Salon de Francfort 2011, ambition, démesure et incertitudes...
19 septembre 2011
Les salons restent un haut lieu d’observation du marché mondial de l’automobile. Le Salon de Francfort, qui se tient en alternance avec celui de Paris tous les deux ans, est traditionnellement une démonstration de puissance de l’industrie automobile allemande. Celui de 2011, en dépit de la persistance de l’incertitude économique, n’échappe pas à la règle. 900 exposants, 1,2 million de visiteurs attendus, plus de 80 nouveautés dont la moitié issue de l’industrie allemande, des stands gigantesques dont ceux d’Audi et de BMW qui cette année contiennent une piste d’essai, autant de données qui démontrent que l’industrie allemande entend fermement manifester sa volonté d‘exercer le leadership mondial sur une industrie mondiale en recomposition.
Une industrie puissante au plan mondial
Les réactions du marché donnent à cette ambition une réelle légitimité. Les concurrents des constructeurs allemands ne sont pas en grande forme. L’industrie américaine poursuit sa convalescence, mais son marché national reste atone. Les constructeurs français souffrent de manque d’empreinte internationale même si PSA développe sa pénétration du marché chinois et s’implante en Inde alors que la marque Renault, absente des Etats-Unis et de Chine, tarde à bénéficier de la réelle internationalisation de son partenaire Nissan. Les constructeurs japonais ont souffert en 2011 du tsunami qui a désorganisé la production, bouleversé la logistique des sous-traitants et déprimé le marché japonais. Même l’industrie automobile chinoise connaît quelques ratés par excès d’ambition et manque de maturité. Ses champions ne tiennent pas les performances annoncées, ni les volumes… Que ce soit Geely ou BYD, les promesses tardent à se concrétiser.
Dans ce contexte les trois constructeurs allemands premium n’ont guère de complexes à afficher une splendide performance. Un temps fragilsée par le manque de véhicules peu gourmands, l’industrie a démontré sa capacité d’adaptation en développant, à côté de ses traditionnels modèles de luxe, synthèse de puissance et de technologie, des modèles plus frugaux sans perdre leur attractivité sportive. En 2010, la construction automobile a représenté 16,6% des exportations allemandes et dégagé un excédent commercial de 90 milliards € alors que la France enregistrait un déficit de 3,4 milliard. Rappelons que l'excédent automobile était encore de 8,2 milliards en 2005! L'industrie allemande est une référence mondiale en matière d'innovation et de qualité et réussit parfaitement bien sur le premier marché mondial, la Chine.
Capteur de tendance, un salon comme celui de Francfort illustre bien la difficulté pour les constructeurs à satisfaire une demande mondiale très contrastée et à engager une transformation de leur offre. Entre les citadins excédés par les embouteillages et la pollution, qu’ils habitent dans les grandes villes occidentales ou dans les métropoles des pays émergents, les classes moyennes de ces mêmes pays qui attendent de l’automobile validation statutaire des leur nouvelle position sociale, les consommateurs mondiaux soucieux du coût de possession de leur véhicule et tenté par le low cost, les conducteurs inquiets de leur contribution au réchauffement climatique, et les amoureux de belles mécaniques performantes, les gammes proposées font un grand écart que le marketing a de la peine à englober dans une vision cohérente. Ce grand écart est un défi pour les constructeurs qui ont appris à produire en grande série et peinent à imaginer avec le poids de leurs installations industrielles des ruptures réelles dans la conception des véhicules. Plus encore, avant tout marqués par leur expérience industrielle et la contrainte des volumes, ils n’ont pas réussi à offrir de façon convaincante des services qui permettraient un usage plus rationnel du véhicule individuel, ce qui implique une forme de mutualisation de l’usage qui a un impact négatif sur les volumes de production et bouleverse le modèle de commercialisation.
