Mondial 2014 : l'industrie répond-elle aux défis du marché européen ?
15 octobre 2014
Le retour du Mondial à Paris en octobre 2014, en alternance avec Francfort, constitue un évènement particulier six ans après la crise de 2008 qui allait durablement ébranler l’industrie automobile mondiale et, spécifiquement, assommer le marché européen et ses constructeurs historiques.
En 2007, l’Europe avait produit 23 millions de voitures et son marché intérieur s’élevait à 16 millions de voitures. En 2013, ces chiffres étaient respectivement de 14,6 millions et 11,9 millions, soit 16% du marché mondial. La production automobile en France plafonne aujourd’hui à 1,74 million de véhicules, soit la moitié de 2005.
Par rapport à 2007, sur 6 ans, c’est donc près de 20 millions de voitures qui n’ont pas été vendues, ce qui représente une perte consiérable pour toute l’industrie, ses sous-traitants et sa distribution. Ces véhicules ne se retrouvent pas dans le parc européen, qui a donc vieilli, au détriment de la performance énergétique globale.
Des signes de retour à l’optimisme se sont multipliés depuis deux ans avec une remontée des ventes, timide mais régulière, alimentée largement par un effet mécanique de renouvellement d’un parc vieillissant. Mais il est illusoire de retrouver les chiffres de vente de 2007 avant de longues années, si tant est que cet objectif soit légitime dans une économie européenne vieillissante au marché saturé.
Le plaisir de conduire, toujours actuel ?
Car l’industrie est désormais confrontée à une question fondamentale : les Européens sont-ils de nouveau prêts à consacrer une part significative de leur budget à l'automobile, en investissement comme en fonctionnement? Au-delà des contraintes économiques dans des budgets des ménages de plus en plus serrés, existe-t-il encore un désir d’automobile qui justifie des achats et des engagements de dépenses récurrentes conséquents. Les constructeurs y croient car ils pensent que le désir d’automobile est un élément indissociable de la culture européenne qui a vu naître l’automobile et en reste un leader mondial. L’automobile est associée à un mode de vie, une forme de liberté et de plaisir qu’aucun autre moyen de transport ne satisfait pleinement. Il est d’ailleurs significatif de constater que les publicités des voitures sont tournées souvent aux Etats-Unis dans de grands espaces où les marques françaises n’auront jamais l’opportunité de circuler !
En revanche, les tenants d’une vision utilitariste de l’automobile considèrent que l’automobile individuelle est incompatible avec la qualité de vie en ville. Elle se révèle inefficiente quand il s’agit de transporter quotidiennement des millions de personnes de façon sûre, fiable, en exploitant rationnellement l’espace et l’énergie. Ce camp des automobilo-sceptiques comprend notamment les gouvernements européens dont les décisions constantes réduisent la part de l’automobile dans les villes et la contraignent par des règles de circulation et des normes d’émission de plus en plus sévères.
Des réponses timides
Est-ce que l’industrie automobile européenne a appris, au cours de ces années de disette, à apporter des réponses appropriées au plus grand défi de l’automobile qui est la perception par le consommateur d’une dégradation de son rapport coût/valeur ? Aux coûts croissants correspond en effet une appréciation de la valeur fournie de plus en plus négative. Pour beaucoup d’automobilistes, la voiture est un choix contraint par le manque de solutions alternatives satisfaisantes, notamment en zones rurales et péri-urbaines. Là où l’offre de transport collectif est la plus dense, l’usage de la voiture décroit comme le taux de renouvellement de l’achat de véhicules individuels. La part modale des déplacements en automobile ne cesse de baisser ainsi dans les grandes métropoles françaises.
Mais pour les constructeurs, dont l’objectif est de revenir à une meilleure profitabilité en utilisant au mieux leur outil de production, qui reste durablement surdimensionné sur le continent européen, la question cruciale est bien de ramener les consommateurs dans les concessions pour les séduire avec des véhicules nouveaux, attractifs et flatteurs. La part d’irrationalité qui pousse le consommateur à acheter un véhicule dont il sait qu’il va rester la plupart du temps au parking et dont chaque mouvement coûte cher en temps, en carburant, en stationnement et en… amendes est justement cette zone de fragilité que vise à exploiter les constructeurs.
