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Le Conseil National du Numérique, étape de la prise de conscience politique de la valeur d'internet

Le lancement solennel dans les salons de l’Elysée par le président de la République du Conseil National du Numérique, le 27 avril, marque la fin d’une étape dans les relations parfois houleuses entre l’Etat et le monde du numérique. Toutefois, ni la nature ni la composition de cette instance ne mettent un terme aux interrogations sur  l'approche par l'Etat de la complexité de la transformation numérique du monde. La thématique, partielle, de la protection de la création intellectuelle est le symbole de cet embarras.  La naissance controversée de l'Hadopi n’a  vraiment satisfait personne, comme en est convenu le Président de la République. Toutefois, ses déclarations très ouvertes sur la nécessaire évolution de l'Hadopi ont été suivies dans l'heure par un démenti sec ce qui traduit bien la difficulté de l'exercice.

Sarkozy-cnn-320x188Néanmoins, si les mots ont un sens, il faut acter qu’un tournant majeur a été pris. Ceci devrait permettre d’accélérer la prise en compte du web dans les stratégies publiques, mais aussi rassurer, par l’exemplarité, les dirigeants d’entreprise encore frileux dans l'adoption d'une politique active de "webification" de leur système d'information.

Il faut admettre que l’irruption du fait numérique dans la société depuis maintenant une quinzaine d’années est un phénomène de rupture qui surprend encore et désarme la plupart des dirigeants. C’est pourquoi la prise de position du Président Sarkozy présente des caractéristiques intéressantes par leur franchise et leur nouveauté qu’il convient d’accueillir positivement, au-delà des intentions politiques qui ne peuvent naturellement être sous-estimées à douze mois d’échéances majeures.

Dans un discours documenté et équilibré, le Président Sarkozy a tenté de réconcilier deux mondes que tout semble opposer : celui des entrepreneurs du numérique, bruissant d'innovations, fort de cette impertinence que confère le succès exceptionnel de la transformation numérique, qui rend toutes les audaces possibles, et celui de l'Etat et des responsables politiques qui ont mal accueilli la remise en cause par le web de l'autorité, sous toutes ses formes. Reconnaitre qu’internet est un phénomène qui bouleverse le monde et que ce n’est qu’un début est un fait nouveau à ce niveau de l’Etat. L’affirmation est forte et sans ambiguïté : « Le rôle de l'État, c'est d'abord de reconnaître qu'Internet est un formidable progrès. C'est un progrès et cela doit être vécu comme tel. C'est une terre d'entrepreneurs où tout est possible. »  

L’analyse de l’impact économique du web fait par le président reprend certes des données connues, notamment la récente étude sur l’impact du web sur l’économie française, faite par McKinsey. Le rappel de ces données ravit tous ceux qui militent pour une intégration à tous les niveaux de l’entreprise, des collectivités publiques et de l’Etat, de toutes les conséquences  de cette puissante réalité. Internet et le web sont les vecteurs d'un transformation économique sans précédent. Il ne suffit plus de l'affirmer, il faut le mettre en pratique et pour cela balayer les inhibitions et gérer dynamiquement les risques en abandonnant notre si efficace réflexe d'édifier des lignes Maginot. 

Le constat formel et appuyé par le Président de la légitimité de la transformation numérique est un fait nouveau, qui tranche avec certaines foucades anti-internet de plusieurs ministres. « Le changement qu'apporte Internet ne se lit donc pas seulement à l'échelle d'un changement de modèle économique ou de choc des générations, il se lit à l'échelle de la civilisation toute entière. C'est ce qui fait d'Internet un sujet incontournable. » Reconnaitre qu’internet bouleverse de façon inconfortable les pratiques, les savoirs et les hiérarchies est sans conteste un regard nouveau du pouvoir politique qu’on ne peut pas  sous-estimer. Admettre que non seulement la France n’est pas hostile à internet, mais s’illustre par un taux d’adoption rapide des nouvelles pratiques est également encourageant.  « Les Français sont particulièrement actifs sur ces plateformes : 14 millions de blogs, Skyblog est le premier éditeur de blogs en Europe, et nous sommes 20 millions de Français sur Facebook. L'image d'une France rétive à ce nouveau monde est absurde. Internet est un formidable outil pour décupler notre capacité de connaître et d'échanger, d'aller au-devant de l'autre. Il n'est pas envisageable de s'en passer. ».

