Genève en berne
15 mars 2009
Le salon de Genève qui se tient à
la fin de l’hiver, au moment où se réveille l’envie de nouvelle voiture, a la réputation d’être un salon joyeux
apprécié des professionnels comme du grand public. Les lieux y concourent. La
vaste halle de Palexpo offre un cadre commode et très lisible où se concentre
toute la production mondiale accessible sur le marché suisse. C’est dire qu’il
n’y manque pas beaucoup de constructeurs, car même ceux qui ont boudé Detroit en janvier seront là. Pays non producteur d’automobile, la
Suisse jouit d’un niveau de vie élevé associé à un goût prononcé pour les
belles voitures. Le marché y est
donc très actif, la concurrence intense et sans a priori national,
contrairement aux autres grands salons, et les annonces mondiales fréquentes.
C’est dire que le salon de Genève est une fête pour l’automobile et ses
amateurs. Doit-on dire « était » ?
Le marché continue à se dérober
Au moment où l’industrie mondiale
se prépare à l’inimaginable, un marché en baisse de 20%, passant de 70 millions
de véhicules à 55 millions en 2009, le cœur n’est pas à la fête chez les
constructeurs qui ont perdu leurs repères, abandonné leurs plans et n’osent
même plus s’avancer à émettre des prévisions. La baisse des volumes est
confirmée de mois en mois et les chiffres de février annoncent des baisses spectaculaires.
Le marché américain enregistre le 16e mois consécutif de baisse avec
41% ce qui représente le plus bas volume de voitures vendues depuis 1981. GM
chute de 52%. Alors que ses concurrents japonais pourraient se satisfaire d’une
baisse de 35% en moyenne. En Europe, l’effondrement du marché espagnol de près
de 50 % et du marché britannique de 25% font presque envier la situation de la
France qui ne recule que de 13%. Seule l’Allemagne qui a mis en place une prime
à la casse affiche une croissance dopée à 22%. Néanmoins les curieux étaient
nombreux à arpenter en famille les allées du Salon. Ils n’avaient aucune raison
d’être déçus. L’abondance de nouveautés, la présence de voitures d’exception
génèrent toujours autant d’intérêt. Mais de là à passer à l’acte d’achat il y a
un pas critique que même les suisses ont de la peine à franchir.
Pourtant les constructeurs n’ont
pas lésiné sur les moyens pour ce salon qui de prime abord sauvait les
apparences. Le théâtre de l’automobile répétait encore ses classiques thermiques. Mais
le off alternatif commence, timidement, à exister…
Le classicisme éprouvé
Les grands stands étaient là et
déployaient leurs attraits. Il faut accorder une mention spéciale pour le
groupe Volkswagen qui, il est
vrai, joue sur la diversité de ses marques qui arboraient toute pour l’occasion la même livrée blanche.
Audi, un des seuls constructeurs mondiaux à encore croître et gagner sérieusement de l’argent,
déclinait se nouvelle A4 en break et en version Allroad quatro, mais aussi ses classiques A6 et A8 dont le succès agace ses concurrents allemands.
Volkswagen présente sa Polo,
cinquième opus, mini Golf réussie, et les petites marques du Groupe, jouent sur
leur spécificité à partir des mêmes bases roulantes et des mêmes mécaniques,
Skoda avec ses prix compétitifs et Seat avec sa sportivité agressive toute
latine. Sur chaque stand on insiste, avec plus ou moins de conviction, sur les
efforts réalisés en matière de consommation grâce à l’optimisation des
techniques classiques, turbo diesels ou injection directe essence, allégement,
améliorations du Cx, recherche de l’efficacité des pneumatiques…
Renault avance une gamme jeune en
continuant à décliner son cœur historique, la Mégane, désormais livrée en
version break, l’Estate, et rejointe par le nouveau Scenic d’emblée présenté en
versions 5 et 7 places. La Clio, autre modèle phare, prend un coup de jeune et
Kangoo reçoit une version ludique, et créative avec une large porte arrière et
quatre sièges, le BeBop dont les
couleurs gaies, ne devraient pas toutefois suffire à faire de grands volumes en
tant de crise, à l’instar de la
très belle et ingénieuse Coupé Laguna avec ses quatre roues directrices. La
gamme de motorisations n’est pas révolutionnaire mais le constructeur a en
revanche annoncé un effort massif de réduction des consommations avec une gamme
de nouveaux moteurs et donc de l’émission de CO2. Renault vise une réduction moyenne de 20 g/km d'émission de CO2 en 2012 et même passer au dessous de 100g pour ses petits modèles avec des moteurs de 0,9 l à 1,2 l de cylindrée.
PSA poursuit une offensive
engagée il y a plusieurs années avec un grand nombre de modèles qui comblent
toutes les niches du marché, tant chez Peugeot avec le crossover 3008, que chez Citröen avec la gamme plus
luxueuse DS, et la déclinaison du succès Picasso dans un C3 résolument
« fun ». Mais les innovations de motorisation se font attendre, ces
modèles ayant été lancés bien avant la crise il y au moins 3 ans. La solution
hybride diesel à laquelle croit PSA sera disponible sur la 3008 en 2011.
