La fin du modèle unique de "Personal Computer"
26 janvier 2011
Avec la brillante consécration des tablettes, dont plus de quatre-vingt modèles étaient présentés au Consumer Electronic Show de Las Vegas, du 6 au 9 janvier 2011, le cauchemar des DSI confronté à la multiplication des plate-formes d’accès à l’information ne fait que s’amplifier. Naguère – et comme disait John Chambers, président de Cisco lors d’une table ronde du CES, « dans notre métier, deux ans c’est déjà de l’histoire » - le paysage était simple. Le choix des utilisateurs se limitait entre un PC fixe et un PC portable, et il fallait déjà effectuer des arbitrages parfois douloureux.
Les téléphones intelligents qui ont fait leur apparition avec le Blackberry ont déjà crée une brèche dans les politiques de standardisation des parcs de PC et de téléphones des entreprises. Comme le Blackberry est entré dans l’entreprise par le haut, le comité de direction, le DSI a eu quelque peine à en proscrire, puis à en cantonner l’usage à une population privilégiée. L’émergence de l’iPhone en 2007 a accéléré le phénomène en ouvrant un nouveau front dans la guerre PC/Mac, celui de l’affrontement Blackberry/iPhone, en général arbitré par l’acceptation de la coexistence des deux plate-formes aux mérites similaires.
Mais au-delà des flottes officielles de ces machines, dont il est difficile de cantonner l’usage à une population bien ciblée, les DSI ont dû se résoudre à accepter les pénétrations sauvages initiées par les utilisateurs se dotant eux-mêmes de ces objets, désormais abordables, et désireux de les connecter aux systèmes internes de l’entreprise. Puis, pour corser la difficulté, est apparu Google et son ambitieux système Android poussé par plusieurs acteurs innovants comme Samsung et HTC, sans négliger la contre-offensive de Microsoft avec Windows Mobile 6.5.
L’apparition de la tablette d’Apple, en mai 2010, seulement, a de nouveau bousculé les lignes à peine stabilisées des responsables de parc informatique. Cette fois ce sont les directions métier qui ont rapidement compris l’intérêt de ces machines dans de nombreux usages et l’ont rapidement imposé. Le nombre de tablettes offertes sur le marché va se multiplier, avec des sous-segments dans cette offre qui couvre déjà une large gamme de taille, de système d’exploitation (RIM vient d’y entrer avec sa Playbook) et donc d’usages.
Cette rapide transformation du paysage conduit aujourd’hui, à leur corps défendant, les DSI à devoir sinon intégrer, tout au moins prendre sérieusement en considération la coexistence de trois plate-formes distinctes, l’ordinateur personnel, le téléphone intelligent et la tablette, chacune pouvant fonctionner avec plusieurs systèmes d’exploitation, Windows, MacOS ou iOS, RIM, Android 3.0… Face à l’inventivité des industriels et aux désirs des utilisateurs, le rêve de la normalisation des systèmes d’exploitation et des matériels s’éloigne définitivement.
D’autant plus que vient s’inviter à ce modèle une quatrième couche, le « grand écran » haute définition, naguère appelé téléviseur, dont l’usage en entreprise est appelé à se développer à la fois pour projeter devant des auditoires élargis les informations et présentations, mais aussi pour servir de support à la visio-conférence de plus en plus exigeante en qualité d’image et de son, ou encore de point de contact client pour l’e-commerce et la publicité personnalisée. Le CES 2011 a consacré l’avènement de la télévision connectée à internet dont les usages sont multiples dans les salons domestiques comme en entreprise et qui va s’imposer comme solution de continuité entre le monde des « vieux médias » et celui du web.
Trois nouveaux écrans viennent donc, en quelques trimestres, s’imposer dans le paysage professionnel. Tous permettent de produire et d’échanger des données, du son et des contenus multimédia. Tous sont connectés au réseau internet. Face à cette offre, le traditionnel PC, lourd et pataud, perd de son attractivité dans tous les usages de consultation et d’échanges. Il demeure encore incontournable pour des tâches de saisies lourdes ou de calcul complexe, lui-même ayant remplacé les stations dédiées au calcul ou à la CAO. Mais l’émergence des « apps », la puissance de l’informatique en nuage vont rapidement donner aux autres plate-formes des caractéristiques similaires à celles du PC.
Le DSI doit donc repenser la stratégie de « poste de travail » pour raisonner sous un triple éclairage : taille et portabilité de l’écran, nature de l’interface homme/machine (clavier, écran tactile…), fonction. La politique du poste de travail doit devenir ouverte, flexible et très appropriée aux usages des différentes communautés. Elle doit non plus intégrer par défaut la mobilité mais servir avec conviction une politique de mobiquité des compétences et des acteurs.
Bien naturellement se posent les problèmes classiques qui freinent la pénétration en entreprise des innovations issues du grand public : la sécurité et le coût. Là aussi, la solution n’est certainement pas l’interdiction peu réaliste mais la pédagogie, l’incitation à la maîtrise des coûts, qui peuvent être partagés entre le salarié et l’entreprise et la recherche systématique et partagée de l’efficacité opérationnelle. Des salariés participant à la dynamique de l’aventure numérique seront reconnaissants à leur employeur, plus motivés et certainement enclins à moins mesurer leur amplitude de travail.
C’est d’ailleurs pourquoi de nombreuses entreprises se sont récemment engagées dans une politique totalement en rupture par rapport aux visions antérieures. Plutôt que de mettre en place un catalogue toujours dépassé par l’innovation, elles proposent le BYOD. Comprenez « Bring Your Own Device », apportez l’outil de votre choix. Après tout personne naguère ne nous a imposé de choisir entre Waterman et Parker ! Pour promouvoir cette continuité numérique qui est de toute évidence la nouvelle manière de travailler de la génération Y, et maintenant Z, de grandes entreprises donnent le choix à leurs salariés d’apporter au travail leur propre machine. Il ne s’agit pas de PME aventuristes, mais de firmes établies comme Kraft Foods avec 97000 salariés ou Procter&Gamble. De façon plus limitée, Cisco offre à ses salariés le choix entre PC et Mac. Ceci implique de fournir une infrastructure de réseau robuste, de gérer la sécurité de façon dynamique en responsabilisant les acteurs, car c’est plus une affaire de management que de technique, et de trouver une base économique équitable.
Pour démentir Alan Carr, il faut ouvrir l’entreprise au monde foisonnant de la technologie. L’ère des mainframes est définitivement achevée, inventons les stratégies qui permettront à tous les collaborateurs d’être moteurs de cette nouvelle ère, celle de la connaissance numérique.
Article également publié sur 01 Business