Le Président n’a pas passé sous silence le caractère déstabilisant de l’internet qui bouleverse les emplois et les compétences et induit des changements inéluctables qui imposent une adaptation permanente des emplois et des compétences.  « Le numérique est parfois vécu comme une menace pour qui maîtrise mal ses outils. La fracture numérique n'est pas qu'une question d'équipement et d'infrastructure, c'est aussi une question de formation. La fracture numérique, c'est ce que vit le travailleur qui se rend compte que son entreprise lui demande de changer de métier, parce que le progrès des technologies lui impose de devenir ouvert à cette nouvelle technologie et qu'on ne saurait travailler avec quelqu'un qui ne comprend pas que ce n'est pas le monde de demain, c'est le monde d'aujourd'hui. »

Enfin les limites du net, maintes fois exploitées pour en réduire les mérites, ne doivent plus suffire à en nier la puissance de transformation. «  Les sources d'information sont innombrables simplement leur abondance suffit-elle à former le jugement et l'esprit critique ? Non, mais ce n'est pas pour cela que ce n'est pas un progrès. ».

Il faut donc reconnaître que ce discours apporte un ton nouveau au débat et apporte un signal stimulant et salutaire attendu depuis fort longtemps bien au-delà du cénacle réduit des acteurs de l’économie numérique.

Dès lors, il faut en revenir aux faits, c’est à dire à la portée de ce nouveau Conseil National du Numérique.

Pourquoi faut-il que l’Etat se donne d’une structure d’information et de concertation pour comprendre l’ampleur des transformations apportées par internet et le web ?

La tentative n’est pas nouvelle.

En mars 2004, le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, sensible aux  enjeux de l’économie numérique et aux symptômes de  « retard français », crée le Conseil supérieur des technologies de l’information, « ayant pour mission d'éclairer, par la confrontation des points de vue et des analyses, les choix stratégiques du Gouvernement dans le domaine des technologies de l'information. ». Cette initiative de Jean-Pierre Raffarin mettait en perspective la complexité du champ et ouvrait à des personnalités des différentes composantes de la société - industriels, fournisseurs de services, éditeurs et diffuseurs de contenus, organisations représentatives - la possibilité de participer à la définition de la politique gouvernementale. Les compétences du CSTI étaient  vastes et la préparation des travaux par le Conseil général des technologies de l’information assurait  la qualité, la continuité et la cohérence de ses réflexions. « Le conseil stratégique des technologies de l'information examine les questions qui lui sont soumises par le Premier ministre. Il peut lui adresser toute proposition concernant son domaine de compétence. Il formule notamment des recommandations pour la conception, la préparation, la mise en œuvre et l'évaluation des actions entreprises dans le cadre de l'action gouvernementale pour le développement de la société de l'information et des programmes communautaires correspondants. Il est consulté sur l'évolution des filières de formation dans les secteurs des technologies de l'information et de l'économie numérique. Il peut également examiner des questions qui lui sont soumises par un membre du Gouvernement. »

Malgré la qualité de ses réflexions, la rigueur de son animation sous la responsabilité de Jean-Michel Hubert, la CSTI négligé par le successeur de Jean-Paul Raffarin, a été lentement réduit au silence.

Le CNN en est le successeur, mais traduit d’autres choix que le Président a justifiés, en s’éloignant notamment des préconisations du rapport qu’il avait demandé à Pierre Kosciusko-Morizet. Constituer un outil représentatif des enjeux de l’économie numérique n’est pas en effet un exercice facile car, fondamentalement, le fait numérique englobe l’ensemble des problématiques de la société contemporaine. Chaque institution, dans son champ de compétences, se doit donc d’introduire la dimension numérique à son juste niveau. C’est vrai du Parlement, des collectivités locales, des entreprises comme des organisations de consommateurs. Alors pourquoi persister à vouloir créer une structure vouée à ne pas susciter l’enthousiasme… de tous ceux qui en sont exclus !