Le groupe Toyota exhibait l’installation hybride qui
propulse son 4x4 Lexus 450h,lequel totalise 295 ch de puissance entre son
moteur essence V6 et son moteur électrique. La machine est impressionnante et
parvient à descendre à 148 g de CO2. Enfin BMW continue l’expansion de sa gamme
avec de troublants mélanges de style inaugurés avec la X6, cette fois sous la
forme d’une Serie 5. Mercedes continue imperturbablement à décliner des
véhicules classiques, nourris de technologie, aux lignes un peu plus agressives
comme la nouvelle serie E, et annonce fièrement engager une révision de ses
consommations avec son approche Blue Line dont les résultats sont encore bien
loin des 130 g de CO2 au km prévus pour 2015…
Ma supercar ne connaît pas la
crise, vraiment ?
Alors que les milliardaires de la
planète ont perdu 50 % de leur fortune selon le dernier classement de Forbes,
il reste quelques véhicules d’exception qui se présentent sans complexe. Certes
la Porsche Panamera n’était pas visible, et le Cayenne se démocratise en osant
le diesel, mais Mercedes présentait sa gigantesque Maybach Zeppelin, dont le
nom évoquant les années trente est déjà un symbole inquiétant. Animée par un
V12 bi-turbo qui délivre un couple de 1000 Nm, la voiture est commercialisée
pour un peu moins de 500000 €.
Aston Martin présente son concept
4x4 Lagonda et sa sculpturale One-77 (77 exemplaires seront produits ce
qui sera suffisant pour satisfaire au moins 7 équipes de football) , avec
son V12 de 700 cv, mise à prix à 2 millions$, et Lamborghini sa LP 670-4 SV
avec ses 670 ch et 342 km/h... Rêves provocateurs en ces temps de crise
climatique et de crise financière, ces objets roulants attiraient sûrement plus
les curieux que les clients, car même le marché très haut de gamme est en
crise. C’est peut-être pour cela que BMW ose présenter une mini-Rolls Royce de
seulement 5,4 m de long, encore sous forme de concept car « 200EX »,
mais destinée à être vendue en 2010? Comme la haute couture, ces voitures
d’exception ont un marché, même limité qui suffit pour incarner dans
l’inconscient l’automobile mythique.
Quelles vraies
innovations ?
Il faut admettre que si le stand de l’association suisse pour les éco-voitures occupait une place centrale, l’offre est encore pauvre mais les annonces abondantes. Il fallait chercher du côté d’Opel qui présentait pour la première fois en Europe la déclinaison du modèle de véhicule électrique sur lequel mise tant la maison mère GM, la Volt. La voiture, de taille respectable (4,4m), est belle, au capot plongeant, et bien dessinée, comme sa planche de bord entièrement numérique. La motorisation est originale puisqu’au moteur électrique de 110 kW et ses batteries installées en T dans le châssis, lui conférant une autonomie annoncée de 60 km, est associé un moteur, essence ou éthanol, de 1,4 l, qui joue le rôle de générateur et permet de délivrer le conducteur de l’angoisse de la panne de charge en offrant une autonomie de 500 km. Cette Opel Ampera devrait, si tout va bien, être disponible en 2011 sur le marché européen. Néanmoins la presse suisse pouvait qualifier cette voiture de « chef d’œuvre en péril » compte tenu des incertitudes qui entourent le sort de GM comme d’Opel.
Honda présentait pour la première
fois son anti-Prius, l’Insight, voiture hybride quatre places conçue pour être
moins chère que la Prius sans sacrifier l’essentiel pour démocratiser le
marché. Plutôt réussie avec sa ligne plongeante et son arrière presque
vertical, qui améliorant le Cx semble devoir être la marque visuelle des éco-cars,
l’Insight devrait être vendue moins de 20000 € sur le marché français cet été.
L’Insight était présentée aux côtés de la mythique Clarity, voiture électrique
alimentée par une pile à combustible à hydrogène. Elle sera disponible en Californie pour 600$ pour trois ans.
Mitsubishi comme Toyota annoncent
des mini-voitures qui pourront être électrifiées, la Mitsubishi MiEV et
l’ingénieuse Toyota iQ qui même en version essence n’émet que 99 g de CO2 avec
ses trois vraies places sur moins de 3 m de long. La MIEV électrique, iMiEV
sera vendue au japon cet été avec
des batteris lithium ion et une autonomie de 160 km. Elle pourrait être vendue
en Europe sous la arque Peugeot ; Citons, pour l’anecdote, le travail
effectué par le préparateur
allemand Brabus sur le coupé sportif électrique Tesla, doté d’un
générateur de sons pour cacher, comble d’ironie, le silence de son moteur
électrique mais qui pourrait se révéler une solution intéressante pour la
sécurité des piétons en milieu urbain.
