Le véhicule électrique accélère !
13 octobre 2009
2009 aura vu gouvernements et constructeurs dévoiler leur stratégie en matière de véhicule électrique de façon accélérée. La voiture électrique qui n’était encore au début de 2008 qu’une hypothèse lointaine et peu crédible, suscitant l’ironie des sceptiques, est désormais entrée dans un processus réaliste qui va déboucher dans les prochains trimestres sous une forme industrielle puis commerciale. S’il faut en effet trois ans pour lancer un nouveau modèle conventionnel, la rupture majeure que représente la propulsion électrique pose une série de problèmes complexes qui bousculent les calendriers habituels.
Les premières annonces ont pu ainsi paraître hâtives et prématurées pour donner une perspective au marché mais elles prennent désormais une forme plus accomplie. Alors que les constructeurs automobiles se trouvaient fin 2008 dans un trou d’air aussi brutal qu’imprévu face à un marché devenu exsangue, la situation des marchés s’est améliorée grâce à la vigoureuse action des pouvoirs publics. Les constructeurs, après une première vague de rationalisations, semblent avoir repris leur destin en mains.
Un ralliement spectaculaire
Ce sentiment d’optimisme ne doit pas faire illusion. Les fondamentaux du marché n’ont pas changé. Les politiques de restriction d’usage de l’automobile en milieu urbain, l’évolution des pratiques des consommateurs ne peuvent à terme que confirmer, voire amplifier, la saturation des marchés des pays développés, Si la demande reste vive auprès des populations des pays émergents soucieuses d’accéder à la forme d’indépendance que confère la motorisation individuelle, les barrières au développement du marché demeurent nombreuses. Ainsi l’insuffisance du revenu disponible, la faiblesse des infrastructures, l’encombrement et la pollution urbaine et le spectre incontournable de la raréfaction du pétrole à bon marché retardent l’essor de ces marchés qui demeurent pour l’industrie automobile mondiale les seuls prometteurs en volume.
Les constructeurs ont compris que leur salut passait en grande partie par la rupture technique majeure que représente l’abandon progressif du moteur à combustion interne comme solution exclusive. L’autre volet de leur politique est une réduction massive des coûts de production et des prix de vente pour abaisser le coût total de possession d’un véhicule. Ceci passe par la simplification et la réduction de taille des véhicules. Ces deux axes de transformation impliquent une accélération de l’innovation. L’industrie automobile souvent critiquée par sa passivité apparente reste largement leader en matière de brevets. Un brevet sur cinq déposé en France concerne l’automobile, et 35% d’entre eux la réduction des émissions de CO2.
Le véhicule électrique représente un scénario qui n’était pas donné gagnant il y a encore deux ans face à l’hybride ou à terme l’hydrogène, ou surtout face une nouvelle vague d’optimisation des véhicules et des moteurs conventionnels, plus réaliste et moins coûteuse. Si le scénario électrique se confirme progressivement, c’est que chaque pièce du puzzle de ce nouvel écosystème se met en place et gagne en cohérence et en crédibilité. Mais un travail important reste à accomplir pour rendre cette solution séduisante pour le client.
Tous les constructeurs, même les plus rétifs, ont depuis quelques mois accéléré le rythme de leurs annonces et mieux défini leur stratégie, leurs produits et leur plannings. Les deux salons de l’automne 2009, Francfort comme Tokyo – dont le thème est « Fun Driving for Us, Eco Driving for Earth »- devraient ainsi marquer une rupture dans l’histoire de l’automobile. Mais ce choix n’aurait pas été possible si les Etats n’avaient pas clairement choisi le véhicule électrique, comme l’a fait sans ambages le président Obama. Les gouvernements ont ainsi pris des positions qui se sont clarifiées tout au long de l’année sur les infrastructures, les aides publiques, la fiscalité. Même si tous les points en suspens sont loin d’être réglés, l’industrie et les pouvoirs publics ont pu en peu de temps dresser un cadre crédible pour ce qui doit représenter la première alternative sérieuse à la voiture à essence.
Mais ce qui intéresse le client éventuel reste encore opaque : quels modèles seront disponibles sur le marché, quand et à quel prix ? en vente ou en location ? Quelle va être la valeur résiduelle sur le marché de l’occasion ? Quelle est l’autonomie réelle de ces véhicules ? Où et quand pourra-t-on recharger les batteries ? Il est indispensable que ces questions trouvent des réponses acceptables pour que les premiers véhicules disponibles rencontrent un marché réel.
