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L’industrie automobile attend (toujours) sa révolution...

La grande peur de 2009 semble oubliée

Souvenons-nous de l’été 2008. Depuis plus d’une année les cours du pétrole avaient augmenté pour atteindre en juin 145 $/baril. La demande d’automobile faiblissait après une longue période de croissance heureuse. En octobre, c’est la faillite de Lehman Brothers ouvrant une crise financière dont l’ampleur rappelait 1929. Privée de son oxygène, le crédit, la demande américaine d’automobile s’effondre en quelques mois.  L’industrie automobile entre alors dans  la plus grande crise de son histoire. En 2009, le marché s’effondre à 10,4 millions de véhicules, les grandes compagnies américaines sont poussées à la faillite et sans l’aide de l’Etat fédéral auraient certainement disparu.

Avec quelques trimestres de retard, cette crise s’étend à l’Europe et au Japon. Les gouvernements réagissent en injectant des aides à l’achat de voitures neuves qui soutiennent artificiellement le marché par une vague d’achats opportunistes qui rajeunit le parc et donne l’illusion d’un sursaut de demande. Dès que cette aide se ralentit, les consommateurs, soucieux de leurs perspectives économiques personnelles, différent leurs projets automobiles et la demande retombe en Europe comme au Japon.

A l’été 2013, les constructeurs se prennent à espérer à nouveau. Le printemps aura été excellent pour la demande automobile aux Etats-Unis, les perspectives de vente pour 2013 se rapprochant de la dernière année heureuse, 2007, avec un niveau de ventes de 15 millions de véhicules, dont un grand nombre de gros pick-up énergétivores qui répondent aux besoins des profesisonnels. Si le marché européen persiste dans la morosité, qui atteint maintenant le secteur de l’après-vente,  l’exemple américain entretient l’espoir de renouvellement de parc en Europe pour 2015 car il faudra bien que la crise cesse… Et pour attendre ce réveil inéluctable, le marché chinois est un eldorado providentiel. Il va se vendre cette année  20 millions d’automobiles neuves dans cet immense marché et les constructeurs européens, comme GM, pensent légitimement continuer à en profiter. Même Renault, le dernier, venu, est confiant dans sa capacité à être autorisé à y construire une usine, dopé par le succès de Nissan.

Pour beaucoup de constructeurs et d’analystes, l’industrie automobile vit une nième crise dont elle se sortira comme d’habitude par plus de volumes, plus de nouveaux modèles. Chaque fois en effet depuis 1946, l’industrie automobile a su faire le dos rond face aux crises qui l’ont affecté pour rebondir sans toutefois fondamentalement se réinventer… C’est évidemment cette vision que privilégient les constructeurs américains et européens.

Est-ce que cet optimisme, certes relatif car aujourd’hui les constructeurs généralistes les plus faibles (PSA, Fiat, Opel…) sont loin de pouvoir considérer être sortis de la zone de danger, est-il réellement fondé ?

Il peut y avoir en effet un autre scénario…

L'Eldorado chinois est-il sans risque ?

Plusieurs facteurs doivent être réévalués à travers le prisme de l’histoire récente en dissociant pays au marché mature et pays émergents. Si les constructeurs semblent aujourd’hui résignés à longue atonie du marché européen et japonais, ils  misent résolument sur tous les  autres marchés. Pour qu’il y ait une demande persistante de véhicules neufs dans les pays émergents, il faut que le pouvoir d’achat des classes moyennes, candidats à la primo-acquisition d’une voiture, continue de progresser. Il faut également que les conditions de circulation dans les métropoles surpeuplées puissent s’améliorer ce qui suppose d’abord des investissements routiers mais aussi une politique de transports en commun qui détende l’usage de l’espace public. Il faut également que la disponibilité de ressources en pétrole soit garantie à un prix acceptable, aujourd’hui stabilisé autour de 100 $/baril. Et enfin, il faut que les pays émergents acceptent que leurs marchés  continuent à être entre les mains des seuls constructeurs occidentaux. Or ces conditions politico-économiques sont par nature instables.

L’évolution du contexte politique et économique mondial conduit à penser que  les marchés émergents ne sont pas aussi robustes que les constructeurs occidentaux peuvent l’imaginer, et le souhaiter. 

L’Iran, la Turquie, l’Egypte, l’Afrique du Sud, le Brésil, l’lndonésie sont en effet instables soit politiquement, soit économiquement. La demande y est erratique. Il en est de même pour l’Inde, dont le marché ne cesse de décoller pour retomber, et la Russie dont les marchés sont en dents-de-scie depuis fort longtemps.

Le cas de la Chine est particulier. Ce marché marginal il y  a vingt ans est devenu en 2009 le premier marché automobile mondial. Le marché a cru de 26% par an sur les dix dernières années. Il est devenu un champ clos  où la concurrence est exacerbée, mais la croissance a masqué les menaces. S’y confrontent en effet la quasi-totalité des constructeurs américains, européens, japonais, la plupart du temps alliés à des constructeurs chinois dans des conditions d’alliance complexes.

