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La transformation numérique au service de la croissance

Jean-Pierre-Corniou-150x230
Fondapol, fondation pour l'innovation politique dirigée par Dominique Reynié, vient de publier une étude sur "La transformation numérique au service de la croissance" dont j'ai assuré la rédaction. Le document intégral de 45 pages est accessible en ligne sur le site de Fondapol;

http://www.fondapol.org/debats/colloque-small-2-0-is-beautiful-comment-internet-peut-doper-la-croissance/

Vous trouverez dans ce document le développement de thèmes familiers aux lecteurs de ce site. Un travail particulier est consacré au rôle de l'Etat, démuni devant l'ampleur des bouleversements technologiques qui vont beaucoup plus vite que la loi et les pratiques politiques. Le traitement de la protection des doits d'auteur est un exemple du débordement du droit par la technique, et de l'absence de solution simple et efficace pour rémunérer les créateurs. Le rôle du web et des réseaux sociaux dans les révolutions arabes, leur irruption dans les codes comportementaux de la démocratie démontrent que les pratiques sociales bousculent la vie publique de façon puissante et inattendue.

Loin de se réduire à un ensemble de technologies, Internet est un facteur d’importantes transformations dans les relations sociales et produit une véritable rupture dans le monde économique.

Si plusieurs rapports ont montré que les TIC et Internet jouent un rôle fondamental pour la  croissance, l’enjeu de la transformation interne des entreprises reste en suspens. Les clients communiquent de plus en plus souvent en réseau. Les frontières de l’entreprise sont devenues poreuses. La structure traditionnelle des organisations, très hiérarchisées, s’avère peu adaptée à l’ère de l’interactivité. Des transformations dans les process doivent donc être privilégiées pour augmenter la productivité, l’intelligence collective et le travail collaboratif.

Comment dès lors concilier ouverture et sécurité ? Afin d’optimiser les coûts, comment reconfigurer l’entreprise pour dynamiser ses forces ? En France, quels sont les principaux freins au développement des entreprises par le numérique ? L’entreprise, qui le plus souvent privilégie le secret, la compétition interne et le contrôle, avec un risque de perte de compétitivité, peut-elle se transformer afin de consolider sa croissance ?

Une web-conférence le 23 juin à 9h30 permettra d'approfondir ces questions. France Info consacrera quelques minutes à ce document et à cette conférence.

 


Quelques entrepreneurs innovants réaniment l'industrie électronique en France

Entreprises, numériques et... françaises ? Quel espoir en France pour ce secteur d'avenir... en Asie ? Le MEDEF a accueilli le 10 juin quatre entreprises innovantes pour montrer qu'on pouvait encore innover et réussir en France dans ce domaine. C'est réconfortant et méritait d'être souligné !

La désindustrialisation, un mal français

La France n’a plus d’industrie, constate-t-on souvent amèrement, et encore moins d’industrie numérique. L’industrie française a perdu 36% de ses effectifs en 30 ans, soit près de deux millions d’emplois, dont 1,5 million de destructions nettes, pour se situer fin 2007 à 3,4 millions. Avec la crise, ce phénomène structurel s’est accéléré. 200000 emplois ont été perdus pour la seule année 2009. L’emploi industriel tangente actuellement 3 millions. L’industrie ne représente plus que 14% de la richesse nationale. Notre balance commerciale est structurellement déficitaire dans le domaine des produits informatiques, électroniques et optiques et ne conserve qu’une taille mondiale dans les marchés professionnels.

La désindustrialisation française est le résultat d’une funeste combinaison de facteurs politiques, économiques et sociaux. Bien que pays leader industriel au début du XXe siècle dans tous les domaines, la France, après le bénéfique sursaut gaullien des années soixante, s’est détournée de l’industrie. C’est un mouvement complexe, qui résulte à la fois d’une volonté d’embrasser la modernité postindustrielle et du refus tacite de faire les transformations nécessaires pour perpétuer une tradition d’entrepreneurs dynamiques et innovants, tant sur le plan fiscal que sur le plan de la formation. Cette voie de la désindustrialisation a également été choisie avec enthousiasme par des décideurs séduit par le « tout-services » prometteur d’une fumeuse économie quaternaire. Car l'industrie dans les années quatre-vingt inquiétait, avec ses contraintes sociales et environnementales. Pour beaucoup, l'industrie reste toujours noyée dans les fumées du XIXe siècle et les revendications d’une classe ouvrière menaçante.