Le choix est original parce qu’il s’appuie non pas sur des structures représentatives mais sur des personnes reconnues dans la profession pour leur capacité d’entreprendre et leurs succès. « J'ai voulu y rassembler des personnalités compétentes de l'Internet français, en majorité des entrepreneurs, pour que sur tout projet - je dis tout projet - de disposition législative ou règlementaire, susceptible d'avoir un impact sur l'économie numérique, le gouvernement soit obligé de demander votre avis et bénéficie de l'éclairage qui émanera du secteur en cause. » 

Le pari est clair : plutôt que de créer un « parlement du numérique », aux membres élus et/ou désignés par de strsctures représentatives, le Président fait confiance à des entrepreneurs du net, qu’il a choisi, pour conseiller le gouvernement sur toutes les questions, sans limite, concernant l’économie, le droit et de façon large la culture de l’internet. « Je veux que le CNN représente votre univers et nous donne votre sentiment ». Les personnes choisies ont le mérite d’être incontestables dans leur expérience et même si leurs intérêts peuvent être divergents ils constituent un groupe cohérent. Le Conseil national du numérique, libre et indépendant, doit être consulté sur tous les thèmes qui touchent l’action publique dans le champ de l’internet mais peut aussi se saisir de toute sujet.

Contestable, et contesté, ce choix d’organisation, assumé, a du sens. Le véritable sujet est bien de doper la stratégie publique d’une vision opératoire de l’internet et du web, réalités complexes et appelées en permanence à évoluer et dépassant d’ailleurs le cadre national et européen. Internet, né américain, et le web sont désormais mondiaux. Mais cette vision doit entrainer la communauté sans représenter simplement l’intérêt compréhensible des fournisseurs d’accès internet, tous représentés, et des firmes les plus dynamiques du e-commerce, même si, habilement, certains membres ont aussi une casquette de représentation plus large que leur propre expertise. Car la révolution numérique ne se limite pas aux acteurs déjà engagés dans le monde numérique, « pure players » ou fournisseurs d’accès internet. Elle implique toutes les entreprises, toutes les activités. Internet et le web en sont le vecteur et le symbole de la révolution numérique. Mais il faut qu’au-delà de cette dynamique, les fondamentaux en équipement et en culture numérique se diffusent dans toutes les entreprises, notamment les PME et TPE qui souvent, faute de maîtrise et de confiance, restent en dehors du chemin.

Il faut, pour l’intérêt collectif, que l’alchimie  du CNN fonctionne. Tant reste à faire.

 Les 18 membres

Gilles Babinet (CaptainDash, MXP4, Eyeka), président
Patrick Bertrand (Directeur Général de la Cegid et président de l'Afdel), 
Jean-Baptiste Descroix-Vernier (Rentabiliweb), 
Giuseppe De Martino (Dailymotion.com, vice-président de l'Asic), 
Frank Esser (SFR, président de la Fédération Française des Télécoms), 
Emmanuel Forest (Bouygues Telecom), 
Gabrielle Gauthey (Alcatel-Lucent), 
Pierre Louette (Orange), 
Daniel Marhely (Deezer.com), 
Alexandre Malsch (Melty.fr), 
François Monboisse (Fnac.com, président de la Fevad), 
Xavier Niel (Free), 
Jean-Pierre Remy (PagesJaunes.fr), 
Marie-Laure Sauty de Chalons (AuFéminin.com), 
Marc Simoncini (Meetic.com), 
Jérôme Stioui (Directinet et Ad4Screen), 
Bruno Vanryb (Avanquest Software, président du collège Éditeurs de logiciels du Syntec Numérique), 
Nicolas Voisin (Owni).

 

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