Previous month:
mars 2009
Next month:
mai 2009

Pour un G20 de l'industrie automobile mondiale

Sia conseil travaille activement sur l'impact de la crise sur le "nouvel ordre automobile mondial" en voie d'émergence, qui sera à la fois une transformation technologique avec la fin de la domination absolue du moteur à combustion interne et une transformation du paysage industriel avec l'apparition de nouveaux acteurs et l'affaiblissement de la position historique des Etats-Unis, qui ont crée cette industrie. Sia conseil contribue au débat en développant une vision à 360° des acteurs qui participent à cette transformation structurelle. Cet article a été publié par La Tribune du 22 avril. 

Pour un G20 de l’automobile

Point de vue

Matthieu Courtecuisse et Jean-Pierre Corniou (*)

Si les États membres du G2 constituent le centre financier de la planète, ils hébergent aussi la totalité

de la production automobile mondiale et, par conséquent, ses surcapacités structurelles, évaluées à près

de 20 %. Or, le secteur automobile traverse une crise majeure — avec un recul des ventes estimé en 2009 à 15 millions de véhicules — avec à la clé un véritable séisme pour l’emploi qui ne pourra être traité sans rupture industrielle et technologique.

Il est légitime que les puissances émergentes cherchent à se doter d’une industrie nationale. Il est aussi

compréhensible de voir les pays occidentaux lutter pour la survie de leurs industries historiques. Tous les

éléments sont réunis pour produire un choc frontal dont l’issue serait le retour en force du protectionnisme, suicide collectif de la filière, déjà pénalisée par l’évolution de la demande des consommateurs anxieux face aux risques climatiques. Or, technologie et innovation, portées par le dialogue, peuvent permettre de trouver des compromis gagnant-gagnant. Il est temps d’agir de concert.

Depuis quelques mois, on constate le retour en force des États dans la filière automobile. Les pays occidentaux et le Japon étant confrontés à l’endettement exorbitant et aux passifs sociaux de leurs constructeurs, les pays émergents étant désireux d’atteindre la première marche de la sophistication industrielle en donnant l’impulsion nécessaire à leurs constructeurs sur leur marché domestique.

Si le secteur automobile reste d’essence multidomestique, les interdépendances sont prépondérantes grâce au « global sourcing » et les enjeux de volume dans une industrie fortement capitalistique restent considérables. Or, la configuration du marché pose problème à tous : faiblesse de la marge opérationnelle en haut de cycle (inférieure à 5 % pour les généralistes), marge fortement négative en bas de cycle, forte déprime de la demande générale pendant au moins cinq ans, surabondance d’acteurs inamovibles alors même que la Chine disposede près de quatre-vingts constructeurs automobiles, dont dix marques à vocation internationale et une surcapacité industrielle de près de 40 %. Pourtant, chacun reste aveugle et agit de son côté, y compris en Europe. Chaque État industrialisé veut sauver sa production ou son constructeur national à tout prix, car la pression surl’emploi est phénoménale, la filière représentant 10 % des emplois privés en Europe comme aux Etats-Unis. De l’autre, chaque nouvelle puissance industrielle se bat pour conquérir sa part de production. Or, le financier principal sera le contribuable et le corollaire, le retour du protectionnisme, ce qui ne peut qu’accroître les risques de surcapacités et de sous-innovation.

Il faut donc créer les conditions d’un dialogue soutenu sur cette filière industrielle, en la croisant avec

un sujet majeur, les émissions de CO2, l’autre grande négociation multilatérale à venir à Copenhague. Si

Kyoto n’avait pu embarquer le volet transport, la prochaine négociation ne s’annonce guère mieux. La crise actuelle offre la possibilité unique et réelle d’un accord ambitieux sur ce point, en dessinant un compromis industriel, commercial et technologique entre nations du G20. 

Six priorités s’en dégagent : définir les conditions d’assainissement des constructeurs automobiles des pays industrialisés, définir les conditions d’accès aux marchés occidentaux des constructeurs

indiens et chinois, comme naguère les japonais, définir une charte des investissements à l’étranger, lancer un chantier normatif d’ampleur sur les technologies propres, partager des pratiques dans le rapport véhicule- centre urbain et s’engager sur un traité contraignant d’émission de CO2

par véhicule et par pays.

