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Réhabiliter l'exploitation informatique à l'heure du numérique

L'histoire de l'informatique est celle de la lente dissociation de la machine et des programmes. Au tout début, c'était la machine qui était au centre de toutes les préoccupations, coûteuse, complexe, capricieuse. Puis la domestication de la machine et de son environnement d'exploitation a relégué l'informatique de production dans les couches basses du système d'information.  Devenues depuis les années quatre vingt-dix parent pauvre de la direction des systèmes d'information face aux projets, plus mobilisateurs et plus en vue des directions générales,  les fonctions de construction et le pilotage des infrastructures  reviennent aujourd'hui avec force sous la lumière des projecteurs. Ce n'est d'ailleurs que justice car l'exploitation informatique et le maintien en conditions opérationnelles  des applications ont toujours représenté l'essentiel de la dépense informatique - autour de 80% - . Et l'on sait qu'un système ne vaut que ce vaut le plus faible de ses éléments, ce qui implique de les traiter tous avec la même attention.
 
Or ce sont les domaines techniques qui ont fait  l'objet d'une constante, et discrète, modernisation et d'une industrialisation performante sous la poussée de l'innovation  des constructeurs et opérateurs de télécommunications et de l'augmentation des volumes de données. L'usine informatique, de plus en plus partagée dans un modèle coopératif entre les équipes internes des entreprises et leurs partenaires externes, est sortie du modèle intuitif et heroïque de ses origines. Elle est devenue un ensemble composite de techniques de haut niveau piloté de façon cohérente. Le "sujet infrastructures" est redevenu prioritaire et les directions générales deviennent soucieuses de ne pas voir leur informatique décrocher pour des raisons techniques. L'organisation et la gouvernance des infrastructures revêt désormais un enjeu majeur pour les métiers. 
 
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Un centre d'exploitation informatique des années 80
 
Enn effet, si le paysage informatique n'a cessé d'évoluer  au gré des grands paliers d'évolution technique que l'on pouvait situer tous les dix ans - mainframe, informatique départementale, PC, réseau, stockage - internet a là encore tout bousculé. Le réseau, lui-même longtemps mal aimé de l'exploitation, est au cœur de la performance économique de l'entreprise. Tout est devenu temps réel tant par la poussée  du client qui doit pouvoir accéder aux sites web 24 h sur 24 que pour répondre à l'organisation des entreprises globalisées installées sur plusieurs fuseaux horaires. Arrêter pour maintenance un système ou une base de données est devenu simplement impossible.
 
Mais plus encore ce sont les applications, et donc les usages, qui poussent les infrastructures à progresser sans cesse. L'utilité du stockage sur le cloud a convaincu tous les utilisateurs mobiles et multi-plateformes. Ne plus avoir à réfléchir pour savoir où on a stocké son dernier document est un vrai service. Ne plus devoir de façon fastidieuse mettre à jour son agenda et son carnet d'adresse est un vrai bonheur quand on se souvient , encore, du monde d'avant... Ce ne sont que les éléments visibles d'une profonde révolution qui implique une totale dématérialisation des services applicatifs dans des réseaux distants rendant l'accès à l'information indépendant de l'infrastructure et des plate-formes techniques. 
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Ferme de serveurs Google
 
Ainsi la mise à niveau des infrastructures permet de consolider la base applicative et de hisser le niveau de service. Les grands acteurs comme Google, Apple et Microsoft nous ont aussi appris à ne plus se préoccuper vraiment de la mise à jour des applications devenue permanente et fluide. Amazon, fort de son expérience propre, en a fait un métier. Mais le processus d'adaptation des applications dans le portefeuille des entreprises est loin d'être achevé. Beaucoup restent liées à un poste de travail et à son environnement technique. Leur "webification", qui est un préalable à cette fluidité n'est pas achevée, ce qui pousse d'ailleurs nombre de directions métiers vers les acteurs qui ont compris comme Salesforce  la force du modèle de l'informatique en nuage. Elles doivent être agiles, flexibles. Internet est devenu le modèle unificateur du portefeuille applicatif. Pouvoir accéder en tous temps et à partir de sa plateforme du moment à ses informations n'est plus comme par le passé une exigence de dirigeant, mais la réalité quotidienne de tous les collaborateurs même quand ils ne sont pas spécifiquement mobiles. Et il est évident que ce sont les collaborateurs les plus actifs sur le terrain qui doivent disposer des outils les mieux adaptés à l'usage contextuel.
 
