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Le choc numérique

Lancé en mars 2013, notre travaill collectif est entré dans sa phase finale, l'impression. Dans quelques jours, l'ouvrage va être mis en distribution par l'éditeur Nuvis sous forme papier et numérique. Toute l'équipe est heureuse d'avoir mené à bien ce projet collectif qui illustre pleinement notre propos : le numérique met en synergie les compétences et les efforts individuels pour un résultat supérieur à celui atteint par une personne seule. Bien entendu le collectif ne se décrète pas, c'est aussi le résultat d'une volonté et d'un effort particulier de se mettre au service du groupe en acceptant de négocier son point de vue afin de trouver systématiquement un consensus; nous expliquons cela dans le "making off" du livre. Que toute l'équipe enthousiaste des consultants de Sia Partners qui ont participé spontanément à cette aventure soit ici remerciée !

En attendant la parution voici, en avant-première,  la préface de Geoffroy Roux de Bézieux, vice-président délégué du MEDEF en charge, notamment, de l'économie numérique et l'introduction.

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Préface

Jamais l’espèce humaine n’a produit autant de traces de son quotidien, de ses actions, de ses modes de vie et de son intelligence en si peu de temps et à si grande échelle. Jamais elle n’a bâti de réseaux aussi gigantesques et ouverts, qu’elle ne le fait aujourd’hui grâce aux technologies de l’information et de la communication. Jamais elle n’a tiré autant parti de l’intelligence collective pour changer son environnement, son quotidien et pour transformer son futur.

Et pourtant, ce à quoi nous assistons aujourd’hui n’est qu’un commencement ! Nous sommes à l’aube de transformations qu’un seul individu est incapable de conceptualiser mais que chacun d’entre nous est d’ores et déjà en train d’amorcer. La force du numérique est une promesse que nous contribuons tous à construire, à titre individuel mais surtout de façon collective.

L’enjeu maintenant est d’être en capacité de tirer le meilleur de cet écosystème mouvant, itératif, évolutif, en s’en appropriant les règles du jeu, la logique et surtout en en définissant les objectifs. Tout semble désormais possible, le numérique nous affranchit des distances et du temps, il est un levier incontestable d’optimisation des actions et un accélérateur de la prise de décision. Mais il  impose en même temps, une veille, une vigilance et une responsabilisation des acteurs décuplées tant les effets produits sont puissants.

 

Pour l’entreprise, le défi est à la hauteur des promesses portées : promesses de performances, promesses de compétitivité, promesses de créativité et d’innovation renouvelées. Le saut qualitatif est renforcé par des conditions de coûts qui ne constituent plus une barrière à l’entrée. La PME et le grand groupe bénéficient des mêmes accès, des mêmes avantages, pour peu que la transformation des process et des modèles devienne leur priorité. Nous sommes passés dans un univers où les pesanteurs matérielles s’estompent par la montée en puissance de l’immatériel et sa souplesse d’appropriation.

Tout serait alors vraiment idyllique ?

L’avantage comparatif ira désormais au plus souple, au plus adaptable, à celui qui aura su capter les forces de la métamorphose des systèmes. Il ne faudra plus être le plus gros pour durer mais le plus agile, il ne faudra plus être le riche pour se doter des moyens les plus performants mais certainement le mieux informé, le plus initié. Parce que voilà, la clé du succès dans l’appréhension de ce changement majeur de paradigmes, se cache dans ces petits détails : l’information et sa maîtrise !

Ces deux notions sont en effet le corolaire de la performance des outils qui ont contribué à imposer les nouveaux modèles. Celui qui décode, rend intelligible, s’approprie, diffuse ou organise les flux d’informations produits par la « multitude » saura, à n’en pas douter, tirer son épingle du jeu. A l’inverse, ne pas s’en emparer condamne à quitter le jeu.

Aussi, l’entreprise quelle qu’elle soit, n’a plus le choix du numérique ! Elle n’a d’ailleurs même plus le temps de se poser la question. Tôt ou tard, l’ensemble de ses fonctions, son organisation elle-même, son management et les ressources humaines dont elle a besoin seront impactées par ces transformations.

Le défi aujourd’hui pour les entreprises de France est d’opérer au plus vite ce basculement inéluctable.

