Pourquoi la mobilité fait voler en éclats les codes habituels du travail ?
20 mai 2011
J'étais invité à m'exprimer à nouveau sur le site partenaire du monde.fr sur les transformations du monde du travil induites par les technologies de l'information. Ces lignes y ont été publiées le 16 mai. Le débat est ouvert. Nous sommes clairement dans une "faille spatio-temporelle" entre ce que nous pouvons faire avec les nouveaux outils de la mobilité et l'(in?)intelligence des organisations encore pétries par les modèles antérieurs. C'est une situation normale dans cette phase de grande transformation où l'on constate que la notion classique d'emploi, forgée depuis la révolution industrielle, codifiée et stabilisée par le "welfare state" est en pleine mutation à l'ère, naissante, du crowd-sourcing... Pour le meilleur, parfois, mais souvent pour le pire... C'est pourquoi nous avons tous de la peine à raisonner dans ce monde nouveau avec les mêmes outils qu'hier. Le risque est que le cynisme conduise à exploiter encore plus la personne dans ses activités contributives puisque les barrières classiques du temps et de l'espace sont aujourd'hui enfoncées. Inventer de nouveaux modèles, un nouveau vocabulaire (qu'est ce que le "télé-travail" dans un monde où chacun "travaille" là où il est, dans le TGV, le métro, la salle d'attente, son salon ?), de nouvelles régles juridiques est bien le défi d'aujourd'hui. On pressent que le passage de la main-d'oeuvre au "cerveau-d'oeuvre" n'est pas un exercice innocent. Il est grand temps de travailler politiquement et socialement sur ce nouvel environnement sans laisser la seule technologie dicter son rythme.
Je vous invite à visiter ce site qui collecte des contributions stimulantes.
http://www.planete-plus-intelligente.lemonde.fr/organisations/pourquoi-la-mobilite-fait-voler-en-eclats-les-codes-habituels-du-travail_a-12-695.html
lundi 16 mai 2011 14:39
Les communications numériques omniprésentes bouleversent l'équilibre des relations au travail. Nous sommes entrés dans l'ère des rendements linéaires : plus on produit, plus il y a à produire. Tablettes et smartphones sont les outils de cette insatiable activité.
Il n'y a pas si longtemps, à travers l'agriculture et l'artisanat, vie professionnelle et vie sociale étaient inextricablement liées, le temps et l'espace de vie et de travail se confondant. C'est la manufacture qui a « inventé » le temps de travail, c'est l'usine qui a conduit à réglementer la durée du travail et inventé les congés payés, innovations qui ont moins d'un siècle. Est-ce que le smartphone et la tablette vont remettre en cause ce modèle de dissociation de la vie au travail et de la vie privée ? Tout se passe en effet comme si les symboles de la modernité communicante, du triomphe du numérique dans notre société du savoir devenaient de redoutables vecteurs de radicalisation de la relation au travail.
Même si le smartphone s'est vraiment démocratisé en 2007 avec l'iPhone (rappelons toutefois que le Blackberry a été lancé dès 2001), et la tablette en 2010, ces deux objets sont vite passés de la logique statutaire qu'en confère la possession par les cadres dirigeants, à une logique utilitaire répandue dans tous les niveaux de la société et tous les cas d'usage.
POUR LES SALARIES, LA LUMIERE NE S'EST JAMAIS ETEINTE
A travers ces outils, ce début de XXIe siècle remet en cause les deux paramètres réglant le travail : que produit-on ? quel temps faut-il pour le produire ? Dans le monde classique de la production matérielle, le taylorisme industriel avait donné un cadre précis à cette question en développant une dynamique puissante de recherche de productivité du travail : augmenter le volume des unités produites par unité de temps. Une des réponses a été la mécanisation, puis l'automatisation des tâches en confiant aux machines le soin d'exécuter sans défaillance les gestes les plus répétitifs. L'informatisation a emprunté un chemin identique en identifiant des tâches élémentaires exécutées à l'aide de programmes permettant d'accroître la productivité de façon mesurable.
L'ère du numérique dans laquelle nous sommes entrés depuis les débuts du web - il y a maintenant plus de quinze ans - bouleverse ce modèle de production. Donc les mesures de productivité. Nous sommes entrés dans une logique de rendements linéaires. Plus on produit, plus il y a à produire. Les tâches ne sont jamais épuisées. Pour les métiers modernes de l'entreprise (conception, coordination, commercialisation, communication), la lumière ne s'éteint jamais... La mondialisation numérique s'affranchit des fuseaux horaires et des distances, du jour et de la nuit. L'immensité du potentiel du web conduit à n'en jamais toucher les limites. Nous sommes entrés dans un monde infini de « manipulations de symboles » selon la formule du chercheur et homme politique américain Robert Reich.
QUAND ETRE DEBORDE DEVIENT LE QUOTIDIEN
Il est évident que le cadre formel du travail tel que défini par la loi vole en éclat dans les métiers qui gèrent de l'information numérique. Pourquoi s'arrêter de produire quand on a quitté formellement l'enceinte de l'entreprise car clients, fournisseurs et collaborateurs continuent à exister au-delà. Avec tablettes et smartphones, cette insatiable activité a trouvé son outil de production. Toujours présent, toujours connecté, toujours joignable, toujours réactif, le collaborateur du XXIe siècle ne mesure pas son temps, infiniment dilatable en dehors des limites physiques du lieu et du temps de travail.
Comme la production est volatile, le temps qui y est consacré tend vers l'infini. Etre débordé n'est plus le signe d'un manque d'organisation, mais le statut normal du manipulateur de symboles. Néanmoins cette situation, si elle peut susciter une addiction euphorique chez certains, n'est que la forme adulte de l'addiction aux jeux et à Facebook que dénoncent ces mêmes adultes chez leurs enfants. Rien ne ressemble plus à une bande d'ados pianoteurs qu'un comité de direction dont chaque membre est retranché derrière son BlackBerry, plus ou moins ostensiblement selon le grade.
LE MANAGEMENT DOIT RE-INVENTER LE TRAVAIL
Mode passagère encore liée à la modernité que confère l'outil ? Ou état devenu normal de désagrégation du fonctionnement de l'entreprise réduit à l'addition de cellules unitaires soumises au totalitarisme de l'ultra-court terme ? C'est à la fois un débat sur ce que deviennent l'efficacité et l'efficience dans l'ère post-industrielle et sur les nouvelles pathologies apportées par ces outils comme à chaque nouvelle étape du développement humain.
Aussi, une réflexion s'impose sur la nature et les outils de mesure du travail numérique et sur leur adéquation aux objectifs. Il est toujours possible de limiter le cadre de la production immatérielle à des objectifs identifiés et donc atteignables. Cette réinvention du couple objet produit/temps mis pour le produire est essentielle. Il faut également admettre le droit à l'imperfection formelle, en trouvant la juste mesure. C'est bien dans la définition de ces objectifs, dans leur mesure équitable et dans la gestion de la satisfaction au travail que le management moderne doit (re)trouver bon sens et lucidité.
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