L'économie internet va doubler d'ici la fin de la décennie. Les métiers doivent aller plus vite, ne peuvent se contenter de leurs applications régaliennes. Les cycles de développement sont plus courts et l'espérance de vie des applications est aussi beaucoup plus courte. Ceci conduit à structurer un couplage fort et continu entre développement et exploitation
 
 Une organisation de production légère et coopérative 
 
Face aux défis qu'induit cette nouvelle situation, la tentation de dissocier  une informatique structurante de back-office et une informatique légère et réactive de front office répond au souci d'aller vite à l'essentiel pour ne pas décrocher face aux besoins des clients. Nenamoins ce choix tactique ne doit être que provisoire car Il serait dangereux d'opposer une Informatique interne "lente"  et une informatique externe rapide. En effet les deux utilisent les mêmes données, visent les mêmes utilisateurs convertis au web, nécessitent la même rigueur d'exploitation et doivent donner lieu à un pilotage de même niveau d'exigence. Il faut donc s'engager dans une transformation globale du niveau de service informatique qui traite toutes les applications de la même manière, en en profitant pour rationaliser et simplifier le patrimoine applicatif alourdi par des années de projets hétérogènes et souvent inachevés.  Le rôle de l'infrastructure au sens large, du data center au smartphone et aux capteurs, est bien de fédérer les services rendus aux parties prenantes du système d'information, internes et externes.
 
Comme l'entreprise ne peut atteindre avec ses seuls moyens le niveau d'exigence industrielle qui caractérise désormais le standard mondial de service, elle doit rechercher les partenaires  les mieux à même à concrétiser son projet. C'est ainsi qu'il faut imaginer de nouveaux types de contrats d'infogerance plus tactiques, exploitant un multi sourcing sélectif, et véritablement conçus en entreprise étendue et non pas comme un choc frontal arbitré par les avocats.
 
Plusieurs tendances lourdes  émergent des signaux du marché  et obligent à repenser le rôle de la production et de la distribution multi-plateformes :
 
- les applications web nécessitent des méthodes de mise en production lean et agile bien différentes des processus habituels mais tout aussi exigeantes 
 
- les nouvelles "apps" doivent intègrer les contraintes de production et la qualité de service, ce qui implique une industrialisation des tests et validation
 
- le "Bring Your Own Device" est déjà bien ancré dans les pratiques sociales et ne fera que se développer. C'est même "Bring Your Own Application", les travailleurs du savoir, mobiles, en crowdsourcing, utilisant leur propre environnement de travail.
 
- la mutualisation des Infrastructures s'imposera sur le moyen terme car elle offre baisse des coûts et accroissement de la fiabilité 
 
- la sécurité doit être repensée pour ne plus être périmétrique mais contextuelle en protégeant de façon ciblée les actifs les plus essentiels de l'entreprise ( ce qui implique de bien les connaître...)
 
Il est évident qu'une telle transformation ne se fera pas sans talents. Comment attirer les compétences dans ces métiers proches de la technique, aussi bien chez les opérateurs que dans les entreprises uitlisatrices, qui rebutent souvent. S'il n'a jamais été facile pas de recruter des informaticiens et encore moins pour les infrastructures, il faut revaloriser ces fonctions qui ont un rôle critique dans la performance opérationnelle de l'entreprise.
 
Ceci est d'autant plus essentiel qu'il faut contrôler la totalité des applications et des services dans un environnement technique d'exploitation multi-sources, internes et externes. Ces nouvelles exigences exigent une culture nouvelle de l'orchestration, ouverte, documentée, partenariale qui renouvelle le modèle d'une gouvernance figée et souvent limitée à un affrontement inefficace. Il y a là non seulement une source d'emplois hautement qualifiés et motivants, mais aussi la possibilité de développer de nouveaux métiers. L'exploitation informatique ets bien vivante. C'est un métier d'avenir mais qui sera, comme beaucoup d'autres, très mobile.