Mais la désindustrialisation a été aussi subie sous couvert d’une mondialisation réduite à la recherche de profits apparemment plus faciles grâce au seul critère de la réduction du coût de main-d’œuvre. Pour beaucoup d'entreprises, comme dans le secteur textile, fermer les usines en France pour en ouvrir en Tunisie ou au Maroc était la solution de survie à court terme. L'automobile devenue importatrice nette en France en 2006 voyait dans la construction de ses plus petits véhicules dans l'est de l'Europe le moyen de conserver une entrée de gammes compétitive. Cette désindustrialisation défensive, si l'on peut dire, conduit au final à de nombreux échecs. Elle a été alimentée par un débat permanent sur la fiscalité du patrimoine, le niveau des charges sociales sur les bas salaires et les contraintes réglementaires dont aucun gouvernement n'a réussi à se jour à se dégager positivement, contrairement à l'Allemagne qui a su entraîner ses entrepreneurs dans une stratégie globale offensive. Les tentatives pour déclencher un sursaut industriel n'ont toutefois pas manqué, comme les Etats Généraux de l'Industrie en 2009-2010.

Or l’industrie, on le constate dans les comparaisons avec l’Allemagne, reste le moteur de l’économie avec 30% du PIB. Or un emploi industriel génère trois à six emplois dans les services associés. Concevoir et produire des « objets » pour le consommateur final ou pour d’autres industriels implique une capacité d’innovation et de maîtrise des processus qui absorbe et nourrit des compétences multiples que la production finale reste entièrement locale ou implique des acteurs plus lointains. Cette entreprise étendue, ouverte aux partenariats multiples, implique imagination, sens de l’innovation, capacité de coordination des compétences et opiniâtreté. Car dans tous les cas de combinaison de facteurs, la maîtrise complète de la production d’objets industriels est un accélérateur de talents. Les secteurs industriels clefs pour le futur sont ceux de l’efficacité énergétique, de la sécurité, de la télésanté, comme l’immense champ de l’optimisation logistique, la régulation des circulations. L’industrie électronique est un des composants essentiels d’une croissance découplée de la consommation de ressources naturelles. Il n'est pas envisageable de se départir de ces actifs fondamentaux dans une compétition mondiale si nous voulons conserver notre indépendance économique et alimenter une prospérité durable.

La FIEEC, Fédération  des Industries Electriques, Electroniques et de Communication rassemble 2300 entreprises et 400000 salariés, dont 200000 personnes dans des usines et des centres de R&D. Ceci constitue un tissu industriel de plus en plus fragile dont la consolidation est vitale pour notre avenir. Si l’on parle régulièrement des grandes entreprises emblématiques du savoir-faire industriel français, à l'empreinte mondiale, mais de moins en moins présente sur le territoire national, on évoque peu les petites et moyennes entreprises qui se créent dans l’innovation et incarnent le renouveau de notre tissu industriel sur les thématiques du XXIe siècle. Car c'est là le seul sujet majeur. On sait que les grandes entreprises suivront massivement leurs marchés  vers les pays nouveaux consommateurs. Et sur le fond, ce n'est pas choquant. mais la régénérescence du tissu industriel passe par l'entreprenariat et la construction d'entreprises d'un nouveau type issu de la culture du web : ouverture, partenariat, flexibilité, réactivité, circuits courts. Tous les innovateurs français ne sont pas dans la Silicon Valley. Il est réconfortant de constater que des entrepreneurs français ont décidé de résister à des dogmes désormais surannés en produisant des objets numériques à la fois performants et porteurs d’utilité. La liste en est finalement assez bien fournie.

Dans le cadre de  ses travaux sur l’économie numérique, le MEDEF a donné la parole le 10 juin à quatre entreprises qui méritent amplement d’être identifiées parmi ces jeunes pousses actives.

