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Informatique de crise... ou crise de l'informatique ?

L’informatique d’entreprise souffre. La réduction des budgets informatiques des entreprises n’est plus simplement exploitée comme un des moyens de traverser la crise en allégeant un centre de coût parmi d’autres.  L’informatique, identifiée depuis plusieurs années comme centre de coût  privilégié des campagnes de réduction de dépenses,  fait aujourd’hui l’objet d’une « attention soutenue » que certains DSI tendent à considérer comme une forme d’acharnement. Les organismes d’études revoient tous leurs prévisions d’évolution des budgets informatiques à la baisse - le chiffre de -10% pour 2009 est maintenant communément admis -  et 2010 devrait à nouveau marquer une baisse sensible des budgets informatiques. Cette érosion continue met les directions informatiques et les fournisseurs en émoi. Comment aller encore plus loin dans les réductions, alors que beaucoup a déjà été fait au cours des dernières années, sans altérer la qualité de service et compromettre l’avenir ? L’élasticité du budget informatique n’est pas aussi  infinie que ne le pensent les dirigeants et beaucoup d’entreprises sont au seuil de la rupture avec un système d’information exsangue.

 Mais au-delà de l’intensité de la pression que subissent les DSI, le problème prend une dimension plus large et touche le management même des entreprises.  L’informatique qui a été un des leviers majeurs de productivité et d’innovation n’est plus perçue comme source incontestable de transformation des entreprises. Pourra-t-elle retrouver ce statut  dans un monde dominé par l’information, transformé par le web ?

Crises de confiance

Si cette baisse des budgets continue avec tant d’intensité, alors que tous les professionnels clament qu’il faut justement  investir en informatique pour sortir plus vite de la crise économique, c’est que l’informatique d’entreprise n’apparaît plus rassembler les atouts nécessaires pour convaincre les décideurs. Elle subit une crise de crédibilité, déjà amorcée avec le bug de l’an 2000 qui a durablement marqué les esprits, et enrichie depuis  par de multiples échecs.  Elle connaît une crise de performance car les défaillances encore fréquentes, liées à sa complexification croissante, altèrent sa crédibilité alors que la plupart des applications, même courantes comme le courrier électronique, imposent une haute disponibilité. Elle vit, paradoxalement, une crise d’innovation enfin car la majeure partie des applications d’entreprise est restée à l’écart des innovations apportées par internet et le web. Le PC et ses applications courantes n’ont pas vraiment évolué, les interfaces des applications de gestion ne sont guère intuitives, les couches techniques se sont surimposées sans cohérence…

Alors que l’informatique domestique continue son expansion, traversée par des courants d’innovations majeures dans les outils et les comportements qu’ils induisent, que le monde des netbooks et des téléphones intelligents est en pleine croissance, la situation de l’informatique professionnelle interpelle.  Une révision d’ensemble s’impose. S’Il est de l’intérêt des entreprises de réinvestir dans les systèmes d’information, cela ne pourra plus être le résultat des poussées techniques ou marketing de l’offre, ni  des déclamations rituelles sur l’impérieuse nécessité d’investir sur le numérique mais d’une impulsion  des dirigeants. Seuls les dirigeants des entreprises peuvent  en effet décider de réinvestir dans les systèmes d’information. Et ils ne le feront que s’ils sont convaincus que c’est leur intérêt et non pas pour des motifs moralisateurs, esthétiques ou sentimentaux. L’informatique est un outil qui doit auto-justifier ses performances au regard de ses coûts.  Simplement. Efficacement. Et dans la transparence.

Un diagnostic aussi sévère que brutal

Or l’attitude des dirigeants envers l’informatique est rarement amène. Les points de vue convergent : les patrons n’aiment plus leur informatique.  Leur discours est récurrent :  1/ je n’y comprends rien, c’est une affaire de spécialiste 2/ c’est de toute façon trop cher 3/ ça tombe trop souvent en panne  4/ les gains (mirifiques) promis ne sont pas atteints.