Pour cela, il n’est pas nécessaire de réunir les chefsd’État. Des réunions ministérielles de l’industrie et de l’environnement du G20, articulées avec le G20 financier et la négociation de Copenhague, pourraient être tout à fait efficaces et adaptées. Idéalement, l’Europe, même si elle a échoué jusqu’à présent

sur ce sujet, pourrait se montrer exemplaire, les États européens étant de toute façon contraints à négocier un accord au fur et à mesure qu’il faudra sauver quelques entreprises clés européennes.

S’il est essentiel que le système financier se redresse, le secteur automobile sera sans aucun doute au coeur des tensions entre États. La crise de cet écosystème sera en effet le creuset de tensions sociales majeures pour les pays industrialisés en symbolisant la mondialisation malheureuse et des

frustrations ingérables pour les pays émergents à qui on refuserait le développement

industriel. Le dialogue est, là encore, nécessaire et indispensable.

(*) Matthieu Courtecuisse est directeur général de Sia Conseil et Jean- Pierre Corniou, directeur général adjoint de Sia Conseil et ancien membre du comité de direction de Renault.


Apple, toujours en grande forme

Annonçant ses résultats du premier trimestre 2009, Apple ne pouvait que pavoiser avec 15% de marge nette et un chiffre d’affaires de 8,16 milliard $, chiffre d’affaires et profit  étant en croissance par rapport au premier trimestre 2008 respectivement de 8,6 % et 15,2%. Ce résultat brillant au milieu d’un cortège de mauvaises nouvelles est réjouissant pour tous ceux qui pensent que l’innovation, seule, paye…Pour de sombres et tenaces raisons, Apple n’a jamais été une marque appréciée des informaticiens professionnels. La marque n’a d’ailleurs jamais rien fait de décisif pour les séduire. Aussi il existe une ancienne inimitié et incompréhension entre Apple et le monde de l’entreprise qui persiste en dépit de la robustesse des solutions proposées aujourd’hui par Apple et de l’attractivité du rapport coût/valeur/séduction de ses machines. En réalité, même si cette situation est en train de changer rapidement aux Etats-Unis,  Apple n’en souffre guère car son destin est ailleurs.

Du haut de son cash flow (34,6% de marge brute…) et de ses réserves en liquidités  de plus de 29 milliards de $, annonçant de trimestre en trimestre des résultats toujours meilleurs que prévus, Apple administre la brillante démonstration de la justesse de ses choix stratégiques et du caractère impeccable de leur exécution. Alors que le monde des technologies de l’information affiche des résultats en demi-teinte dans un contexte morose, Apple parvient encore à surprendre les analystes. Seuls les micro-ordinateurs accusent une petite perte de forme, avec un repli en volume de 3%, sur un marché des PC qui baisse de 7%,

Comment expliquer la résurrection durable de cette compagnie que beaucoup condamnaient à la fin des années quatre-vingt dix ? Le diagnostic était alors apparemment facile face au succès écrasant des solutions Wintel et des produits Dell, HP, IBM… Produits chers et élitistes, refus de la standardisation, part de marché mondial des micro-ordinateurs devenue anecdotique, élimination du marché professionnel, approche hautaine et quasi-sectaire[i] du marché étaient les explications les plus  courantes de cette désaffection. Sur ces critères conventionnels, on pouvait effectivement prédire une issue fatale à l’aventure de ce franc-tireur.

Mais l’intelligence d’Apple a été de capter et d’endiguer à son profit la transformation du marché induite par internet et le web. L’informatique progresse en marche d’escalier marquées par des ruptures technologiques. L’ordinateur individuel avec son clavier écran était une révolution par rapport au terminal passif. Mais il est devenu lui-même dépassé par internet qui ne rend plus discriminant  le système d’exploitation mais met au premier rang des motivations des consommateurs la connectivité et la simplicité d’usage.  Apple s’est engouffré dans cet espace nouveau, quasi vierge, à la fois par talent stratégique et vision anticipatrice, mais aussi par nécessité de sortir d’une  marginalisation inexorable. Innover quand tout va bien, tuer soi-même ses propres vaches sacrées est un exercice qui demande un courage que tant d’acteurs de talent n’ont pas eu, comme le prouve, entre autres, la descente aux enfers de Motorola ou les difficultés de Sony… Etre poussé par l’instinct de survie conduit à prendre des risques.

