S'emparer des outils numériques pour revitaliser l'économie
16 septembre 2014
Où en est la France dans la relance de son économie ? Perdue dans le rêve d'un retour à la croissance d'antan, transpercée par les déficits, la France se vit comme la grande victime de la mondialisation. Comme tous les autres pays, elle dispose toutefois d'un levier de transformation majeur, la généralisation des outils numériques pour simplifier, rationaliser le passé et ouvrir le champ immense du futur. Or tout se passe comme s'il fallait encore convaincre les dirigeants qu'ils avaient entre les mains un moyen puissant de reconfigurer leurs processus et d'inventer de nouvelles activités. Cette cécité paradoxale dans un pays qui aime l'innovation technologique pour ses usages individuels conduit, par exemple, à être très en retrad en matière de robots industriels. Or le web et internet fournissent des solutions accessibles, faciles à mettre en oeuvre et peu coûteuses. Il n'est que temps d'agir sans délai pour changer et aller de l'avant !
Vingt ans après la démocratisation de l’accès à internet par la mise au point d’outils de navigation simples et efficaces, le réseau internet et l’ensemble des services accessibles par le web sont partout dans le monde devenus une réalité économique, culturelle et sociologique dont l’ampleur, dans l’histoire de l’innovation, est unique. La France n'y échappe pas. Pourtant elle en retarde la prise de conscience en dépit du nombre élévé de rapports pertinents qui visent à en réveiller la conscience numérique.
Or cette mutation a été servie par la démocratisation de l’accès aux services de l’internet et du web, qui n’exige aucun apprentissage, par la baisse des coûts des terminaux et des services et par la généralisation des usages dans chacune des sphères de la vie professionnelle et sociale. Chacun de ces vecteurs de transformation va continuer à agir dans les prochaines années pour amplifier le nombre des innovations et leur impact sur la vie sociale. C'est un phénomène inéluctable, sauf cygne noir qui viendrait bouleverser toutes les perspectives mondiales.
Avec plus de 90% de la population mondiale pouvant accéder aux services de la téléphonie mobile, avec plus du tiers de la population mondiale disposant d’un accès au web, avec plus d’un milliard de terminaux intelligents mobiles vendus en 2014, le web ne représente plus une nouvelle frontière élitiste et confidentielle, mais un phénomène de masse totalement immergé dans la réalité économique et sociale de notre époque. La France qui a pu se considérer comme en retard par rapport à ses principaux concurrents n’est plus techniquement pénalisée grâce à la concurrence qui offre des accès économiques aux ressources fixes et mobiles du web. Le nombre de start-ups, l’action publique pour la numérisation des services publics, le développement des services numériques dans les grands secteurs économiques mettent la France au diapason des grands pays. La France peut même s'enorgueillir d'être classée en 2014 par l'ONU parmi les premiers pays mondiaux et même au premier rang en Europe pour la e-administration. Mais toute situation acquise est fragile dans un champ hautement concurrentiel et mondial. Car très prochainement, c’est bien l’ensemble de la population mondiale qui pourra accéder aux potentiel du web, ce sont les objets connectés qui vont être au cœur de la future vague de transformation. Cette double expansion dans le nombre d’utilisateurs et dans le champ des usages possibles du numérique offre naturellement de nouvelles opportunités mais aussi dilue rapidement tout avantage comparatif temporaire.
Nous avons construit pour la simple année 2010, selon les calculs du MIT, cent fois le volume d’informations créées depuis l’origine de la civilisation. Nous ne sommes qu’au début d’une aventure humaine exceptionnelle où la mise en connexion par le web de milliards d’êtres humains constitue une expérience cognitive sans aucun équivalent dans notre histoire. Nous sommes sortis d’une vision linéaire, prédictive du progrès de connaissances pour entrer dans un modèle à la fois systémique et exponentiel, où chaque discipline se nourrit et alimente les progrès des autres disciplines. De cette croissance sans limite vont émerger des produits et services aujourd’hui simplement inimaginables. 50% des produits et services que nous utiliserons couramment en 2025 n’existent pas aujourd’hui.
La capture de données, la recherche d’informations et l’élaboration de connaissances constituent les fondements d’un nouveau cycle économique impliquant nouveaux acteurs, nouvelles disciplines, nouveaux modes de gestion et de management.
C'est là où se joue vraiment l'avenir des entreprises : concevoir et mettre sur le marché des produits innovants, attractifs, en ligne avec les besoins des clients est la vraie -et seule- finalité des entreprises. Le faire en disposant d'un moyen ultra efficace pour rapprocher des informations structurées issues du système d'information interne, et les informations non structurées internes comme externes, donne une efficacité accrue au système de conception, qui bénéficie d'une nouvelle qualité d'exploitation du stock d'informations et de connaissances, souvent dormant. Il s’agit non seulement de gérer des données structurées, mais surtout non structurées, dont des images 3D. Veille technologique, analyses concurrentielles, suivi en temps réel du cycle de vie des produits, analyses fines de la réaction des clients sont les nouveaux outils de la performance. Ce qui naguère fut un exercice souvent négligé, la gestion et l’archivage des données numériques devient désormais un outil incontournable d'efficacité dans tous les métiers.
La France, par la qualité de son enseignement, par la persistance d’une industrie numérique qui a su résister dans les applications professionnelles, même si elle a quasi disparu dans les applications grand public, par l’existence d’une génération d’entrepreneurs numériques audacieux, par une infrastructure numérique de qualité peut retrouver une dynamique de croissance économique alimentée par un usage pertinent du potentiel numérique dans l’entreprise.