En tant que vice-Président délégué du MEDEF en charge de l’économie, de la fiscalité, de l’innovation et du numérique, j’aurai donc à cœur d’accompagner les entrepreneurs dans cette mutation des modèles. Parce que le « Choc numérique » fera résonner encore et pour longtemps ses répliques, nous devons tous nous mobiliser pour rendre cette mutation la plus opportune qu’il soit ! Il en va en effet, de l’intérêt de notre économie, de l’emploi et plus largement du rayonnement de la France dans le monde.

 Geoffroy Roux de Bézieux 

 

Introduction

« J’ai fini par comprendre que les grandes révolutions économiques de l’histoire se produisent quand de nouvelles technologies de communication convergent avec de nouveaux systèmes d’énergie »

Jeremy Rifkin, La troisième révolution industrielle

 Ceci est une oeuvre collective. Passionnée. Imparfaite. Nous avons voulu rassembler nos connaissances, nos interrogations, enrichir notre culture naissante de cette ère de l’internet et du web. Tous acteurs d’un cabinet de conseil, engagés auprès de nos clients, nous souhaitons comme eux comprendre cette époque pour les aider à tirer parti des formidables opportunités qu’elle recèle, mais aussi à en déjouer les pièges et les risques. Nous ressentons aussi le devoir comme acteurs sociaux de contribuer à éclairer ce chemin nouveau et bien entendu incertain pour expliquer les faits, poser les problèmes, les expliquer et tenter de contribuer à les résoudre. Avec cette écriture à plusieurs mains, beaucoup de neurones et de travail, de longues discussions et échanges animés, nous avons aussi voulu écrire un ouvrage contemporain. Casser le mode traditionnel avec un livre qui puisse se lire facilement, permettant de rassembler les pièces de ce puzzle parfois complexe que représente l’émergence d’un nouveau cadre socio-technique. Essayer, à chaque instant, de dépasser les modes, dont on mesure la volatilité, comme la pensée toute faite, unique, aux conséquences aussi tranchantes que fragiles. Se poser plus de questions certainement, que les résoudre totalement, car ce monde se créée chaque jour et bien ambitieux celui qui pourra prétendre en dessiner les contours à dix ou vingt ans. C’est un essai. C’est-à-dire une réflexion inachevée, avec  des impasses assumées, qui se poursuivra sous forme d’un site web collaboratif, ouvert aux réflexions de chacun. Nous avons tenté de ne pas refaire ce qui a déjà été fait cent fois en assénant des convictions définitives sur le monde numérique ou en poussant des solutions marchandes du moment. Chaque chapitre éclaire des thématiques indépendantes, des questionnements forts sur le « comment faire ? », étayés par de nombreux exemples. Chaque entrée peut être abordée indépendamment et permet de comprendre le sujet de façon holographique à partir de plusieurs angles.

Nous sommes partis d’un constat simple : beaucoup de gens se posent des questions sans réponse sur cette époque déconcertante. Nous pensons que l’irruption dans nos vies de travailleur, de consommateur, d’épargnant, de citoyen, de parent de cette avalanche de données et d’outils numériques rebat totalement les cartes. En nous adressant aux chefs d’entreprise comme aux décideurs politiques qui sont par leur position actuelle les acteurs majeurs de cette transformation, nous leur disons aussi que leur responsabilité n’est pas seulement économique et politique, mais aussi sociétale. La transformation ne viendra plus seulement comme par le passé des seuls décideurs, mais sera aussi entraînée par de puissants courants décentralisés. Mais il appartient aux responsables politiques de préparer cette société nouvelle en avancant sur deux éléments du socle sociétal : l’éducation et la sécurité.

 Nous disons à tous ceux qui pensent que le développement de nouveaux objets et programmes numériques suffit à transformer le monde que la technologie seule ne fait rien, mais que le changement suppose la révolution des usages, et donc l’adhésion et la compréhension de tous. Un système n’a ni centre ni périphérie. Tout y est important et suppose engagement et conscience.

 Nous vivons une rupture dans l’histoire qui ouvre les portes d’un monde nouveau, attirant et inquiétant à la fois. Mais n’en était-il pas de même lorsque le livre, tous les livres, et surtout ceux qui n’étaient ni attendus ni autorisés, se sont répandus dans l’Europe du XVe siècle ? Aujourd’hui, c’est la planète tout entière qui est entraînée à grande vitesse dans ce monde de l’information et de la connaissance en temps réel. Sans frein, sans chef de projet, sans régulateur...

