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CO2, l'Europe de l'automobile en route vers la vertu ?

Alors qu’avec 12,3 millions de voitures en 2013 le marché européen de l’automobile est très loin de  retrouver ses volumes de 2007 (16 millions de voitures), la préoccupation environnementale reste au cœur de la volonté européenne, non sans difficultés ni compromis. Il faut rappeler qu’un cinquième des émissions de CO2 en Europe provient des voitures. De plus, entre 1990 et 2008, les émissions produites par le transport routier ont augmenté de 26%. Pour être complet, les émissions de CO2, gaz à effet de serre, ne sont qu’un des éléments de l’impact environnemental des véhicules qui produisent également des polluants chimiques et des particules fines dont les normes Euro visent à réduire le volume. Euro 6 sera obligatoire au 1er septembre 2015 pour l’immatriculation des nouveaux véhicules. L’industrie est donc poussée par cette double réglementation à innover pour réduire sa trace environnementale et éviter des mesures plus graves de restriction ou même d’interdiction de circulation.

C’est en 2009 que la Commission européenne, le Parlement européen et les constructeurs automobiles européens  s’étaient  entendus pour définir les modalités  d’atteinte, sur l’ensemble de leurs gammes,  de la limite moyenne de 130 g/km d’émission de CO2, soit 18% de réduction pour 2015. Au cours des débats, cette obligation « volontaire » avait été repoussée de 3 ans, 2012 ayant été la date primitivement fixée par la Commission. Si les parties prenantes avaient finalement accepté de temporiser sur le calendrier, c’était pour garder un cap très ambitieux : limiter les émissions moyennes à 95g/km en 2020.

Le vote du Parlement européen du 25 février 2014 confirme cet objectif : les voitures neuves vendues en Europe en 2020 devront émettre 27% de CO2 en moins que celles vendues en 2015. L'Europe continue ainsi à militer activement pour une réduction des émissions de CO2, prenant le leadership mondial.

Depuis 2008, la crise de l’automobile en Europe a eu un impact majeur  sur la baisse des volumes de voitures neuves vendues (12,3 millions en 2013), alors que les voitures neuves sont moins polluantes. Si la baisse globale des volumes diminue les rejets, le vieillissement du parc dont la moyenne d’âge est aujourd’hui de 8 ans dégrade la situation, les voitures les plus anciennes étant les plus polluantes et génératrices de CO2. Les constructeurs arguent donc que l’accélération du remplacement du parc ancien aurait un effet plus efficace que le durcissement de la réglementation.  

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La Chine connait une grave crise de qualité de l'air dans ses villes qui conduira inéluctablement à des restrictions de circulation

La production moyenne de CO2 par kilomètre en Europe s’est élevée à 132 g en 2012 mais à 147 g en Allemagne. Or pour l’Agence Internationale de l’Energie, dans un scénario  dit 450 ppm de CO2 dans l’atmosphère (nous avons atteint aujourd’hui 400 ppm) limitant à 2°C l’élévation de température sur la terre, il serait impératif de réduire les émissions moyennes des voitures européennes à 80 g CO2/km en 2020 et 60 g CO2/km en 2025. Ces objectifs illustrent parfaitement l’effort qui devrait être fait et la complexité du dossier !

Les marques françaises peuvent-elles tirer un avantage de cette réglementation ?

 Les constructeurs français sont les bons élèves de l’Europe, avec les Italiens. Ce n’est pas tant par vertu que grâce à une structure de la demande qui privilégie les voitures de petite cylindrée. Le marché français se concentre sur les véhicules d’entrée de gamme et économique (53%) et de moyenne gamme inférieure (30%), contre respectivement 41% et 28 % pour la moyenne de 18 pays européens.  La puissance moyenne des voitures composant en 2011 le parc français est parmi les plus faibles d’Europe : 1550 cm3 et 74 kW en France contre 1634 cm3 et 84 kW pour la moyenne des 15 pays européens, et en Allemagne 1756 cm3 et 96 kW. Cette situation du marché conduit à des performances en émissions de CO2/km parmi les meilleures d’Europe avec 117,81 g/km contre 136 g/km en Allemagne.

