Apple, la magie "désenchantée" ?
14 décembre 2012
Dans la vie politique comme en affaires, dans ce monde où tout évènement est immédiatement amplifié, il est évident que le moindre faux pas est interprété comme marquant l’apogée d’une aventure et l’irrémédiable annonce de lendemains plus difficiles… Quand on a tout réussi depuis dix ans comme Apple, quand on affiche la plus grande capitalisation boursière du monde, malgré une sévère correction cet automne, le moindre grain de sable est porteur de lourdes menaces… Qu’en est-il vraiment ? Peut-on vraiment parler d’Apple avec lucidité, enfin ?
Les chiffres d’Apple, trimestre après trimestre, sont exceptionnels… Avec 36 milliards $ de chiffre d’affaires à son dernier trimestre fiscal, les chiffres sont pulvérisés. Jamais une entreprise n’aura marqué son temps par une réussite aussi brillante. Apple est entrée dans la légende sous l’impulsion d’un homme tyrannique et charismatique qui a su rendre indispensable ce qui était inutile. La mort de Steve Jobs marque dans tous les cas la fin d’une époque, celle où tout objet portait son empreinte avec un soin maniaque. Il n’est pas sûr que Tim Cooks soit plus « normal » que Steve Jobs, mais il n’a pas encore établi sa légende… Jobs n’est pas encore vraiment remplacé !
Alors que tout s’inscrit au superlatif chez Apple depuis des années, dans une emphase communicative entre afficionados zélés, il a suffi que la dernière mouture du système d’exploitation mobile iOS 6 embarque un système cartographique médiocre, anti-Google, pour que toute la communauté hurle au déclin, et pire, à la faute de goût que Steve n’aurait jamais tolérée. Cet épisode a ouvert un processus critique inhabituel envers Apple dont on sait qu’elle n’a pas de clients, mais des fans… Alors quand les fans sont déçus, le ver est dans la pomme.
Déçus de quoi ? En premier lieu, l’iPhone 5 n’a pas surpris… Attendu depuis longtemps, cette nouvelle déclinaison de l’iPhone avait déjà manqué de charisme dans sa livrée 4S. La version 5 est un succès technique et esthétique indéniable et fonctionne, seulement, à merveille… Mais la magie n’est pas au rendez-vous. Il reste à attendre les chiffres de vente.
L’iPad avait bluffé tout le monde et séduit en deux ans plus de cent millions de consommateurs, et plus encore établi un standard pour un produit dont personne ne ressentait le besoin, accueilli avec dédain par tous les conservateurs. Depuis le monde des PC n’est plus le même et doit se repenser pour ressembler à une tablette. Deux ans plus tard, l’iPad Retina n’est pas vraiment mieux que l’original en dehors, et ce n’est pas secondaire, d’un écran spectaculaire et d’une vitesse encore plus rapide… et tout le monde crie au scandale.
De nouveaux fronts s’ouvrent dans la critique anti-Apple. D’une part les conditions de production de ces appareils en Chine chez Foxconn commencent à attirer sérieusement les critiques. Par ailleurs, partout, les employés des Apple Store protestent contre des conditions de rémunération et de travail très moyennes. Apple n’est donc pas un employeur modèle ni chez lui ni chez ses fournisseurs. Plus grave, Apple apparaît même comme une entreprise hautaine, peu soucieuse des conséquences sociales et environnementales de son immense richesse.
D’autre part Apple a toujours réussi à vendre ses machines au design et à l’attrait sans équivalent à un prix élevé, comme BMW ou Audi. Seulement Apple n’est plus seul. Le marché des smartphones qu’il a ouvert est aujourd’hui peuplé d’une myriade de produits, comme commence à l’être celui des tablettes. Au premier rang de la meute des poursuivants se distingue Samsung, qui commence à faire preuve d’originalité en apportant des fonctionnalités qu’Apple ne propose pas. Et ces poursuivants exploitent pour la plupart un système d’exploitation partagé, Android, qui devient une plate-forme attractive. Microsoft engage un tournant majeur de son histoire en proposant un système d’exploitation couvrant toute la palette des outils, du PC au téléphone, et pourrait séduire les entreprises grâce à la comptabilité de Windows 8 avec les solutions d’entreprise. Aussi l’innovation n’est plus seulement chez Apple,
Comment appelle peut répondre à ces menaces ?
Il faut à nouveau faire rêver en redevenant un outsider sympathique. Même si ses machines gardent une touche incomparable, elles doivent continuer à apporter un peu de magie. Ceci passe par des produits mais aussi par une attitude.
L’iPad mini, inattendu, est une première manifestation d’un esprit combatif. C’est un produit surprenant par sa qualité dans ce format. Le nouvel iMac par une esthétique bluffante apporte à l’ordinateur de bureau une nouvelle jeunesse. Mais il faut ouvrir d’autres champs capables de générer de la surprise… et des clients. On parle beaucoup d’une télévision Apple, alors que ce marché souffre gravement d’une perte violente de revenus qui a mis ko les grands électroniciens japonais, Sharp, Panasonic et Sony au profit des coréens LG et… Samsung. La nouveauté ne viendrait pas seulement de l’écran, qui sont déjà exceptionnels chez ces grands experts de la télévision, mais du logiciel, pour faire du téléviseur l’écran pivot de la distraction familiale, image, son, shopping, jeux. Le pari n’est pas gagné car des solutions attractives existent déjà.
Il y a encore beaucoup de choses à faire pour rendre cet assistant permanent qu’est devenu le smartphone encore plus agréable et efficace. Plus petit, plus léger, plus flexible, le smartphone a surtout besoin désormais de vitesse de transmission. La 4G s’impose. Il doit aussi pouvoir remplacer d’autres objets familiers. Cette bataille de la poche se joue entre le smartphone – il s’en vendra un milliard dans le monde en 2013 – et la carte de crédit. Les puces NFC vont permettre de disposer d’un moyen de paiement universel… mais il faut que tout le monde s’y mette. Est-ce qu’Apple peut inventer quelque chose de spectaculaire pour faire bouger les lignes dans le monde des moyens de paiement comme il l’a fait avec celui de la musique avec iPod et iTunes ?
Devenir sympathique passe par une reconquête d’image. Apple doit (re)devenir proche des gens. C’est pourquoi l’annonce de la production d’iMac aux Etats-Unis, même avec seulement quelques centaines d'emplois, s’inscrit dans une logique de proximité… plus marquante certainement que l’attribution de tickets restaurant aux salariés des Apple stores français. Une incursion dans le domaine encore balbutiant et fragmenté de la e-santé aurait un impact très favorable, Apple peut se révéler précurseur.
Innovation et empathie sont des valeurs chaudes. Apple a les moyens de les décliner avec le talent qui lui est reconnu et son trésor de guerre d’une centaine de milliards de dollars. Ces critiques frémissantes peuvent se révéler un bien utile aiguillon pour contrer les ambitions de Samsung et de Google.
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