Aujourd’hui les constructeurs occidentaux dominent largement le très rémunérateur marché des marques premium. Le marché des véhicules haut de gamme y a cru de 36%. Ce segment est devenu le second marché mondial après les Etats-Unis, qu’il devrait dépasser en 2016, et représente 9% du marché total de la Chine contre par exemple 4% au Japon. On estime que cent millions de consommateurs vont entrer dans ce marché dans les dix prochaines années. Compte tenu de la préférence des chinois pour le luxe et la sophistication technique, cette perspective est de nature à enthousiasmer les constructeurs allemands qui aujourd’hui en sont largement les premiers bénéficiaires. Mais les constructeurs chinois sont bien  naturellement présents et souhaitent s’y affirmer avec des produits de plus en plus élaborés. C’est sur ce marché que la concurrence chinoise va se concentrer même si encore aujourd’hui l’image des constructeurs locaux est très loin des standards de qualité, de technique et d’image attendus par les consommateurs.

Les conditions d’exercice de cette concurrence sont profondément influencées non seulement par l’Etat chinois central, mais par les provinces et les grandes villes qui soutiennent leurs propres constructeurs et ont leur propre politique. L’Etat et les collectivités ont pu ainsi rapidement faire évoluer leur politique, soit en subventionnant sélectivement l’achat de véhicules neufs, soit en limitant de façon stricte les nouvelles immatriculations comme à Pékin.

Or trois considérations  peuvent faire pencher pour un scénario restrictif pour les constructeurs occidentaux et japonais.

-        Il est clair qu’après une longue période de croissance alimentée par le volume des exportations et dopée sur le marché intérieur par une extrême générosité du crédit, le maintien d’un rythme élevé de croissance est peu probable. L’atterrissage peut être doux, compte tenu de l’habilité des dirigeants à piloter l’économie en fonction de leurs intérêts politiques, mais il n’est pas exclu qu’il soit brutal compte tenu de l’étendue de la bulle spéculative immobilière. Dans les deux cas la demande de véhicules neufs subira immédiatement l’effet de la contraction des revenus de même que de la chasse aux comportements ostentatoires qu’une période de croissance ralentie et de tensions politiques pourrait aisément réveiller.

-        Les récentes tensions avec le Japon ont récemment démontré que l’opinion publique était très sensible aux slogans nationalistes, soigneusement orchestrés, et les constructeurs japonais en ont immédiatement souffert. Il paraît logique que le gouvernement chinois développe soit directement, soit indirectement, une politique de préférence nationale au profit de ses constructeurs automobiles nationaux. Ils ont aujourd’hui les moyens techniques de développer une offre attractive. Plusieurs signaux encore faibles vont dans ce sens : interdiction aux cadres de l’armée d’acheter des voitures d’origine étrangère, obligation faite aux JV d’adopter des noms de marques désormais purement chinoises, relance symbolique de la production des grandes berlines statutaires de l’ère Mao… Plus encore cette industrie nationale pourrait à terme se tourner vers l’exportation pour contrer les constructeurs occidentaux sur leurs terres historiques alors qu’elle a déjà largement commencé à exporter dans les autres pays.. Un quart des américains se disent prêts à acheter une voiture chinoise.

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-        Enfin la Chine est confrontée à un très grave problème de pollution atmosphérique dans ses villes qui conduit à des tensions politiques croissantes  avec les citoyens. De récentes études démontrent que la pollution atmosphérique dans le nord de la Chine, dont l’automobile n’ets certes qu’un des facteurs,  y réduit l’espérance de vie de 5,5 années. Les mesures de restriction de la circulation automobile se multiplient, et les villes ont opté pour une politique agressive de développement des transports publics. Le véhicule électrique y est encouragé.

Moins de voitures étrangères, moins de voitures polluantes, plus de voitures chinoises , tout ceci représente une menace que doivent traiter les constructeurs occidentaux pour ne pas être anesthésiés par les promesses de ce nouveau eldorado qui risquent, à tout moment, de tourner court.

Plus de volumes, ou une vraie réflexion sur des solutions alternatives ?

On peut conclure que l’avenir de l’automobile ne se trouve pas dans la fuite en avant vers les volumes. Ce comportement court-termiste est compréhensible pour les constructeurs soucieux avant tout de faire tourner leurs usines et de dégager les marges leur permettant de survivre.  Il dessert la cause de la mobilité car il ne répond plus à une liberté fondamentale, celle de se déplacer, par un outil approprié.

N’est-il pas temps pour l’industrie automobile de faire sa révolution comme l’informatique a su la faire ? En effet, la course au volume avec des véhicules tels qu’ils sont aujourd’hui conçus ne peut déboucher dans un terme plus ou moins proche que sur une profonde crise environnementale et urbaine que ni les gouvernements ni les utilisateurs, consommateurs et citoyens  ne pourront accepter. Réinventer l’auto-mobile est possible mais pour cela il faut s’affranchir de beaucoup de tabous et de dogmes.

