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Ouvrir une brèche dans la conception des applications informatiques

https://www.gov.uk/designprinciples

Un pur moment de bonheur pour ceux qui aiment la conception de systèmes ! Ces principes encore provisoires et perfectibles ont été conçu pour guider  les concepteurs de sites et d'application du domaine GOV.UK. Le gouvrenement britannique a engagé un vaste chantier de rénovation de son apporche du gouvernment-to-citizen ( G2C)

  1. Partir des besoins

  2. Faire moins !

  3.  Construire avec les données

  4. Travailler dur pour faire simple

  5. Commencer petit, et itérer

  6. Utiliser un design qui rend les choses simples

  7.  Comprendre le contexte

  8. Construire les services numériques, pas seulement des sites web

  9. Etre cohérent, pas uniforme

  10. Ouvrir les données, sans cesse,( et les API...)

    Un beau chantier pour faire pénétrer le numérique dans l'adminstration et les services publics, non pas pour automatiser l'existant, mais pour réinventer le service public du XXIe siècle. Nous n'avons plus besoin de notre cheval pour aller à la préfecture !

 

 


"Nouvelle cuisine et informatique", un texte vintage...

Un peu d'informatique quand même sur ce blog... Comme toujours l'histoire est porteuse d'enseignements. Et comme on écrit tout aujourd'hui, il est intéressant de savoir ce qu'on pensait il y a quelques années. J'ai retrouvé sur mes disques durs ce texte qui a été publié dans feu "L'informatique professionnelle", revue de talents faite par des esprits libres, et dont on ne trouve plus vraiment l'écho aujourd'hui. C'était en 1995, autant dire dans le moyen âge de l'informatique. Mais cela reste encore savoureux...et utile !

Le meilleur

Quand les stars de la profession informatique, Intel, Microsoft, IBM, Apple s'abaissent à faire de la publicité télévisée  télévisée aux heures de grande écoute, pour séduire la ménagère de moins de cinquante ans, le symbole est fort : c'est un monde qui s'écroule ! Il faut s'y résoudre, l'informatique est partout. C'est dire qu'elle n'appartient plus à personne, et surtout pas aux informaticiens. Aussi, pour imaginer l'avenir de l'informatique dans les entreprises, il n'y a rien de tel que de sortir du cadre convenu où nous nous laissons enfermer par le système de pensée collectif alimenté par les gourous, les journalistes, les constructeurs, les éditeurs qui entretiennent nos propres habitudes et fantasmes.

Osons cet exercice !

Un monde nouveau

 Les informaticiens ont depuis l'origine de cette formidable technique été condamnés à ne construire que des prototypes. Les systèmes, réalisés à grand peine, collaient aux besoins d'une entreprise, d'une fonction, dans un environnement technique spécifique. Ils étaient délibérément écrits pour ne servir qu'une fois. L'informatique n'a jamais encore existé qu'à l'état naissant ! Elle sort à peine du laboratoire où l'ont enfermé ses géniteurs, les docteurs Frankenstein, par incapacité à maîtriser sa propre complexité, mais surtout à se faire comprendre et à dialoguer sur des bases claires avec cette population aux contours indécis qu'on appelle encore les "utilisateurs". Il est aussi probable que par manque d'assurance les informaticiens avaient peur de perdre le contrôle de leur technique en en partageant les secrets.

 Or des jeunes gens irrévérencieux ont commencé au début des années 80 à libérer la belle, à lui donner des attraits nouveaux, à lui faire découvrir le vaste monde échappant au contrôle de ses mentors. Aujourd'hui, le monde a basculé. Les idoles ont mordu la poussière, l'informatique traditionnelle est contestée et a perdu sa superbe. Avec plus de quarante millions de micro-ordinateurs vendus en 1994, un parc installé de plus de 150 millions d'unités, l'informatique est plus qu'en voie de démocratisation, elle est entrée dans la vie quotidienne. Et plus rien ne sera comme avant ! Au monde des grands systèmes centripètes se surimpose, pour le surclasser graduellement, celui des réseaux et des postes de travail intelligents aux mains d'acteurs informationnels libérés.