Le Financial Times du 18 juin2009 titre « Does business understand technology any more ? ». Dans ce dossier spécial, on trouve une analyse  approfondie de l’incompréhension des dirigeants envers l’évolution des technologies de l’information. Ils considèrent encore qu’il s’agit d’un simple outil de rationalisation et de productivité ignorant que  leur déploiement est devenu le moyen le plus efficace de développer les relations avec les clients, d’innover et de créer de l’intelligence collective.  La litanie des critiques exprimées par les dirigeants sur les  coûts, l’opacité, le manque de résultats, l’absence de fiabilité occulte totalement les nouvelles dimensions de la création de valeur et conduisent à cantonner les TIC dans un pur rôle d’exécution.

Nicholas Carr avait tiré les premières salves en 2003 dans son célèbre article « IT doesn’t matter » dont il a fait d’ailleurs un business tant ce thème a soulevé d’échos positifs au grand dam de la profession.

L’étude annuelle menée par l’ITGI (IT governance institute) confirme régulièrement le même diagnostic. Les données de 2008 confirment une tendance lourde.  L’informatique est  certes reconnue comme un élément clef de la stratégie de l’entreprise par les dirigeants, mais ils avouent ne pas y consacrer beaucoup de temps, ce qui relativise leur intérêt, et surtout ils considèrent que l’informatique ne fonctionne pas très bien, ni en interne, ni même quand elle est externalisée ! Les dirigeants ne nient pas l’importance des systèmes d’information pour atteindre leurs objectifs, mais, manquant de confiance dans le rapport coût valeur de ce qui est fourni, hésitent à investir. Dans le doute, la baisse accélérée des coûts est la meilleure assurance d’une bonne utilisation des ressources.

La situation est paradoxale.  Quand l’informatique était rare et chère elle était objet d’étonnement et de désir alors même qu’une infime minorité y avait accès et  était en mesure de la comprendre. Aujourd’hui  l’informatique est utilisée par chacun d’entre nous, mais très mal valorisée. L’informatique a changé en profondeur le fonctionnement des entreprises au point que toute activité, tout processus s’appuie sur une  série d’outils informatiques. Mais tout se passe comme si les gains apportés par l’informatique dans tous les processus de fonctionnement tombaient naturellement dans le patrimoine commun alors que la montée  des coûts focalisait l’ensemble du débat sous la seule responsabilité de la DSI.

Une vigoureuse offensive de transformation

La question centrale n’est pas d’aimer ou pas aimer la technique informatique. Le choix est fait depuis longtemps pour les individus, qui ont plébiscité la technique. N’arrachez pas leur Blackberry et maintenant leur iPhone à un dirigeant !  Simplement, ces outils ne sont pas identifiés comme étant « informatiques » mais « high-tech ».  Ils sont valorisants, séduisants, utiles. L’informatique, elle,  se tapit  sournoisement dans les serveurs, les réseaux, les call centers, les téraoctets et les mégaflops, les « software assurance » ou les montées de version de SAP. Un monde ésotérique encore réservé aux initiés dont le dirigeant comprend qu’il faut sans cesse remettre de l’argent au pot pour avoir finalement la même chose…  Bouchée avalée n’a plus de goût. Un nouveau système tant désiré en tant que projet - on en parle dans la communication officielle, on y met les meilleurs éléments de l’entreprise - devient un objet oublié quand il fonctionne et on ne comprend pas que son coût ne tende pas spontanément vers zéro.

La question centrale de l’informatique est donc ailleurs : les progrès techniques de l’informatique apportent-ils encore  de gains de productivité visibles aux entreprises  au regard des ressources engagées ? C’est  parce que le doute s’est emparé des dirigeants qu’il convient de changer d’argument et d’outil d’analyse. Et apporter la preuve des résultats. Après quarante ans de développement de l’informatique d’entreprise, il est indispensable que la communauté des professionnels se retrouve sur un projet de transformation de ce métier pour à nouveau y attirer des jeunes talents, pour renouer avec la confiance des dirigeants et des utilisateurs et susciter une dynamique qui nourrisse l’économie et, au-delà, « le bien commun » .

La reconstruction d’une nouvelle ambition

L’informatique d’entreprise a tardé à comprendre le bouleversement apporté par la globalisation numérique. L’intensité concurrentielle a changé de nature et s’est amplifiée. Les situations acquises sont partout et dans tous les domaines fragiles. Nous sommes dans une société où l’information est omniprésente ; tous les actes de la vie courante sont accompagnés et déclenchés par l’usage d’un outil informationnel.  30% du temps d’un collaborateur est consacré  à rechercher l’information pertinente (IDC). 85% des informations d’une entreprise sont non structurées. 92 % des décisions d’achat majeur aux Etats-Unis sont précédés d’une recherche d’information sur le web. L’information et la connaissance sont au cœur de tous les actes de gestion et de transformation des organisations. Elles nourrissent également le progrès technique dont nous avons besoin pour relever les défis planétaires.

