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L'open data, arme naturelle de la transparence

Le débat sur le patrimoine des ministres met en lumière une des grandes difficultés de la démocratie française qui est de parler librement de l’argent.  Ce vieux tabou n’est plus compatible avec une des tendances les plus profondes de la société numérique, la libre circulation de l’information comme base du débat et de la décision. L’ère de l’internet et du web changent radicalement le mode de production et de distribution de l’information et imposent à tous une rigueur nouvelle dans le « rendre compte ». Cette transformation est puissante, perturbante et remet en cause beaucoup de pratiques qui sont dans notre pays héritées d’une culture du secret  qui est au fil du temps devenue une des grandes sources des blocages de la société française.

La classe politique n’a pas l’habitude de rendre des comptes

L’analyse de cette poussée fondamentale du désir de transparence ne se limite pas à la seule sphère de l’action publique. Elle y est encore plus légitime car il s’agit de l’argent public confié par le peuple souverain à ses représentants pour en faire le meilleur usage. Le droit de lever l’impôt dans la clarté est un des fondements du pouvoir démocratique et a été à l’origine de toutes les révolutions contre l'absolutisme royal. La Magna Carta de 1214 en est la source historique. Face à l’absolutisme royal le contrôle de la dépense et donc la légitimité des prélèvements obligatoires - le consentement à l'impôt - constituent la base existentielle du rôle du parlement. Que l’on attende des parlementaires à leur tour la plus grande transparence sur leurs revenus pour éviter toute suspicion à leur égard est un des fondements sacrés de la démocratie. Ce principe s’étend naturellement à tous ceux qui exercent une autorité publique. Il est curieux, dès lors, d’entendre parler de déballage ou de voyeurisme quand il ne s’agit que d’exercer un contrôle démocratique sur les représentants du peuple dans l’exercice de leur mission.  Il est en effet piquant de constater que deux ministres du budget, de deux appartenances politiques distinctes, ont pu être en quelques années suspectés de manque de probité et de transparence…

Il n’en reste pas moins vrai que même désirée ou controversée, cette information ne signifie… rien ! Il n’y a aucun lien naturel entre un niveau de patrimoine, fruit de l’histoire personnelle et familiale, et une aptitude quelconque à participer à la direction des affaires publiques. Un état de fortune, concept tout à fait relatif puisque selon la plupart des perceptions traduites par les enquêtes  est riche celui qui dispose de 50% de plus que soi, ne traduit ni le talent qu’un habile gestionnaire privé pourra transférer dans la sphère publique, ni une inquiétante  prodigalité. Le temps est révolu où la gestion en bon père de famille, à laquelle se référait le suffrage censitaire, apparaissait comme une garantie publique. En ces temps de divorces tempétueux, de paradis fiscaux, de spéculation, mais aussi de chômage, de carrière indécise, être riche ou pauvre, trop riche ou trop pauvre,  ne prouve rien. Au mieux, peut-on contrôler, en début et fin de mandat,  que l’exercice de la responsabilité publique ne génère pas un enrichissement personnel. Le seul mérite de cet exercice est de démystifier le tabou de  l’argent. Au fond savoir ce que chacun gagne, au-delà du décryptage hasardeux des signes de richesse, libère d’une interrogation et permet surtout de passer à autre chose. Après quelques jours de commentaires médiatiques, cette affaire ne suscitera plus d’intérêt majeur.

La vraie question est en effet ailleurs : quelles sont les qualités nécessaires pour  diriger un pays, une commune, une région, et, peut-on ajouter, une entreprise, dans un contexte socio-économique instable ? Il n’y a aucun réponse simple, sinon que les hommes apparemment les plus vertueux et qualifiés n’ont jamais vraiment réussi dans l’exercice du pouvoir. Pierre Mendes-France, qui en est un peu le symbole, n’est resté que 232 jours au pouvoir et laisse une trace d’intégrité et de compétence que peut-être une année supplémentaire aurait définitivement ternie… Jacques Delors, prudent et sage, a renoncé à la tentation présidentielle. Seule la rotation dans l’exercice du pouvoir assure une garantie contre les abus d’intérêt personnel et surtout d’exercice de l’incompétence qui est au fond la plus grand menace que font peser les quelques 500000 élus français sur le pays. Seule la diversité des expériences et des expertises peut offrir à un pays un corps de représentants aguerris capable de transposer pour partie dans l’exercice public une fraction de leurs talents car il ne s’agit au mieux que de présomption tant l’exercice du pouvoir est complexe dans un contexte général « d’impuissance démocratique ».

