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Le véhicule électrique à l'épreuve des faits

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Les faits sont têtus. La faillite de Better Place n’est pas une bonne nouvelle pour l’électromobilité. Le véhicule électrique, fonctionnellement séduisant, n’est décidemment pas une évidence commerciale. Depuis  la crise pétrolière du printemps 2008, que l’on a oublié à cause de la crise financière encore plus grave qui l’a suivie en septembre, les constructeurs ont cherché plus ou moins activement à s’affranchir du tout-pétrole en réhabilitant cette vieille idée qu’est le véhicule électrique. Mais alors que les voitures promises arrivent dans les rues, la menace pétrolière s’est momentanément éloignée et la crise automobile frappe durement l’Europe. L’industrie du véhicule électrique, encore fragile, subit durement de double choc. Ces revers ne doivent pas faire oublier les avantages fondamentaux de la propulsion électrique et inciter les pouvoirs publics à hisser leur niveau d’exigence en matière de lutte contre la pollution automobile urbaine.

L’enthousiasme

La courte (nouvelle) histoire du véhicule électrique est riche en évènements. De salon automobile en salon automobile, on a vu se développer  les concept cars avant de voir de vraies voitures électriques commercialisables, avec la Nissan Micra qui a été la première voiture électrique destinée au grand public en 2011. Aux Etats-Unis, un constructeur audacieux, Tesla, propose avec succès un roadster électrique séduisant et performant issu de Lotus. En Israël, Shai Agassi, entrepreneur issu de l’économie numérique, inspiré par le modèle de la téléphonie mobile, propose de révolutionner la distribution automobile en louant un service de mobilité. Il lance une entreprise à ambition mondiale, Better Place, qui fournit infrastructure et matériel en contrepartie d’un abonnement mensuel.  Il annonce avoir signé des contrats en Israël et au Danemark et envisage de conquérir la planète avec ce modèle disruptif. On parle d’un objectif de 100000 voitures électriques, notamment en partenariat avec Renault.

En France, Renault annonce en effet dès  2008 un plan ambitieux de lancement d’une gamme de cinq véhicules électriques Zero Emission et prévoit  qu’en 2020 10% de la production européenne sera composée de véhicules électriques. En 2010, le carrossier Heuliez, alors en difficulté, se scinde en deux pour créer avec des capitaux allemands une filiale entièrement dédiée à la production de véhicules électriques urbains, Mia, avec un objectif de 10000 voitures par an.

Enfin la Ville de Paris, à la tête d’un syndicat de communes franciliennes, lance un projet de voitures électriques en libre service, Auto’Lib en partenariat avec l’industriel Bolloré qui fournit les batteries, le véhicule et l’infrastructure de recharge et invente un modèle de service, la location en trace directe .

Tristes sorties de route

L’annonce  de la mise en faillite de Better Place sonne le glas d’un espoir dans la mutation rapide des modèles économiques d’accès à la mobilité automobile. Après avoir levé 850 millions $ de fonds, atteint une valorisation de plus de deux milliards $, Better  Place n’a réussi à faire circuler qu’un petit millier de véhicules dans les deux pays où il avait développé son modèle. Le public n’adhère simplement pas à l’idée de louer une voiture électrique ! Seulement 900 voitures circulent en Israël, 400 au Danemark après un an d’exploitation. Après avoir accumulé plus de 812 millions $ de pertes, dont et sans espoir d’un développement de son chiffre d’affaires, Better Place, qui s’était séparé de son fondateur en novembre dernier, arrête donc le combat. Les 115000 Renault Fluence commandées par Better Place ne seront pas livrées.  Echec d’un pionnier trop en avance ou ambitions démesurées, Better Place aura ouvert avec panache une brèche dans le modèle classique de la possession de son véhicule.

Ce dernier échec n’est pas isolé. Le monde du véhicule électrique est chahuté. Le pionnier norvégien Think, après vingt  ans d’activité et trois failittes, a de nouveau  déposé son bilan en  2011 après avoir vendu quelques milliers de véhicules dans le monde. Mia est en grande difficulté. Malgré le succès de son véhicule,  les volumes sont très inférieurs au seuil de rentabilité. Le constructeur américain de berlines de luxe Fisker s’est mis en faillite avec peu d’espoir de reprise. Le fournisseur de batteries américain A123 Systems a également disparu…Le chinois BYD qui prétendait lui aussi révolutionner la planète se fait très discret sur son ambition d’être numéro 1 mondial du véhicule électrique. Ses ventes de véhicules électriques, limitées au marché des taxis, ne représentent qu'1% de ses ventes automobiles.