Taz Tag est une entreprise installée en Bretagne à Rennes depuis sa création en 2008. Elle a développé ses compétences dans le domaine du RFID et porté cette expertise dans le monde du sans contact en concevant des produits et solutions basées sur les normes NFC (quelques centimètres de portée)  et Zigbee (quelques mètres). Son champ d’activité central est la création de produits hautement sécurisés par puce biométrique et  multi-applications. La TazCard est une carte électronique pluri-usages, un « portefeuille électronique » qui permet de regrouper au sein d'un même objet communicant toute une série d'usages, de l’accès à des services, au paiement comme au couponing et aux outils de fidélisation. TazBox and TazKiosk sont des bornes de communication et des outils d’information et d’accès à des services, et le récent TazPad, la première tablette mondiale NFC (Near Field Communication) , tournant sous l’OS Android. Le champ d’usage de ces outils qui vont s’imposer dans le paysage est immense.

  Tazpad

 



 

 

HPC-project, crée en 2007, propose des solutions de calcul à hautes performances et fabrique un objet industriel dont on avait oublié qu’il pouvait être produit par une entreprise française, un ordinateur. Il ne s’agit certes pas d’un PC bureautique standard mais d’un ordinateur à très haute performance, sous la marque Wild Systems, exploité pour les applications critiques exigeant capacité de calcul et vitesse d’exécution plus de cent fois supérieures aux configurations classiques. Mais surtout HPC-project développe les outils permettant d’exploiter toutes les capacités du calcul massivement parallèle dans un format compact et économique qui rend accessible « l’extreme computing » aux applications courantes.

Withings

Withings a la particularité d’avoir réinventé un objet familier, le pèse-personnes, en lui donnant des caractéristiques numériques innovantes. Passé entre les mains des ingénieurs de Withings le pèse-personnes est devenu un bel objet connecté au réseau, d’une facilité d’usage totale, sans manuel complexe ni apprentissage, ni bouton. La ressemblance avec l’approche d’Apple n’est pas fortuite, mais voulue. Design et simplicité sont pour le créateur de l’entreprise, Eric Carreel, les clefs du succès: "L’Internet des Objets est aujourd’hui une réalité concrète et les objets communicants démontrent leur supériorité par rapport aux objets électroniques classiques : à la fois plus simples d’utilisation et plus riches dans leurs services. "

 
Unknown La balance Withings est le premier pèse personne Wifi connecté qui enregistre automatiquement poids et impédance. Elle construit les courbes complètes de poids, masse graisseuse et masse maigre et calcule l’indice de masse corporelle IMC que l’on peut consulter à tout moment sur son espace en ligne sécurisé ou via  l’application iPhone, iPad gratuite ou sur plate-forme Android. L’utilisateur peut par ailleurs s’il le décide, tweeter son poids, se fixer des objectifs et bénéficier de la motivation de ses amis, et accéder à de multiples services de coaching proposés par les acteurs qui ont perçu le potentiel de ce pèse-personnes.

Withings commercialise désormais un tensiomètre et à partir de septembre une caméra pour suivre les bébés qui répondent aux mêmes caractéristiques de connectivité et de design. .

 

Alioscopy

Alioscopy est un cas encore plus singulier car c’est une firme qui produit des téléviseurs en relief 3D sans lunette (“autostéréoscopie”) à partir de brevets deposes depuis 1986 par son fondateur visionaire Pierre Allio, En 2007, le Groupe Tranchant s’est engagé dans son enterprise pour lui donner des perspectives de développemnt international qui se sont traduites par la création d'un bureau à Singapour et un autre à San Diego. Les téléviseurs sont fabriqués à Paris où se trouve le siège.

Alisocopy a développé la chaîne complète de valeur qui permet de donner à l’image 3D une attractivité particulière, notamment en travaillant sur les contenus, ce qui est souvent une faiblesse qui justifie le décollage timide de cette technique pourtant exceptionnelle. Destinés  surtout aux applications 3D qui ne permettent pas l’usage de lunettes, notamment la publicité sur les lieux de vente, les informations dans les musées, les presentations de produits ou d’entreprises, les produits Alioscopy atteignent un niveau de qualité remarquable grâce à la technologie qui traite huit images simultanément.

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Ces exemples démontrent qu’il est possible d’imaginer et de produire en France des objets industriels innovants, répondant à des besoins nouveaux, insérés dans les nouveaux écosystème ouverts qui caractérisent l’économie numérique. Que ces industriels soient soutenus et réussissent !

