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Apple, toujours en grande forme

Annonçant ses résultats du premier trimestre 2009, Apple ne pouvait que pavoiser avec 15% de marge nette et un chiffre d’affaires de 8,16 milliard $, chiffre d’affaires et profit  étant en croissance par rapport au premier trimestre 2008 respectivement de 8,6 % et 15,2%. Ce résultat brillant au milieu d’un cortège de mauvaises nouvelles est réjouissant pour tous ceux qui pensent que l’innovation, seule, paye…Pour de sombres et tenaces raisons, Apple n’a jamais été une marque appréciée des informaticiens professionnels. La marque n’a d’ailleurs jamais rien fait de décisif pour les séduire. Aussi il existe une ancienne inimitié et incompréhension entre Apple et le monde de l’entreprise qui persiste en dépit de la robustesse des solutions proposées aujourd’hui par Apple et de l’attractivité du rapport coût/valeur/séduction de ses machines. En réalité, même si cette situation est en train de changer rapidement aux Etats-Unis,  Apple n’en souffre guère car son destin est ailleurs.

Du haut de son cash flow (34,6% de marge brute…) et de ses réserves en liquidités  de plus de 29 milliards de $, annonçant de trimestre en trimestre des résultats toujours meilleurs que prévus, Apple administre la brillante démonstration de la justesse de ses choix stratégiques et du caractère impeccable de leur exécution. Alors que le monde des technologies de l’information affiche des résultats en demi-teinte dans un contexte morose, Apple parvient encore à surprendre les analystes. Seuls les micro-ordinateurs accusent une petite perte de forme, avec un repli en volume de 3%, sur un marché des PC qui baisse de 7%,

Comment expliquer la résurrection durable de cette compagnie que beaucoup condamnaient à la fin des années quatre-vingt dix ? Le diagnostic était alors apparemment facile face au succès écrasant des solutions Wintel et des produits Dell, HP, IBM… Produits chers et élitistes, refus de la standardisation, part de marché mondial des micro-ordinateurs devenue anecdotique, élimination du marché professionnel, approche hautaine et quasi-sectaire[i] du marché étaient les explications les plus  courantes de cette désaffection. Sur ces critères conventionnels, on pouvait effectivement prédire une issue fatale à l’aventure de ce franc-tireur.

Mais l’intelligence d’Apple a été de capter et d’endiguer à son profit la transformation du marché induite par internet et le web. L’informatique progresse en marche d’escalier marquées par des ruptures technologiques. L’ordinateur individuel avec son clavier écran était une révolution par rapport au terminal passif. Mais il est devenu lui-même dépassé par internet qui ne rend plus discriminant  le système d’exploitation mais met au premier rang des motivations des consommateurs la connectivité et la simplicité d’usage.  Apple s’est engouffré dans cet espace nouveau, quasi vierge, à la fois par talent stratégique et vision anticipatrice, mais aussi par nécessité de sortir d’une  marginalisation inexorable. Innover quand tout va bien, tuer soi-même ses propres vaches sacrées est un exercice qui demande un courage que tant d’acteurs de talent n’ont pas eu, comme le prouve, entre autres, la descente aux enfers de Motorola ou les difficultés de Sony… Etre poussé par l’instinct de survie conduit à prendre des risques.

Steve Jobs, en bon dramaturge, décline une pièce en trois actes. Les « apple-ologues » professionnels pourront prétendre que tout était écrit d’avance. Il est vrai que Steve Jobs a compris avant les autres que la consommation de musique allait changer de nature et que le marché en serait transformé. Mais l’intuition et le talent ne sont rien sans un peu de chance…

Acte 1: iPod 2001

Préfigurant la formidable explosion de la demande de solutions numériques par le grand public, Apple et Steve Jobs ont pris en 2001 un virage stratégique majeur. Le monde de  l’internet avait besoin d’objets fortement symboliques de cette nouvelle forme de liberté qu’apportaient  internet et la numérisation de l’ensemble des supports multimédia d’information et de distraction. Apple malgré ses initiatives dans le monde des ordinateurs personnels  avec, en 1998, le premier iMac aux couleurs acidulées n’était plus en mesure de s’imposer sur ce marché. L’iPod était plus qu’un baladeur MP3 esthétique, c’était l’outil qui allait mettre définitivement mettre  fin à la confusion organique entre le support et le contenu. En dématérialisant la musique et en permettant son appropriation individuelle sous une forme simple et efficace, l’iPod ouvrait une ère nouvelle. Mais, plus encore, le couplage iPod + iTunes, simple magasin en ligne devenu une très efficace plate-forme de service, créait une dépendance forte entre l’objet nomade et sa base génératrice de revenus récurrents. Les critiques sur le caractère exclusif de ce modèle, aux antipodes du libre, n’ont pas effrayé les consommateurs, les six générations d’Ipod ayant connu un succès croissant pour friser le monopole avec 90% de part de marché aux Etats-Unis. Avec 11 millions d’iPod vendus au premier trimestre 2009, les ventes continuent encore de croître.