 

De ce fait, 85% des véhicules vendus en France en 2012 produisent moins de 140g de CO2/km. En 2012, la classe la plus représentée est la classe B (de 101 à 120 g de CO2 / km) avec 38 % des ventes. La classe d’énergie A (jusqu’à 100 g de CO2 / km), représente 14 % de part de marché. Il y a dix ans, en 2004, la production moyenne de CO2 par voiture était de 154 g/km. Les progrès sont donc tout à fait sensibles.

L’industrie française s’est de fait spécialisée dans les petites voitures. Dans une perspective de baisse mondiale de la consommation et des émissions ce n’est pas un handicap. En redoublant de créativité, la petite voiture française peut en effet se développer mondialement. Pour cela il faut continuer de tirer vers le bas les consommations d’énergie. 2 litres au 100 est accessible en travaillant sur le poids, principal facteur de consommation. Il faut aussi revoir l’architecture qui n’a pas changé depuis les années trente et l’adoption de la caisse acier soudée. Les consommateurs attendent des véhicules pratiques qui permettent de faciliter la vie à bord, le rangement des objets comme les poussettes ou la connexion des appareils électroniques personnels, les circulations fréquentes d’entrée/sortie. On a aussi besoin de se garer facilement dans un espace nécessairement limité et coûteux car le foncier urbain sera de plus en plus rare, voire même inaccessible.  Quant à l’énergie on peut considérer que le véhicule électrique, spécialité de Renault et aussi de Bolloré, est urbain par destination : les nuisances, bruit, chaleur et émissions de particules et gaz polluants,  sont minimales. Mais on peut aussi valoriser la filière prometteuse hybride-air dont PSA est le promoteur. Les solutions techniques existent et l’industrie française n’est pas en retard.

Les constructeurs allemands résistent mais savent aussi s'adapter

 La Chancelière Merkel avait effectivement insisté à l’automne 2013  pour que la marche en avant de la réglementation ne soit pas trop tendue pour les constructeurs allemands qui se sont spécialisés dans le marché des véhicules haut de gamme très motorisés et donc beaucoup plus polluants que les petites voitures. Son objectif initial était de repousser à 2024 l’application de la cible de 95 g de CO2/km. Le débat  a porté sur les modalités d’atteinte de cet objectif en dotant les véhicules peu polluants d’un bonus, qualifié de super-crédit, permettant d’augmenter leur pondération dans le calcul de la gamme. Ainsi pendant trois ans les véhicules produisant moins de 50 g de CO2 par km compteront double dans le calcul de la moyenne par constructeur. Et pendant l’année 2020, les constructeurs pourront exclure du calcul 5% des véhicules les plus polluants. Les constructeurs allemands ont également intégré cette évolution inéluctable dans leur stratégie industrielle. Le choix de véhicules électriques emblématiques pour BMW ou de l’hybrid pour Mecrdedes ou VW traduisent leur capacité d’adaptation.

 

Vers des voitures plus coûteuses ?

L’industrie européenne de l’automobile investit 32 milliards par en R&D. Une grande partie de ces recherches est consacrée à la baisse des émissions qui mobilisent une multiplicité de techniques. Il peut certes avoir un renchérissement de certains composants techniques et complexes comme les filtres à NOx mais aussi un travail de fond sur l’allégement, la réduction de taille des véhicules et de leurs composants (« downsizing ») qui conduit à une baisse des coûts et donc des prix. Il est évident que les constructeurs devront se mettre en situation de produire des véhicules acceptables dans les conditions de marché, les réticences des clients à payer plus pour des véhicules moins polluants étant fortes et freinant le développement commercial des alternatives comme l’électrique et l’hybride. On estime que le surcoût de la norme Euro 6 est de 700 à 1000 € par véhicule ce qui conduit les constructeurs à éliminer les motorisations diesel pour leurs futurs petits véhicules au profit de l’essence moins couteuse à dépolluer.