 


Pour une économie durable : la e-frugalité

Les tensions sur les marchés de matières premières n’ont jamais atteint un niveau aussi élevé. La population de la terre est passée de 800 millions en 1800 à 7 milliards d’habitants en 2012. Dans tous les domaines, les réserves prouvées s’amenuisent. Les terriens auraient déjà consommé en deux cent ans la majorité des ressources non renouvelables connues de la planète et accessibles… Et quand bien même on saurait par l’exploration de nouveaux territoires repousser ces limites, non sans risque ni sans coût supplémentaire, le problème de l’exploitation du « réservoir terre » qui par principe est fini se posera à long terme pour les générations futures. Le constat est sans équivoque, partagé par toute la communauté scientifique internationale et atteint aujourd’hui les milieux économiques.

Cycles développement
Source : Programme des Nations Unies pour l’Environnement, mai 2011

Malthus et les chinois

Si la question du risque d’épuisement des ressources naturelles n’est pas nouvelle et a donné lieu à d’innombrables controverses, elle se pose aujourd’hui dans un contexte radicalement nouveau, celui de l’apparition de deux acteurs massifs, la Chine et l’Inde. Ces deux pays aspirent au cours du XXIe siècle à faire bénéficier leur population de 2,5 milliards de personnes d’un niveau de vie comparable à celui atteint à la fin du XXe siècle par les pays développés. Rien ne les empêchera de le vouloir et de tenter d’y parvenir. Personne ne peut légitimement s’y opposer. Ce qui est nouveau dans le paysage mondial, c’est que la Chine, qui est dans une phase unique de construction de ses infrastructures, pèse entre le tiers et la moitié de la consommation mondiale d’acier, de minerai de fer, de ciment, de plomb, de zinc, d’aluminium, de cuivre, mais aussi de porcs et d’œufs… Nous ne sommes plus dans les échelles de grandeur de l’Angleterre du début du XIXe siècle !

Dans son ouvrage « Effondrement » paru en 2005, consacré à l’analyse de causes multiples ayant entraîné la disparition de sociétés, l’universitaire Jared Diamond , propose, à partir de l’analyse des cas qui forment la trame de son livre, un modèle sur les facteurs qui contribuent à la prise de décision en groupe:

- un groupe peut échouer à anticiper un problème avant qu’il ne survienne vraiment

- lorsque le problème arrive, le groupe peut échouer à le percevoir

- ensuite, une fois qu’il l’a perçu, il peut échouer dans sa tentative pour le résoudre

- enfin il peut essayer de le résoudre, mais échouer.

Dans notre société démocratique, la gestion du futur est un des problèmes les moins faciles à traiter. Car nous sommes sur un terrain miné ! Une société autoritaire peut assumer le coût de décisions de long terme impopulaires. Haussmann a pu créer le Paris moderne car il ne s’est pas encombré de débats sur les conséquences de ses actes, notamment le bouleversement de la structure socio-économique de la ville. Et Paris aujourd’hui, 140 ans plus tard, demeure une ville assez équilibrée dans son organisation et son aptitude à se moderniser. Comment fonctionnerait aujourd’hui le Paris médiéval de 1852 ? La vision chinoise est une démonstration de la capacité de ce type de régime à assumer des décisions longues, ce qui n’implique pas nécessairement qu’une décision technocratique soit éclairée ou qu’une décision démocratique ne soit qu’un arbitrage mou entre intérêts de court terme.

Néanmoins, prendre des décisions est toujours engager le futur avec une vision plus ou moins cohérente, structurée, anticipatrice. Notre gestion de la ressource pétrolière est une belle démonstration. Depuis les premiers avertissements du Club de Rome, accueillis dans les sarcasmes en 1972, la société, collectivement, continue à exacerber la préférence pour le présent au détriment de notre responsabilité envers le futur. Cette société limitée et égoïste a démontré ses limites dans l’emballement financier de 2008, mais, au-delà des intentions réformatrices, cette préférence pour le présent continue à satisfaire largement les intérêts des dirigeants politiques et économiques. Il est clair que peu de décideurs ont la fibre sacrificielle pour risquer leur mandat face aux électeurs ou aux actionnaires en sortant des sentiers balisés de la continuité. Et d’ailleurs la vraie difficulté est de concevoir un modèle qui serait « meilleur » que le système actuel. Nous sommes dans un domaine où la globalisation rend l’expérimentation extrêmement difficile à pratiquer et pour lequel n’existe pas de référence historique. Nous sommes condamnés à inventer sans filet…

Le roi est nu...