En même temps, le marché étant très concurrentiel, c’est à chacun de peaufiner son argumentaire pour se différencier sur les valeurs qui lui paraissent être ses points forts. Le Mondial constitue donc sur deux semaines un théâtre d’opérations où chacun développer ses avantages relatifs pour extraire le marché de sa morosité à son profit. Ce sont plus de 80 véhicules nouveaux qui s’affrontent dans l’arène. Bien peu seront couronnés par un succès commercial significatif.
Si les consommateurs boudent le marché automobile, quand ils payent eux-mêmes la facture, c’est bien parce que le coût d’usage apparaît trop élevé par rapport au service rendu. Est-ce que les offres du Mondial répondent à cette attente ?
Au milieu d’une pléthore d’offres premium, marché privilégié des constructeurs car ils y trouvent des marges confortables, les petites voitures et l’entrée de gamme ne font pas rutiler leurs chromes. Or c’est pourtant cette offre qui séduit les clients français car elle représente 53 % du marché contre 41% pour les autres pays européens.
Seul le groupe Renault avec sa marque d’entrée de gamme Dacia a ouvertement fait du prix son argument commercial majeur. Il a parfaitement réussi en proposant une gamme mondiale, réduite à huit véhicules modernes et fiables, là où les généralistes en proposent en général une vingtaine. Avec un million de véhicules vendus, Dacia atteint sa cible sans dégrader les prestations, son SUV Duster étant au contraire un grand succès mondial pour son design et ses qualités techniques pour un prix d’au moins 50% inférieur à ses concurrents immédiats. Dacia contribue largement aux profits de Renault par une organisation industrielle optimisée et des prix de revient soigneusement pilotés.
On peut donc dire que lorsque le rapport coût/valeur est favorable, le marché répond positivement. C’est pourquoi d’autres constructeurs, après avoir été très sceptiques, cherchent à proposer une offre équivalente, avec beaucoup d’année de retard. C’est le cas de PSA avec , de Nissan qui tente dedévelopper sa marque d’entrée de gamme Datsun. Citroën a introduit à Genève sa C4 Cactus qui constitue une offre innovante tant par le design que par la sobriété des équipements pour un prix qui commence quand même à 14000 €.
Pour beaucoup de constructeurs, la solution réside plutôt à proposer des packages associés à des conditions commerciales attractives, la vente avec rabais étant devenue un standard de l’industrie.
La consommation n'est pas un argument déterminant
Peu d’offres s’attaquent frontalement au problème majeur de l’automobile, la consommation. Pour y parvenir à baisser les consommations de carburant, les solutions sont connues. Il faut d’abord alléger le poids du véhicule, après des générations de véhicules de plus en plus lourds, réduire la puissance des moteurs et travailler dans le moindre détail l’aérodynamisme. C’est un travail minutieux qui impose une révision parfois drastique des choix qui ont été faits depuis des années et ont conduit à l’obésité des véhicules, toujours plus longs et larges, toujours mieux équipés, toujours plus puissants. Or il faut choisir des matériaux moins lourds -aciers spéciaux, composites, aluminium, fibres de carbone voire magnésium -, coûteux et délicats à mettre en œuvre en grande série, renoncer à la multiplicité des accessoires à l’utilité contestable, et repenser des éléments classiques comme les sièges. Le downsizing ne plait ni aux ingénieurs épris de performance brute, ni au marketing qui ne sait toujours pas vendre les voitures pour leur frugalité. Par ailleurs le ralentissement de la croissance mondiale a écarté provisoirement la menace d’une hausse du prix du pétrole brut, qui tend à se situer au-dessous du seuil des 100 $ le baril. Il a fallu beaucoup d’énergie à Arnaud Montebourg pour fixer à l’industrie le défi de descendre au-dessous de 2 litres de carburant au 100 km et Renault et PSA, démontrant qu’ils conservent leur capacité d’innovation, y ont répondu avec célérité et réalisme. L’un propose un véhicule essence/hybride, la Renault Eolab, et PSA met en oeuvre son concept Hybrid Air 3 cylindres essence/pompe hydraulique sur une 208. Eolab peut être considéré comme la révélation du Mondial car ce véhicule cumule les avancées techniques pour gagner 400 kg et passer, avec 955 kg, au-dessous de la barre de la tonne. Eolab met en œuvre un groupe moto-propulseur hybride essence rechargeable qui est une solution inédite pour Renault. Ce savoir-faire du constructeur dans la création d’un véhicule innovant apporte des solutions rapidement exploitables.