 Nous devons donc cesser de voir ce métier avec les lunettes déformantes des pionniers pour trouver dans notre expérience les ressources d'une nouvelle lecture de l'informatique. Dans les  prochaines années, l'informatique d'entreprise sera prise entre le marteau d'une offre débordante d'imagination, sans cesse renouvelée, obéissant aux règles d'un marketing débridé, et l'enclume d'utilisateurs exigeants et ayant appris à exploiter le potentiel des outils auprès de leur enfant de douze ans. Face à ce dilemme peu enthousiasmant, renforcé par le souci des directions de vérifier à tout moment la bonne utilisation des ressources rares, les informaticiens doivent se donner l'exigence d'une vision rafraîchissante de leur métier pour dégager des axes de réflexion et de travail stimulants.

 Cette quête peut conduire à des révélations inattendues ! La notion de client/serveur invite naturellement à orienter la recherche vers l'art culinaire. Comment organiser la relation entre un client exigeant et un serveur débordé ? Comment intégrer dans un monde déjà suréquipé en outils informationnels les éléments novateurs qui vont réellement créer de la valeur ?

 En lisant la préface du livre de recette, "Le meilleur et le plus simple de Joël Robuchon"1 , j'ai trouvé des analogies troublantes avec ce que je ressens de l'évolution du métier informatique. Venues d'un professionnel exigeant et reconnu, raflant toutes les étoiles au firmament gastronomique, ces quelques conseils ont éclairé les réflexions récoltées au fil des projets client-serveur auprès de chefs de projet lassés de se voir cantonnés dans le rôle ingrat d'essayeurs aveugles de produits inventés par d'autres. Elles viennent aussi conforter le sentiment de ceux qui estiment que la profession informatique mérite mieux que la morosité où elle tend parfois à s'enfermer, ou à laquelle la condamne ceux qui nient un peu hâtivement la technicité et la compétence nécessaires pour mener à bien le formidable changement annoncé, dont les turbulences actuelles ne sont que les prémices.

 Cette fin de siècle est-elle en train de voir éclore un art nouveau, mélange de la technologie la plus pointue et du bon sens le plus paysan, la nouvelle cuisine informatique ? Et ce fumet va-t-il envahir inexorablement les arrière-boutiques les plus traditionnelles et flatter les papilles des directions générales lassées des menus conventionnés ?

 De quoi s'agit-il ?

 L'informatique pionnière avait mis en place une alchimie spécifique fondée sur des principes simples : une cuisine centrale distribuant des plats robustes, figés, sans choix possible. L'industrialisation laborieuse de ce procédé, comme le caractère expérimental des solutions, n'avait pas permis d'en abaisser le coût au grand profit des rares chefs qui en maîtrisaient les secrets. Cette cuisine  lourde, coûteuse, faisant désespérément attendre le client, était en plus terne et ennuyeuse. Ecrans 3270 rigides, couleur mal maîtrisée, définition imparfaite, cinématique d'écran laborieuse, impressions hasardeuses étaient le plat quotidien des utilisateurs au régime unique.

 Depuis le démarrage quasi-clandestin de la micro-informatique au début des années 80, l'utilisateur médusé a découvert d'autres saveurs alléchantes. La puissance du traitement de texte, l'élégance du tableur ont transformé la vie de millions d'acteurs qui ont pu enfin écrire, trier, calculer, dessiner avec des outils conçus pour eux. Mais le plaisir était solitaire, la dégustation avait encore un parfum d'interdit dans les grandes entreprises qui ont longtemps pratiqué le plat unique. Or nous assistons à une mutation formidable : ce qui était réservé à quelques rares gourmets se démocratise. L'informatique de cette fin de siècle est fondée sur la mise à disposition en très grand nombre de produits de qualité, certes standardisés, mais offrant, bien utilisés, des gammes quasi illimitées de possibilités. L'assemblage habile de ces produits élémentaires permet de construire des solutions complètes, raffinées, adaptées aux besoins du client. Ces solutions se nomment progiciels bureautiques, messageries, outils de communication et réseau, "middleware"... Le choix, plus l'excellence, c'est Fauchon chez Auchan.

 Les conseils du chef

 La nouvelle cuisine informatique s'appuie sur quelques principes simples :

 "La véritable grande cuisine n'a jamais besoin d'ingrédients rares ou de produits luxueux"2 .