Or si nous ne savons pas vers quel modèle se diriger, si nous sommes incapables de prendre des décisions collectives au niveau du « vaisseau spatial terre » comme l’échec de Copenhague et les piètres résultats des G8 et G20 successifs le démontrent, nous savons que nous sommes proches des limites du modèle du XIXe siècle. Notre société moderne qui assiste avec Fukushima à la concrétisation d’un de ses pires cauchemars, vit la démonstration en temps réel que même pensé et préparé, le pire peut quand même arriver et conduit à une formidable régression de tous les avantages que le progrès nous a apportés. Il suffit de voir comment vivent encore maintenant au Japon, dans un des pays les plus avancés scientifiquement de la planète, les dizaines de milliers de réfugiés, comme les centaines de milliers d’Haïtiens, un des pays les plus pauvres de la planète, pour constater qu’en très peu de temps n’importe lequel d’entre nous peut se retrouver dans une situation durable de dénuement et de détresse. Comment passer d’une attitude résignée ou insouciante à l’action ? Comment réconcilier une économie de croissance, qui apparaissait comme la moins mauvaise réponse à nos aspirations individuelles et à nos besoins sociaux planétaires, à une économie de responsabilité, conciliant besoins présents et besoins futurs ? Comment réduire ou éliminer la consommation de ressources non renouvelables en cessant de grignoter notre capital naturel, dans une démarche de mise en cohérence des horizons courts et des horizons longs ? Comment traiter la question centrale de l’exposition aux risques sans paralyser toute initiative nouvelle ? Ce débat n’est pas nouveau. Jared Diamond prête aux dirigeants des civilisations disparues la capacité de s’être posé les bonnes questions. Mais ce sont les réponses qui ont été inopérantes. Et rien ne prouve que notre société, mondiale, informée, scientifique saura résoudre tous les problèmes que nous connaissons aujourd’hui et ceux que nous allons progressivement découvrir.

Or le débat est particulièrement difficile à documenter car s’opposent violemment deux clans irréductibles que l’on peut schématiser autour de deux pôles: les libéraux qui pensent que la science et le marché trouveront, au moment opportun, les bonnes réponses, même si le prix en est élevé, et les adeptes de la décroissance qui estiment qu’il faut changer tout de suite de modèle économique en revenant à un statu quo ante mythique. On a tenté de forger un modèle de compromis, le développement durable, formalisé par une série de textes issus des réflexions partagées lors de la conférence des Nations Unies sur l’environnement humain à Stockholm dès 1972, puis dans le rapport Bruntland de 1987, et ultérieurement affinées. Même cette caution universelle n’a pas permis de déboucher sur des conclusions pratiques. Au contraire, l’année 2010 a vu croitre la production mondiale de CO2 à un rythme supérieur !

Tentons la formulation d’une alternative à chacun de ces deux modèles de base, aux dérivées multiples, que chaque camp aura tout loisir à rejeter dans l’autre.

La force de l'homme contre celle de la nature

Le XIXe et le XXe siècle ont été des périodes d’intense croissance économique centrée sur la mise à disposition de l’espèce humaine d’une formidable prothèse musculaire décuplant ses forces naturelles à l’aide de moyens mécaniques de plus en plus efficaces. La machine à vapeur, puis le moteur à explosion et l’électricité nous ont donné la capacité de nous transporter et d’exploiter les ressources naturelles à un niveau que les terriens n’avaient jamais imaginé pendant des millénaires. Le progrès était assimilé à la capacité d’exploiter les ressources naturelles, puisque la révolution industrielle a été le fruit de la rencontre de la maîtrise de sources d’énergie de plus en plus abondantes et la capacité à les exploiter pour inventer de nouveaux matériaux et de nouvelles machines. Et cette puissance était encensée et fêtée dans les Expositions Universelles comme l’expression ultime du rêve de la domination de l’homme sur la nature… Le système technique mis en place entre 1850 et 1900 a totalement imprégné de son modèle tout le XXe siècle sans qu’il y ait de rupture fondamentale dans la manière de concevoir le développement économique servi par une énergie abondante et peu chère. Mais aujourd’hui nous touchons les limites de ce modèle « mécanique ». Les vitesses de déplacement, qui ont été le marqueur le plus symbolique du progrès, sont aujourd’hui asymptotiques. Sur mer, le Queen Mary avait une vitesse de pointe de 29 nœuds en 1935. Son successeur, le Queen Mary 2 construit en 2003 atteint la même vitesse maximale de 29 nœuds. Le rail a été le domaine de prédilection des records de vitesse. Si la vitesse maximale de 574 km/h a été atteinte de façon expérimentale en 2007 sur la LGV Est la vitesse commerciale des TGV se stabilise entre 300 et 350 km/h. Avec l’abandon de Concorde, le rêve du transport supersonique semble écarté pour longtemps et on se « contentera » longtemps d’une vitesse de croisière de l’ordre de 900 km/h. Enfin, la voiture individuelle qui n’a cessé depuis son origine d’être exploitée pour battre des records de vitesse, se cantonne partout dans le monde autour d’une vitesse maximale autorisée de l’ordre de 100 à 13O km/h. La vitesse n’est plus l’objectif majeur. Il faut réduire les consommations, préserver les infrastructures et ne plus jouer avec la vie humaine.

