Quand on a
été une grande puissance admirée et crainte, ne représenter avec 64 millions
d’habitants que moins de 1% de la population de la planète et se retrouver 5e
puissance industrielle mondiale ne peut qu’être frustrant. Ceci alimente pour la classe politique la
tentation de continuer à faire comme si, comme avant, arcboutés, derrière notre siège au
conseil de sécurité, à notre statut de puissance nucléaire dotée du troisième
réseau diplomatique mondial. La France sera toujours la France, dit-on obstinément... entre les septième et huitième arrondissements de Paris. Dès que l'on quitte ces lieux protégés, l'image est moins altière.
Notre
réalité quotidienne est en effet très éloignée de ces symboles. Les chiffres sont amers. On dénombre de façon tenace 3,3 millions de chômeurs de catégorie A, soit 10,5% de la population active, les chômeurs indemnisés recevant un revenu de remplacement en moyenne de 1095 € par mois. En fait, en additionant les différentes catégories de personnes recherchant un emploi (catégories A,B,C), on comptabilise 4,78 millions de chômeurs identifiés en cette fin 2013.
Il y a de plus avec ces
inactifs découragés à rechercher un emploi, mal identifiés par les statistiques, une forme d'abandon du combat pour l'emploi, une résignation lente au décrochage social. Le fait que la Creuse, le Cantal et la Lozère soient les département où il y a le moins de chômeurs de catégorie A ne signifie pas que l'emploi y est florissant.
Pour les actifs en emploi, la situation n'est guère enthousiasmante. Le revenu disponible après impôts et charges est en baisse
pour une grande majorité de la population. Le salaire médian est figé à 1675 €
par mois, ce qui veut dire que 50% des salariés gagnent moins, coincés dans la
trappe à pauvreté des « travailleurs pauvres ». Le salaire moyen n'est que de 2410 € mois en
2012. La part des Français
vivant sous le seuil de pauvreté (977 € par mois) est passé de 13% en 2008 à
14,3 % en 2011. Or le prélèvement public sur le PIB dépasse 57% précédé par le
seul Danemark ce qui prive la collectivité de nouveaux moyens potentiels de
redistribution.
Il n’y aucune raison de se réjouir d’une situation économique
et sociologique qui fait de la réussite sociale un miracle inaccessible pour
des centaines de milliers de jeunes qui quittent l’appareil de formation
initiale chaque année sans bagage robuste. Cet espoir d’une vie meilleure que
la génération précédente s’est anéanti pour la plupart, y compris pour les
enfants des classes aisées qui ne voient pour beaucoup que dans le départ
mythique au Québec ou en Australie l’issue de ce blocage. Si toutes les
politiques économiques échouent à concilier efficacité économique, progrès
social et développement durable, que se passe-t-il donc ? Le vrai et seul
sujet qui doit nourrir la vie démocratique est bien de créer les conditions
nécessaires au maintien durable d’un équilibre social fondé à la fois sur la
protection de notre standard de vie européen, et du mode de fonctionnement
démocratique qui y est associé, et sur le respect des équilibres
environnementaux de long terme.
Ceci ne se fera pas par
incantation mais par une analyse rigoureuse et sans complaisance des données,
par le partage de l’analyse et le débat sur les solutions. Ce processus doit
être permanent et nourrir l’action résolue et courageuse des Etats mais
surtout des chefs d’entreprise et de leurs collaborateurs pour reconstruire un
modèle économique viable et générateur de suffisamment de richesses pour
sauvegarder notre modèle social.
Incriminer la mondialisation et son bras armé, l’Organisation mondiale
du commerce, l’Europe, l’euro, Bruxelles, pour expliquer cette situation est
une tentation fréquente, comme se tourner vers des partis nationalistes qui
estiment que seul le repli à l’intérieur de nos frontières nous permettra de
retrouver la prospérité perdue…
Comme en toutes choses, s’approprier les causes avant de se précipiter
sur les solutions est une précaution méthodologique salutaire.
Un grand territoire sous-occupé
Concentrons-nous sur notre territoire et notre population. Avec 67
millions d’habitants sur 552 000 km2, soit 115 habitants/km2 nous avons une des densités les plus faibles des pays européens. L'Allemagne avec 229 hab/km2, le Royaume-Uni avec 257 hab/km2 nous enfoncent largement. C’est un fait nouveau. Au sommet de sa puissance politique
sous le Premier Empire, la France comptait 29 millions d’habitants, la
Grande-Bretagne 7,7 et le territoire de la future Allemagne 21 millions. Toutefois, en un siècle, en
1900, avec 40 millions d’habitants, la
Grande-Bretagne 30 millions et l’Allemagne 56 millions la France avait perdu sa
suprématie démographique. Jusqu’en 1795, la France était la première puissance
démographique en Europe, et la troisième mondiale. Elle resta quatrième
jusqu’en 1866, dépassée par la Russie. Avec une croissance de même ampleur que
celle de nos voisins, la France aurait dû dépasser 70 millions en 1900. La fin
du Second Empire, le repli protectionniste de Méline avaient cassé cette
dynamique alors même que par sa culture et son imagination la France était sans
peine la première nation innovante de la planète. Les matériaux, la chimie,
l’automobile, l’aéronautique étaient dominés par la France et l’Exposition
universelle de 1900 en apportait l’éclatante preuve.