Il est vrai que l'informatique a souvent eu des goûts somptuaires. Projets pharaoniques, solutions novatrices jamais sorties des laboratoires, tests sur le client "vivant" de nouvelles potions magiques, beaucoup d'aventures se sont soldées par des échecs. Il faut bien admettre aussi que devant l'exigence d'une recette, le cuisinier ne va pas planter le blé pour avoir le pain, ni engraisser le veau pour avoir le bœuf. Il va faire confiance aux professionnels qui se sont focalisés sur chacun des éléments de l'offre. La spécialisation des producteurs agro-alimentaires loin de dégrader la qualité permet de bénéficier d'une offre diversifiée et évolutive de produits performants. De même les procédés de conservation novateurs, comme la cuisson sous vide à basse température, ou les nouvelles techniques de cuisson à induction ont leurs adeptes dans les plus grands restaurants. La nouvelle cuisine ne répudie pas la technique... L'informatique nouvelle doit chercher à identifier les problèmes à résoudre sans acharnement thérapeutique. Il faut avoir le courage de ne pas recommander de solutions informatiques quand il suffit de modifier l'organisation, ou de mieux utiliser les outils existants, notamment les produits bureautiques à l'évidence sous-employés. Quand la solution informatique s'impose, elle doit être simple et légère.

- Développer la capacité à faire son marché avec intelligence pour y dénicher les meilleurs produits : "Choisissez les meilleurs produits que vous permettent vos finances", nous conseille Joël Robuchon.

Il est évident que l'on peut se ruiner en solutions, qui d'un prix unitaire apparemment attrayant, se révèlent ruineuses quand on doit gérer, par exemple, des parcs de micro-ordinateurs importants. L'offre logicielle est abondante, parfois frelatée. L'expertise de l'informaticien va résider, comme celle du cuisiner, sur sa capacité à bien choisir ses produits et ses fournisseurs. Ne nous laissons pas leurrer par les annonces alléchantes de produits qui, à force d'annonces prématurées, auront perdu toute leur fraîcheur quand ils auront été enfin livrés...

 - Le respect du produit, qui impose de ne pas le modifier aveuglément : " J'ai un devoir, celui de respecter l'essence du produit, son authenticité, son goût. Je n'ai pas le droit de le changer"3 . Là, le chef nous invite justement à ne pas altérer la saveur d'origine par des modifications douteuses, des ajouts non maîtrisés. Le talent du chef de la nouvelle cuisine informatique réside dans sa capacité à construire des alliances subtiles, pas à écraser la saveur des produits de base sous des couches factices et indigestes.

- "Travailler proprement. On ne peut pas faire de bons plats dans une cuisine mal tenue. Un cuisinier qui est propre, qui a devant lui un plan de travail bien net a des chances de réussir"4. La nouvelle cuisine informatique est fonctionnelle, claire et aérée. Les choix sont explicites, le dialogue entre le concepteur-architecte et l'utilisateur-acteur est fondé sur le partage et la grande visibilité que donne le prototypage. L'un et l'autre échangent sur la base de résultats tangibles, et non plus d'un dialogue par diagrammes illisibles. On voit ce qu'on mange...

- "Si vous choisissez une recette, tenez-vous-y : vous avez le droit de la modifier seulement si vous comprenez le sens exact de la recette"5 . Nous touchons là un des principes-clefs : respecter les produits de base et la rigueur des assemblages. Il devient impossible de réinventer sans cesse de nouvelles solutions spécifiques quand le travail a été bien fait une fois pour toute par les professionnels. Le temps de réponse  de l'informatique  doit tendre vers zéro par l'utilisation systématique des solutions existantes, et le respect des règles. Ce n'est pas brider l'imagination que de la canaliser vers la réutilisation, qui implique encore plus d'ordre et de rigueur.

 

Ouvrir des boîtes de produits standard bien conçus peut paraître bien réducteur face aux rêves d'un génie spécifique. Mais le choix de ces produits, leur mise en œuvre soigneusement adaptée révèlent un authentique plaisir, celui de servir vite le client avec des plats à l'élégante simplicité mais bien adaptés aux besoins de consommateurs rassasiés et exigeants.

 Complexité et patience

 La nouvelle cuisine impose une modestie qui cache un talent réel.

