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Opel, la grande illusion ? Ou l'amorce d'une révolution industrielle dans l'automobile ?

L’enthousiasme qui accompagne en Allemagne l’annonce de la reprise d’Opel par Magna risque de ne pas durer. Certes dissocier après quatre-vingt  années de mariage,  Opel, la marque et ses usines du sort de General Motor, peut soulager à court terme l’opinion allemande. Il n’en demeure pas moins que l’avenir de l’entreprise dans son modèle actuel n’est pas réglé. Les entreprises automobiles ne peuvent pas mourir facilement car les enjeux en termes d’emploi, pour une industrie qui pèse 10% de la population active, sont considérables et obligent les gouvernements à un traitement d’exception. Néanmoins le marché est ultimement souverain. Et c’est l’adéquation de l’offre à la demande qui fera les arbitrages indispensables pour refaçonner cette industrie ancienne à la veille d’une révolution sans équivalent. Encore faut-il que l’industrie ait la capacité d’innover dans son organisation. Le choix de Magna plutôt que Fiat, qui n'a pas renoncé,  pour reprendre Opel pourrait révéler des perspectives nouvelles.

En quelques mois, le paysage automobile mondial a été bouleversé. Ce n’est qu’un début car on voit mal les Etats, qui seront vite absorbés par d’autres défis de grande ampleur, comme la gestion de leurs propres dettes, continuer à subventionner durablement cette industrie dont l’avenir ne tient qu’à sa propre capacité à se transformer. Or le processus de regroupement des entreprises automobiles se révèle difficile tant leurs cultures et leurs marques ne sont pas facilement miscibles, tout ceci sur fond de surcapacité industrielle chronique.

Les précédents abondent. Le rachat de Rover par BMW, de Chrysler par Daimler, de Jaguar par Ford se sont soldés par des échecs. Saab n’a pas trouvé sa place chez GM et va à nouveau changer de maître dans l’incertitude la plus totale, le rachat par la marque ultra-confidentielle de voiture de sport Koenigsegg n'offrant pas aujourd'hui de solution industrielle crédible.  Il en est de même pour Volvo dont le positionnement au sein de Ford n’a jamais été confortable. Faute de cohérence et de stratégie, l’industrie britannique de l’automobile indépendante a disparu après avoir été pionnière. Dans ce monde difficile, le groupe Volkswagen, avec ses six marques, est le seul à réussir à intégrer la diversité dans un ensemble cohérent industriellement. L’Alliance Renault Nissan qui vient de discrètement fêter ses dix ans est un autre exemple robuste et la crise va  conduire à de plus grandes synergies entre les deux entreprises comme le plan de travail annoncé début juin l'organise. Quant à Chrysler, marque aussi alétaoire que ne le fût en son temps Simca, marquée par des intuitions comme le Voyager, mais incapable sur le long terme de se difféencier par une offre forte, se retrouve avec Fiat dans une nouvelle aventure avec un constructeur européen  à hauts risques. Dans un autre contexte économique, la mariage avec Daimler a été un grave échec.

Vers un changement de modèle industriel ?

Magna a une place particulière dans cette industrie, ce n’est pas un constructeur connu sous sa marque, mais un ensemblier, et joue dans le monde de l’automobile le rôle de Flextronics ou de Quanta ( plus grand fabricant mondial d’ordinateur portable) dans l’électronique. Magna, qui a réalisé un chiffre d’affaires de  26 milliards USD en 2007, emploie 70 000 personnes, réparties dans 240 centres de fabrication et 86 centres de développement et d'ingénierie de produits, répartis sur 25 pays et se présente comme « le fournisseur automobile le plus diversifié au monde ». Magna conçoit, développe et fabrique des composants, modules, assemblages et systèmes automobiles avancés comme des véhicules complets, destinés à la vente aux équipementiers automobiles originaux («OEM»). Si Magna ne vend pas sous marque au client final, cette entreprise maîtrise parfaitement le cycle complet de vie du produit : conception, mise au point, essais et fabrication de systèmes intérieurs. Néanmoins, Magna est particulièrement touché par la crise de l’industrie, avec une chute de son chiffre d’affaires au premier trimestre de 46%.