 

Des gains significtaifs en émissions de CO2

 En partant de l'hypothèse de 12,5 millions de voitures vendues chaque année dans l'Union, ce texte pourrait permettre de réduire de 15 millions de tonnes par an les émissions de CO2 des véhicules en Europe. Cette bataille cache des enjeux complexes. Derrière les arguments classiques -  emploi, compétitivité de l’industrie automobile européenne - se profile un débat technique ardu qui recouvre deux mouvements complémentaires :

-   réduire de façon drastique la consommation des voitures à moteur thermique essence et diesel, et pour ceux-ci réduire l’émission de particules et d’oxydes d’azote

-  réduire en pourcentage de la gamme le nombre de véhicules à moteur à explosion. Quatre solutions existent : l’utilisation des bio-carburants dans des moteurs classiques, les véhicules électriques, les véhicules hybrides, doté d’un moteur thermique, essence ou diesel, ou les véhicules à hydrogène, soit hydrogène liquide employé comme carburant soit alimentant une  pile à combustible pour produire à bord l’électricité nécessaire. La difficulté pour les constructeurs est de trouver un équilibre volume/prix/faisabilité entre ces solutions qui présentent toutes des incertitudes économiques et des difficultés techniques.

Entre environnement, développement industriel et emploi, l'innovation

C’est toutefois un objectif réaliste qui s’inscrit dans une évolution plus profonde du marché européen de l’automobile, qui en s’urbanisant, laisse place à des solutions alternatives dans la conception des véhicules comme dans le déploiement d’une offre  de transports partagés, co-voiturage, autopartage, et transports publics rénovés. Pour protéger l’avenir de l’industrie européenne, il faut que les constructeurs innovent et prennent le leadership sur les produits de demain. Tout ce qui retarde la prise de conscience, et altère la capacité de réaction de l'industrie automobile, est une menace pour cette industrie vitale que l'Europe a su encore faire évoluer. 

Pour en savoir plus :

http://www.automobile-propre.com/

http://www2.ademe.fr

http://www.ccfa.fr/

http://www.france-mobilite-electrique.org/

 


Le numérique a-t-il un effet déflationniste sur le marché des biens culturels ?

La transformation numérique de l’économie est un phénomène de fond  dont les conséquences sont considérables. Sur le plan macroéconomique on observe un massif déplacement de valeur des producteurs classiques vers les acteurs de l’économie numérique, fournisseurs de contenus, opérateurs de réseaux. Les acteurs de la chaîne numérique – notamment le GAFAL : Google, Apple, Facebook, Amazon et Linkedin - s’imposent comme les nouveaux maîtres de cette économie numérique perçue comme déstabilisatrice. Sur le plan micro-économique, le remplacement d’un produit physique par un service immatériel implique des conséquences multiples sur les chaînes de valeur. 

Le secteur des biens culturels,  terrain historique du développement de la numérisation, offre sur une période de plusieurs années un champ d’analyse économique passionnant car il est très documenté et permet de mesurer l’effet concret du processus de substitution de services immatériels aux biens physiques. Aujourd’hui il est prématuré de conclure par l’analyse de ces marchés sur la  cartographie des gagnants et des perdants en termes de revenus et d’emplois. Le numérique légal n’est encore que très minoritaire, l’impact majeur vient de la baisse de la demande et de la concurrence souterraine du marché illégale de la copie pirate.

La publication par GfK, 4e acteur mondial des études de marchés,  de ses dernières données d’analyse de marché pour l’année 2013 sur les biens culturels apporte  les données nécessaires, corroborées par les données des syndicats professionnels,  pour approfondir cet exercice d’analyse. Il est à noter que GfK a  développé une palette d’outils puissants pour cerner sur internet le comportement du « consommateur roi » à travers les multiples facettes de l’acte d’achat : buzz, sentiments, réputation, mots-clefs, canaux, gestion du temps. Internet, vecteur de la transformation numérique est naturellement le lieu d’observation fine des changements de comportement des consommateurs. A l’intérieur de la consommation culturelle elle-même contrainte par la stagnation du revenu disponible, la diversification de l’offre permet de nouveaux arbitrages entre la consommation physique et la consommation immatérielle. Car in fine c’est le consommateur qui décide en fonction de son intérêt économique et de sa satisfaction.

Une chaîne de production physique complexe

Un produit physique se caractérise par la multiplicité des acteurs et des processus indispensables pour rapprocher le producteur du consommateur final. La diffusion d’un livre papier, par exemple,  implique la mise ne place d’une chaine de production, de logistique et de distribution pour fabriquer,  transporter et stocker le produit physique issu du fichier numérique conçu par l’auteur. Un livre numérique est simplement la diffusion du même fichier numérique sur des réseaux de télécommunication pour être reconstitué chez l’utilisateur final dans sa forme initiale sur un support électronique. Le nombre d’opérations physiques est considérablement limité, de même que l’utilisation de matière (papier, encre, cartonnages, rayonnages…) et de services (transport, stockage, exposition à la vente). Des objets numériques sont indispensables pour retrouver le support initial et donc une part du coût de ces objets généralement polyvalent, sauf les liseuses, devrait être réaffectée au coût d’usage du support numérique. La simplification et la dématérialisation du processus éliminent des tâches intermédiaires qui engagent des ressources physiques  et des emplois. La disparition du réseau Virgin comme les difficultés des librairies Chapitre sont à ce titre des événements majeurs de l’année 2013.