Ces questions en sont pas encore parfaitement résolues sur une base commerciale mais le paysage se précise et chaque jour apporte des annonces qui renforcent la crédibilité d’ensemble du dossier. Il est toutefois évident qu’il s’agit d’une transformation de long terme et que la décennie 2010 sera une phase d’expérimentation et de lente maturation des solutions.
L’offre se dessine
Les constructeurs ne se sont pas contentés de présenter à Francfort des concept cars mais ont commencé à apporter des éléments de réponse en termes de produits stabilisés. Renault, qui a pris une longueur d’avance sur ses concurrents notamment grâce à son partenariat en Israël avec Better Place et les synergies avec Nissan et leur partenaire NEC au sein de l’Alliance, a annoncé quatre modèles : Zoé, Fluence électrique, Kangoo Be-Bop Ze et Twizy. La Fluence a été commandée par Better Place à 100000 exemplaires pour Israël et le Danemark.
Ls constructeurs allemands, pénalisés par rapport aux normes européennes d’émission de CO2 -130 g/km en 2015 - n’ont pas été très actifs jusqu’alors sur les solutions électriques, préférant miser sur l’optimisation de leurs moteurs diesels comme essence reconnus pour leurs performances. Toutefois ils ont engagé le développement d’une stratégie de petits véhicules électriques basés sur des modèles existants. Le groupe Daimler a rendu publique sa version électrique de la Smart qui sera fabriquée en France en petite série (1000 exemplaires ) dès novembre 2009, puis en grande série en 2012. BMW fait rouler en Californie, puis en Europe en 2010,une flotte de 600 démonstrateurs Mini-E, à la fois sportive ( 150 kW) et haut de gamme. Volkswagen, longtemps réticent, s’engage avec sa E-Up !, un concept car préfigurant un modèle citadin 100% électrique de type Lupo.
Vokswagen E-Up Concept
Nissan a annoncé en août au Japon le lancement à partir de 2011 de son véhicule électrique, la Leaf, qui sera fabriquée aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne et au Japon. Dotée également de batteries ion-lithium elle aura une autonomie de 160 km. Selon toute vraisemblance, c’est la Mitsusbishi i-Miev, une berline quatre place à vocation urbaine, qui sera le premier véhicule de série à être commercialisé dans le grand public au Japon en 2010. C’est ce modèle que le groupe PSA a choisi pour l’introduire sous sa marque, la Peugeot Ion prévue dès fin 2010.
Aux Etats-Unis, GM confirme le lancement de la Volt, une voiture entièrement électrique mais dotée d’un générateur thermique d’appoint qui allonge son autonomie jusqu’à 500 km. Chrysler-Fiat ont décidé de lancer une gamme de véhicules électriques. Ford fait pour le moment confiance à la solution hybride en misant sur sa berline moyenne Fusion, vendue 32000 $, qui parcouru 2325 km avec un plein, ce qui constitue un record mondial. Mais Ford prévoit également de lancer des versions électriques du petit utilitaire Transit Connect l’an prochain et de la Focus en 2011.
Les constructeurs chinois ont naturellement identifié le marché considérable que représente le véhicule électrique pour leur pays et commencé à annoncer un grand nombre de produits. La Chine mise largement sur le véhicule électrique pour conquérir le leadership mondial sur l’automobile et dispose d’une capacité technique lui permettant de contrôler toute la chaîne de valeur. Le constructeur BYD ( « build your own dream »), fabricant de batteries et constructeur automobile depuis 2005 a annoncé le lancement de son modèle E6, qui, selon son directeur marketing dépasse les normes techniques courantes grâce à ses batteries au phosphate de fer avec une autonomie de 400 kilomètres et une vitesse maximale de 180 kilomètres à l'heure. Un système rapide devrait permettre de la recharger à 50% en dix minutes. Le financier américain Warren Buffet vient d'acheter 10% de BYD, pour 230 millions de dollars. Volkswagen a signé un contrat de collaboration électrique avec le constructeur chinois. L’objectif de BYD est de devenir le premier constructeur automobile chinois en 2015 et mondial en 2025…
BYD e6
Au Japon, Toyota exploite ses dix ans d’avance sur le véhicule hybride en développent une gamme complète d’hybrides, dont la Prius 3 est le leader avec plus d’un million de véhicules vendus et surtout des cadences de production élevées de 50000 véhicules par mois. Néanmoins, Toyota ne néglige pas les véhicules électriques purs avec le FT-EV 2 Concept. Honda est aussi très engagé dans la recherche de solutions diversifiées. Son véhicule à hydrogène, la Clarity, fonctionne et roule confidentiellement en Californie, mais c’est surtout l’Insight et la Civic hybrides qui représentent le savoir-faire du constructeur sur les routes. Honda présente à Tokyo un concept car de mini véhicule urbain tout électrique, la EV-N, aux lignes rétro.
