Pour un G20 de l'industrie automobile mondiale
25 avril 2009
Sia conseil travaille activement sur l'impact de la crise sur le "nouvel ordre automobile mondial" en voie d'émergence, qui sera à la fois une transformation technologique avec la fin de la domination absolue du moteur à combustion interne et une transformation du paysage industriel avec l'apparition de nouveaux acteurs et l'affaiblissement de la position historique des Etats-Unis, qui ont crée cette industrie. Sia conseil contribue au débat en développant une vision à 360° des acteurs qui participent à cette transformation structurelle. Cet article a été publié par La Tribune du 22 avril.
Pour un G20 de l’automobile
Point de vue
Matthieu Courtecuisse et Jean-Pierre Corniou (*)
Si les États membres du G2 constituent le centre financier de la planète, ils hébergent aussi la totalité
de la production automobile mondiale et, par conséquent, ses surcapacités structurelles, évaluées à près
de 20 %. Or, le secteur automobile traverse une crise majeure — avec un recul des ventes estimé en 2009 à 15 millions de véhicules — avec à la clé un véritable séisme pour l’emploi qui ne pourra être traité sans rupture industrielle et technologique.
Il est légitime que les puissances émergentes cherchent à se doter d’une industrie nationale. Il est aussi
compréhensible de voir les pays occidentaux lutter pour la survie de leurs industries historiques. Tous les
éléments sont réunis pour produire un choc frontal dont l’issue serait le retour en force du protectionnisme, suicide collectif de la filière, déjà pénalisée par l’évolution de la demande des consommateurs anxieux face aux risques climatiques. Or, technologie et innovation, portées par le dialogue, peuvent permettre de trouver des compromis gagnant-gagnant. Il est temps d’agir de concert.
Depuis quelques mois, on constate le retour en force des États dans la filière automobile. Les pays occidentaux et le Japon étant confrontés à l’endettement exorbitant et aux passifs sociaux de leurs constructeurs, les pays émergents étant désireux d’atteindre la première marche de la sophistication industrielle en donnant l’impulsion nécessaire à leurs constructeurs sur leur marché domestique.
Si le secteur automobile reste d’essence multidomestique, les interdépendances sont prépondérantes grâce au « global sourcing » et les enjeux de volume dans une industrie fortement capitalistique restent considérables. Or, la configuration du marché pose problème à tous : faiblesse de la marge opérationnelle en haut de cycle (inférieure à 5 % pour les généralistes), marge fortement négative en bas de cycle, forte déprime de la demande générale pendant au moins cinq ans, surabondance d’acteurs inamovibles alors même que la Chine disposede près de quatre-vingts constructeurs automobiles, dont dix marques à vocation internationale et une surcapacité industrielle de près de 40 %. Pourtant, chacun reste aveugle et agit de son côté, y compris en Europe. Chaque État industrialisé veut sauver sa production ou son constructeur national à tout prix, car la pression surl’emploi est phénoménale, la filière représentant 10 % des emplois privés en Europe comme aux Etats-Unis. De l’autre, chaque nouvelle puissance industrielle se bat pour conquérir sa part de production. Or, le financier principal sera le contribuable et le corollaire, le retour du protectionnisme, ce qui ne peut qu’accroître les risques de surcapacités et de sous-innovation.
Il faut donc créer les conditions d’un dialogue soutenu sur cette filière industrielle, en la croisant avec
un sujet majeur, les émissions de CO2, l’autre grande négociation multilatérale à venir à Copenhague. Si
Kyoto n’avait pu embarquer le volet transport, la prochaine négociation ne s’annonce guère mieux. La crise actuelle offre la possibilité unique et réelle d’un accord ambitieux sur ce point, en dessinant un compromis industriel, commercial et technologique entre nations du G20.
Six priorités s’en dégagent : définir les conditions d’assainissement des constructeurs automobiles des pays industrialisés, définir les conditions d’accès aux marchés occidentaux des constructeurs
indiens et chinois, comme naguère les japonais, définir une charte des investissements à l’étranger, lancer un chantier normatif d’ampleur sur les technologies propres, partager des pratiques dans le rapport véhicule- centre urbain et s’engager sur un traité contraignant d’émission de CO2
par véhicule et par pays.
Pour cela, il n’est pas nécessaire de réunir les chefsd’État. Des réunions ministérielles de l’industrie et de l’environnement du G20, articulées avec le G20 financier et la négociation de Copenhague, pourraient être tout à fait efficaces et adaptées. Idéalement, l’Europe, même si elle a échoué jusqu’à présent
sur ce sujet, pourrait se montrer exemplaire, les États européens étant de toute façon contraints à négocier un accord au fur et à mesure qu’il faudra sauver quelques entreprises clés européennes.
S’il est essentiel que le système financier se redresse, le secteur automobile sera sans aucun doute au coeur des tensions entre États. La crise de cet écosystème sera en effet le creuset de tensions sociales majeures pour les pays industrialisés en symbolisant la mondialisation malheureuse et des
frustrations ingérables pour les pays émergents à qui on refuserait le développement
industriel. Le dialogue est, là encore, nécessaire et indispensable.
(*) Matthieu Courtecuisse est directeur général de Sia Conseil et Jean- Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Conseil et ancien membre du comité de direction de Renault.
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