Renault qui s’est engagé
résolument dans le développement de la voiture électrique montrait dans une
présentation très pédagogique son concept car ZE, pour zéro émission, voiture
entièrement électrique dotée d’un moteur de 70 kW, et conçue pour économiser la
consommation de courant par une isolation poussée, climatisation ou chauffage
consommant jusqu’à 40% de la capacité embarquée et diminuant d’autant
l’autonomie.
Mais ces annonces de grands
groupes ne doivent pas dissimuler la pauvreté de l’offre réelle de voiture en
rupture. C’est du côté de Bolloré Pininfarina qu’il faut aller chercher une
solution réelle que l’on peut d’ores et déjà réserver sur internet. Cette jolie berline de quatre places,
bien conçue, distinctive et bien finie, sera louée 330 € par mois à partir de
2010. Elle est équipée de batteries originales, conçues par Bolloré avec la
technologie solide LMP (lithium metal polymère). Une cadence de 10000 véhicules/an est envisagée. Il
s’agit de la vraie première offre d’une voiture électrique répondant aux normes
habituelles de l’automobile. Sa carrière commerciale sera pour les grands
constructeurs un banc d’essai intéressant.
La bataille de la voiture
électrique s’engage
Si le salon de Genève est pauvre
en offre réelle, les annonces laissent augurer de violentes batailles sur ce
marché émergent. D’ores et déjà la bataille de la voiture électrique s’engage
sur la maîtrise des nouveaux éléments clefs de la valeur ajoutée que sont les
batteries et les moteurs. Les constructeurs qui ne maîtrisent pas la nouvelle
chaîne de traction doivent rapidement investir , à un moment particulièrement
difficile pour eux, pour ne pas voir la valeur ajoutée leur échapper. Ils sont
contraints de le faire en partenariat.
Volkswagen vient de conclure, le
12 février, un accord avec Toshiba portant sur le développement de moteurs
électriques, d’équipements électroniques et de batteries à haute densité pour
équiper ses futures voitures électriques appelées
la New Small Family. VW entend devenir « le premier constructeur à
proposer des solutions en série pour les véhicules électriques à zéro
émission ». Toshiba a développé pour les batteries une technologie
novatrice, la Super Charge Ion Battery, qui se recharge en quelques minutes.
Aux Etats-Unis GM produira ses propres batteries lithium-ion avec une filiale
du groupe coréen LG Chem. Le groupe Renault Nissan produira sa propre gamme de
moteurs électriques et Nissan travaille intensément sur son projet de pile à
combustible. Mais pour produire des batteries c’est avec NEC que Nissan s’est
engagé en créant une filiale commune, Automotive Energy Supply ( AESC) et Nissan va produire ses batteries
dans ses propres usines au Japon et peut-être au Portugal.
Acheter maintenant ?
Que conclure ? Le temps presse. Le marché mondial est dans l’attente de réponses nouvelles et séduisantes, mais aussi rassurantes, dont on observe quelques prémices. Mais il faut être lucide. On peut aujourd’hui sans risque ne pas différer indéfiniment le renouvèlement de son véhicule ancien en puisant dans une offre pléthorique et, il faut l’admettre, séduisante dans sa fidélité au moteur thermique qui rassure par ses performances éprouvées. Et en net progrès car les moteurs modernes peuvent propulser une berline moyenne pour moins de 5 l/100 soit environ 120 CO2/km. Les autres solutions, en dehors de quelques véhicules hybrides dont deux seulement réellement accessibles, restent encore aléatoires. On parle de 2011, voire 2012 pour voir sur le marché une offre significative de véhicules alternatifs, ce qui rend encore plus courageuse et louable l’ambition de Bolloré Pinifarina.
Mais le mouvement est en marche. Les sceptiques restent
nombreux. Cela ne marchera jamais… autonomie trop faible, coûts trop élevés,
infrastructure inexistante, les voitures électriques ou à hydrogène soulèvent
auprès des professionnels plus de question que d’enthousiasme, ce qui est le
propre des grandes ruptures technologiques plus subies que désirées. Le double
effet de la crise économique et de la confirmation par les scientifiques des
scénarios de réchauffement climatique les plus pessimistes ne peut qu’accélérer
les réactions des constructeurs même s’il est très difficile de changer de
modèle d’affaires et de cadre technique.
Aussi l’enjeu est
politique : il est indispensable que soit formalisé un nouveau cadre
d’action, stable, sur le plan des normes, de la fiscalité automobile, de
l’utilisation en ville, du régime des assurances, des péages urbains, de la
recyclabilité des nouvelles solutions. Ces mesures sont indispensables pour
créer un climat de confiance pour les acheteurs. Beaucoup de questions sont
ouvertes, beaucoup d’acteurs impliqués : ce nouveau monde est à inventer. Mais il reste à frapper l'imagination : quand l’inventif Bernie Ecclestone, qui cherche à innover comme à faire des
économies, lancera son premier Grand Prix de Formule 1 réservé aux voitures
électriques ou aux voitures à motorisation innovante, le scepticisme changera
de camp.