Acte 2 : iPhone 2007

Faire de l’iPod un objet nomade connecté était l’étape suivante. Apple n’est pas parti des produits concurrents pour faire un téléphone de plus, mais de l’iPod pour lui donner des fonctions communicantes et en faire le premier ordinateur portable miniaturisé permettant d’accéder facilement  à internet. Malgré le prix et une tentative de faire payer l’exclusivité aux opérateurs de téléphone, le succès fut immédiat et a été amplifié avec la sortie du 3G dans 70 pays. L’iPhone 3G introduit en juin 2008 s’est vendu le premier trimestre (6,8 millions d’unités) plus que la première génération en 5 trimestres (6,1 millions). En dix mois, un milliard d’applications ont été téléchargées. L’iPhone a ravi au Blackberry son statut d’objet communicant emblématique, offrant à la fois des fonctionnalités très larges et conviviales qui rendent l’accès à internet facile et réellement utile, et une gamme d’applications pratiques et imaginatives, et, là encore,  aisées à installer. L’iPhone est réellement considéré comme en avance sur la praticité et l’intégration sur ses concurrents, qui tant chez RIM qu’autour de Google s’activent pour reprendre à Apple son leadership.

Acte 3 2009 :  innover… et surprendre encore !

Apple joue avec les nerfs de ses aficionados en ne dévoilant jamais son plan de produit. Elle laisse les spécialistes de rumeurs se répandre sur le web en vraies-fausses nouvelles. Mais ce n’est que lors de ses shows qu’elle dévoile ses produits, avec le fameux « one more thing… » de Steve Jobs. Cette année c’est à la conférence des développeurs du 8 au 12  juin à San Francisco que de nouveaux produits devraient émerger… A moins que !

Si l’on tente de décrypter la stratégie de la marque, il paraîtrait assez logique que trois axes puissent être explorés :

-        Sur un marché de plus d’un milliard de téléphones portables vendus par an dans le monde, la part de marché de l’iPhone reste très faible. Si Apple veut s’imposer durablement sur ce marché, il faut sortir une gamme de produits plus large, commençant par une machine d’entrée de gamme abordable sans perdre en attractivité, ce qui est un sérieux défi. Un petit iPhone pourrait ainsi apparaître.

-        Le marché des ordinateurs portables connectés à internet, les netbooks, commence à mordre sérieusement sur le marché des portables classiques. On peut s’attendre à une réaction d’Apple qui en maîtrise toutes les technologies avec un « gros » iPhone. On peut imaginer un netbook à écran tactile, pouvant attaquer le marché des livres électroniques qui a enfin décollé grâce à Amazon et Sony, mais aussi celui des consoles de jeu. L’accéléromètre de l’iPhone pourrait facilement en faire un concurrent de la Wii de Nintendo avec les logiciels appropriés. Or aujourd’hui Apple dispose du modèle de production et de diffusion de masse de logiciels qui lui a fait défaut pour ses ordinateurs. La boutique d’iTunes est au centre d’un système économique fécond que peuvent investir des milliers de développeurs.

-        L’exemple de l’iPod et de l’iPhone a ouvert de nouveaux usages et donc développé des marchés ou inexistants ou embryonnaires. Si Archos - comme Creative - a su inventer un lecteur vidéo d’excellente facture, mais n’a pas rencontré le même succès, c’est qu’Apple maîtrise parfaitement bien toute la chaîne de valeur, de la conception à l’emballage et au marketing, pour faire de ces objets de produits « exclusifs de masse ». Apple  peut donc être tenté d’inventer  un nouveau marché pour un produit révolutionnaire associé à un nouveau business model. Jobs n’ayant jamais caché sa passion pour l’image avec Pixar et Disney, il ne serait pas surprenant qu’Apple explore le marché naissant de l’image en relief, la 3D étant la nouvelle frontière de l’image et du son qui devrait révolutionner la télévision.  Or la convergence informatique et télévision n’est pas encore accomplie dans le salon. Il y a là sûrement un beau défi tant sur le plan industriel que des usages.

Parallèlement, la gamme de micro-ordinateurs a été rénovée en avril, sans bouleversement,  et le nouveau système d’exploitation, OS X 10.6, Snow Leopard devrait apparaitre cette année.

Dans un monde informatique assez atone, en voie de normalisation, le parcours d’Apple étonne par son originalité.  Sensible aux courants de l’opinion, mais cultivant une élégante différence, Apple continue à soulever l’enthousiasme de ses fans, mais aussi à gagner la bataille de la crédibilité auprès des sceptiques, tout en enregistrant une longue et rémunératrice série de succès. Mais c’est surtout pour avoir exploré et installé dans le public de nouveaux modèles d’usage qu’Apple peut être considéré comme une des firmes les plus innovantes  des trente dernières années. Apple est encore capable de surprendre.



[i] Un film a été consacré aux fans de Mac, MacHeads, de Kobi Shelly (2008)

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