 

 

 


Automobile sans conducteur, le débat...

Lors du colloque organisé le 26 septembre 2013 sur les semi-conducteurs à Paris, le congrès European Microelectronics Summit, organisé par le SIETELESC et qui porte sur le transport intelligent et automatisé, j'ai été invité à alimenter la réflexion sur l'avenir de l'automobile sans conducteur, point sur lequel j'ai écrit plusieurs points de vue sur Atlantico. Devant un auditoire de spécialistes de l'électronique embarquée, j'ai posé la question de l'usage qui a suscité plusieurs réactions dans la presse... Le débat est ouvert sur la pertinence de ce concept.

 

Jeudi 03 Octobre @ VIPress.net
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Electronique automobile : attention aux mirages !

Filière électronique>Automobile>Stratégie
03/10/2013 15:06:24 :

Particulièrement appréciée, l’intervention deJean-Pierre Corniou dans le cadre de l’European Microelectronics Summit, organisé la semaine dernière à Paris par le Sitelesc, a tenté de remettre de l’ordre dans les priorités du consommateur pour l’usage de l’électronique dans l’automobile. Une vision décapante proposée par le directeur général du cabinet de conseil SIA Partners. Pour ce grand connaisseur de l’industrie automobile pour avoir été CIO (Chief Information Officer) de Renault pendant six ans, en charge de la gestion de l’innovation, le modèle économique des services permis par l’électronique dans l’automobile reste à inventer …


Qui veut payer pour les nouveaux services permis par l’usage de l’électronique dans l’automobile ? Personne, répond Jean-Pierre Corniou. Pour le consultant, l’automobile doit permettre de se déplacer d’un point A à un point B, en toute sécurité et le plus rapidement souhaitable. En clair, une voiture intelligente ou plus exactement un système de transport automobile intelligent, doit permettre réduire les bouchons pour gagner du temps, de réduire la pollution de l’air pour protéger notre santé, d’éviter les accidents de la route (1,2 million de morts par an) et de redonner le plaisir de conduire au conducteur. L’idéal serait alors un système de transport intelligent (qui réclame donc beaucoup d’électronique) permettant à l’usager via un système d’abonnement d’arbitrer dans chaque situation en toute connaissance entre le recours aux transports publics ou à l’utilisation d’un véhicule dans le cadre d’un système de location partagée. La population mondiale s’urbanise : éviter la congestion du trafic devrait donc être la préoccupation numéro un des innovations dans l’automobile. 

Le consultant ne croit pas beaucoup au concept du véhicule qui se conduit tout seul, sur lequel planchent bon nombre de constructeurs et d’équipementiers. Depuis l’origine, le « plaisir de conduire » a constitué l’ADN de l’industrie automobile et le principal argument commercial des vendeurs. Comment convaincre l’usager qu’il devra désormais rester sagement au volant (législation oblige !) en se croisant les bras ? Seule l’assistance au parking permettant à la voiture de se garer toute seule trouve grâce à ses yeux.

Enfin, les différents concepts de systèmes de voitures intelligentes et connectées mis en avant par les constructeurs automobiles manquent de lisibilité pour les clients. Comment nommer de façon intelligible pour l’usager toutes les fonctionnalités permises par le traitement de l’information, les capteurs et les caméras embarqués à bord des véhicules ? Et que dire des mises à jour logicielles pour les systèmes embarquées et les services télématiques ? Les consommateurs n’accepteront jamais de payer pour « upgrader » leur système, avance-t-il.

L’innovation (et donc l’électronique) est au cœur de la « mobilité intelligente » de demain. Mais la route sera encore longue pour proposer aux consommateurs les véritables innovations qu’ils attendaient …sans le savoir.

Are consumers ready for self-driving cars?

Posted: 08 Oct 2013  Print Version  
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Keywords:self-driving  cars  driver  automotive 

The idea of self-driving cards brings about a lot of questions on both technology and safety as well as its legal implications and laws that may be made to regulate self-driving cars on the road.

Here's a little-known fact: The 1949 Geneva Convention treaty that bans torture and war crimes, but it also has section that specifically talks about road traffic). Under that section, every car must have a livedriver behind the wheel.