Tentons de distinguer les effets prix et les effets volumes pour mesurer l’impact de cette dématérialisation.

Il faut établir une première constation : le physique et le numérique ne sont pas des univers étanches, ils sont complémentaires. Le budget moyen d’un acheteur de biens culturels dématérialisés est de 1,2 fois celui d’un consommateur de biens physiques. Mais 63% des acheteurs numériques ont aussi acheté un bien culturel physique dans le trimestre. L’offre de contenus s’est considérablement développée depuis la fin des années quatre-vingt-dix. La dématérialisation s’est accompagnée s’une diversification des capacités d’accès aux biens culturels et c’est la révolution de la mobilité, à travers smartphones et tablettes, qui a accéléré cette ouverture des choix.

Néanmoins ce marché, bien que terrain de multiples sollicitations qui s’élevait globalement à 8,8 milliards de chiffre d’affaires en 2004 n’a cessé de se dégrader en une décennie avec une chute prononcée depuis 2009. Ainsi 2013 avec 7,54 milliard de chiffre d’affaires est en baisse de 4% par rapport à une autre année faible, 2012, et 7,84 milliard €.  Notons que le marché des produits culturels est de taille proche de celui de biens physiques électroniques et électroménagers, qui s’est élevé à 8,8 milliards € en 2013. La numérisation des contenus  n’est toutefois qu’un composant ce marché par rapport à une évolution globale de la consommation et des revenus.

  Biens culturels

Source : GfK, février 2014*

Les lecteurs restent attachés au livre papier

Le marché du livre physique et numérique en France représente, en 2013,  356 millions d’unités en volume pour un chiffre d’affaires de 3,9 milliard €. Ces chiffres sont en baisse par rapport à 2012 de 2,8% pour le volume et 2,7% en valeur. Le livre numérique payant s’il affiche une croissance de 125 %… ne représente en volume que 5,17 millions, soit 1,45 % du marché total du livre et seulement 1,1% en valeur. Ces chiffres sont très en deçà du marché américain, ou britannique, où 20% des livres sont vendus au format numérique. De plus la progression estimée par GfK reste très modeste avec un lent passage de 44 millions CA en 2013 à 180 millions en 2017.  L’écart de prix public, les taux de TVA étant désormais alignés, entre un livre numérique est un livre physique est de l’ordre de 30% à 40 % mais le prix de revient du livre numérique est très inférieur. La marge de l’éditeur est donc supérieure pour un risque moindre car il n’y a pas de stocks. Pour l’éditeur, le passage au numérique représente un véritable avantage économique, mais le coupe de son réseau de distribution de grossistes et libraires.

Le marché du livre en France n’est donc que très faiblement impacté par le développement du support numérique et de la lecture sur PC, tablette ou liseuses, alors même que les Français n’ont aucun retard dans l’équipement de ces outils.

Musique et vidéo, une longue descente

Il n’en est pas de même pour la musique et la vidéo.

Le marché de la musique enregistrée est encore dominé par le support physique, CD, DVD ou même vinyle dont le renouveau, certes confidentiel (1,5 % du marché), est dynamique. 83 % du marché légal de la musique se réalise sur un support physique, les téléchargements ne représentant qu’un chiffre d’affaires de 119 millions € sur un marché global de 716 millions €. Mais le drame du marché de la musique enregistrée est son effondrement régulier : -5 % en 2013, -45 % en valeur depuis 2002.