Steve Jobs, en bon dramaturge, décline une pièce en trois actes. Les « apple-ologues » professionnels pourront prétendre que tout était écrit d’avance. Il est vrai que Steve Jobs a compris avant les autres que la consommation de musique allait changer de nature et que le marché en serait transformé. Mais l’intuition et le talent ne sont rien sans un peu de chance…

Acte 1: iPod 2001

Préfigurant la formidable explosion de la demande de solutions numériques par le grand public, Apple et Steve Jobs ont pris en 2001 un virage stratégique majeur. Le monde de  l’internet avait besoin d’objets fortement symboliques de cette nouvelle forme de liberté qu’apportaient  internet et la numérisation de l’ensemble des supports multimédia d’information et de distraction. Apple malgré ses initiatives dans le monde des ordinateurs personnels  avec, en 1998, le premier iMac aux couleurs acidulées n’était plus en mesure de s’imposer sur ce marché. L’iPod était plus qu’un baladeur MP3 esthétique, c’était l’outil qui allait mettre définitivement mettre  fin à la confusion organique entre le support et le contenu. En dématérialisant la musique et en permettant son appropriation individuelle sous une forme simple et efficace, l’iPod ouvrait une ère nouvelle. Mais, plus encore, le couplage iPod + iTunes, simple magasin en ligne devenu une très efficace plate-forme de service, créait une dépendance forte entre l’objet nomade et sa base génératrice de revenus récurrents. Les critiques sur le caractère exclusif de ce modèle, aux antipodes du libre, n’ont pas effrayé les consommateurs, les six générations d’Ipod ayant connu un succès croissant pour friser le monopole avec 90% de part de marché aux Etats-Unis. Avec 11 millions d’iPod vendus au premier trimestre 2009, les ventes continuent encore de croître.


Acte 2 : iPhone 2007

Faire de l’iPod un objet nomade connecté était l’étape suivante. Apple n’est pas parti des produits concurrents pour faire un téléphone de plus, mais de l’iPod pour lui donner des fonctions communicantes et en faire le premier ordinateur portable miniaturisé permettant d’accéder facilement  à internet. Malgré le prix et une tentative de faire payer l’exclusivité aux opérateurs de téléphone, le succès fut immédiat et a été amplifié avec la sortie du 3G dans 70 pays. L’iPhone 3G introduit en juin 2008 s’est vendu le premier trimestre (6,8 millions d’unités) plus que la première génération en 5 trimestres (6,1 millions). En dix mois, un milliard d’applications ont été téléchargées. L’iPhone a ravi au Blackberry son statut d’objet communicant emblématique, offrant à la fois des fonctionnalités très larges et conviviales qui rendent l’accès à internet facile et réellement utile, et une gamme d’applications pratiques et imaginatives, et, là encore,  aisées à installer. L’iPhone est réellement considéré comme en avance sur la praticité et l’intégration sur ses concurrents, qui tant chez RIM qu’autour de Google s’activent pour reprendre à Apple son leadership.

Acte 3 2009 :  innover… et surprendre encore !

Apple joue avec les nerfs de ses aficionados en ne dévoilant jamais son plan de produit. Elle laisse les spécialistes de rumeurs se répandre sur le web en vraies-fausses nouvelles. Mais ce n’est que lors de ses shows qu’elle dévoile ses produits, avec le fameux « one more thing… » de Steve Jobs. Cette année c’est à la conférence des développeurs du 8 au 12  juin à San Francisco que de nouveaux produits devraient émerger… A moins que !

Si l’on tente de décrypter la stratégie de la marque, il paraîtrait assez logique que trois axes puissent être explorés :

-        Sur un marché de plus d’un milliard de téléphones portables vendus par an dans le monde, la part de marché de l’iPhone reste très faible. Si Apple veut s’imposer durablement sur ce marché, il faut sortir une gamme de produits plus large, commençant par une machine d’entrée de gamme abordable sans perdre en attractivité, ce qui est un sérieux défi. Un petit iPhone pourrait ainsi apparaître.

-        Le marché des ordinateurs portables connectés à internet, les netbooks, commence à mordre sérieusement sur le marché des portables classiques. On peut s’attendre à une réaction d’Apple qui en maîtrise toutes les technologies avec un « gros » iPhone. On peut imaginer un netbook à écran tactile, pouvant attaquer le marché des livres électroniques qui a enfin décollé grâce à Amazon et Sony, mais aussi celui des consoles de jeu. L’accéléromètre de l’iPhone pourrait facilement en faire un concurrent de la Wii de Nintendo avec les logiciels appropriés. Or aujourd’hui Apple dispose du modèle de production et de diffusion de masse de logiciels qui lui a fait défaut pour ses ordinateurs. La boutique d’iTunes est au centre d’un système économique fécond que peuvent investir des milliers de développeurs.