Ceci implique une vraie « démocratisation » de l’exercice du pouvoir qui ne peut plus être confié à une classe politique qui en a  abusivement fait un métier. Le seul vrai métier de gestionnaire est celui des fonctionnaires qui proposent et exécutent en fonction des règles techniques et du droit. Le responsable politique décide en fonction de sa conception de l’intérêt général. Sa légitimité provient du suffrage universel et est contrôlée politiquement par le corps électoral comme encadrée par le droit. Le retour espéré à plus de rigueur dans l’exercice du pouvoir ne passe pas seulement par la transparence, mais surtout par la démocratisation du processus de prise de décision. Le non-cumul des mandats, leur non-prolongement abusif dans le temps, associés au recours beaucoup plus large au référendum d’initiative populaire sont les outils classiques de la transparence. Mais on peut aussi explorer des voies nouvelles, comme par exemple le recours au tirage au sort pour une partie des élus locaux.

Mais c’est un partage général de l’information – qualifiée, certifiée, documentée – qui doit assurer la base fondamentale du débat démocratique prélude à la prise de décision motivée.

Une transparence élargie à la vie quotidienne

Mais le désir de transparence ne se limite pas à la sphère publique. Chacun d’entre nous dans ses différentes facettes - collaborateur, consommateur, voyageur, patient, lecteur, auditeur, téléspectateur… - souhaite désormais s’assurer que les informations qui lui sont transmises soient « libres et non faussées ». On a érigé la concurrence en dogme absolu de l’efficacité collective en négligeant que la concurrence sans information peut conduire à tous les excès du « renard libre dans le poulailler libre ».

 Cet appétit est d’autant plus légitime que les cas de manipulation de l’information sont légion, le mensonge et la dissimulation étant un des vecteurs majeurs de l’exercice de l’autorité de la connaissance dans une relation dissymétrique entre celui qui sait et qui recherche un avantage grâce à l’information qu’il détient et celui qui subit sans avoir les moyens de contrôler. L’histoire du Mediator ou de la viande de cheval ne sont que des exemples marquants par leur actualité. Le refus récent de l’industrie agro-alimentaire européenne de mettre en place un marquage simple (rouge, jaune, vert) des risques associés à la consommation abusive de ses produits traduit la résilience de la culture de l’information dissymétrique, dont on peut toujours suspecter qu’elle cache de noirs desseins. Dans un passé plus lointain les manipulations prouvées de l’information par l’industrie du tabac ou de l’amiante ont montré que sciemment des industries ont truqué et acheté l’information pour cacher un désastre sanitaire. Il est encore plus grave de cacher des informations vitales pour des millions de consommateurs que de dissimuler des revenus individuels…

Or le débat démocratique peut aujourd’hui s’appuyer sur la technologie. L'open data » ou, en français, les le libre accès aux données publiques, a pour but de rééquilibrer l’accès à l’information. Il s’agit bien en effet de rendre publiques toutes les données économiques, statistiques, scientifiques pour permettre à la société dans son ensemble de comprendre les enjeux. Ces données publiées sont analysées et mises en forme lisibles par le plus grand nombre afin de fournir une information exploitable dont chacun tire les enseignements et pratiques qu’il décide d’adopter en toute lucidité. Elle rend possible la détection de phénomènes cachés et permet la prévention, que ce soit en matière de santé publique, de risques naturels, d’environnement ou plus prosaïquement de dysfonctionnements dans la vie quotidienne comme le transport. Ainsi les pays scandinaves tirent un avantage majeur de leur connaissance approfondie et publique de leur population.

L’accès à ces données permet à des entrepreneurs d‘imaginer des services nouveaux pour faciliter l’exercice de cette liberté de choix que la technologie rend désormais possible.

Mais d’ores et déjà les consommateurs ont bien compris toute l’importance de cette mutation. La plupart des actes d’achat majeurs sont aujourd’hui préparés en concaténant de l’information sur le web. Cette émergence du consommateur expert est un défi pour la distribution et les industriels, mais aussi une formidable opportunité de travailler avec les consommateurs dans une relation de confiance mutuelle. Il en est de même en médecine où les praticiens ont intérêt au dialogue avec des personnes lucides seules gestionnaires  de leur capital-santé. Expliquer les faits de façon pédagogique ne peut que renforcer l’efficacité comme la dignité collectives.

Chaque acteur dans la chaîne de valeur a intérêt à partager une information authentique pour élever le niveau de conscience et de compétence. Les résistances initiales ne peuvent que se dissoudre face à cette poussée inéluctable qui va dans le sens du bien commun, dont aucune catégorie sociale ne peut se prévaloir avec exclusive.