Alstom... et autres renoncements !
26 avril 2014
La crise avait figé les mouvements stratégiques des entreprises. Mais après six ans d’attentisme, une nouvelle vague de rapprochements se dessine pour intégrer la nouvelle donne économique mondiale dans les structures industrielles. Les facteurs économiques sont bien connus dans une économie mondiale dont plus de la moitié des consommateurs se situe désormais dans la zone Pacifique où émerge inexorablement la future première puissance économique mondiale, la Chine.
La déformation de l’économie mondiale pousse les entreprises à s’organiser pour aborder dans les meilleures conditions les marchés considérables de ces nouveaux pays avides de biens d'équipement comme de produits de consommation avant que leurs entreprises ne deviennent de redoutables compétiteurs. C’est vrai dans les métiers de base, comme le ciment qui motive le rapprochement de Lafarge et du suisse Holcim. C’est bien sûr vrai dans le domaine de l’énergie et du transport où un champion mondial résultant du rapprochement General Electric et Alstom trouverait toute sa légitimité économique puisqu ‘il a été impossible de construire un « Airbus » européen du ferroviaire et du transport avec Siemens. La révolution numérique qui bouscule les lois de la publicité impose également aux acteurs de ce métier de se regrouper pour résister à la puissance des acteurs du web et c’est pourquoi Publicis et Omnicom ont décidé de se marier en 2013 pour s’installer… aux Pays-Bas.
Les projets, encore inconnus, d’un rapprochement entre Alstom et General Electric viennet ajouter une nouvelle menace à la vision d’une France industrielle capable de concevoir et réaliser tous les composants d’une économie moderne, ce qu'elel a réussi de façon assez remarquable jusqu'alors. Alstom a cet égard maîtrise les éléments indispensables à la construction des systèmes de transport collectif grâce à son offre de matériel roulant, TGV, métros et tramways, mais aussi aux systèmes de signalisation les plus avancés et de gestion de trafic, comme ERTMS, qui assurent la performance de ces réseaux. Il en est de même pour la production d’électricité où non seulement Alstom, dans sa division Alstom Power, dispose d’une offre de turbines à gaz et systèmes d’énergie éolienne ou solaire mais aussi maitrise la gestion sophistiquée de ces réseaux avec Alstom Grid.
Il est évident que ces mouvements ne peuvent qu’inquiéter une France frileuse face à la mondialisation. Les récents épisodes ont démontré en effet que face à la logique industrielle les rodomontades des dirigeants politiques, quel que soit leur bord, n’ont guère d’effet. Les sites menacés qui ont vu défiler les leaders politiques frappant les capitalistes étrangers de leurs foudres en gardent un souvenir amer.
Cette situation oblige à nouveau à se réinterroger sur la réalité de la souveraineté économique dans un monde ouvert où le territoire européen, en dépit de ses atouts, échoue régulièrement à se construire comme une puissance économique à part entière. En dehors des exemples remarquables d'Arianespace et d'Airbus, la concurrence intra-européenne, chère à la Commission européenne, mine notre capacité collective de projection sur les nouveux marchés mondiaux.
Qu’est ce que la souveraineté économique ? C’est la capacité d’un territoire à attirer des capitaux et des talents pour faire prospérer des entreprises qui sauront, à parti de cette base territoriale féconde, construire une influence mondiale leur permettant de s’imposer dans la compétition par leurs produits et leurs services. Dans un monde ouvert, elle n’est plus l’émanation de la volonté des Etats et de leurs gouvernants mais résulte d’un équilibre des forces qui vont conduire les acteurs économiques à effectuer des choix d’optimisation stratégique. Cette stratégie intègre de multiples paramètres qui vont déterminer les arbitrages dans la structuration des capitaux et dans la localisation des centres de décision, siège, centre de recherches et usines. Choisir un territoire c’est faire le pari que les conditions d’exercice de la gouvernance de l’entreprise y seront les plus favorables compte tenu des multiples facteurs techniques, fiscaux, sociaux qui représentent la combinatoire des facteurs de performance d’une entreprise moderne.