-        L’exemple de l’iPod et de l’iPhone a ouvert de nouveaux usages et donc développé des marchés ou inexistants ou embryonnaires. Si Archos - comme Creative - a su inventer un lecteur vidéo d’excellente facture, mais n’a pas rencontré le même succès, c’est qu’Apple maîtrise parfaitement bien toute la chaîne de valeur, de la conception à l’emballage et au marketing, pour faire de ces objets de produits « exclusifs de masse ». Apple  peut donc être tenté d’inventer  un nouveau marché pour un produit révolutionnaire associé à un nouveau business model. Jobs n’ayant jamais caché sa passion pour l’image avec Pixar et Disney, il ne serait pas surprenant qu’Apple explore le marché naissant de l’image en relief, la 3D étant la nouvelle frontière de l’image et du son qui devrait révolutionner la télévision.  Or la convergence informatique et télévision n’est pas encore accomplie dans le salon. Il y a là sûrement un beau défi tant sur le plan industriel que des usages.

Parallèlement, la gamme de micro-ordinateurs a été rénovée en avril, sans bouleversement,  et le nouveau système d’exploitation, OS X 10.6, Snow Leopard devrait apparaitre cette année.

Dans un monde informatique assez atone, en voie de normalisation, le parcours d’Apple étonne par son originalité.  Sensible aux courants de l’opinion, mais cultivant une élégante différence, Apple continue à soulever l’enthousiasme de ses fans, mais aussi à gagner la bataille de la crédibilité auprès des sceptiques, tout en enregistrant une longue et rémunératrice série de succès. Mais c’est surtout pour avoir exploré et installé dans le public de nouveaux modèles d’usage qu’Apple peut être considéré comme une des firmes les plus innovantes  des trente dernières années. Apple est encore capable de surprendre.



[i] Un film a été consacré aux fans de Mac, MacHeads, de Kobi Shelly (2008)


Reconstruction du paysage informatique mondial, risques et opportunités

Il n’y aurait pas eu de développement de l’informatique et des systèmes d’information sans fournisseurs compétitifs et innovants, sans entrepreneurs ni prises de risque. L’industrie informatique a toujours été marquée depuis ses origines par une grande vitalité, accompagnée d’un vif esprit de concurrence  dont l’ego de ses dirigeants n’était pas le moindre des moteurs. Les systèmes d’information des entreprises sont le résultat de leurs ambitions et de leurs talents, conjugués à la capacité des équipes internes des entreprises à créer des assemblages pertinents. Mais les systèmes d'information portent aussi les stigmates de l'évolution du marché, des couches d'innovation successives mal intégrées. Leur complexité visible et coûteuse est le fruit de cette histoire. Ce modèle historique n’est évidemment pas stabilisé et les changements de structure des marchés vont induire des transformations majeures dans la façon de concevoir et d’opérer les systèmes d’information. La poussée irrésistible du web va faire plier les couches historiques des systèmes d'information. Quels entrepreneurs ont façonné l’industrie informatique ? Quelle relève pour quel modèle ? A quoi va ressembler l'informatique de demain, omniprésente et standardisée, dépassionnée mais efficace ?

La fin des tycoons ?

L’industrie semble vivre depuis quelques années une normalisation qui s’accélère et la rend plus conforme aux standards mondiaux, où les « tycoons » semblent s’effacer devant des managers  plus atones, où les innovateurs se font plus discrets. rappelons la définition du Merriam-Webster : un tycoon est un homme d'affaires d'un pouvoir et d'une richesse exceptionnels. L’épopée de l’industrie informatique pourrait fournir sans peine aux scénaristes d’Hollywood une matière abondante, faite d’ambitions, de coups de théâtre, de petites trahisons entre amis, et d’argent, beaucoup d’argent… certes ils n’ont rien à envier à leurs prédécesseurs, les Carnegie, Rockefeller, rois de l’acier et du chemin de fer. Le numérique n’est que l’infrastructure du XXIe siècle. Mais le scénario semble aujourd’hui s'assagir. Une génération, celle qui a créée l'informatique moderne du PC et du réseau, s’efface. On s’installe dans le conformisme d’oligopoles structurels, qui ploient sans rompre sous une crise aussi profonde qu’inattendue dans un monde où la croissance à deux chiffres est une religion ! C'est une évolution structurelle qui marque la maturation de ce marché qui clame son éternelle jeunesse pour faire pardonner ses insuffisances mais commence déjà à atteindre, dans sa phase récente "électronique", les charmes de la cinquantaine...