Le coréen Hyundai annonce deux véhicules électriques, i10 electric, qui doit être commercialisée en Corée au second semestre 2010, et la Sonata électrique.
L’électrique est à la portée des constructeurs de niche
Il ne faut pas négliger dans cet inventaire le rôle des pionniers, constructeurs qui ne sont pas issus du monde automobile traditionnel mais ont ouvert la voie de façon innovante à la popularisation de ce concept. Plus encore certains constructeurs ont été crées pour exploiter la rupture technologique que représente le véhicule électrique, le seuil technique pour mettre au point une voiture de ce type étant beaucoup plus bas que pour les voitures thermiques et la chaîne de valeur se déplaçant vers les fournisseurs de batteries. Une offre nouvelle, exploitant le web et les nouvelles technologies télématiques, est en train d’émerger.
Il faut bien sûr citer Bolloré qui a mis au point autour de son système de batteries LMP (lithium métal polymère) une berline avenante, la Blue Car, dont la pré-commercialisation a été engagée au Salon de Genève en mars 2009 et qui devrait rouler en 2010 si son partenaire industriel Pininfarina est en mesure de faire face à ses engagements. Heuliez se bat pour industrialiser son modèle Friendly avec le soutien des pouvoirs publics et du constructeur chinois Cherry. La Friendly, équipée de batteries lithium phosphate de fer, est en pré-réservation pour prix public annoncé de 12000 € HT sur le site d’Heuliez. La livraison est prévue pour 2012 pour les particuliers et à partir d’avril 2010 pour les collectivités et entreprises. Le constructeur norvégien Think a annoncé son intention de s’implanter aux Etats-Unis et de se développer dans les pays de l’Union européenne. La firme indienne Reva Electric Car de Bengalore, a présenté à Francfort son modèle NXR, mis en pré-vente sur le web pour 15000 € et son concept NXG (next generation), qui sera vendu 23000 €.
Sportives électriques
Quant à Tesla, le pionnier californien, dont Daimler possède 15% du capital, il vient de sortir une berline, la Model S, qui complète son offre emblématique de roadster sportif vendu 101000 $.
Au (nouveau) chapitre des supercars électriques, il faut également ranger le concept présenté par Audi sur une base proche de la R8, un véhicule ultra-sportif doté de quatre moteurs électriques de 313 cv capables de monter à 100 km/h en 4,8 secondes, le e-tron. Il semblerait que ce véhicule d’exception soit appelé à connaître une suite commerciale.
Les caractéristiques de ces véhicules convergent
Deux familles de véhicules seront disponibles : des citadines de petite taille, 3,5 m, et des berlines moyennes quatre portes. Le marché visé est majoritairement celui de la seconde voiture urbaine. Leur motorisation - 60 kW - autorise des performances largement suffisantes, comme une vitesse de pointe de l’ordre de 130 km/h mais surtout une capacité d’accélération et du couple immédiatement disponibles qui en font des véhicules vifs. Les constructeurs annoncent une autonomie réelle plus proche de 160 km que des 250 km parfois revendiqués avec des batteries ion-lithium. Ces batteries se rechargent totalement en 7 heures sur une prise 220 v classique, mais peuvent bénéficier d’une charge rapide à 80 % en 30 minutes sur une prise spéciale tri-phasée. L’Alliance Renault Nissan est la seule à avoir mis au point un système de batteries interchangeables automatiquement qui ramènent la recharge au temps d’un plein d’essence ( 3 mn) et c’est la solution qui sera déployée en Israël par Better Place.