Qu’est ce qu’un industriel « français » ? C’est une entreprise qui a décidé de prioriser la France comme base d’opérations internationale et d’y exercer le pouvoir de décision qui va déterminer ses choix stratégiques et opérationnels. Il est clair que le principal facteur qui anime les industriels d’origine française à vocation mondiale est la géographie des marchés. Ils vont chercher à oprtimiser les flux logistiques pour se rapprocher des marchés en développant une image mondiale compétitive. La logique nationale n’est plus qu’un facteur parmi d’autres et rien n’oblige une entreprise à vocation mondiale de conserver une structure du capital qui privilégie des détenteurs de capitaux nationaux.
Cela fait longtemps que les capitaux des entreprises françaises de taille internationale ne sont pas français. Cela fait longtemps que les activités sont dispersées dans le monde mais la présence symbolique des dirigeants dans un siège situé en France rassure les gouvernants sur la réalité du caractère français de l’entreprise. Le fait que le PDG de Schneider Electric opère la direction du groupe à partir de Singapour n’a pas pour le moment remis en question la francité de cette entreprise devenu de fait multinationale, et plus précisément américano-chinoise par la polarité de ses activités. Que Renault soit une entreprise française, personne n’en disconvient alors même que 82 % de sa production se fait hors de France et que son PDG passe plus de temps dans son Gulfstream entre les Etats-Unis, la Chine, le Japon et l’Inde que dans son bureau de Boulogne.
Le véritable problème commence quand la gouvernance échappe au territoire pour intégrer la vision globale de l’entreprise et effectuer des arbitrages qui n’ont plus aucune raison de privilégier la France comme territoire. Le lien tenu entre l’activité mondiale d’un grand groupe, forcément polycentrique, et la territoire se distend alors et les gouvernants n’ont qu’une hantise, c’est que la pression morale qui consiste à hésiter avant de ralentir l'activité en France quand les dirigeants y opérent et se font convoquer à l'Eysée ne vole en éclat pour ne laisser la place qu’au brutal calcul économique. C’est très exactement ce quoi s’est passé quand Mittal a pris le contrôle d’Arcelor.
Or ce calcul économique met à nu la réalité de l’attractivité de la France comme territoire où l’entreprise est valorisée. Et c’est bien là que l’inquiétude est fondée. La France par l’imprévisibilité de son système fiscal, par l’instabilité chronique des réactions de ses dirigeants vis-à-vis de l’entreprise inquiète plus qu’elle ne rassure par son instabilité émotionnelle dans ses relations avec l'entreprise ! Cette allergie structurelle aux entrepreneurs et à l'entreprise, toujours entâchés d'une sorte de péché orginel dans un pays qui a toujours adoré les foncitonnaires et les rentiers, et dont trois des plus grandes écoles sont des écoles de foncitonnaires, est devenu un handicap qui conduit les entrepreneurs du monde entier a hésiter avant d'investir dans un pays qui est placé, selon les classements, entre les 20e et 30e pays pour leur capacité d'accueil économique.
Elle a toutefois de nombreux atouts, dont une main-d’œuvre de grande qualité, des ingénieurs internationalement reconnus, un système de formation initial de qualité, un système de soins unique. Vivre en France pour des cadres internationaux est agréable et ils ne s’en privent pas. Vendre la France comme territoire d’accueil des capitaux étrangers pour y fixer les activités à plus forte valeur ajoutée ne se fait pas trop difficilement dès lors qu’on sort de l’affectivité voire de la menace. Il faut que ce pays, dans toutes ses composantes, fasse savoir qu’il aime l’entreprise et n’apparaisse pas comme une sorte de père Fouettard bougon et repoussoir.
Dès lors le jeu naturel des alliances, des fusions et acquisitions, qu’il est impossible d’arrêter, pourra jouer dans les deux sens se fera non pas au détriment des intérêts nationaux mais dans une logique de coopération équilibrée. Ne plus gémir, agir !
Les indicateurs de l'attractivité d'un territoire selon l'INSEE
- Les flux d'investissements directs reçus de l'étranger
- les flux d'investissements directs en pourcentage du PIB
- Les flux d'invetissements "greenfield"
- La contribution des implantations étrangères à la valeur ajoutée
- Les emplois dans la R&D des entreprises étrangères
- Le nombre d'emplois dans les centres de décision des entreprises étrangères
- Le nombre de cadres étrangers en France
- Le nombre de chercheurs et enseignants étrangers
- La proportion d'étuddiants étrangers inscrits dans l'enseignement supérieur
- La proportion d'étudiants des pays de l'OCDE inscrits dans l'enseigenement supérieur
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