Plusieurs personnages clefs, de la même génération, dont les inimitiés ont alimenté le monde de l’informatique ont quitté la scène ou s’apprêtent à le faire. Le grand départ de Bill Gates en 2008 a marqué une première rupture dans l’histoire féconde de l’informatique. A 53 ans, richissime avec une fortune évaluée en 2009 par Forbes comme la première mondiale , le fondateur de Microsoft a préféré s’occuper de sa fondation que de veiller au combat de Microsoft pour réinventer les « blockbusters » aussi rémunérateurs que Windows et Office, mission délicate qu’il a laissé à Steve Balmer. 

Un autre grand personnage, également né en 1955, peut-être le plus créatif de tous, a pris, involontairement, du recul. Steve Jobs –178e fortune mondiale-  qui a relancé Apple au point d’en faire la firme la plus rentable et une des plus riches, mettait en scène dans ses fameux keynotes les innovations brillantes de sa marque avec un talent d’acteur exceptionnel, prompt à déchaîner les fans. Ces keynotes semblent devoir appartenir au passé, Apple ayant décidé de communiquer autrement par ces grandes messes médiatiques. L’IPod, l’iMac et bien sûr les 17 millions d’iPhone sont autant de ruptures technologiques que de succès commerciaux qui ont constitué les nouvelles références du marché imposant aux compétiteurs de les imiter pour conserver une place significative… et apporté 28 milliards $ en cash à Apple.

Scott McNeally, co-fondateur de Sun en 1982, est  sur le point de céder sa place dans des conditions moins brillantes. Inventeur de serveurs compétitifs, de Java, il s’est embourbé dans une stratégie floue, se voulant leader du monde anti-microsoft et parangon du libre logiciel avec l’acquisition coûteuse de MySQL tout en étant accroché à la  vente de ses légendaires serveurs propriétaires haut de gamme qui ont manqué le rendez-vous du web 2.0. IBM après le redressement brillant opéré par Louis Gerstner, CEO de 1993 à 2002, se présente comme un acteur global, très engagé dans le service et l’offshore, et moins comme le leader technologique que ses gigantesques moyens scientifiques lui permettent néanmoins de demeurer. Et c'est IBM qui devrait normalement ingérer Sun...

Larry Ellison fait figure de vétérans parmi les pionniers. Né en 1944, il est aujourd’hui à la tête de la quatrième fortune mondiale et Oracle est une firme prospère qui a su sortir du marché technique des bases de données, après avoir eu raison de ses concurrents Sybase et Informix, pour devenir un fournisseur d’applications intégrées. Il prépare les applications de la future génération en étant large actionnaire, à titre personnel, des solutions applicatives prometteuses du « cloud computing » comme Salesforce.com et NetSuite.

Dans le monde du matériel visible pour l’utilisateur final, la situation s’est décantée depuis plusieurs années. L’imprimante c’est HP, Xerox, ou un japonais,  l’offensive de Dell ayant fait long feu. Les PC se banalisent totalement au point de devenir  des utilités, dont on attend sans passion fiabilité, coût, autonomie et compacité, Le marché est entre les mains de quelques grands acteurs internationaux – HP, Dell, Lenovo…-  et de quelques fournisseurs de niche comme le taïwanais Acer qui a popularisé avec talent le concept de netbook. Mais Michael Dell après avoir été tenté de prendre du recul est revenu aux commandes en dépit  des 12 milliards $ qui le place au 25e rang des fortunes mondiales. Apple cultive sa singularité esthétique et fonctionnelle en grappillant chaque année quelques fractions de part de marché mondial pour tangenter les 10% de part de marché mondial fin 2008.  