And yes, kids, there were cars in 1949.

Setting all these issues aside though, how do you sell a car to drivers who won't be driving anymore?

Last week when I was covering the European Microelectronics Summit (whose focus this year was automotive), several speakers apparently couldn't resist Luddite putdowns like, "How will a certain Bavarian automaker be able to sell an Ultimate Driving Machine that needs no driver?"

Jean-Pierre Corniou, deputy general manager of SIA Partners, a management consulting firm, is concerned with social factors affected by innovation. He asked a rhetorical question: "Are we really going to buy a $100,000 car, supposedly for the pleasure of driving, only to be told not to touch the steering wheel?"

During his presentation, Corniou shared the slide below, and quipped: "What do you suppose this driver is thinking with his hands on his thighs?"

 

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We invite you to suggest what you think might be going through the driver's mind in the comment box below.

Junko Yoshida
  EE Times


Sur l'innovation en France

L’innovation est le moteur de l’économie. C’est parce que nous innovons sans cesse avec un rythme qui ne cesse de s’accélérer depuis le début de la révolution industrielle que nous sommes capables aujourd’hui de vivre beaucoup mieux et beaucoup longtemps que par le passé. Sans disserter à l’infini sur la relativité de la notion de  progrès, on observe simplement que malgré de nombreuses insuffisances voire même de graves dégâts, la machine économique a été en mesure de changer en profondeur les conditions de vie non seulement dans les pays développés pionniers de la révolution industrielle, mais aussi, et c’est nouveau, sur l’ensemble de la planète comme en témoigne l’essor de la classe moyens dans de nombreux pays émergents.

Cette réussite est due à des femmes et à des hommes qui ont décidé de chercher de nouvelles voies dans tous les domaines qui influent sur notre cadre de vie. Ces savants, chercheurs, entrepreneurs ont créé les conditions scientifiques et techniques de la mise en œuvre de nouveaux procédés, de nouveaux produits et de nouveaux services. C’est une longue chaîne de talents qui affrontant les idées dominantes de leur époque ont osé sortir des chemins tous tracés de la routine pour affronter le risque du changement. Certains ont réussi, et ont pu laisser leur nom dans l’histoire et parfois même s’enrichir. D’autres, la plupart d’entre eux d’ailleurs, sont restés dans l’anonymat même si parfois leurs idées ont réussi à être reprises par d’autres et, finalement, se sont imposées. Dans cette longue galerie de portraits, illustres ou modestes, les Français ont largement tenu leur place et à toutes les époques les scientifiques et entrepreneurs français ont su ouvrir de nouvelles pistes prometteuses. Dans certains cas, ces prouesses individuelles ont trouvé un large succès public et ont quitté le laboratoire pour devenir des innovations sociétales. Sommes-nous capables de continuer à écrire l’histoire de la science, de la technique et de l’innovations comme nos prédécesseurs ont réussi à le faire depuis 250 ans ?

Juger d’un pays par sa capacité à innover est un exercice d’autant plus difficile que la globalisation numérique estompe les frontières géographiques et temporelles. Les produits se diffusent rapidement, les pratiques sont plus lentes à faire évoluer. Faut-il, pour être un peuple innovant, inventer l’iPhone ou l’utiliser dans toutes les sphères de la société pour bouleverser les processus de travail et d’accès à la connaissance ? La France est sixième au palmarès mondial des dépôts de brevets et quatrième pour les dépôts de brevets en Europe. Cette position suffit-elle à développer les marchés et créer les emplois nécessaires ?  La France en proie au doute ne se sent plus une nation innovante et remet en cause ses propres capacités de changement. L’histoire jugera. Mais il est intéressant de comprendre cette cloison bien fragile qui sépare le succès de l’échec.

Nation d’ingénieurs, adepte des Lumières, la France a su inventer les concepts et les machines propices à la transformation. N’oublions pas que le système métrique est une invention française, officialisée par le décret du 18 germinal an III,  qui a induit à un bouleversement majeur de la société et a connu un succès universel. Quelques années plus tard, sur les traces de Pascal, Charles-Xavier Thomas, de Colmar,  invente l’arithmomètre en 1820, première machine à calcul industrielle, et devient d’ailleurs riche. Pourquoi n’a-t-il pas fondé alors ce qui aurait pu devenir IBM ? Il a fallu attendre un siècle pour que les Américains le fassent. Pour réussir durablement, il faut réunir de nombreuses conditions : des produits attractifs, un marché solvable, une capacité de communication et de mise en marché, des équipes se remettant en cause, un souci constant de la qualité perçue. Ces vertus sont le propre d’entreprises à la fois innovantes et pérennes. Mais ses conditions sont difficiles à réunir dans la durée. Car pour réussir, il faut aussi être en phase avec l’époque. Ce synchronisme — ni trop tôt, ni trop tard — est un facteur largement lié au hasard et à la chance, pas seulement au talent.

