises comme dans la société, pour s’intégrer de façon harmonieuse dans les pratiques courantes de la vie, l’informatique n’aura pas remplie sa mission de transformation. Si elle réussit, elle perdra en grande partie son identité. Les informaticiens ont cette redoutable charge de transformer une formidable réussite collective en banalisation de leur métier tout en conservant leur professionnalisme et leur rigueur.