"Quand on aime faire la cuisine, même si le principe est appris, c'est uniquement l'expérience pratique qui permet de le maîtriser, en faisant des essais et des erreurs" insiste Robuchon. Il est vrai que les architectures techniques nouvelles sont beaucoup plus complexes que le sentiment que le client final peut en avoir. Finies les visites des salles informatiques, il n'y a rien à montrer, mais un vrai savoir-faire à démontrer. Le montage de vraies applications client-serveur, comme l'intégration de solutions diversifiés, impose un travail minutieux de choix, de test, d'analyse précise de l'impact de l'ergonomie de la présentation et dialogue sur l'utilisateur. Il ne suffit pas d'exhiber des écrans racoleurs aux couleurs criardes, couverts de boutons, pour "faire" de l'ergonomie. C'est un travail délicat et exigeant qui implique beaucoup d'efforts, d'observations et de corrections. Il en est de même pour la répartition des données et des traitements, l'étude de la volumétrie et des réactions du système face aux contraintes souvent inattendues du service opérationnel. " Ne travailler jamais dans l'excitation  ou la hâte : la cuisine demande du temps et de la patience" nous conseille à nouveau le chef. Ce que je ne dit pas Robuchon, c'est que pour lui être cuisinier est un métier intense, noble qui se suffit à lui-même. Trop de nos informaticiens perdent de vue que l'expertise est le résultat d'un long effort et se mérite, sans être consacrée immédiatement par des galons. Il faut faire ses preuves à chaque étape, et ne pas répugner à éplucher les légumes quand cela s'impose. Il ne fait pas brûler les étapes, ni des projets, ni des carrières.

"Celui qui est brouillon et qui travaille dans le désordre ne pourra jamais créer un plat convenable", affirme Robuchon., décidément excellent chef... de projet ! Il est évident que, en dépit du tapage publicitaire, les nouvelles technologies ne permettent pas de résoudre instantanément les incompréhensions natives du dialogue homme/machine/informaticien. Il faut du temps pour analyser, comprendre, expliquer, passer de la maquette au prototype, puis au système opérationnel. Ne nous berçons pas d'illusions : cet effort implique de la méthode, et une traçabilité rigoureuse des décisions. Il est de bon ton de penser que le prototypage va par miracle faire accoucher les utilisateurs d'une vision claire et stable de leurs besoins et de leur organisation. Vouloir aller trop vite sans support ne peut que nous laisser ... en RAD.

Tradition et modernité

 Il ne faut pas céder à une certaine mode qui consiste à dénigrer le passé. Nous nous appuyons sur les efforts, les tâtonnements mais aussi les succès de nos prédécesseurs L'informatique d'aujourd'hui est possible parce qu'un long travail itératif entre la recherche sur les technologies de base et leur mise en œuvre opérationnelle a été réalisé par une communauté qui a su souvent transgresser les frontières organisationnelles pour apporter aux entreprises, et à la société, des outils aujourd'hui indispensables et en constant progrès. Mais l'informatique d'entreprise s'est peut-être assoupie devant ses succès.  Elle a pris un certain embonpoint, qui rend les changements plus fatiguants. Elle a rendu les utilisateurs dépendants, trop dépendants même au risque d'oublier le sens de leur métier en se reposant entre les mains compétentes des informaticiens qui ne demandaient que ça. Robuchon rappelle : "C'est pourtant la tradition qui a fait la réputation de la cuisine française . C'est une bonne cuisine, mais on ne savait plus très bien ce que l'on mangeait car les saveurs étaient masquées ou éliminées"6 

 Il faut donc retrouver l'enthousiasme des débuts. Le monde de l'entreprise change, l'information est devenue une matière première incontournable, et la technique ne cesse de progresser. Simple pour le client, l'informatique nouvelle est subtile à élaborer. Elle demande plus que jamais de la compétence. Pourquoi bouder le plaisir d'être les acteurs de ce changement ? " La cuisine d'aujourd'hui est une cuisine actuelle, une cuisine dans laquelle on redécouvre les saveurs, les arômes, les goûts des produits. Un cuisinier a le droit de rehausser la saveur naturelle d'un ingrédient, il n'a pas le droit de la détruire"7 .