On ne se bat plus désormais contre des concurrents bien identifiés dans le même pays, le même métier. On se bat contre des adversaires lointains, longtemps ignorés ou méprisés, et soudain compétitifs. Il faut se souvenir de ce que l’on pensait  en Europe chez Usinor Sacilor ou Thyssen de Mittal… Tata ne faisait pas très peu aux constructeurs automobiles installés. On se bat plus encore contre des produits de substitution, des changements de modèle de vie et donc de consommation. L’automobile n’est plus dans les pays matures le seul vecteur de mobilité. Elle est concurrencée par les technologies du web. La télévision ne se consomme plus en famille, mais éclatée en tranches individualisées et différées. Les pratiques changent vite, font vaciller les convictions et les modèles établis. La puissance du traitement de l’information qui  a contribué au mouvement de long terme de rationalisation des processus internes des entreprises est impuissante à anticiper les ruptures. Les grandes entreprises ont longtemps vécu dans l’isolement de leurs certitudes. Elles n’ont pas vu que désormais le client était devenu informé et donc puissant.

La relation client devient intense. Nous quittons le monde du volume indifférencié pour rentrer dans la spécification individuelle et dans la continuité de l’intimité de la relation entre les fournisseurs et le client. Le monde du « shoot and forget » est révolu. Le suivi  des ventes, la qualité du service après-vente, la capacité à formuler de nouvelles propositions sont des éléments clef du « client life management ». Le phénomène de la longue traîne remet en évidence la nécessité de ne pas seulement s’intéresser aux courants dominants  générateurs de « blockbusters » mais à toutes les anfractuosités du marché.

Enfin, dans un monde marqué par la prise de conscience de la rareté des ressources, les objectifs des entreprises ne peuvent plus se résumer à une croissance infinie des volumes mais s’appuyer sur une démarche  qualitative. Le client est au cœur de cette transformation.

Le web change profondément la perspective des entreprises.

Imaginer une informatique qui sorte des fonctions classiques de gestion et de production est un défi considérable. L’informatisation n’a été motivée depuis ses origines que par la volonté  d’améliorer des processus manuels ou mécaniques connus afin d’en accroître la productivité et/ou la fiabilité.

L’informatique classique n’a pas failli à cette mission. Les grands systèmes transactionnels  soutiennent efficacement les processus de base : commander, produire, transporter, facturer, comptabiliser. En réduisant les ressources humaines affectées à ces fonctions, en améliorant la fiabilité des processus, l’informatisation a doté les entreprises d’un socle robuste et efficace. Mais cela ne suffit plus. La compétition ne se fait plus dans ces fonctions de base. Dans ce monde nouveau totalement déterminé par l’accès à l’information - « l’âge de l’accès » dont parle Rikfin - ce n’est que la maîtrise de l’information et son exploitation en termes d’innovation, de réactivité et de service qui vont constituer la matière première de la performance. Il ne s’agit plus de « simple » productivité, mais de transformation profonde. L’informatique d’entreprise ne peut plus s’appuyer sur des  cahiers des charges statiques pour envisager de nouveaux produits et services, imaginer de nouveaux processus de travail. Elle doit susciter et accompagner en souplesse les ruptures.

Les principales critiques émises par les dirigeants envers les projets informatiques  tiennent autant au coût des projets qu’au caractère aléatoire de leur impact.  Les projets coûtent cher car ce sont des projets d’ingénierie faiblement automatisés, dont les processus de construction, de validation et de mise en exploitation sont d’autant plus  lents et complexes que les entreprises disposent d’un parc appplicatif important et diversifié. Mais la vitesse de déploiement des systèmes qui résultent de ces projets est mal contrôlée, les retards de livraison sont fréquents, l’enthousiasme des utilisateurs à changer de processus opératoire souvent modéré. Les projets informatiques ne sont en fait que des projets de gestion du changement dont l’impact visible à court terme est rarement évident. Il en résulte un « effet tunnel », l’entreprise investissant en ressources qualifiées, rares et chères, pour un résultat différé et aléatoire. La compétition interne pour accéder aux ressources de l’entreprise pénalise ainsi les projets informatiques au profit d’actions plus rapides, plus visibles, mieux comprises.