Dans ce réseau de contraintes, l'industrie qui alimente un éco-système complexe ne peut qu'évoluer lentement. Aussi, si les signaux de changement abondent depuis 2008, la réalité des marcéhs est toute autre. Rappelons que sur les 2,3 millions de voitures vendues en France en 2010 seuls 10000 étaient des véhcules à motorisation alternative... Le salon de Francfort, même s'il offre un vaste espace aux véhocules électriques attire et séduit par la déclisons des valeurs traditionnelles de l'industrie : motorisations puissantes, gabarits imposants, technologie surabondante, carrosseries classiques tricorps... et consommations toujours élévées même si des efforts réels font aujourd'hui effet.
Improbable modération
Il est paradoxal qu’au moment où tous les pays du monde prennent des mesures strictes sur la sécurité routière et donc concrètement ramènent les vitesses maximales en dessous de 130 km/h les constructeurs allemands leaders produisent des véhicules conçus pour rouler à 250 km/h. Ce surdimensionnement technique dont chacun reconnaît qu’il n’a plus de sens ni en terme d’usage légal ni en terme de progrès utile empêche une réflexion sérieuse sur les changements d’architecture des véhicules. Cette démesure constitue une immense source de gaspillage de R&D au détriment de la transformation de l’offre pour s’adapter aux réalités mondiales du transport. Or si l’industrie aéronautique, qui n’opère que dans un cadre professionnel très réglementé, a sagement renoncé au supersonique, l’industrie automobile met un point d’honneur à produire pour M. Tout le monde des véhicules dont ils n’auront jamais l’usage. Il est évident que l’industrie allemande qui jouit d’une supériorité réelle sur ce créneau ne prendra pas d’initiative pour illustrer un changement inéluctable de paradigme. Chaque marque premium exhibe ses muscles. Ainsi Audi a montré sa nouvelle S8 dotée d’un nouveau V8 de 4,0 litres Twin-Turbo produisant 512 chevaux pour accomplir le 0-100 km/h en 4,2 secondes et être en mesure de dépasser 300 km/h.
Aussi les véhicules classiques rivalisent de puissance et d’équipements sophistiqués. Les berlines allemandes abondent dans la surenchère technologique : système de détection de pré-collision, régulateur de vitesse adaptatif, caméra infrarouge anti-somnolence, système de vision nocturne, systèmes d'éclairage intelligent, détecteur d’angle mort, détecteur de changement de ligne, qui sont autant d'objets qui préparent une marche vers l'automatisation de la conduite, pas que propose de franchir Audi avec son concept A2.
Toutefois la pression de la réglementation européenne les pousse à réagir, la réduction de consommation étant aujourd’hui au programme de tous les constructeurs avec une diversité d’approches. : réduction de cylindrée, généralisation des moteurs essence ou diesel turbocompressés, hybridation plus ou moins poussée, électrification, mais désormais dotée d'un prolongateur d'autoonomie qui semble être le fait marquant de ce salon.
Beaucoup de promesses électriques
Aussi face au scepticisme du marché face aux motorisations alternatives, les constructeurs redoublent de créativité et de persuasion... dans les stands.
Les motorisations hybrides se décline largement sur toutes les gammes à Francfort, ce qui confirme l’intérêt des constructeurs et équipementiers pour cette solution pragmatique, en continuité avec la culture automobile dominante qui impose une garantie d’autonomie qui s’exprime également dans les solutions d’extension d’autonomie pour les véhicules électriques. Mais cette présence de solutions alternatives encore souvent expérimentales aux côtés de modèles aux moteurs conventionnels optimisés démontre un certain manque de conviction quant à l’urgence d’une relève effective.
Toyota, de loin leader de la motorisation hybride, montre sa Prius + qui est un monospace spacieux et sa Prius plug-in, qui affiche une autonomie modeste de 10 km. L’Ampera d’Opel affiche 60 km d’autonomie en électrique et bien entendu sa solution d’extension d’autonomie.
A l’instar de Toyota, Peugeot décline sa gamme hybride diesel sur la 3008 et la 508, dont la version RXH propose une chaîne de motorisation similaire à celle de la 3008 où le 2.0 l HDI de 163cv sur les roues avant travaille en série avec un moteur électrique de 37cv sur les roues arrières. La Citroën DS5 sera également livrée en 2012 en hybride.