L'ère du savoir infini commence

Le biologiste et philosophe Julian Huxley, qui a joué un rôle clef dans le développement de l’UNESCO, écrivait en 1942, au cœur de la seconde guerre mondiale qui vit le déchainement des forces mécaniques, que « le progrès » comportait trois dimensions principales :

-  une maîtrise plus étendue de la vie sur son milieu

- une indépendance plus grande par rapport aux changements qui se produisent dans ce milieu

- une augmentation de la connaissance, de la complexité harmonieuse et de la capacité d’autorégulation

Cette définition d’un progrès équilibré entre l’homme, sa vie et son milieu, pourrait être une piste de réconciliation entre progrès scientifique et développement humain. Car une croissance responsable de l’anthroposphère doit dorénavant viser une empreinte minimale sur le milieu naturel. Elle doit être la plus faiblement consommatrice de ressources et de matières premières voire même productrice nette de ressources. Elle devra faire une place absolue à l’énergie électrique qui est aujourd’hui le vecteur d’énergie le plus efficace et peut être produite à partir de ressources renouvelables. Contrairement, au XIXe siècle, l’enjeu est aujourd’hui de produire en consommant le moins possible de ressources non renouvelables et en les recyclant après usage. C'est la stratégie du "découplage" entre la croissance et la consommation des ressources naturelles.

Or il est un domaine qui connait une croissance exponentielle depuis l’origine avec une empreinte minimale sur ces ressources : les microprocesseurs. Autour du microprocesseur s’est construit un ensemble de méthodes et d’outils qui constituent les sciences de l’information et de la communication et dont l’application à tous les domaines de l’activité humaine nous dote d’une nouvelle capacité, une prothèse cérébrale.

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Ce n’est plus la puissance physique qui est déterminante, mais la capacité de « mettre en relation » des facteurs pour faire émerger rapidement la meilleure solution. Nous passons de la main- d’oeuvre, assistée par la machine mécanique, au cerveau d’oeuvre, assisté par ordinateur. Nous transitons d’un monde qui recherchait l’efficacité vers un monde centré sur l’efficience. La société de l’information et de la connaissance sera-t-elle finalement le modèle recherché de développement durable conciliant niveau élevé d’utilité individuelle et collective et absence d’empreinte sur l’environnement ? C’est bien le troisième point souligné par Julian Huxley.

Comprendre pour agir avec discernement... 

Connaître pour comprendre, comprendre pour prendre les meilleures décisions en analysant à l’avance les conséquences de ces décisions, intégrer tous les facteurs, dont le long terme : ce sont les nouveaux moteurs de l’action qui se déclinent dans une variété infinie de situations. En effet, pour utiliser moins de ressources, il faut être en mesure d’ajuster de façon précise le moyen utilisé au résultat visé. Cet ajustement doit être fin, évolutif, automatique. Ceci implique une capacité de modélisation et de pilotage de la réalisation dont nous étions jusqu’alors incapables. Ces outils offrent aussi la possibilité nouvelle de réguler à grande échelle les actions individuelles dans une cohérence globale permettant une optimisation énergétique mais également un niveau de satisfaction individuelle supérieur. C’est l’objet des réseaux énergétiques intelligents, comme des réseaux de transport. Cette vision intègre également une réflexion de fond sur le sens du travail. Prenons le domaine des transports. Nous produisons des machines sophistiquées, les voitures, dont l’usage est tout à fait dérisoire par rapport à leurs capacités. Utiliser un moteur à explosion de 3 l de cylindrée, développant 250 cv, qui même à l’arrêt consomme de l’énergie et produit de la chaleur, conçu pour rouler à 250 km/h , pour se déplacer en ville à 15km/h est le comble de l’absurde. Faire rouler une berline de 5 places de 1,8 t sur 500 km pour déplacer son seul conducteur n’est pas plus efficace. Les réponses apportées par l’économie du service et de la connaissance sont aujourd’hui le co-voiturage, l’autopartage et les différentes solutions de transport ferroviaire.