Cette vision implique une rupture dans le mode de conception et de développement des applications informatiques.

Les applications web en quête de crédibilité professionnelle

Réduire la durée du cycle de développement comme accélérer l’adoption de nouvelles  pratiques ne sont pas des idées neuves en informatique. Malgré les efforts méthodologiques, les nouveaux outils comme les ERP, l’utilisation d’outil permettant d’industrialiser le développement comme les AGL (atelier de génie logiciel), les progrès des outils de gouvernance, comme ITIL ou eSCM, les résultats ne sont pas totalement convaincants. Le développement informatique reste un exercice risqué.

C’est pourquoi l’émergence de nouveaux outils issus du monde de l’internet et du web ne constitue pas la première tentative de changer la donne. Les concepts de « software as a service » et de « cloud computing » répondent aux deux écueils majeurs identifiés : la durée des projets et la capacité de déploiement rapide. La capacité des ces solutions à répondre aux besoins des entreprises reste encore à prouver tant dans leurs avantages techniques et économiques réels que surtout dans leur  contenu fonctionnel.

Le débat dans la communauté informatique sur la capacité des outils issus du web à se substituer totalement aux applications legacy ne fait réellement que commencer. La première réaction des professionnels de l’informatique et des systèmes d’information a été de railler l’internet dans ses premières années, considérant bien souvent qu’il ne s’agissait que d’un gadget dont il fallait protéger les utilisateurs professionnels. Force a été de reconnaitre que les usages professionnels du web n’ont pas été poussés par les grandes entreprises classiques, qui ont commencé par sous-estimer l’impact de ce nouveau canal, mais par des entreprises jeunes sans patrimoine informatique lourd. L’adoption des nouvelles techniques s’y est imposée naturellement et sans débat.

La question actuelle n’est plus de cantonner les solutions du web aux systèmes de messagerie, aux portails d’entreprise, aux solutions de commerce électronique, domaines où elles ont finalement trouvé leur place, mais d’imaginer la reconstruction complète du système d’information à partir de briques fonctionnelles, d’outils de conception, voire même de suites logicielles intégralement issues du web. Le but est bien de repenser les applications sans ajouter des couches nouvelles de complexité. Les outils nouveaux doivent remplacer l’existant, pour réduire la complexité des interfaces, simplifier l’architecture technique, réduire le nombre d’objets gérés -applications, logiciels techniques, serveurs -. Il ne s’agit pas de survendre une nouvelle martingale pour faire  tout ce que nous n’avons pas réussi à faire depuis vingt ans. Le réalisme, le pragmatisme s’imposent. Mais il y a des signaux encourageants. Le succès de Google en entreprise, accompagné immédiatement par une évolution du business model de Microsoft, comme la performance de salesforce.com ou de façon plus proche le décollage en entreprises des moteurs de recherche d’Exalead ou de Sinequa démontrent que les positions ne sont pas rigides. Le monde de l’internet ne se désintéresse pas du monde de l’entreprise et l’informatique d’entreprise commence à apprivoiser ces solutions nouvelles.

Un tel choix n’est plus utopique. Mais ses conséquences sont majeures. Il faut en considérer toutes les dimensions avec réalisme, mais sans renoncer d’emblée face à l’étendue de la tâche.

Les composants d’un système d’information « web centrique »

-          Toutes les applications doivent être accessibles à partir d’un navigateur, quel qu’il soit, propriétaire ou libre.

-          Le choix du terminal d’accès devient dès lors secondaire, mais il est clair que la plupart des applications web doivent être rendues accessibles à partir de terminaux mobiles.

-          Les applications sont installées sur des serveurs distants qui ne sont plus nécessairement exploités sous la responsabilité directe de  l’entreprise utilisatrice

-          La mise à jour et les montées de version des applications sont assurées en continu sans coût additionnel

-          La sécurité est assurée par le gestionnaire du service selon les bases contractuelles

-          Le coût total de possession est complet et entièrement prévisible