Il est peu probable de voir apparaître des nouveaux venus sous le format classique des PC tels qu’on les connaît depuis vingt-cinq ans. L’innovation sera dans les accès mobiles au Web, les MID, « mobile internet devices » où Google espère faire une percée majeure avec son système Androïd. Dans le monde des serveurs et du stockage, il ne restera plus que HP, IBM ou Dell pour alimenter les grandes fermes de l’informatique du nuage…

Les grands acteurs du logiciel ont également connu leur vague de normalisation. Les frères ennemis SAP et Oracle ont stabilisé leurs positions respectives dans le marché plus contraint des grands ERP, et étendu le spectre fonctionnel par une campagne d’acquisitions épuisantes en travaux d’intégration pour rendre toutes les couches compatibles et inter-opérantes. Les francs-tireurs périphériques ont dû s’aligner sous la bannière des empires. SAP a eu raison de Business Objects, alors qu’Oracle rachetait PeopleSoft, Siebel, et IBM Cognos Le choix des grandes entreprises  pour leurs systèmes transactionnels "socles", mais aussi pour les outils décisionnels, de gestion des ressources humaines ou d’aide commerciale, se résume aujourd’hui essentiellement à Oracle ou SAP ! On gagne en principe en qualité de l’intégration des données… mais on perd en liberté d’achat.

Quant à IBM, il a construit tant par sa propre R&D que par croissance externe une palette de solutions d’infrastructure techniques et applicatives qui constitue une offre aussi discrète qu’incontournable.

Il faut noter la place particulière de Cisco dont John Chambers est président depuis 1995, un record de longévité pour une entreprise dont le manager n’est pas le propriétaire, mais qui a fait croître l’entreprise de 1,2 milliards $ de revenus à plus de 40 milliards $... Les ambitions de Cisco sont intactes, et il est probable que cette firme qui a le talent de détecter les idées nouvelles auprès des starts-up et de les intégrer saura accompagner l'essor de l'internet et du web jusque dans nos salons...

Parmi les tycoons de la nouvelle génération,moins nombreux et moins voyants, celle née dans le monde du web, Larry Page et Sergey Brin ont une place emblématique, ayant franchi leur dizaine de milliards $ de fortune personnelle à 30 ans et se trouvant à 35 ans 26e au classement Forbes, devançant,  mais c’est un symbole, Steve Ballmer  29e. Ils ont inventé un outil  et un nouveau modèle d’affaires totalement en rupture avec les systèmes antérieurs. Ce sont aujourd’hui les seuls identifiés pour prendre la relève de ces créateurs brillants qui ont marqué l’histoire de l’informatique. Mais avec d'autres armes et d'autres ambitions...

Alors peut-on craindre pour l’innovation ?

C'est un cas classique en économie. Au foisonnement primal d'un marché émergent succède progressivement une réduction du nombre d'acteurs et une stabilisation des parts de marché. C'est la cas de l'automobile, de l'aéronautique, de l'énergie à des stades différents. Deux options majeures s’ouvrent aux DSI soucieux de ne pas limiter leurs marges de manœuvre  aux offres des quatre majors de l’IT, IBM, SAP, Oracle ou Microsoft : faire plus soi-même en exploitant les potentiels du logiciel libre, ou ne plus faire du tout en se remettant à l’informatique du nuage. Mais la vraie question est : pourquoi faire ? Faut-il se battre pour être indépendant des fournisseurs et continuer à fabriquer des prototypes coûteux et sans lendemain? Quelle est la légitimité économique et technique de ce souci d'échapper aux solutions du marché ?  En même temps, comment identifier auprès des start-up celles qui apportent vraiment des idées neuves susceptibles faire mieux, différemment, plus vite et moins cher ?

Dans tous les cas ils n’échapperont pas tout à fait aux « Big Four », mais ils peuvent tenter d’explorer des pistes alternatives. ll ne s’agit pas d’en faire un combat empreint d’une  quelconque idéologie anti-oligopole, car si ces acteurs ont atteint cette position ce n'est pas le résultat d'un quelconque complot, mais c'est qu'ils ont fait leur métier en sachant apporter des solutions séduisantes et compétitives. En imposant par l'usage une forme de standardisation ils ont mis fin aux cauchemars des solutions propriétaires non inter-opérables. Leur succès est d’abord la reconnaissance de leurs clients qui peuvent se concentrer sur leur métier. 

Mais la question aujourd’hui que doit résoudre le DSI est de consolider les bases de l’infrastructure qui englobe de plus en plus de couches techniques standardisées, fiables et les moins coûteuses possibles, pour se concentrer sur la différenciation par l’usage et sur les logiciels métiers de niche indispensables à la compétitivité du cœur de l’entreprise.

Il s’agit pour les DSI de rester manœuvrant pour continuer à servir les intérêts de leur entreprise ; fiabilité, réactivité, maîtrise des coûts et surtout innovation dans les produits et services de l’entreprise. Naturellement il doit moins se dédier à la technique pour travailler sur l'usage, l'innovation et la gouvernance. Et il y a fort à faire !