Si les déconvenues sont nombreuses dans ce marché trop hâtivement présenté comme révolutionnaire, c’est que le produit,  trop récent  dans un marché conservateur car séculaire,  pose au client individuel des questions mal résolues encore en termes d’autonomie, de facilité de recharge, de valeur de revente  alors que pour les flottes les risques sont moins élevés. Aussi le succès de masse du véhicule électrique dépend encore du rôle des pouvoirs publics qui subventionnent partout dans le monde cette solution et en facilitent l’usage. Mais comme toujours dans la vie économique, c’est la pertinence intrinsèque de l’offre qui en assurera à long terme le succès.

Les espoirs

Il est incontestable que le véhicule électrique qui apporte un silence de fonctionnement et une absence d’émission sur le lieu d’utilisation offre une alternative séduisante au véhicule thermique, notamment pour les usages de faible kilométrage qui représentent l’essentiel de la vie d’un véhicule automobile. Mais cette évidence ne suffit pas à encourager les automobilistes à renoncer à leurs habitudes thermiques avec le rituel sécurisant de la pompe à essence. C’est bien cet ancrage naturel sur les courtes distances qui présente pourtant pour beaucoup d’acheteurs potentiels un obstacle plus psychologique que réel. Mais cet atout peut être mis en valeur tant  par l’industrie qui doit convaincre par le modèle d’usage que par un choix clair des pouvoirs publics par rapport aux autres motorisations. C’est notamment l’esprit du plan automobile présenté le 25 juillet 2012 Arnaud Montebourg, qui avait annoncé que 25% des véhicules achetés par l’Etat seraient électriques et hybrides et que les véhicules à usage urbain seraient électriques.

Si les utilisateurs ne sont pas tous convaincus d’acheter un véhicule électrique, au moins pourront-ils être tentés de l’essayer en le partageant. C’est le pari, réussi, d’AutoLib  qui est un exemple fort de la mobilité électrique urbaine.  Il a atteint la masse critique à Paris avec  63000 abonnements et un taux d’usage élevé (1,3 millions de locations, 12 millions de kilométres parcourus).  Le modèle se déploie en France à Lyon mais également à l’étranger.

Parmi les constructeurs premium, BMW est le seul à faire du véhicule électrique un choix central. Le constructeur a conçu une approche méticuleuse de son entrée sur ce marché. L’image de la marque est mise au profit d’une scénarisation des valeurs de performance et de sportivité en les rendant compatibles avec une vision de conscience écologique. BMW depuis un an présente ses deux modèles dans le monde , l’urbine i3 et la sportive i8, dotées de prolongateur d’autonomie.

Pour Renault-Nissan, le résultat est plus encourageant. Les véhicules prévus sont tous en rendez-vous, la commercialisation mondiale est engagée.  Certes les ventes sont moins agressives que prévu, mais Nissan a pu vendre dans le monde  50000 Leaf depuis décembre 2010, ce qui en fait le modèle leader au plan mondial, et les débuts de la Renault Zoe sont prometteurs avec un rythme soutenu de commandes, Kangoo est leader européen des utilitaires électriques et il y a un vrai succès de sympathie pour un véhicule de niche Twizy.Renault Nissan a choisi l’option électrique avec détermination dès 2008. De fait ces deux constructeurs ont pris le leadership mondial en volume . Chez Renault, en France, Zoe représente 80% des ventes de voitures individuelles et Kangoo 86% des utilitaires.

S’il est un domaine où les préventions peuvent aisément tomber, c’est le champ de la logistique urbaine. Les utilitaires électriques offrent en effet une solution sans égale pour pénétrer avec une trace minime le cœur des villes. Sans bruit et sans émanation, l’utilitaire électrique devrait s’imposer sous des formes diverses, du cycle électrique aux porteurs de moyen tonnage. Si le mouvement est en cours, il reste timide et aux quelques pionniers initiaux sont venus s’ajouter les grands noms comme La Poste, Geodis... C’est clairement le domaine de prédilection du véhicule électrique et les pouvoirs publics pourraient imposer cette solution efficace au cœur des villes. Certaines communes s’y  lancent comme Bayonne, non sans réticence  des professionnels. Il faut aussi que les pouvoirs publics tirent les conséquences des études sur la pollution urbaine qui mettent toutes en évidence la lourde contribution des hydrocarbures C’est pourquoi il faut non seulement convaincre mais accompagner tous les acteurs de la chaîne logistique pour que  le véhicule de livraison soit partout électrique.

Cette généralisation aurait un effet d’entrainement sur les autres usagers permettant un essor plus rapide de l’électrification des parcs. Néanmoins, pour convaincre définitivement le grand public, il faudrait que les performances d’autonomie s’améliorent pour un prix acceptable ou qu'un réseau dense de bornes de recharge rapides élimine l'angoise de la panne. Toute l’industrie y travaille… Mais avec le ralentissement économique mondial, il ne faut pas attendre qu’une augmentation  du prix du pétrole ne soit dans l’immédiat un facteur d’accélération de la mutation.