De l'informatique au numérique, du XXe au XXIe siècle
24 décembre 2011
Le monde des technologies de l’information est en train de vivre une révolution qui est tout sauf tranquille. Depuis des années, les techniques issues du web, historiquement reléguées à la sphère privée, grignotent le monde de l’informatique d’entreprise. Pour certains il faut s’en inquiéter, pour d’autres s’en réjouir, internet et le web sont en passe de devenir le moteur central du système d’information de l’entreprise. La "consumérisation de l'IT" est un processus de déstructuration /reconstruction d'une puissance considérable comme toutes les grandes transformations techniques de l'histoire. Mais, cette fois, elle concerne instantanément tous les habitants de la planète. Cette accélération dans le temps et dans l'espace alimente une vague de transformations sans précédent.
Dans quelques années, toutes les applications, tous les services, tous les accès pourront emprunter les techniques et les modèles d’affaire inventés par le web. Dès lors l’informatique ne sera plus un élément d’infrastructure, piloté par les coûts, mais sera devenue l’essence même de l’entreprise, se confondant avec ses processus, nourrissant par un flux constant d’informations complexes tous les rouages de l’organisation. Le phénomène d'ancilarisation de l'informatique, traitée sans ménagement comme un pur centre de coûts taillable et corvéable à merci laisse exangues les budgets informatiques, mais ouvre largement le champ de l'innovation aux métiers. Car pour beaucoup de dirigeants, l'innovation, ce n'est pas de l'informatique et il est légitime de laisser s'ouvrir des centres de compétences "digitaux" en dehors de la DSI. Les métiers ont besoin de cette capacité de créativité que donne l'usage pertinent des techniques de traitement de l'information. Si la DSI, contrainte, ne peut leur donner cet oxygène, ils vont le rechercher par leurs moyens propres à travers leurs budgets de marketing, de communication, d'investissement...Cet éclatement, subi plutôt que conscient, met à mal la cohérence du système d'information et fractionne les données qui sont le capital central de l'entreprise.
Il est encore possible de réconcilier les deux dimensions dans une vision unifiée, tonique et cohérente, des actifs numériques de l'entreprise démarche novatrice qui sera la signature des entreprises du XXIe siècle.
Il s’agit là d’une autre aventure qui dépasse le champ de la technique et impose un changement radical dans l’attitude des dirigeants. Ils ont pu pendant des décennies déléguer la construction et le pilotage de la « mécanisation » des processus manuels historiques des entreprises, couches d’activités régaliennes, logiques transactionnelles que les ERP ont réussi à traiter efficacement non sans douleur initiale. La révolution informatique est ponctuée depuis cinquante ans de grandes phases de rupture où se mêlent innovation réelle et souvent emphase marketing. Mais le PC, les ERP, les logiciels de CAO ont changé de nature le traitement de l’information. Ces révolutions passées n’ont pas toutefois changé la nature de l’entreprise. Elles n’ont pas altéré le fonctionnement historique en silos et en pyramides, ni la segmentation des compétences.
Cette fois, ce sont les dirigeants et les métiers qui sont en première ligne. Les directions du marketing ont été les premières à en mesurer la portée. Connaitre et comprendre intimement le client est devenu le ressort vital de la compétitivité. Les entreprises nées dans le monde du web pour faire de l’e-commerce pratiquent à merveille la symbiose entre leur modèle marketing et les techniques du web. Les webanalytics sont le symbole de cette cohérence intime. L’information, minute après minute, est l’actif majeur de l’entreprise qui pilote son chiffre d’affaires comme en régate.
Jamais l’humanité n’aura produit, échangé, stocké autant d’informations. Le MIT estime qu’en une année nous produisons cent fois toute l’information produite depuis l’origine de l’humanité et ce chiffre croît de façon exponentielle. Ces informations sont la matière première de la décision dans tous les domaines de l’activité, que ce soit pour le consommateur final devenu son propre expert et s’appuyant sur l’avis de ses pairs, ou pour le fournisseur en entreprise étendue, partenaire en co-design de la conception et de la vente de produits complexes dont la totalité de la gestation est désormais numérique.
Ce monde que l’on commence à caractériser par l’appelation Big data a généré ses nouveaux outils : appareils mobiles surpuissants, réseaux à haut débit ultra-performants, cloud computing. Un iPad est aujourd’hui aussi puissant que la machine de calcul mythique des années 85, le Cray. L’informatique du nuage est un ensemble de solutions qui associe la fourniture d’un programme applicatif et sa mise à disposition à travers internet. Il suffit à l’entreprise d’y intégrer ses propres données – organisation, produits, clients, fournisseurs – pour que l’application soit mise à la disposition de tous ceux qui en ont besoin et constamment adaptée, et ce sans investissement en capital ni délai.
Poussées par la consumérisation massive de l’informatique, ces solutions sont éprouvées par des centaines de millions d’utilisateurs quotidiens et font preuve dans les usages les plus courants, comme la messagerie, d’une fiabilité sans défaut majeur.
L’informatique d’entreprise s’est construite en additionnant des couches de complexité, liées aux choix d’organisation et aux évolutions techniques, qui en font souvent un écheveau coûteux à entretenir, impliquant des compétences multiples. La révolution numérique apporte une décomplexification majeure du traitement de l’information mais remet les données au cœur de la compétition économique. Or la maîtrise des données n’a pas fait l’objet des soins nécessaires. Beaucoup d’incohérences subsistent, compensées à grand frais par des usines informatiques.
Aujourd’hui le marché ne propose pas encore de solution globale. Il y a des réponses partielles intéressantes et éprouvées, comme la messagerie, les outils collaboratifs, voire certains champs applicatifs comme le CRM. Mais sur le plan fonctionnel beaucoup de problèmes internes restent actuellement et transitoirement sans réponse du marché.
Il sera nécessaire encore longtemps d’assembler les solutions issues du nuage et les systèmes existants pour reconstituer le système d’information unifié, assurer la cohérence des données internes et celles traitées à l’extérieur en toute sécurité. Il faut également garantir la sécurité des données et leur rapatriement en cas de défaillance du fournisseur ou de réversibilité du contrat. Le nuage n’est pas non plus un ensemble homogène. Face à un marché naissant, il faut être en mesure d’exercer des choix documentés et de les contrôler. C’est un exercice méticuleux qui implique de nombreuses compétences internes.
Mais rien ne pourra ralentir la transformation en cours. Elle est radicale. Elle va alimenter une nouvelle ère de performances économiques basée sur le rapprochement fertile d’informations naguère isolées et ignorées. Non seulement les hommes échangeront les informations pertinentes pour prendre, à chaque instant, des décisions informées, et en rendre compte, mais ils le feront en compagnie de machines elles-mêmes connectées en réseau, l’internet des objets. La mise à disposition d’informations contextuelles à chaque niveau de l’organisation, comme de la société, percute le modèle classique, déjà ébréché, de la descente d’informations filtrées. Chacun a pris l’habitude d’accéder à toutes les informations dans sa vie quotidienne et attend de l’entreprise de lui fournir tous les moyens de travailler efficacement sans délai inutile.
Exemple d'architecture intégrant des capteurs au système d'information de l'entreprise
Source : http://rfid.net/
Aussi, la révolution de l’information ne peut plus être poussée par la seule technique. Elle rend indispensable l’implication personnelle des dirigeants pour en prendre le leadership. Il ne s’agit plus de choisir entre un Blackberry ou un iPhone, mais entre un modèle dépassé d’organisation et de gestion, et des modèles novateurs riches en promesses.
C’est l’affaire des seuls leaders.