Produire dans l’ère numérique c’est bien évidemment s’adapter en temps réel à la demande par une analyse continue de l’évolution de la demande finale, des stocks et des encours de production. Le cycle de conception, production, distribution est désormais ramassé dans le temps ce qui offre de nouvelles perspectives de réindustrialisation des territoires. Cet exercice est sous-tendu par la capacité de gérer les approvisionnements en flux tendu grâce à une logistique précise. Passer de la conception numérique à la maquette numérique puis au process numérique devient naturel grâce aux outils de PLM (« product life management ») qui permettent de rassembler dans un référentiel unique l’ensemble des informations nécessaires à la conception, à l’évolution et à la production. La conception entièrement numérique permet des gains considérables dans les phases d'industrialisation et de production : élimination des retouches et problèmes de fabrication, qualité maximale atteinte dès le démarrage de la production industrielle, temps d'assemblage divisé par deux, outillage de production réduit de plus de 50%. Ainsi, l’avantage lié au coût de la main-d’œuvre disparaît si les gains obtenus par la vitesse de conception et de déploiement des produits, la réduction des stocks et la limitation des coûts logistiques.
Cette logique s’applique également aux produits dont toute la chaîne de conception est numérique, qu’ils adoptent une forme matérielle (le journal papier) ou immatérielle (l’image du même journal sur internet). Cette continuité protéiforme qui conduit d’ailleurs à remettre en cause l’opposition duale matériel/immatériel s’applique à de nombreux produits comme par exemple un prêt bancaire ou un voyage où la chaîne de conception et de décision purement numérique s’incarne dans une réalité physique. Ces outils permettent un gain de temps et d’efficacité considérables par rapport aux circuits fragmentés de décision. Leur mise en œuvre est de plus en plus simple et accessible, même aux petites entreprises.
Que peut faire l'Etat dans ce contexte nouveau pour lui d'une révolution dont il n'a pas les clefs ? De ce fait, les modes d’actions que peut impulser l’initiative publique ont changé de nature. Il ne s’agit plus de faire connaître et comprendre le web en tant qu’objet technologique à travers des laboratoires d’expériences, il faut désormais construire avec les outils courants du marché, largement disponibles, les organisations et les processus d’affaires qui vont servir la compétitivité de la France à travers de nouveaux modèles d’affaires, à travers de nouvelles structures, de nouveaux modes d’apprentissages et de nouveaux comportements. Il est aussi indispensable, dans cette réalité mouvante qu’est l’économie numérique, d’en comprendre les ressorts pour anticiper les évolutions futures et préparer leur intégration dans la quotidienneté. Le choix de soutenir des projets techniques doit être sélectif pour éviter une dilution préjudiciable des moyens.
Certes en dépit de cette généralisation rapide, la révolution numérique est encore inégalement répartie entre les territoires, les groupes sociaux, les usages. Comme face à chaque nouvelle mutation, certains acteurs peuvent estimer être gagnants et d’autres perdants, voire victimes. L’action publique doit favoriser un accès équitable aux ressources numériques en laissant l’initiative individuelle opérer de façon libre. Un des thèmes majeurs de cette dynamique est l’accès aux ressources de l’internet haut débit dans les zones où la rentabilité des investissements ne peut être garanti par la seule dynamique du marché. Or la qualité de l’accès à internet, de façon fixe ou mobile, est une des conditions de base d’un usage pertinent du web.
Le monde du web, et de façon générale l’économie numérique, présente la caractéristique d’être oligopolistique dans ses fournisseurs techniques et totalement dilutif dans la capacité de chacun à tirer profit des objets et services fournis par les moteurs du cœur technique. La compétition ne porte plus sur seulement sur l’invention de nouveaux outils mais sur la combinaison rapide des outils et des services pour proposer de nouvelles opportunités aux utilisateurs. C’est en portant ces nouvelles opportunités dans les activités et métiers que l’impulsion numérique fait naitre de nouveaux potentiels qui trouveront leurs marchés et leurs publics. Ce processus de métabolisation peut être favorisé et accéléré par les acteurs publics dès lors que les composantes de cette dynamique sont bien identifiées et comprises. Il ne s’agit plus de donner des moyens financiers, il faut favoriser la construction d’écosystèmes qui deviendront rapidement autoporteurs. C’est la philosophie du Fonds national pour la société numérique gérée par la Caisse des dépôts.
C’est bien la capacité à construire des modèles coopératifs entre acteurs qui va permettre de concevoir et porter de nouvelles propositions de valeur dont l'utilisateur sera, in fine, seul juge de la pertinence. S'il y a bien une caractéristique de l'économie numérique qui perturbe les pouvoirs publics et les décideurs, c'est bien cette absence de prévision sur la maîtrise des éléments. Or si l'on ne peut prévoir, c'est alors qu'il faut préparer !
Références
- Pour ceux que l'industrie numérique passionne, il faut lire l'excellent document publié par le Gimelec sous le thème de l'industrie 4.0 http://www.gimelec.fr/Publications-Outils/Industrie-4.0-l-usine-connectee-Publication
- Le rapport des Nations Unies, élogieux pour la France, sur le e-government est accessible sur le site
http://unpan3.un.org/egovkb/en-us/Reports/UN-E-Government-Survey-2014
- Philippe Lemoine a été chargé par Fleur Pellerin en janvier 2014 d'une mission sur la transformation numérique de l'économie française dont les conclusions seront présentées en septembre 2014
Commentaires