Le produit est en effet de plus en plus inadapté aux conditions réelles d’usage. Cette dichotomie entre ce qui est acheté et l'usage qui en est fait, pour un objet de ce poids et de cet encombrement, pose désormais un réel problème de société qui ne peut rester durablement sans réponse crédible.

Il est en effet assez peu efficace économiquement d’utiliser un engin de 1500 kg pour transporter sur des distances moyennes de quelques dizaines de kilomètres 80 kg de « charge utile humaine » et ce en détruisant 6 l de carburant fossile non reproductible aux 100 km et en émettant  130 g de gaz à effet de serre par kilomètre… Aucun industriel n’aimerait gérer ce type de rendement pour ses machines…

Or ces véhicules sont conçus pour rouler à des vitesses élevées sur de longs parcours avec au moins quatre passagers et leurs bagages ce qu’ils ne font qu’occasionnellement et pour une faible partie de la flotte, puisque l’état normal d’un véhicule est l’arrêt pour 97% du temps. La conception des carrosseries, la sophistication des équipements embarqués se sont traduites au fil des générations de véhicules par un accroissement de poids que les progrès du rendement des moteurs peinent à compenser en termes de performance énergétique. En 1981, le poids moyen des véhicules particuliers en France était de 909 kg contre 1266 kg en 2011, la puissance passant den 62 kw à 106 kw. Il est paradoxal que l’Allemagne, qui se flatte d’une conscience écologique, soutienne sans réserve la production de véhicules lourds, puissants et polluants au mépris des limitations de vitesse et d’émissions.

Partout dans le monde des mesures restrictives sont prises par les gouvernements et les autorités locales pour rendre l’usage de ces véhicules plus contraignant pour des raisons de santé et sécurité publique, d’encombrement urbain et d’utilisation de l’espace public.  La réduction de vitesse est la solution la plus efficace pour réduire la mortalité automobile et partout dans le monde elle est mise en place alors que la mortalité automobile demeure un fléau mondial auquel tous les Etats et la communauté internationale s’attaquent.

La voiture du XXIe siècle reste à inventer

Il faut admettre que le modèle automobile du XXe siècle se révèle inapproprié aux contraintes de la vie urbaine du XXIe alors que 60% de la population de la terre va vivre dans les villes. Seuls les transports en commun et les petits véhicules individuels non polluants et contrôlés sont à même d’apporter des solutions efficaces.

Il faut reconnaître qu'après des décennies de passivité, les constructeurs ont commencé à réagir à la fin des années 2000. C'est une très courte séquence dans l'histoire industrielle qui a l'extrême mérite de tester, enfin, en grandeur réelle et dans les conditions de marché des solutions alternatives, comme l'hybride, l'électrique et l'hybride rechargeable. Les voitures électriques pures peinent à s’imposer mais sont une voie prometteuse dès lors que la question de l’autonomie trouvera une solution économiquement rationnelle, soit par l’augmentation de la capacité des batteries, soit par l’existence d’un réseau de bornes de recharges réassurant le conducteur, soit en installant à bord un prolongateur d’autonomie efficace. L'hybride, porté dans l'indifréence et l'ironie par Toyota, s'est imposé avec plus de quatre millions de véhicules vendus dans le monde.

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Il faut donc mettre en chantier des voitures électriques, probablement dotées d'un prolongateur d’autonomie pesant moins de 500 kg et consommant moins de deux litres pour une vitesse de 90 km/h. Certes ce projet n’excitera pas les quelques fanatiques de vitesse - sur circuit ? – pour qui semblent encore conçues les voitures actuelles et dont le marketing reste calé sur des valeurs obsolètes. Avoir le courage de tourner une page de l'histoire automobile pour repenser le produit et l'industrie est un acte difficile. Mais il répond aux besoins de la très majorité de la population. 80% des automobilistes français font moins de 65 km par jour. Il faut également que les pouvoirs publics aient le courage d’accélérer le processus de transformation du parc automobile en interdisant progressivement la pénétration du cœur des villes aux véhicules polluants. Ce n’est plus une option politique même si cela créera, pour un temps, des tensions. Et il est donc opportun de commencer par les flottes de véhicules professionnels, l’autopartage, certes séduisant, ne faisant qu’ajouter des véhicules supplémentaires à la circulation automobile si aucune mesure de dissuasion efficace de pour les véhicules conventionnels n’est prise.

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Au Japon, 40% des véhicules vendus sont des kei-cars, voitures de moins de 3,5 m et 660 cm3, et ce marché a cru de 30% en 2012. Pour les autres véhicules, ce sont les hybrides qui représentent les plus gros volumes de vente, la Prius étant régulièrement en tête des ventes On observe ainsi que la Japon, très urbanisé, vieillissant, est en fait un marché précurseur de l’évolution du marché automobile mondial.