Mondial 2012 : quelle crise ?
30 septembre 2012
Crise de l’automobile ? Quelle crise ? A en croire la presse unanime, les salons s’enchainent depuis 2008 dans un contexte de crise sévère du marché. Les dirigeants des constructeurs française tempêtent, menacent d'auto-disparaître " sous leur forme actuelle" si on ne baisse pas le coût du travail. Les salariés se battent pour conserver leur emploi et un gouvernement impuissant, mais vindicatif contre "les constructeurs étrangers", air connu, leur promet de faire quelque chose... C'est donc un Mondial curieux qui ne donne pas envie d'acheter des voitures car tout le monde parle d'autre chose que du produit lui-même. Pourtant il y a dans ce Mondial de vraies innovations, la voiture électrique connectée devient enfin une réalité, l'hybride est omniprésent, et abordable, les moteurs thermiques sont de plus en plus petits et consomment moins, et les supercars dans leur niche dorée continuent à faire rêver. Business as usual pourrait-on dire.
Mais ce mot cinglant, crise, ne résume ni n’explique ce que l’industrie automobile vit actuellement. Faute de diagnostic robuste, la thérapie ne peut qu’échouer. Car l'industrie automobile ne fait que vivre ce que vivent toutes les activités en ce début du XXIe siècle, une mutation plus ou moins violente qui marque la fin d'une époque et le début d'une autre...
Chute des volumes
En premier lieu, la crise au sens quantitatif de la baisse des ventes, ne sévit en 2012 vraiment qu’en Europe. Mais la chute est sévère. Il se vend en 2012, au vu des données des huit premiers mois, 7,1 % de véhicules en moins par rapport à 2011. Mais c’est 18% de moins qu’en 2007, soit près de 2 millions de voitures disparues. La Grèce et le Portugal plongent de plus de 40% et même l’Allemagne est en rouge. La Chine, avec + 4%, la Russie, le Brésil ont vu leurs ventes continuer à augmenter même si le rythme se ralentit, et la production mondiale devrait croitre de 3% en 2012 comme en 2013.
Crise du désir d'automobile
La crise de l’automobile est en fait un phénomène plus large et plus ancien. C’est la crise du désir d’automobile. Automobile plaisir ou automobile pratique, depuis quinze ans, la voiture est passée subrepticement du statut de plaisir digne de tous les sacrifices financiers à celui d’objet à l’utilité froidement mesurée en termes de rapport coût/valeur. Ce phénomène s’étend dans tous les pays matures, y compris au cœur même de la civilisation automobile, les Etats-Unis. Une étude montre que partout l’attrait de l’automobile individuelle diminue. Ceci se traduit par de multiples symptômes convergents sur lesquels les constructeurs automobiles sont restés étonnement aveugles. En premier lieu le kilométrage annuel parcouru diminue régulièrement. En France il a baissé entre 1980 et 2010 de 3500 km par an, et ne cesse de baisser chaque année. Ensuite le taux de renouvellement des véhicules se ralentit. Le consommateur garde plus longtemps sa voiture (8 ans contre 5,5 dans les années 80) car elles ont gagné en fiabilité et en confort, et aucune innovation spectaculaire ne les conduit à anticiper un renouvellement. Les modèles les plus récents n’ont rien de véritablement révolutionnaire et l’hyper-segmentation des gammes jette un sérieux doute sur la valeur de revente. Les cas d’échecs des nouveaux modèles se multiplient.
Même les réels progrès de consommation ne suffisent pas à déclencher l’achat car un simple calcul permet de montrer qu’un gain de consommation de 4 litres pour 100 km de, ce qui est un cas extrême, ne génère qu’un gain annuel de 540 € pour 9000 km parcourus. Le retour d’investissement justifie difficilement un nouvel achat, ce qui d’ailleurs pénalise même le véhicule électrique. Seules les mesures gouvernementales prises en 2009-2010 ont artificiellement gonflé le marché, aux frais des contribuables, poussant les automobilistes à renouveler plus vite leur voiture pour bénéficier d’un effet d’aubaine. Mais on a ainsi fabriqué une bosse de surconsommation de l’ordre de 500000 véhicules pour la France que le marché va mettre dix ans à résorber.
Crise de l'usage
Les mauvaises nouvelles pleuvent sur l’automobiliste depuis des années. Le centre des villes leur est, sinon interdit ou payant, a minima déconseillé avec de multiples mesures dissuasives : plans de circulation restrictifs, stationnement au coût prohibitif, amendes. La circulation sur route subit également de multiples contraintes, et l’application désormais stricte des limitations de vitesse, qui donne d’excellents résultats en matière de sécurité routière, retire un argument majeur aux constructeurs promoteurs du « plaisir de conduire ». Le prix du carburant, le coût du malus écologique, le prix des assurances comme des pièces détachées occupent régulièrement la scène médiatique pour démontrer que ces coûts induits ne font que progresser plus vite que le pouvoir d’achat. Plus encore, les doutes sur l’innocuité sur l’environnement et la santé des rejets -particules du diesel, CO2, NOx- sont scientifiquement dissipés. Chère, la voiture est de moins en moins indispensable pour une fraction croissante de la population. Celle des villes dispose d’une offre de transports publics de plus en plus attractive. Les villes, même moyennes, sont dotées de métros, de tramways et de bus modernisés. Automobile n’est plus synonyme de mobilité pour les jeunes générations qui préfèrent à l’investissement automobile l’usage pertinent de toutes les formules qui leur sont proposées, dont le covoiturage qui grâce au web connait un succès retentissant. L’autopartage se développe partout avec des enseignes comme ZipCar, Autolib’, Mobility. Et les voyages plus lointains sont le domaine de prédilection de iTGV ou de EasyJet. Car le vrai concurrent de l’automobile est bien le web. La mobilité d’aujourd’hui se joue des distances et des embouteillages pour emprunter, selon l’expression d’Al Gore, les « autoroutes de l’information », devenues « réseaux sociaux ». Le web rapproche, permet de gérer aussi bien les affaires que les activités ludiques et les relations inter-personnelles. On ne se déplace plus qu’à bon escient et de façon rationalisée en exploitant grâce aux données partagées le canal le mieux adapté et le moins cher.
Vers un système de mobilité intelligente
Ce n’est donc pas une crise de l’automobile, mais une mutation profonde qui attaque d’abord son cœur historique, Europe, Etats-Unis, Japon, mais ne laissera pas à l’écart des pays comme la Chine, soucieuse de la maitrise de son développement urbain et du développement de sa propre industrie automobile. Il faut donc repenser le modèle et imaginer l’automobile comme une composante d’un service de mobilité en réseau. Il est temps que Renault et PSA se rapprochent, par exemple, d’Alstom, de la RATP, de Veolia, mais aussi de Bolloré et d’Orange pour inventer ce nouveau modèle de mobilité intelligente.
Hélas, ceci ne règle certainement pas les problèmes d’emploi à court terme en Europe. La mutation ne fait que commencer.