Retrouver les sources de la démocratie : la e-démocratie
30 juin 2013
Il ne suffit pas de comprendre le monde, si on reste impuissants à résoudre les problèmes du monde. Or le paysage actuel de la planète, tel que nous le livre en temps réel le web, est assez peu encourageant dans la capacité des dirigeants à faire émerger des solutions durables et crédibles. Cette crise de crédibilité crée un malaise général qui mine la confiance envers les solutions et les régimes démocratiques. Les tentations totalitaires, le pouvoir de la rue, la violence sous toutes ses formes s’infiltrent toujours dans ces situations de crise morale et de précarité économique. Il est pour le moins affligeant en France de voir réapparaître des mots que l’on croyait oubliés, fascistes et anti-fascistes, certes modernisés à la sauce SMS en « fa » et « antifa ». Mais ce symptôme renvoie à une cause unique, la perte de confiance envers la classe politique et les solutions démocratiques issues des urnes. Cette perte de confiance trouve sa source à la fois dans le comportement personnel des dirigeants et dans leur incapacité collective à faire émerger des solutions crédibles. Cette situation est dangereuse car elle ne permet pas aux peuples d’exercer sereinement leur responsabilité dans la recherche de solutions aux graves problèmes de notre planète.
Les dirigeants à la peine
En France, un an seulement après la dernière élection présidentielle et les élections législatives qui ont donné une large majorité au Parti socialiste, l’accumulation de déconvenues mine l’exécutif au point que chaque élection partielle devient un calvaire pour le parti au pouvoir. La « faute morale impardonnable » dont a été coupable le ministre chargé de la probité financière, Jérôme Cahuzac, ouvre une brèche bien difficile à colmater dans la crédibilité d’un pouvoir qui se voulait exemplaire. L’ancienne équipe dirigeante n’est pas en reste tant dans son incapacité à faire émerger une « chefferie » stable que dans les démêlés multiples avec la justice de quelques uns de ses leaders. Sur fond de chômage et de récession, cette série noire renforce le sentiment général dans l’opinion que le pouvoir est impuissant à contrôler la situation et s’enfonce d’échec en échec dans l’impuissance. La multiplication des révélations sur les conduites indignes d’acteurs clefs des clans au pouvoir alimente un rejet global de la classe politique, non seulement impuissante, mais de plus malhonnête. La cyclique tentation populiste devient alternative crédible.
Cette situation n’est pas propre à la France. Tous les pays démocratiques vivent une crise de leur exécutif pour des motifs multiples qui tiennent soit à leurs décisions impopulaires soit à leur inconduite coupable. Julia Gillard, l’atypique premier ministre australienne vient d’être poussée à la démission par son propre parti, à la veille des élections générales, comme Margaret Thatcher en son temps. Son style carré a pu miner sa crédibilité au moins autant que la taxe carbone qu’elle a fait adopter dans un pays très hostile à ce type de mesure. Aux Etats-Unis, Barack Obama surfe entre les scandales et sa popularité est en chute libre. L’opposition à Angela Merkel se réveille pour stigmatiser la dureté de sa politique en des termes inédits et très durs.
L’exemple du Québec est intéressant. Il y a été crée en 2011 une commission, dirigée par la juge France Charbonneau, chargée d’enquêter sur les « possibles activités de collusion et de corruption dans l’octroi et la gestion de contrats publics dans l’industrie de la construction incluant, notamment, les organismes et les entreprises du gouvernement et les municipalités, incluant des liens possibles avec le financement des partis politiques et le crime organisé ». Ses travaux déstabilisent la classe politique. Quelques mois après la démission de son prédécesseur, Gerald Tremblay, pour liens supposés avec la mafia, c’est Michael Appelbaum, nouveau maire de Montréal élu en novembre 2012, qui démissionne à son tour accusé de « complot, abus de confiance et actes de corruption dans les affaires municipales" ! Pour faire bonne mesure le maire de la troisième ville du Québec, Laval, vient à son tour d’être rattrapé par un scandale sexuel et a démissionné. Comment dans un tel contexte faire confiance aux élus ?
Au-delà des joutes électorales classiques, et de leurs jeux de coups bas et petites phrases assassines, le problème change en effet de dimension. Le peuple semble tellement désabusé qu’il consomme son personnel politique à belles dents. Il n’y a plus d’état de grâce... Mais changer ne conduit qu’à plus de la même chose avec un personnel politique usé et une gouvernance minée par les scandales et l’impuissance.
Crise de confiance sous le regard instantané du web
Cette situation n’est peut-être pas nouvelle mais nous sommes dans un monde tellement différent avec la globalisation numérique qu’elle prend un tour beaucoup plus inquiétant. Tout se passe comme si la démocratie était en panne et ouvrait le champ à toutes les éruptions de violence soudaine qui démontrent chaque fois leur impuissance et leur stérilité nihiliste. La révolte des peuples est certes l’expression du refus des mesures d’austérité imposées par l’échec des dirigeants dans la gestion de la crise financière de 2008. Les racines de cette réaction sont en fait beaucoup plus profondes. La classe dirigeante démontre son incapacité à comprendre les causes profondes de cette crise qui dure depuis cinq ans et dont on ne voit aucune solution crédible. Les mesures annoncées, et âprement discutées entre dirigeants, comme la lutte contre la corruption et les paradis fiscaux, ne se concrétisent pas rapidement. Plus encore, les tensions entre les vieux pays démocratiques riverains du fleuve atlantique et leurs nouveaux rivaux asiatiques font planer une menace sur le maintien de la prospérité et de l’équilibre social de l’ouest alors que la démographie profite aux nouveaux pays « émergés » leur ouvrant de prometteuses perspectives. Et ce spectacle est désormais en temps réel, amplifié par les caméras de télévision et par le web.