Carte de la densité de la population
Nous avons perdu en un siècle un potentiel de l’ordre de trente millions
d’habitants supplémentaires.Trente millions d'innovateurs, de consommateurs, d'invetsisseurs pour peupler ce corps trop large qu'ets notre pays. Car nous avons toujours le même territoire à
gérer. Cette sous-densité est un facteur de coût de structure qui nous différencie de nos voisins. Ainsi,
avec un million de kilomètres de routes, nous avons un réseau égal à ceux de
l’Italie et de l’Allemagne. Notre réseau de services publics, de bureaux de
poste, d’école, facteurs de vie dans les communautés dispersées représente un
atout pour gérer de façon vivante notre grand territoire, mais également un
coût élevé, et les populations y sont âprement attachées.
Après les années douloureuses qui ont suivi cette funeste tragédie de la
Première Guerre mondiale, drapés dans le refus d’une nouvelle hécatombe, nous
n’avons pas progressé jusqu’aux années cinquante, mal remis des années de
l’Etat français, classé hâtivement comme non-période d’histoire de France car à
proprement parler « indicible ».
Les trente glorieuses ont fait sortir la France de son sous-équipement
en routes, en logements, en téléphone, amélioré la vie quotidienne grâce à
l’équipement domestique, achevé la modernisation de l’espace rural, et fait
rentrer la France dans la modernité de l’énergie et des transports… Mais c’est
à ce moment-là que la mécanique économique s’enraye et que nous entrons dans
une longue séquence de décisions contre-productives, dont les nationalisations
de 1981 sont le premier symbole puis plus tard la semaine de trente-cinq heures.
ou la préférence pour
« notre » Minitel. Des années
qui nous coupent de la modernisation du monde et ne nous préparent pas à
affronter, pour en tirer parti, la mondialisation.
L'amour de la rente
La France présente en permanence pendant ce vingtième siècle un double
visage. Pays centralisé, dirigé par une élite technicienne ouverte au progrès
scientifique et à la toute-puissance de
la rationalisation planificatrice, la France est aussi un pays qui a fait de la
rente une de ses addictions. Chauffeur
de taxi ou grands corps de l’Etat, l’amour de la rente bloque les
transformations nécessaires en autant de micro-groupes de pression actifs prêts
à se mobiliser avec une virulence
suffisante pour balayer la volonté des politiques. L'immobilisme collectif est le prix de l'éclatement des corporatismes en mille micro-structures farouchement décidées à se battre becs et ongles pour conserver leurs avantages souvent illusoires.
La principale rente française est celle de l’immobilier. Notre passion
française pour le patrimoine immobilier fait de nous le champion du monde des
résidences secondaires. Avec trois millions de résidences secondaires, soit douze fois plus qu'en Allemagne, occupées en moyenne trente nuits par an, nous entretenons un patrimoine lourd et improductif.
La préférence pour la fonction publique est aussi un de nos vénéneux
délices. qui génère grâce au statut une rente de fait pour toute la vie active.
Il est impossible d’expliquer à un étranger que les trois grandes écoles
sensées fournir l’encadrement du pays, Polytechnique, Normale Supérieure et
l’ENA soient des écoles où on paye les étudiants comme fonctionnaires alors que
partout ailleurs les étudiants et leurs familles s’endettent pour financer les
études supérieures. Mais c’est aussi un pays qui sans cesse est tiraillé par
une allergie à la réussite sociale et à l’élan du large, méfiant envers
l’argent de la réussite et où structurellement 25% de l’électorat cherche à s’enfermer
tout à tour dans des idéologies collectivistes, nihilistes ou nationalistes. La
lutte des classes reste un thème actuel et le Parti Communiste, un des dernires au monde, n’hésite
pas à utiliser un nom aux parfums bien désuets.
Nous sommes dans la modernité du quotidien, plus que nos voisins
allemands quand il s’git de cartes à puces ou d’abonnements à internet, mais dans une nostalgie persistante qui nous
conduit à adorer des vieilles lunes idéologiques.
Pays ambigu travaillé depuis plus d’un siècle par la fascination pour
l’Etat et la détestation de la fiscalité, la France n’en peut plus aujourd’hui
de ses hésitations et de ses démons.
Si le décrochage de son commerce extérieur s’est certes stabilisé en 2012,
les dégâts dans l’appareil productif sont considérables. La part de marché des exportations
françaises au sein des dix-sept pays de la zone euro est passée de 17% en 1999
à 12,8% en 2018. Entre 2000 et mi-2013
selon l’étude COE-Rexecode, les coûts salariaux ont progressé de 45% en France
contre 24,1% en Allemagne sans que les salariés et consommateurs français
semblent s’en réjouir.
Inutile donc de renforcer la litanie des mauvaises nouvelles ! Quelles solutions, dit le choeur ? moins d'impôts, moins de charges, moins de régles, moins d'Etat, moins d'Europe, moins de concurrence... Moins d'utopie certainement, pus de réalisme, plus de travail, plus d'opiniatrêté, moins de politique, plus d'action.
Il n'y a pas de remède miracle à une lente reculade de deux siècles, certes émaillée de périodes courageuses de reconstruction et de dynamisme. Le mal est sans aucun doute profond, multi-factoriel, mais il n'y a pas de raison de penser que nous ne serons pas en mesure de créer une nouvelle dynamique collective. Au fond de la psicine, il est préférable de redonner un grand coup de talon pour remonter à la surface !
Ni un parti, ni un homme providentiel, ne pourront être ce facteur déclencheur. C'est une question de volonté collective et aussi d'honneur. Nous ne pouvons pas être "l'homme malade de l'Europe" et devenir un musée de ce que fut la spendeur de la France.
Chacun doit et peut réagir pour innover, investir, apprendre, créer, se mettre en mouvement... Le XXIe siècle numérique nous en offre la possibilité en rebattant à nouveau les cartes. Il n'y a pas de raison d'attendre !