L’histoire économique a démontré l’inventivité de la France dans tous les domaines structurants de la société : l’énergie, les transports, la santé. Nous sommes aujourd’hui un des rares pays au monde à maîtriser l’ensemble des composants d’un système moderne de défense. Dans chaque secteur d’activité, nous avons su créer des champions mondiaux. Les firmes du CAC 40 sont devenues mondiales et la plupart d’entre elles sont championnes prospères de leur secteur.

Mais certains échecs ont été cruels et apparaissent comme  des stigmates indélébiles de quelques graves erreurs stratégiques et de gâchis économiques et financiers.

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Citation du Générale De Gaulle, le 11 mai 1960

" Le paquebot France est lancé. Il va épouser la mer. (...) Sa mission sera de transporter d'un bord à l'autre de l'atlantique des hommes, c'est à dire des pensées et des activités, des foyers de connaissance et des sources de travail, de l'art et de la richesse."

Dans le monde du transport, malgré notre expertise globale, nous avons enregistré de graves contre-performances. Mettre en service le paquebot France en 1962, acte de souveraineté sous le patronage du président de la République,  fut une décision trop tardive et rapidement condamnée à l’échec dès 1965 alors que le marché du transport transatlantique était déjà marqué par l’essor des jets commerciaux, le Boeing 707 étant en service sur l’Atlantique nord depuis 1958,.

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L’épopée de l’Aérotrain est aussi intéressante. Est-ce que financer sur fonds publics en 1967 l’aérotrain de Jean  Bertin, système révolutionnaire de transport à grande vitesse en site propre sur coussin d’air, alternatif au système de transport sur voie ferrée, était  alors une bonne décision ? Ce système allait démontrer sa performance technique en atteignant 430 km/h, mais aussi son inefficacité énergétique après la crise du pétrole de 1974 pour être finalement abandonné en 1977. Il peut être considéré comme une innovation ratée même si  les recherches ont été poursuivies i dans le monde, mais avec une technologie différente, la sustentation magnétique comme à Shanghai.

Citons également Concorde. Magnifique projet technique et industriel, projetant les compétences aéronautiques de la France et de la Grande-Bretagne dans un domaine mythique, le transport de passager à vitesse supersonique, Concorde s’est heurté aussi bien au protectionnisme américain, agressé par ce produit qui n’avait pas été conçu par une firme américaine, qu’aux contraintes énergétiques et de sécurité.

Dans ces deux cas, la technique n’était probablement pas appropriée puisque personne n’a à ce jour repris les concepts. Le passage au marché est une étape difficile où l’idée brillante se confronte brutalement aux réalités économiques, coût de production et de maintenance, impact environnemental, compatibilité avec les contraintes d’exploitation de réseaux et de flottes. Mais on peut aussi penser que le succès du TGV et d’Airbus doit beaucoup à ces échecs commerciaux.

Plus graves sont les initiatives sans lendemain aucun. On peut citer le système SECAM de télévision en couleur, le  Minitel, lancé en 1982, mais aussi le Plan informatique pour tous de 1985 avec les fameux ordinateurs MO5 de Thomson. Dans ces trois cas, la technique n’était pas en cause, mais le refus obstiné et orgueilleux de s’inscrire dans une logique de standards de fait internationaux a coupé les industriels de tout espoir d’exportation. Innover seul dans une économie ouverte suppose une prise de risque considérable que le poids de l’Etat en France a permis d’absorber, mais au prix de dépenses sans lendemain et souvent même d’un retard pour rattraper les standards mondiaux. Minitel n’a pas préparé l’économie de l’internet, tant les modèles d’affaires étaient différents, même si quelques acteurs ont pu y trouver les bases de leurs ambitions. Mais le programme Télétel a été sans conteste une remarquable réussite technique et commerciale, avec neuf millions de terminaux, jusqu’au début des années 2000. L’expérience Teletel fut observée de très près par tous les autres pays, dont les Etats-Unis, alors que se préparaient les bases de l’internet qui très vite allait rendre désuets l’ergonomie, la rapidité, le caractère fermé du système  et la qualité de services du minitel. Finalement la France a abandonné le Minitel. Quel bilan établir de cette expérience ? Il n’est pas sûr que les entreprises françaises qui ont utilisé les services télétel  soient mieux préparées au monde du web que leurs concurrentes étrangères.