 La qualité devient désormais notre objectif central. "La cuisine d'aujourd'hui est une cuisine actuelle, une cuisine dans laquelle on redécouvre les saveurs, les arômes, les goûts des produits. Un cuisinier a le droit de rehausser la saveur naturelle d'un ingrédient, il n'a pas le droit de la détruire" confirme notre chef. Se battre sans relâche pour que les systèmes soient digestes, faciles d'emploi, clairs, peu coûteux à mettre en place et à utiliser doit être la préoccupation constante des responsables informatiques. La qualité de la présentation, le soin mis à expliquer avec pédagogie autant qu'à résoudre avec la froideur technique les problèmes du client sont des vertus nouvelles que les informaticiens doivent acclimater. De plus, prôner la qualité n'est plus suffisant, il faut la contrôler... Combien de beaux projets butent sur de sordides questions de câblage, de taille de disques, de version de logiciel... Joël Robuchon ne se contente pas de concevoir ses recettes et d'en déléguer la réalisation, il contrôle chaque assiette au moment du service. Nos informaticiens de demain devront savoir être d'excellents concepteurs, mais aussi soigner la qualité du service qui se juge au quotidien sur la réalité, et non pas sur les intentions, fûssent-elles les plus nobles.

Plutôt services qu'outils, les applications opérationnelles doivent arriver à l'heure, et même anticiper les besoins pour répondre aux objectifs qu'on leur assigne : rendre les utilisateurs plus performants dans leur travail en s'estompant avec modestie derrière la qualité du travail fourni par ceux qui les utilisent.

Pour conclure, faisons nôtre cette ultime synthèse : "La cuisine de Robuchon est tout simplement bonne, ce qui ne veut pas dire forcément "simple", mais elle exige  un souci du détail, une certaine discipline dans le travail, du soin et de l'organisation, ainsi qu'une sélection exigeante des produits."



1 Joël Robuchon "Le meilleur & le plus simple de Robuchon" Robert Laffont, déc. 1993

4 - idem

5 - idem

 


Le réseau routier, un actif menacé


Exploiter le numérique pour résoudre les problèmes de l'Etat

Texte que j'ai publié dans une tribune pour la présidentielle...

Maintenant que le pouvoir est au pied du mur, sans contrainte électorale,il va pouvoir démontrer son audace dans la résolution des problèmes. Intégrer le potentiel de la révolution numérique dans la recherche de solutions efficientes n'est plus une option.


"7 milliards de terriens, un milliard d'automobiles, la cohabitation est-elle possible?"

Qu'est ce ? C'est le titre d'un nouveau livre en chantier, le huitième livre ou essai publié. C'est un projet lourd qui me tient un peu à l'écart du blog. Il doit sortir en septembre 2012 et je suis donc dans les affres de la production et surtout de la correction. La proposition m'en a été faite par un éditeur, Patrick Blaevoet, qui à la lecture des textes concernant l'automobile sur ce blog a considéré qu'il pouvait y avoir matière à porter plus largement une réflexion sur l'avenir de l'automobile et de la mobilité au XXIe siècle. J'ai accepté le pari. Il rejoint les réflexions et les thèmes des missionsque nous menons au sein de Sia conseil sur les "nouvelles mobilités" tant pour les personnes que pour le frêt. J'ai mis également à contribution ma fille Marine Corniou, journaliste scientifique, collaborant actuellement à Québec Science.

J'écris cela sans conviction initiale, la question est authentique, je n'ai pas une réponse toute faite, et je cherche à établir une démonstration sur les futurs possibles en comprenant le rôle de l'automobile depuis 120 ans. J'en publierai quelques bonnes feuilles dans leur état de maturité encore imparfait.

http://www.lignes-de-reperes.com/

7milliards

L’automobile a conquis le monde en un siècle. Saura-t-elle s’adapter pour survivre à ses transformations 

 

Lorsque Nicolas-Joseph Cugnot fit rouler son lourd fardier à vapeur pour tirer une pièce d’artillerie en mai 1771, il ne pouvait certainement pas imaginer que la notion « d’auto-mobile » rencontrerait un succès tel qu’il léguerait inconsciemment aux générations suivantes un problème majeur, contenir la profusion de ces objets d’autant plus encombrants que leur accumulation conduit à les transformer en « auto-immobiles ».  L’automobile présente un double visage. Instrument du rêve prométhéen de liberté et de puissance de l’homme, elle se  transforme progressivement en problème sociétal majeur.