L’autre contrainte qui pèse sur les constructeurs pour limiter la consommation, et donc les émissions, est de nature réglementaire. D’une part, la norme Euro 6 repousse les limites d’émission de NOX et de particules, et d’autre part le passage, en 2021, d’une émission moyenne de CO2 par km, pour chaque gamme, de 130 g à 95 g impose un effort considérable aux constructeurs pour modifier leurs pratiques.
Ces contraintes sont intégrées par les constructeurs sans enthousiasme car elles sont coûteuses avec peu d’espoir d’en répercuter le coût sur le client.
Toutefois, en dehors de ces véhicules concept prometteurs mais à la commercialisation encore lointaine, les constructeurs restent fidèles à leur approche du marché en multipliant les modèles et leurs variantes sur-motorisées. Ces catalogues pléthoriques et tapageurs ne débouchent pas nécessairement sur des ventes mais restent nécessaires, dans l’esprit des directions marketing, à l’affirmation de l’identité de marque. La réalité du marché, d’ailleurs entretenue par les concessionnaires eux-mêmes, sanctionne d’ailleurs cette profusion de modèles en ne sélectionnant que quelques véhicules à succès. Quelques modèles, Clio IV et Captur pour Renault, 208, 308 et C3 pour PSA, concentrent les volumes de ventes au sein de gammes pléthoriques. Elles devraient être rejointes dans le succès par la sympathique Twingo qui est bien le type de véhicule accessible et compatible avec l’usage urbain que les clients plébiscitent.
Parmi les voitures au profil décalé par rapport à ces tendances lourdes du marché, ce qui ne les condamne par nécessairement sur le plan commercial, on peut citer le futur Espace, véhicule statutaire de 4m85 qui porte les espoirs de Renault de retrouver une place en haut de gamme. Un constructeur se doit d’avoir aussi dans son catalogue des voitures sportives. C’est pour cela que Peugeot propose des versions GT de ses populaires 208 et 308 avec des moteurs dépassant 200 ch, propriété bien peu exploitable dans le trafic courant.
L’offre du Mondial multiplie ainsi dans toutes les marques les véhicules statutaires, sportifs et haut-de-gamme qui se vendent très peu en France.
En revanche, le front écologique des véhicules électriques et hybrides est peu actif. Les constructeurs semblent résignés à un impact marginal sur leurs ventes. Le véhicule électrique personnel stagne à 5400 ventes sur 8 mois, dont 46% sont des Renault Zoe et 17% des Nissan Leaf, belle performance de l'Alliance. Mais sur les huit prmeiers mois de 2013, les véhicules électriques s'étaient mieux vendus, à 5674 unités. Les hybrides, contrairement à leur progression régulière, ont baissé au premier semestre 2014 de 6,7% par rapport à 2013 et ne représentent que des volumes limités avec 2,2% du marché. Il faut souligner dans ce segment largement dominé par Toyota, dont la Yaris produite en France est la meilleure vente avec 6300 véhicules en 6 mois, et pour les constructeurs français, par PSA (Peugeot 3008 et 508 Hybrid 4) , l’engagement de Volkswagen qui propose une Golf hybride attractive. Cette faible attractivité des voitures vertes tient à leur coût, à la baisse relative des aides publiuqes et globalement à un scepticisme durable du marché français.
Les constructeurs ont de la peine à faire évoluer leur offre pour coller aux exigences d'un marché désormais urbain, vieilissant et de moins en moins solvable. Mais le public qui plébicite les petites voitures montre aussi son conservatisme en matière de motorisation. L'automobile plaisir, puissante, statutaire, sportive reste le mythe auquel se raccroche l'imagerie automobile alors que la réalité quotidienne est beaucoup plus pragmatique. Les constructeurs prétendent qu'il leur faut maintenir cette image glamour et ne se résignent à produire des véhicules plus simples, pratiques et moins consommateurs d'énergie.
Ce qu'on appelle crise de l'automobile, avec un attentisme pesristant d'un marché sourd aux sirènes des constructeurs, ne serait-elle pas l'annonce d'une transformation profonde et durable du marché ?
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