Toyota embarque sur sa prestigieuse berline haut de gamme Lexus GS450h une série d’innovations qui affinent la chaîne hybride de la marque en améliorant les rendements avec une consommation de plus en faible, 6,3 l/100 et 145 g de CO2/ 100 km annoncés pour un V6 essence de 3,5 l couplé au moteur électrique totalisant 343 chevaux.
Comme désormais dans chaque salon, les véhicules électriques abondent. Il y en aurait plus d’une centaine à Francfort. Néanmoins, la plupart sont encore des concepts, les dates de sortie restant hypothétiques. Renault qui a construit une gamme de quatre véhicules prévoit de l’enrichir d’un nouveau véhciule mi- Scenic, mi-Kangoo, électrique, la Frendzy, présenté sous forme de concept car.
Le succès du véhicule électrique se fera s’il gagne la bataille de l’autonomie, concrète ou psychologique. Christian Estrosi, maire de Nice ambassadeur du service d’autopartage lancé dans sa ville et qui comprend désormais 90 véhicules électriques, n’hésite pas à servir de pilote d’essai pour la Peugeot Ion en ralliant Nice à Auron et retour sans recharge, soit un record de 165 km d’autonomie pour ce véhicule donné pour 130 km. BMW, Audi, VW préparent chacun leur voiture électrique avec une certaine prudence et envisagent de les doter d'un prolongateur d'autonomie, solution rassurante à l'instar de l'Opel Ampera . Le concept i3 de petite citadine électrique BMW de 170 cv préfigure un modèle de série probable pour 2013. Elle est d’une conception originale, en plastique et fibre de carbone sur une base aluminium, pouvant être équipée d’un prolongateur d’autonomie de deux cylindres essence. Daimler présente pour 2014 une Classe B électrique avec prolongateur d’autonomie de trois cylindres essence conçu avec Renault. La I8 sera une sportive animée par un trois cylindres turbo de 233 cv complété par un puissant moteur électrique de 131 cv. La Up ! de VW, une micro-citadine est aussi destinée à recevoir une traction électrique. Audi qui communique depuis quelques salons sur sa ligne de véhicules électrique e-tron, présente l’A2 concept électrique. La Smart Forvision sera une électrique pure équipée par Renault.
Il faut ausis noter la multiplication de véhicules électriques légers (VEL) à deux, trois ou quatre roues qui explorent des besoins de niche mais également peuvent faire naître une demande nouvelle de "déplacement doux". Un des enjeux majeurs sera la logistique urbaine où les véhicules légers, aux côtés de véhicules plus lourds, peuvent jouer un rôle déterminant, comme l'explorent la Poste ou des transporteurs innovants comme Deret, qui s'est équipé d'une flotte de cinquante camions électriques.
Curiosité sans lendemain, effet marketing ou annonce prémonitoire, Total a frappé l’imagination en proposant un concept de tricycle… électrique avec une carrosserie plastique produite à partir de betteraves. Il paraît en effet curieux pour un grand pétrolier de faire cette incursion remarquée dans le monde du véhicule électrique. Néanmoins, malgré les annonces de découvertes de nouveaux gisements, comme au Brésil, le réservoir pétrolier de la planète s’épuise chaque jour, la combustion de cette ressource dans un véhicule n'en est pas le meilleur usage, les échéances, plus ou moins lointaines étant inéluctables. Le carburant bon marché à la pompe restera un souvenir comme l’a annoncé Christian de Margerie, président de Total.
Mais l'automobile si elle est un objet utilitaire et un objet de désir, reste fondamentalement une industrie mondiale puissante dont les évolutions ont des conséquences multiples sur l'économie, l'emploi, la qualité de vie. Plus que jamais, l'innovation technologique ne peut pas faire l'économie d'une réflexion sur les usages et la responsabilité sociale.
Véhicule proposé par Total