Il faut également souligner que le marché des petits véhicules utilitaires est très approprié aux véhicules électriques, notamment pour les livraisons et interventions en milieu urbain. La diversification des véhicules va contribuer à créer un continuum qui partira du vélo à assistance électrique jusqu’aux petits utilitaires.
Les politiques publiques s’affirment
La stratégie des gouvernements est à peu près identique dans les différents pays industrialisés. Il s’agit en effet de créer rapidement un marché actif avec une offre attractive et une demande dynamique pour permettre aux acteurs d’engager le développement du véhicule électrique avec leurs moyens propres. Pour dissiper les doutes de l’opinion sur le coût d’acquisition et la pérennité d’une offre électrique pertinente, il faut massivement subventionner les batteries, qui représentent aujourd’hui un coût moyen de 10000 € par véhicule, et stimuler la recherche-développement pour identifier de nouvelles pistes économiques et écologiques de stockage de l’énergie. Il faut également rassurer les automobilistes sur l’autonomie des véhicules et donc sur la capacité à recharger rapidement les batteries. Enfin, il faut compenser le surcoût actuel des batteries par des modes de financement attractifs, location et prime à l’achat. Tous les dispositifs gouvernementaux annoncés à ce jour tentent de résoudre ces différents points.
Le gouvernement français a ainsi pris une série d’initiatives fortes pour marquer sa volonté de crédibiliser rapidement le véhicule électrique. Jean-Louis Borloo a dévoilé le 2 octobre un plan ambitieux en faveur du véhicule électrique. Un des problèmes majeurs, le financement des bornes de recharge reçoit une première solution. Le gouvernement prévoit pour l’installation de ces bornes 900 millions d’euros. Une nouvelle filiale à 100% d'ERDF sera créée pour accompagner les communes et répondre aux appels d'offres éventuels, en cas de délégation de l'installation de ces équipements. 4,4 millions de prises devraient être disponibles en 2020 pour un investissement totale de 4 milliards €. Le déploiement des infrastructures publiques devrait mobiliser au total 1,5 Milliard d'euros.
Pour faire de l’introduction des voitures électriques un succès commercial, le gouvernement prévoit une aide de 5000 euros vise à encourager les gens à acheter les véhicules verts, électriques comme hybrides. Le ministre du Développement durable consacre enfin 125 millions € au développement de batteries plus efficaces et plus durables avec le partenariat de Renault. L’Etat accordera en outre un prêt de 150 millions d’euros à Renault pour sa future usine de voitures électriques à Flins et mettra une enveloppe de 100 millions d’euros à disposition pour appuyer d’autres constructeurs comme Peugeot à Mulhouse ou Smart à Hambach.
Le gouvernement vise à accélérer le développement naturel de ce marché pour lui donner rapidement une taille critique, déclarant vouloir atteindre un parc automobile de 2 millions de voitures électriques et hybrides d’ici 2020. Dans cet esprit, un appel d’offres pour 50000 voitures électriques va être lancé cet automne s'agit notamment d'organismes qui possèdent des flottes de véhicules utilitaires comme La Poste, EDF, la SNCF, Veolia, Vinci mais aussi les services de l'Etat et les collectivités territoriales
Le gouvernement américain a mis en place en mars 2009 un fonds de 2,4 milliards $ pour le développement du véhicule électrique et offre 7500 $ pour l’achat d’un véhicule électrique.
L’Allemagne vient de lancer en août 2009 une politique en faveur du développement du véhicule électrique. La Grande-Bretagne a prévu une remise de 2.500 à 6.000 euros à partir de 2011 pour l’achat d’une voiture électrique. La Chine donne déjà 6.600 euros et le Japon, 11.000 euros. Le gouvernement coréen annoncé également une série de mesures destinées à dynamiser l’offre des constructeurs nationaux et préparer ce pays, très féru de nouvelles technologies, à un développement massif du véhicule électrique.
Sous les coups de boutoir de la crise de la demande et de la révolution technique que représente la rupture avec le tout-essence, sous ses différentes formes, la géopolitique de l’automobile va profondément changer. D’américain, lourd et à essence, le modèle emblématique » des années 2020 sera vraisemblablement chinois, petit et électrique.
Références :
http://www.renault-ze.com/fr/#/fr/gamme-voitures-electriques.html
http://www.mitsubishi-motors.com/special/ev/whatis/index.html
http://www.byd.com/showroom.php?car=e6