Les termes de la dramaturgie automobile  sont posés. L’automobile est un objet lourd qui prend de la place, à l’arrêt comme en mouvement. C’est un produit privé qui impose la mise en place d’infrastructures publiques complexes et coûteuses. C’est une solution au déplacement individuel qui ne peut seule gérer efficacement le partage entre tous les usages. Elle impose une gestion collective de la liberté individuelle qui conduit à la multiplication des mesures de contrôle pour lesquelles l’ingéniosité du régulateur a été sollicitée depuis plus de 180 ans dès l’apparition des premiers « automobiles » en Grande-Bretagne.  L’arsenal d’outils mis en place fait appel à toutes les techniques légales réglementaires, fiscales, normatives, tant sur le produit lui-même que sur les conditions de son usage. Depuis le XIXe siècle, l’automobile a généré une cohorte de règles qui représentent partout dans le monde une source majeure de recettes fiscales… et de dépenses de régulation et de contrôle

Car le succès de l’automobile, qui conduit à sa multiplication naturelle, rend, aux limites de son modèle de développement, son usage improbable et sa possession illusoire. Et pourtant ! L’histoire de l’automobile démontre que ce produit, plus que tout autre, est porteur d’une dimension symbolique au moins autant qu’utilitaire. La rationalité de l’acquéreur se dissipe rapidement devant le plaisir de la possession statutaire.

Toute l’histoire de l’automobile oscille autour de ces deux pôles : d’une part un désir individuel de liberté et de reconnaissance statutaire d’autre part une réponse fonctionnelle efficace à un besoin de déplacement. Où mettre le curseur ? Qui doit le positionner ? Le marché, avec l’arme du prix, l’Etat avec les lois et la fiscalité ? Et dans quel but ultime ? On ne modifie pas aisément un modèle qui a fait ses preuves car la tolérance à la réglementation ou au prix est proportionnelle à la valeur d’usage. L’automobile a un puissant pouvoir d’attraction qui pèse sur les décisions individuelles. Changer cet équilibre micro-économique se révèle très délicat. La vérité est qu’il n’existe pas d’autorité en mesure de modifier rapidement la course de l’automobile vers les volumes. Il n’y  a pas de pression suffisante ni sur les coûts ni sur les conditions d’usage pour que les automobilistes s’autodisciplinent ni que les constructeurs adoptent une limitation volontaire des puissances. Rien dans plus d’un siècle d’histoire de l’automobile qui a pourtant connu de multiples crises internes et liées ou pétrole ne permet d’envisager une rupture dans les pratiques.

L’automobile a apporté tant aux pays pionniers : satisfaction individuelle, liberté des horaires et des itinéraires, emplois qualifiés, ouverture à la civilisation des sites les plus reculés, accès au tourisme pour tous… Le même désir se vit dans les pays émergents. Dans ce bilan général, les victimes de la route comme des nuisances quotidiennes, les émissions de gaz toxiques et à effet de serre, les tensions géopolitiques n’ont pas pesé lourd et ont été gérés comme des dégâts collatéraux de cette arme de progrès. Aujourd’hui, alors que nous commençons à comprendre l’impact systémique de l’automobile, peut-il encore en être de même ?

La question centrale de ce début de XXIe siècle, après 120 ans d’essor continu de l’automobile,  est bien de s’interroger sur la poursuite de cette croissance sans frein et sans vision globale. En 2011 ont été produits 80 millions de voitures particulières et d’utilitaires légers. Le stock mondial de véhicules est estimé à 800 millions. En 2011 également, l’Agence Internationale de l’Energie estime que la production de gaz à effet de serre, sous forme de CO2, a atteint le record absolu de 31,6 gigatonnes, en augmentation de 3,2% par rapport à 2010. Le pétrole représente 35% de ces émissions, On considère que la production d’automobiles devrait monter à 120 millions par an et le stock rapidement dépasser, vers 2020, 1,2 milliards de véhicules puis en 2035 1,7 milliard. Quelles conséquences pour le monde ? Quelles tensions sur les ressources naturelles, matières premières, énergie, espace ? Quelles conséquences sociétales pour les villes et la santé publique ?  