En vidéo, les chiffres sont également très médiocres pour l’industrie qui n’a réalisé en 2013 que 1, 17 milliard de chiffre d’affaires global, physique et numérique, contre 1,44 en 2011, soit une chute de 17 % en valeur et de 19 % en volume,  et 1,36 en 2012. En 2004, la vidéo totalisait 1,958 milliard de ventes. Si la part de la vidéo téléchargée légalement augmente légèrement,  le chiffre d’affaires régresse autour de 250 millions €. L’innovation n’a pas plus dynamisé le marché de la vidéo avec Blu-Ray que du son avec le SACD, qui a sombré. Le marché Blu-Ray a baissé de 9 % en 2013 et ne représente que 20 % du revenu total. Bien évidemment, l’industrie attend beaucoup du nouveau format d’Ultra Haute définition, 4K, après avoir été très déçue de l’accueil médiocre par le consommateur de la 3D. C’est l’offre de films qui tire le marché, car ils représentent 55 % des ventes, mais les séries progressent très rapidement.

Le jeu vidéo très tonique

Le seul marché dynamique est celui du jeu vidéo. Il s’agit réellement d’une transformation des comportements, car le jeu vidéo est devenu un secteur de production à part entière. Avec 2,5 milliards de chiffre d’affaires, en ventes physiques et dématérialisées, ce marché écrase ceux de la musique et de la vidéo et devient le vrai relais de croissance de l’industrie du loisir numérique. Mais c’est aussi un marché où le hardware et les produits physiques dominent largement avec 82 % du chiffre d’affaires. La sortie d’un nouveau titre, comme GTA, est un événement qui génère en 2013 un chiffre d’affaires de 114 millions € pour près de 2 millions d’unités vendues, soir plus que le 1,6 million d’exemplaires d’Asterix chez les Pictes !

Si pour le livre papier, le numérique n’est pas aujourd’hui une menace tangible en France, l’effet déflationniste de la migration du physique vers l’immatériel n’est pas dû au marché légal de la musique et de la vidéo enregistrées mais au piratage. La gratuité obtenue illégalement est effectivement un phénomène massivement destructeur de valeur pour l’industrie, mais perçue par les utilisateurs comme un gain non répréhensible. Les difficultés d’Hadopi illustrent parfaitement ce refus de la sanction. D'après les études d'Hadopi 71% des consommateurs français de musique écoutent de la musique gratuite. Mais 17% des internautes écoutent régulièrement de la musique illégalement.

Le seul moyen de permettre à cette industrie de retrouver une croissance est donc de dynamiser l’offre légale de produits en ligne. Le streaming, par exemple, recueille 1,4 million d’utilisateurs. La France dispose avec Deezer et Qobuz d’acteurs compétents et attractifs. Il faut que les consommateurs en perçoivent l’intérêt à long terme en abandonnant la facilité d’une attitude illégale pour contribuer à la dynamisation d’un marché attractif et compétitif créateur de valeur et stimulant pour la création. 


La petite voiture, l’excellence française

La France est une vieille et grande nation automobile qui est en proie au doute sur sa capacité à le rester. En 1903, la France produisait 50% des voitures mondiales. Certes la mise au point du moteur à explosion est due à Gottlieb Daimler en 1876 mais son principe avait été découvert par les Français Lenoir et Beau de Rochas. En 1884 Delamare-Deboutteville fait rouler la première voiture automobile. L’histoire automobile mondiale a été marquée jusqu’en 1939 par la créativité et le dynamisme des pionniers, constructeurs et équipementiers français, puis des industriels. Louis Renault, André Citroën, André et Édouard Michelin étaient des références entrepreneuriales mondiales. Aujourd'hui Renault peine à s'imposer dans l'Alliance avec Nissan et PSA est contraint de s'allier avec le chinois Dong Feng. 

C'est pourquoi l’industrie française s’interroge sur son avenir en gémissant de ne pas avoir capté le lucratif marché mondial du haut de gamme qui fait la fortune des constructeurs allemands. Or son déclin n’est pas fatal. Lorsqu’en 1980 on comparait les deux industries automobiles allemandes et françaises, on pouvait constater un équilibre de production entre les deux pays, 3,5 millions de véhicules en Allemagne comme en France.

