Contre la complexité du monde, repenser nos priorités !
30 avril 2014
Si les parallèles entre 1914 et 2014 sont tentants en cette année mémorielle, le contexte est, bien entendu, profondément différent. On fête – si ce mot a ici un sens – le début d’une tragédie, cette terrible première guerre mondiale dont l’absurdité suicidaire n’en finit pas de surprendre, et les soixante-dix ans du débarquement qui allait accélérer fin d’une autre tragédie, la seconde guerre mondiale qui a ravagé la planète pour longtemps. Ces conflits, en fait, n’en font qu’un, une longue séquence de violences au nom du nationalisme et de l’idéologie qui commencent dans l’embrasement de l’été 14 et s’achèvent dans les soubresauts de la décolonisation. On peut même dire que le communisme, comme le nazisme, étant les produits de la première guerre mondiale, et sa consolidation ayant été amplifiée par la seconde, c’est bien en 1989 avec le chute du mur de Berlin que s'achève cette longue séquence. C’est donc une période de 75 ans de guerre et de tensions qui a été alimentée par la folie des Européens. Si la « construction » européenne, processus aléatoire, chaotique et par nature inachevé, a bien servi à quelque chose, c’est d’avoir construit en Europe, à partir de ces ruines, un espace de paix prospère. Rien ne permet de penser que cela peut durer…
Le résultat de ces deux conflits est hélas sans appel : ils ont cassé l’idée de progrès et scellé l’irrémédiable déclin de l’Europe. Or, malgré ses échecs et ses excès, l’Europe a toujours donné du sens à l’aventure humaine. Sa culture humaniste et universaliste ont aidé à construire un monde habité par l’idée de paix et de développement harmonieux. Si ce phare devient palot, le reste du monde en subira les conséquences.
Si la croyance dans le progrès avait cimenté l’opinion publique de la fin du XIXe siècle, c’est l’angoisse du futur qui paralyse les « vieux pays » en ce début de XXIe siècle. On solde ainsi le XXe siècle, ses conflits, ses idéologies, ses succès aussi dont les trente glorieuses et l’état solidaire ne sont plus que des souvenirs enjolivés. Mais on est incapables d’inventer l’avenir. Les mythes refondateurs, comme l’Europe, sont sérieusement ébréchés et les élections européennes de mai risquent de confirmer que les opinions n’ont plus guère de foi en ce concept fourre-tout.
Mais si l’Europe n’a plus de confiance en son avenir – l’échec de l’agenda de Lisbonne en étant le pathétique symbole - qu’en est-il des pays en croissance ? Les Etats qui souhaitent mener le bal du XXIe siècle ne sont guère en meilleure santé, drogués par la corruption, incapables d’inventer de nouveaux mécanismes qui ne singent pas les modes et dogmes de la pensée occidentale triomphante dans sa quête d’enrichissement individuel au détriment de la solidarité et du long terme de la planète. On peut se réjouir à court terme pour l’industrie automobile que la Chine représente désormais le premier marché automobile de la planète avec plus de 21 millions de voitures vendues, on ne peut que frémir de l’impact à moyen terme de cette invasion dans un pays qui connaît une pollution sans précèdent aux conséquences sanitaires et politiques incalculables.
Les vieux pays sont ceux qui menaient le monde à l’orée du XXe siècle : Europe occidentale, Russie, Etats-Unis. Ils ont été rejoints par la Japon, naguère modèle de modernité, aujourd’hui encalminé depuis plus de vingt années par l’absence de perspective économique sinon un vieillissement insulaire fatal. Les Etats-Unis ont perdu toute vision du monde, et donc tout leadership, aveuglés par leur paranoïa anti-terroriste qui leur permet de conduire, avec l’arme du renseignement et son bras séculier, les drones, une guerre permanente, non dite, en dehors de toutes les règles.
Le bilan est sombre. On constate d’un côté l’affaiblissement culturel, scientifique et économique de l’occident, de l’autre une croissance sans but qui apporte un bien-être fragile et tellement dissymétrique qu’il en compromet les bases sociales et politiques. L’incapacité collective à définir une stratégie mondiale de protection des ressources naturelles n’en est que la conséquence, certainement tragique pour l’humanité.
Aussi pour satisfaire la demande de sens qui émane des jeunes générations, mais aussi pour répondre à l’angoisse de la majorité de la population qui pense que le futur sera plus sombre que le passé, il faudrait déployer beaucoup de pédagogie et d’enthousiasme pour faire naître la confiance en un futur indéterminé.
Trois idées sont de nature à dissiper ce brouillard :
- Réinventer la démocratie
- Réorienter la science
- Reconstruire le travail
Réinventer la démocratie
La démocratie en Europe, qui l’a inventée, n’est guère florissante, et ailleurs elle est bien pâle… Ce modèle en théorie enthousiasmant souffre de la médiocrité constante des dirigeants incapables de donner du sens à leur action au-delà d’une agitation médiatique aussi vaine qu’activiste. Or la démocratie, c’est proposer des alternatives, construire dans la durée, rendre compte de façon objective, cultiver la rigueur et la probité, en commençant par la première étape, la probité matérielle… La démocratie, au service de la République, c’est à dire du bien commun, ce n’est pas fabriquer de l’illusion, mais pratiquer la lucidité, s’en tenir aux faits sans inventer avec les « conseillers en communication » dont on voit l’influence délétère un récit mythique et pathétiquement inconsistant, proposer un chemin souvent aride sans tirer des chèques sur un futur semé de cygnes noirs.