L’automobile, l’industrie des industries, est devenue un système mondial complexe qu’il faut traiter dans sa globalité. Or les questions complexes impliquent une vue systémique des interactions entre composants et échappent aux modes de régulation classique qui ne traitent généralement qu’un élément à la fois : emploi, développement économique, sécurité, énergie, pollution, urbanisme, infrastructures… Mais la mobilité englobe chacun des composants et fait l’objet quotidiennement de micro-arbitrages de chaque acteur social. L’automobile suscite des passions intenses, ceux qui l’adorent comme ceux qui la détestent…Mais au moment de choisir un moyen de transport, ce sont des considérations économiques et pragmatiques qui l’emportent. Aussi il n’est pas question d’adopter un point de vue polémique ou à charge, mais d’observer qu’en toutes choses, le poison, c’est la dose. Au-delà de certaines limites, un bienfait devient une calamité.

Quarante ans après le rapport Meadows, publié pour le Club de Rome en mars 1972, on constate que se confirment  les prévisions de ces experts, très contestées à l’époque, qui mettaient en évidence les tensions inéluctables que la croissance de la population et de la production allaient créer sur les ressources naturelles. Le rapport Randers, publié en mai 2012, est encore plus pessimiste car il constate que si les données ont été confirmées par les faits, l’absolue incapacité de la communauté humaine à se doter d’une vision et d’une gouvernance à long terme renforce les risques de rupture systémique avant la fin du siècle.

Nous pensons, en refusant toute schématisation entre autophiles et autophobes, qui souvent se substitue à une réflexion politique construite, que l’automobile ne peut plus avancer à l’identique et doit se transformer. Ce qu’on appelle crise de l’automobile dans les pays matures n’est que l’expression de cette transformation, plus subie que préparée. Mais si les pays matures doivent reconsidérer leur relation à l’automobile, il en est de même pour les pays émergents qui sont confrontés à la responsabilité de faire face aux besoins de mobilité de leur population tout en intégrant la vision globale de l’impact de l’automobile sur la société et les ressources naturelles. Ils ne peuvent désormais en ignorer les défis et doivent contribuer à faire émerger les solutions.  Aussi le fuite en avant des constructeurs vers les pays émergents avec un modèle de développement identique ne peut être considéré comme une option durable, même si elle semble apporter un répit salvateur.

L’avenir sera multimodal, multi-énergies, multi-choix. Il ne pourra toutefois être équilibré que de façon contrainte et volontariste. Pour éviter l’affrontement et la crise, alors que l’opposition entre transports publics et automobile conduisait à des choix binaires, tranchés, les options du futur imposent l’analyse fine des solutions, la concertation entre acteurs, la complémentarité plutôt que l’opposition frontale et idéologique. 

 


Un nouveau seuil franchi : 150 000 pages vues

Je remercie tous les lecteurs de ce blog qui contribuent à en faire un vrai support d'idées et de réflexions. 150 000 pages vues en 6,5 ans, c'est un score modeste, mais qui peut imaginer un autre support permettant de toucher régulièrement autant de lecteurs. Ce sont 196 textes touchant le développement de la société de l'information et de façon plus large l'impact des techniques sur notre société. De plus, grâce au couplage avec Twitter et Facebook, la fréquenttaion s'est régulièrement accrue récemment pour dépasser couramment cent pages vues par jour, avec des lecteurs venant de très nombreux pays notamment en Afrique du Nord.  

Car il ne s'agit pas ici d'aguicher le chaland par des informations sur les "pipoles", mais de contribuer à une réflexion sur ce qui tisse notre société nouvelle. Sans complaisance, ce blog demande un effort pour ceux qui le lisent et (un peu) pour celui qui l'écrit au gré des thèmes de réflexion. J'y continuerai à approfondir ma lecture de la société à travers ce fil rouge de la transformation du système socio-technique, ses conséquences sur le fonctionnement de notre système démocratique. Je vous remercie également d'y contribuer par vos réflexions, car l'interactivité est la clef du développement de la pensée.

200 000 pages vues avant le 31 décembre 2013 ? Au travail !