L’inéluctable échec du haut de gamme français

En trente ans, la donne a changé. Les chiffres de 2012 sont contrastés. Les constructeurs français ont produit dans le monde 5,5 millions de véhicules individuels et utilitaires légers en 2012, dont 4,8 millions de voitures. La production hors France de voitures est de 3,4 millions, soit 71 %. Par référence, en 2000, les constructeurs français ont produit 4,6 millions de voitures individuelles dont 1,8 million hors de France, soit 40%. L’Allemagne, pour une production domestique de 5,4 millions et un marché intérieur de 3,0 millions de véhicules (sur un total de 7,8 millions), a exporté 4,13 millions de véhicules sur les 6,6 millions exportés par toute l’industrie automobile de l’Union européenne. Cette performance a généré un excédent commercial de plus de 90 milliards €, soit 50% de l’excédent total de 188 milliards €.. La spécialisation sur les entrées de gamme caractérise le marché français et a marqué l’image des constructeurs. Le marché français se concentre sur les véhicules d’entrée de gamme et économique (53%) et de moyenne gamme inférieure (30%), contre respectivement 41% et 28 % pour la moyenne de 18 pays européens. La puissance moyenne des voitures composant en 2011 le parc français est parmi les plus faibles d’Europe : 1550 cm3 et 74 kW en France contre 1634 cm3 et 84 kW pour la moyenne des 15 pays européens, et en Allemagne 1756 cm3 et 96 kW. Cette situation du marché conduit à des performances en émissions de CO2/km parmi les meilleures d’Europe avec 117,81 g/km contre 136 g/km en Allemagne.

Avec des marges plus faibles sur des voitures moins rémunératrices, les constructeurs français n’ont pas réussi à imposer mondialement une stratégie de marque innovante et qualitative sur le haut de gamme. Ils sont conduits pour des raisons de prix de revient, comme tous les constructeurs mondiaux, à produire leurs véhicules d’entrée de gamme dans les pays à faible coût de main-d’œuvre. De fait, depuis 1997, leur production a baissé en France de 33%. Les essais de pénétration du haut de gamme ont été rarement réussis en dépit de la qualité intrinsèque de l’ingénierie de ces véhicules. L’échec de la Vel Satis, pourtant pleine d’ambition, a été cuisant pour Renault, avec 62000 voitures vendues en 7 ans, mais la Citroën C6 n’a pas fait mieux. Les essais de greffe du losange sur la coréenne SM5 pour produire Latitude ont donné des résultats anecdotiques. Alors que Citroën avait révolutionné à nouveau l’industrie automobile en 1955 avec la DS, voiture élitiste, le haut de gamme français est allé de Charybde en Scylla, de génération en génération. La R16 a beaucoup mieux réussi que la R25, elle-même plus vendue que Safrane… Quant à Vel Satis. La responsabilité est largement due à la fiscalité automobile qui a pénalisé historiquement par la vignette assise sur le concept curieux de « puissance fiscale ». Les infrastructures françaises, longtemps médiocres, n’ont pas non plus facilité le développement de voitures haut de gamme. Il faut aussi reconnaître que la fiabilité n’était pas au rendez-vous…

L’internationalisation des constructeurs français a longtemps été freinée. Ils n’ont jamais réussi à s’implanter durablement aux Etats-Unis après la seconde guerre mondiale. Leur pénétration du Japon est marginale. Renault a essayé trois fois de pénétrer le marché américain et a dû se replier douloureusement. Peugeot et Citroën n’ont pas fait mieux. Or Volkswagen y est présent durablement depuis avec sa célèbre Coccinelle, vendue aux Etats-Unis à 15 millions d’exemplaires, et a su pérenniser sa présence à travers le succès de sa marque Audi ; BMW et Mercedes ont implanté des usines. Les choix techniques français sont aussi spécifiques à notre histoire. La diésélisation est une spécialité française. Or les grands marchés - Etats-Unis, Japon et maintenant Chine - sont réfractaires aux diesel pour les voitures individuelles. La part des boîtes automatiques sur le marché français est de 12 % alors que dans les grands marchés mondiaux elle dépasse les 90 %. Il y a donc une forme d’inadaptation structurelle de l’offre française destinée au marché intérieur, donc de la culture dominante des constructeurs, à la demande mondiale.

Renoncer au rêve du haut de gamme est évidemment déchirant pour les états-majors des groupes français tant pour des raisons de prestige, de marge potentielle que… pour leurs besoins propres.