Le succès de Magna avec Opel, dont les formes sont encore très imprécises, donnerait peut-être le vrai signal d’une mutation radicale de l’automobile vers le monde du « fabless », sans usine, redouté par les constructeurs encore ancrés autour de leurs moyens de production propres. Or les firmes électroniques qui ont opté pour cette solution n’ont pas perdu en créativité ni en image de marque. Apple n’est plus un industriel. Certains constructeurs pourraient ainsi choisir de se concentrer sur l’innovation, le développement leur marque et l’efficacité de leur réseau de distribution en s’adressant pour la conception à des ODM («  Original design manufacturer »).

La transformation de l’automobile est un processus douloureux et complexe. Elle doit retrouver sa place privilégiée dans l’inconscient des consommateurs, réduire son impact environnemental en innovant vers l’électrique, l’hybride et peut-être l’hydrogène, s’insérer dans un monde de plus en plus urbain… et retrouver une profitabilité de long terme en gérant la formidable mutation sociale liée à la transformation de son séculaire modèle de production. C’est au moins le travail de la prochaine décennie...


Note : Au 23 août le dossier Opel n'était pas clos, le conseil d'administration de GM, détenu à 60,8% par le gouvernement fédéral américain n'ayant toujours pas arbitré entre l'offre d'Opel et celle d'un fond belge, RJH. or dans la perspective désormais très proche des élections allemandes, le 27 septembre, cette indécision est incomprise par l'opinion allemande.

L'impact de cette décision sur les 25000 salariés d'Opel en Allemagne est évidemment au coeur du débat. Magna fait monter les enchères en exigeant 4,5 milliards € d'aides publiques alors que les problèmes industriels et commerciaux sont loin d'être résolus. Ce dossier illustre la difficulté de transformer cette industrie compte tenu de son poids dans l'opinion tant sur le plan social et économique qu'affectif.

Commentaires

small•talks

L'article "Beyond Detroit" publié dans Wired de ce mois devrait intéresser ceux qui auront apprécié votre post.

http://www.wired.com/culture/culturereviews/magazine/17-06/nep_auto

Jean-Pierre Corniou

Merci pour cette information.. La presse américaine est très active sur le sujet en effet. Le site du Nnew York Times, notamment, a publié un excellent dossier. Il est évident que le changement d'attitude des Etats-Unis envers l'automobile serait, s'il se confirme, une profonde révolution cuturelle après plus d'un siècle de mono-culture automobile sans partage !

Bertrand Lemaire

Bonjour.
Je ne comprends pas votre analyse qui ferait de cette affaire un prélude au succès des ODM. En effet, Magna rachète une marque et, donc, au contraire, intègre la distribution et le marketing produit pour devenir un véritable constructeur automobile classique.

Sur l'automobile, voir l'intéressant billet d'une des guest stars de mon propre blog :
http://www.bertrandlemaire.com/dotclear/index.php?post/2009/04/05/Quand-l-automobile-va%2C-tout-va...

Jean-Pierre Corniou

Bertrand, je réponds tardivement à votre commentaire dont je vous remercie. Il peut paraître paradoxal que je sois sceptique face à l'opération Magna tant vantée par les media, notamment allemands et qui paraît une belle solution pour suaver un constructeur et des emplois européens. L'histoire semble confirmer ces interrogations car le montage de l'opération se révèle plus complexe que prévu, les demandes de Magna en niveau de réduction d'effectifs étant plus importantes que celles envisagées dans l'épure initiale. En fait l'opération soulève de plus en plus de questions, au point où on reparle du retour de Fiat... La question reste entière : dans un contexte durable de fortes surcapacités industrielles en Europe - les usines automobiles tournent à 50% de leur capacité - est-il réaliste de penser que la marque Opel dispose d'une attractivité suffisante, privée de son "back office" en brevets et image GM pour trouver une place originale sur le marché européen ? Je reste profondément dans le doute...

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