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Innover suppose également pour des entreprises robustement  installées dans leur métier la difficile décision d’accepter de remettre en cause leurs choix et leur doctrine. On peut estimer que l’obstination légitime mise par Dassault Aviation à vendre son Rafale, produit complexe et coûteux au sommet de la technique, a retardé le développement de drones en France, l’armée étant contrainte d’acquérir aujourd’hui du matériel américain. Or les drones de surveillance et de combat, ultimement appelés à remplacer les chasseurs pilotés, représentant aujourd’hui une voie majeure de développement des flottes aériennes mondiales. Ayant la capacité technique de les développer, les industriels comme leur client public, ont refusé de le faire depuis vingt ans, laissant les Etats-Unis et Israël prendre une avance considérable sur ce marché prometteur. On peut également penser, comme le débat sur les échecs commerciaux des industriels l’a mis en évidence, que le choix de la filière française de centrales EPR n’a pas permis de développer d’autres filières plus économiques et plus accessibles. La France en revanche s’est dotée des moyens de développer une filière hydrolienne compétitive.

Ces exemples se situent tous dans des domaines pour lesquels l’action publique reste prépondérante, soit par ce qu’il s’agit de secteurs régaliens, liés à la souveraineté nationale, soit parce que la demande publique joue un rôle clef dans le mise en marché. La place de l’Etat en France comme stratège économique, la proximité de corps entre industriels et pouvoirs publics, le rôle de la recherche publique, comme le CEA, expliquent cette spécificité. Elle existe également dans d’autres pays dès lors qu’il s’agit de souveraineté nationale.

Mais il est aussi vrai que les marchés grands publics, qui ne font pas l’objet d’une même attention de l’Etat, n’échappent pas aux erreurs comme aux réussites à partir d’intuitions différentes sur l’évolution des marchés. Dans le domaine clef de l’électro-mobilité, l’histoire tranchera là encore sur la compétition de fait entre Bolloré et son système intégré d’auto-partage et Renault et la vente de voitures électriques. L’un propose une rupture globale dans l’usage de l’automobile, l’autre reste sur un modèle classique d’accession à la propriété individuelle, tempéré par la location des batteries. Car l’innovation n’est plus seulement technique, elle se situe désormais largement dans les modèles d’usage. On peut dans le domaine de la mobilité saluer le remarquable succès de l’organisation du covoiturage avec blabla.com qui s’affiche comme un leader mondial. Il faut aussi suivre avec intérêt la tentative de transformation des métiers des postiers avec la mise à disposition à chaque facteur d’un téléphone intelligent, Facteo, leur permettant de devenir des acteurs multi-services. Si un service public de cette taille confronté à une contraction de son marché historique, le courrier, peut se renouveler, ce sera une innovation sociétale marquante.

Il faudrait également citer pour être complet la pharmacie, la chimie et les matériaux pour lesquels des industriels préparent  le futur et qui s’inscrivent dans les 34 plans de la nouvelle France industrielle. N’en doutons pas, la France peut maîtriser l’innovation dans la grande majorité des secteurs économiques, y compris bien naturellement le service. Elle a les ressources intellectuelles, l’expertise et le tissu économique pour le faire. Certaines seront des succès, d’autres des échecs. Car innover c’est aussi reconnaître le droit à l’échec. Et donc admettre et même se féliciter de la rémunération du succès. C’est une culture de l’initiative qui doit être développée à tous les niveaux, dans toutes les entreprises, et dès l’école. Car si l’alchimie de la réussite de l’innovation a sa part de mystère, on sait que c’est en multipliant les initiatives, les prises de risque, sans relâche, que l’on verra germer les activités de demain.

Texte également publié sur Atlantico.fr