Nous avons besoin de démocratie pour, simplement, vivre ensemble. Et pour ça il faut de l’ordre et de l’équité. De la lucidité et de l’espoir. De la tolérance et de la fermeté.
Le régime représentatif ne satisfait plus guère à ces conditions. Il faut le tempérer par la démocratie directe avec des référendums aux effets tangibles sur des sujets clairs. Il faut également développer une information précise sur l’action des élus, en négligeant les grands cris d’orfraie de ces démocrates qui crient au voyeurisme quand on leur demande d’apporter la preuve que leur mandat ne les a pas enrichis illicitement. Coûts réels des projets, connaissance des rémunérations, analyse a posteriori de l’impact des décisions sont autant de données qui doivent être largement partagées pour être soumises à l’analyse des citoyens. Le web peut être cet outil de partage indispensable. Il faut aussi que le parlement soit plus un organe d’investigation et de contrôle de l’exécutif qu’une machine à produire du texte législatif sans consistance car mal construit et inapplicable. Référendums et open data sont deux contrepoisons efficaces à toutes les tentations de dérive. Ultimement, il faudra bien apprendre à dissoudre la classe politique pour ne prêter provisoirement l’exercice du pouvoir qu’à de citoyens intègres et peu soucieux de « faire carrière ». Utopique ?? Non, transparence, honnêteté et sanctions réelles doivent cimenter ce nouveau pacte social. Le risque à ne pas faire cette révolution est bien de laisser aux groupes animés par la rancoeur, la peur de l’autre, le plaisir d’occuper le devant de la scène avec leurs projets inconsistants mais attractifs dans leur simplification rassurante.
Réorienter la science
La science a déçu. Non pas l’idée de science, mais son application opérationnelle dans des disciplines qui touchent la vie au quotidien, le quotidien de la vie : santé, énergie, alimentation. Il n’y a pas de journée où on ne découvre les effets négatifs sur la santé et l’environnement de tel ou tel molécule. Les excellents documentaires de la 5 ou d’Arte, les articles de Science &Vie, sont une longue série de catalogues déprimants de l’effet imprévu à long terme de découvertes primitivement miraculeuses… L’évaluation scientifique doit être entourée de toutes les garanties de rigueur et d’objectivité en évitant que le financement des recherches scientifiques « indépendantes » ne se fasse par les heureux bénéficiaires de ces découvertes. Or la course aux financements conduit au compromis, et le compromis aux compromissions… Les exemples sont nombreux dans le monde médical, dans celui de l’agro-alimentaire. Les lobbies, puissants et efficaces, auxquels une grande liberté est offerte arpentant les couloirs des Assemblées, et ont pignon sur rue au Parlement européen. Leur action publique vaut certainement mieux que les pressions clandestines, mais on doit clairement savoir qui ils rencontrent… les personnalités du monde de la médecine n’hésitent pas à confondre leur intérêt personnel et celui de leurs commanditaires. Les lobbyistes ont réussi à persuader les Parlement européen que l’étiquetage informatif très clair qui a été adopté en Grande-Bretagne n’avait pas de sens… en Europe continentale.
Reconstruire le travail
Le chômage mine la jeunesse, déprime les seniors, délite les banlieues, relègue les femmes dans des rôles domestiques non valorisés. Ce poison violent remet en cause la dignité humaine et détruit le sens de l’effort pour participer à la construction de monde. Le chômage détruit l’image que les hommes ont d’eux-mêmes et comme le chantait Félix Leclerc «l ‘infaillible façon de tuer un homme, c’est de le payer pour être chômeur ». Les dégâts d’un assistanat permanent sont considérables sur la santé, l’éducation, la cohérence du tissu social. Or le chômage ne cesse de progresser en Europe et dans le monde. Ce résultat heureux du progrès technique qui devrait réduire la pénibilité du travail se mue à court terme en fléau faute de capacité rapide d’adaptation.
Le coût social du non-travail est en fait le principal facteur de non-compétitivité. Laisser en dehors des entreprises des millions d’actifs formés est un gaspillage considérable de talents et de propositions d’activités. Le travail n’est pas un stock fini, qu’on se partage, mais un flux qui se recompose de façon dynamique. Plus il y a d’acteurs, plus il y a d’idées qui germent et réussissent. Il faut donc abattre toutes les barrières à l’entrée à l’activité en renforçant, avec un code du travail simplifié, l’efficacité des sanctions. Alors que les règles du jeu changent sous la poussée des techniques de communication et face à la transformation culturelle, il ne faut pas interdire a priori en matière de durée du travail, d’activité dominicale ou nocturne, de travail à la maison. Il faut en revanche punir sans pitié les exploiteurs et les escrocs.
Aussi mettre de façon volontariste les gens au travail non seulement leur redonne un revenu lié à une activité utile, mais fabrique de la confiance et donc induit une spirale vertueuse qui agit sur tous les paramètres de la vie sociale et économique. Seulement ce droit au travail est aujourd’hui nié au nom de la rentabilité immédiate.
Ceci représente un vaste chantier collectif. Car n'attendons d'aucun homme providentiel qu'il se risque à sortir des sentires battus pour lancer de tels changements qui sortent du cadre des "réformes". C'est aux citoyens de s'organiser pour réagir et créer un nouveau sens au bien commun. Et c'est par l'échange sur le web que se tissent les idées, les relations et se préparent les transformations.
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