Partager est le premier moyen de consommer moins d’énergie. Naguère solution rigide, il est aujourd’hui possible grâce aux télécommunications et à la géolocalisation de le faire de façon souple et confortable. S’il faut favoriser le rapprochement des personnes pour exploiter tout notre potentiel de créativité, nous pouvons désormais le faire avec beaucoup plus de discernement en évitant les déplacements inutiles grâce aux outils de communication et de travail coopératif qui permettent avec peu d’énergie de renforcer la dynamique de l’échange. Si l’échange des biens physiques reste incontournable pour se nourrir, se vêtir, se loger, on peut désormais prendre des décisions informées sans se déplacer, optimiser ses choix en fonction d’objectifs plus larges, notamment l’empreinte environnementale par la durabilité des solutions et la recyclabilité des produits. Gérer au mieux les ressources est également le fruit d’un intense travail de recherche et de modélisation sur les systèmes énergétiques, les matériaux, la production agricole, et sur les circuits logistiques. La conception assistée par ordinateur, la modélisation des comportements des systèmes complexes ont permis des progrès considérables en matière de création de nouveaux produits et de gestion de systèmes. Un téléviseur plat à LED consomme infiniment moins de ressources qu’un écran à tube cathodique en apportant un service supérieur. Trouver des solutions nouvelles en matière de production et de consommation d’énergie viendra de la recherche, facilitée par l’expérimentation, nourrie par les informations issues des politiques d’open data et d’open innovation alimentées par le web. On sait aujourd’hui produire un habitat a minima neutre sur le plan énergétique grâce aux matériaux. L’industrie a fait des progrès considérables en matière de consommation de fluides et de gestion des rejets, et apprend à recycler la plupart des matières premières consommées. Nous devons dans tous les domaines nous inspirer des solutions mises ne œuvre par la nature elle-même pour développer l’efficience énergétique et inventer de nouveaux systèmes. C’est le vaste champ du biomimétisme.

Mais si ces comportements sont encore minoritaires, c’est que le marché n’a pas encore intégré toutes les informations nécessaires pour les transformer en signaux prix suffisamment explicites pour que les comportements vertueux envers le futur ne soient pas le fruit de militants isolés. Le modèle doit devenir auto-piloté et les comportements être orientés par les prix intégrant les valeurs du futur. Quand le marché ne le fait pas de façon suffisamment rapide, la fiscalité doit y contribuer d’où toute l’importance économique des formules de taxe carbone et d’éco-taxes qui doivent clairement contribuer à l’optimisation des choix en faveur de la préservation des intérêts à long terme de la communauté humaine.

Certes, la gestion de l’information à grande échelle consomme également des ressources naturelles et de l’énergie. L’électronique est friande de terres rares, exploite l’énergie portable avide de lithium, l’informatique en nuage nécessite des centres de calcul consommateurs d’énergie électrique et les outils de la mobilité exploitent des ondes dont l’impact à long terme est méconnu. Mais la prise de conscience de l’industrie est acquise et les progrès déjà remarquables, même s’il faut encore trouver des solutions de recyclage plus efficaces.

L’information, moteur d’un monde frugal ?

La révolution du XXIe siècle empruntera largement cette voie. Tout n’y est pas résolu, ni simple. Mais au moment où les choix se font plus pressants, exploiter tout le potentiel d’une intelligence en réseau paraît indispensable, sans toutefois garantir sans effort un monde meilleur. Ceci implique pour les entreprises comme pour les collectivités le retour des investissements en techniques et process numériques. Mais dans cette nouvelle phase l'objectif ne serait  plus l'augmentation de la productivité du travail, mais l'invention de nouvelles activités stimulantes, utiles, compétitives et neutres sur l'environnement.