Se concentrer avec talent sur la petite voiture à vocation mondiale

Pourtant le réalisme impose de reconsidérer ce qui est perçu comme un échec comme une opportunité majeure pour l’industrie française. Indépendamment de toute logique d’usage, le développement du véhicule haut de gamme, puissant, lourd et donc considérablement polluant, en dépit de l’ingéniosité des constructeurs, va à l’encontre des besoins réels des consommateurs. Il est absurde d’exploiter un véhicule de 1,8 tonne doté d’un V6 de 200 ch pour transporter une personne de 80 kg à 15 km/h de moyenne.

A l'inverse, les voitures françaises d’entrée de gamme ont des qualités indéniables : confort, habitabilité, agrément de conduite, équipement. Les petites ont tout d’une grande. Or, où va se situer le marché dans le futur : haut de gamme sur-motorisé, coûteux et ostentatoire ou véhicule polyvalent, urbain, compact, à l’empreinte environnementale la plus discrète possible ? Les manœuvres du gouvernement allemand pour éviter l’application du vote du Parlement européen sur la mise en oeuvre d’un seuil de 95 g CO2/km ont été significatives d’une féroce volonté de pérenniser un modèle qui certes produit les marges et les excédents commerciaux d’aujourd’hui, mais ne prépare pas l’avenir.

Il est en effet évident que l’urbanisation mondiale comme le développement de moyens de transport interurbains plus performant que la voiture individuelle va mettre la petite voiture urbaine au cœur des attentes à la fois des pouvoirs publics et des consommateurs. La petite voiture française peut en redoublant de créativité s’imposer mondialement. Pour cela il faut continuer de tirer vers le bas les consommations d’énergie. 2 litres au 100 est accessible en travaillant sur le poids, principal facteur de consommation. Or si les voitures sont devenues si lourdes c’est qu’elles sont conçues pour un usage qu’elles ne connaitront jamais : rouler à 200 km/h sur une autoroute allemande. Le marché a été intoxiqué par cette référence absurde. Il faut aussi revoir l’architecture qui n’a pas changé depuis les années trente et la caisse acier soudée. Qu’attend-on d’un véhicule qui sera essentiellement utilisé en ville, en périphérie urbaine, pour les déplacements pendulaires et pour les loisirs ? Les consommateurs attendent des véhicules pratiques qui permettent de faciliter la vie à bord, le rangement des objets comme les poussettes ou la connexion des appareils électroniques personnels, les circulations fréquentes d’entrée/sortie.

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On a aussi besoin de se garer facilement dans un espace nécessairement limité et coûteux car le foncier urbain sera de plus en plus rare, voire même inaccessible. Quant à l’énergie on peut considérer que le véhicule électrique est urbain par destination : les nuisances, bruit, chaleur et émissions de particules et gaz polluants, sont minimales. Mais on peut aussi considérer la filière prometteuse hybride-air.

Il faut aussi que les pouvoirs publics appuient un tel projet. Ils en ont la capacité par un mix de restrictions comme d’incitations, à la fois sur les droits d’usage et sur la taxation. Comment vouloir faire évoluer le marché si le signal prix n’est pas durablement clair : il faut taxer les voitures au poids, meilleur indicateur pertinent de la trace environnementale tant en production qu’à l’usage. Cette taxation peut être appliquée soit à la source lors de l’achat en reconstruisant une vignette, soit à l’usage par le péage urbain et les droits de stationnement. La taxation au poids, parfaitement lisible, plus que les taxations sur les émissions complexes à mesurer, offre évidemment une opportunité pour les constructeurs de repenser leur stratégie technique et privilégiant les nouvelles architectures les nouveaux matériaux et les motorisations légères. Loin de cultiver avec nostalgie l’âge de la grande berline française d’avant-guerre, loin d'entretenir l’espoir que le seul marché chinois, qui va limiter l’usage urbain des voitures individuelles, apportera la réponse à tous nos problèmes, il est urgent de considérer que travailler nos compétences fondamentales sur la petite automobile, agile, intelligente et adaptée génétiquement à la ville et à la rareté de l’énergie doit être notre principale priorité industrielle. Elle pourrait d'ailleurs être également produite en France avec un effort de rénovation industrielle et de partenariat pour créer un écosystème efficient. Quelqu’un l’a compris : Toyota à Valenciennes avec la Yaris hybride.

Espérons que Citroën Cactus et Renault Twingo nouvelle génération, hélas toutes deux fabriquées hors de France, contribuent également à ouvrir cette ère nouvelle.