Faire de la politique ou remplir une mission ?
Nous sommes en train de constater que nous vivons sur un mythe, celui de la démocratie, qui veut bien dire le gouvernement par le peuple. Comme il n’est pas très commode de diriger avec la foule, on a inventé le système représentatif qui est supposé apporter par le jeu d’élections libres des représentants du peuple dans les instances d’élaboration de la loi, le législatif, et de sa mise en oeuvre, l’exécutif. L’article 3 de la constitution de la République française en rappelle les principes. « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. » La voix du peuple est censée être protégée par les institutions qui assurent que les conditions de concurrence politique sans être pures et parfaites demeurent loyales. Ce bel édifice si tant est qu’il n’ait jamais fonctionné conformément à l’intention de ses concepteurs a été purement et simplement balayé par l’émergence d’une « classe politique » qui s’est interposée durablement entre le peuple et le pouvoir. Elle désire tant le pouvoir qu’elle a fait le champ clos de ses ambitions, de sa quête de couverture médiatique et n’hésite plus à monnayer son rôle, comme de vulgaires footballeurs ou stars de téléréalité.
Dès lors la distinction entre « le » politique, champ de la réflexion et de l’action sur la conduite des affaires de la cité, et « la » politique, champ de batailles d’une oligarchie qui a fait de la conquête du pouvoir son obsession quotidienne devient impossible. La mauvaise monnaie chasse la bonne. La polis grecque définissait un lien étroit entre un territoire, son peuple et ses institutions, une capacité à vivre ensemble et à se projeter dans un avenir commun. Or dans nos sociétés modernes, ce lien s’est dissocié entre l’état, la nation et le peuple. Le pouvoir politique s’est affaissé derrière les exigences du marché. Si cette distinction avait peu de conséquences pratiques pour le citoyen dans un monde de croissance économique et de redistribution sociale, elle devient cruciale alors qu’il n’y plus de croissance et que la redistribution se révèle à chaque instant de plus en plus problématique. L’attente de leadership des citoyens est de plus en plus exigeante face aux périls qui les menacent et la désinvolture de la classe politique est particulièrement troublante. La tension est à son paroxysme quand la classe politique explique avec le naturel le plus stupéfiant que ses agissements sont « naturels ». Mentir est normal, comme est normal de dépenser en liquide quand on est payé en argent liquide...
La démocratie 2.0, seule solution ?
Face aux tensions démographiques, économiques, écologiques, la qualité et la crédibilité de la réponse des gouvernants est majeure. Sans confiance, le système se déchire, les perspectives s’assombrissent, et la crise s’amplifie en se nourrissant d’elle-même dans une prédiction auto-réalisatrice.
Revenir aux bases pour arrêter cette dérive est une obligation pour les dirigeants. Or "le" politique, c’est défendre la cité, le territoire, et ceux qui l’habitent. La grande supercherie du citoyen du monde ne tient pas la route face aux besoins réels des peuples. Nous sommes tous ancrés dans un territoire, à la fois refuge et lieu d’épanouissement des talents.
La fin de l’histoire que nous promettait la chute du mur de Berlin, et Francis Fukuyama, se révèle en fait le retour aux vieilles tentations totalitaires et hégémoniques dans un climat de violence et de révolte. Le Brésil se réveille dans la douleur de son rêve de croissance. La Chine suffoque sous la pollution et connaît une vive tension intérieure. Le monde arabe ne se relève pas de son printemps bien trop prématurément loué par les intellectuels occidentaux. Et tout le monde se désintéresse du sort des peuples afghans et irakiens qui ne font plus la une des journaux télévisés dès lors que la vie des « boys » n’est plus en jeu.
Réinventer la démocratie pour les pays qui en ont été le creuset est aujourd’hui une impérieuse nécessité. Au delà des enjeux de court terme, il faut en France, mais aussi aux Etats-Unis, autre république fondatrice, un sursaut national qui restaure leur dignité aux élus du peuple et ressoude le pacte républicain. Il y a certes beaucoup de travail. Mais le web qui permet le partage des problèmes peut faciliter l’émergence de solutions comme le peuple islandais l’a démontré. Mais en même temps dans ce XXIe siècle vacillant, cet effort de refondation est vital pour réussir la réconciliation entre efficacité et équité.
http://www.coe.int/web/world-forum-democracy
http://www.opendemocracy.net/thorvaldur-gylfason/democracy-on-ice-post-mortem-of-icelandic-constitution
d'accord avec toi ! je pense que le japonais sont visionnaires en terme d'auto !
b
Rédigé par : b | 24 août 2013 à 16:28