L'automobile au coeur de la tourmente trouvera-t-elle dans le vert son salut ?
22 décembre 2008
La Commission européenne, le Parlement européen et les constructeurs automobiles européens se sont entendus le 1er décembre pour définir les modalités d’atteinte, sur l’ensemble de chacune des gammes des constructeurs, de la limite moyenne de 130 g/km d’émission de CO2, soit 18% de réduction.
Alors que le marché européen de l’automobile se dégrade en cette fin d’année 2008 avec une ampleur aussi brutale qu’imprévisible, et que les perspectives de cette industrie sont particulèrement sombres à court terme, il faut quand même se réjouir de constater que les préoccupations environnementales ne soient pas complétement reléguées au second plan. Est-ce le moyen de redonner à cette industrie une image qui s'est dépréciée ?
L'automobile est totalement entrée dans la vie des consommateurs européens à la fin des années cinquante. Elle était alors le symbole de l'accession du plus grand nombre à ce qui était autrefois un luxe et un privilége, la mobilité individuelle. Elle a fait naître en Europe une industrie puissante et novatrice, génératrice d'emplois diversifiés dans un tissu industriel riche.
Mais depuis quelques années, elle a été insensiblement détrônée dans l'esprit des consommateurs, et surtout des plus jeunes, par les technologies de l'information et de la communications comme symboles de l'innovation et de la mobilité. Une étude faite par le MIT en 2006 auprès des adolescents américains montrait que ce qu'ils considéraient comme les technologies les plus obsolétes étaient le téléphone fixe et la voiture à moteur essence !
Environnement, énergie et mobilité sont aujourd'hui les enjeux de la nouvelle consommation.
L'accord du 1er décembre est donc important. C’est en 2015 que cette obligation « volontaire » devrait être respectée, au lieu de 2012, date primitivement fixée par la Commission. Si les débats ont été vifs depuis plusieurs mois, le contexte de crise a joué en faveur d’une démarche plus pragmatique que le volontarisme initial. Ces trois années supplémentaires représentent-elles un répit ou vont-elles accentuer les difficultés de l’industrie européenne, confrontée depuis dix ans à une stagnation de son marché et à une remise en cause du « désir d’automobile » dans les jeunes générations ?
Dès 2012, cette limitation concernera une fraction de la gamme, soit 65 %, cet objectif devant atteindre 75% en 2013, 80% en 2014 et la totalité des véhicules en 2015. Cet objectif global moyen de 130 g/km est décomposé par pays, la France devant atteindre 126g/km, l’Italie 122 g/km et l’Allemagne 132 g/km. L’accord prévoit des pénalités évolutives en cas de dépassement des objectifs. Un gramme de dépassement coûtera cinq euros, quinze euros pour 2 grammes, vingt-cinq pour 3 grammes et 95 euros par véhicule au-delà de 3 grammes.
Le Parlement européen qui avait déjà manifesté sa mauvaise humeur devant le manque d’ambition de la Commission doit encore approuver cet accord, mais le contexte économique rend désormais une remise en cause improbable.
Dans ce débat, si les parties prenantes semblent temporiser sur le calendrier, l’Europe garde un cap très ambitieux, limiter les émissions moyennes à 95g/km en 2020.
Ce double mouvement paraît contradictoire, tant il est difficile pour les constructeurs d’abaisser la moyenne d’émission de leur gamme, et donc le saut ne serait qu’encore plus douloureux pour atteindre la cible de 2020. Une décennie pour changer en profondeur la culture automobile paraît une période courte tant l’évolution de ce marché où se sont vendus en 2007 16 millions de véhicules neufs se heurte à de multiples obstacles.
En effet cette bataille cache des enjeux complexes. Par la structure de leur gamme, les constructeurs généralistes, ont atteint des résultats convaincants sur l’année 2007, respectivement 137,3 g/km pour Fiat, Peugeot (141,9 g/km), Citroën (142,2 g/km) et Renault (146,4 g/km). Or les constructeurs allemands beaucoup plus présents sur le haut de gamme peinent à faire descendre leurs émissions de CO2 au dessous de 170g/km, même s’ils ont engagé un programme de reengineering de leurs véhicules, avec des solutions de motorisation classique, plus ambitieux que celui de leurs concurrents français ou italiens.
Derrière les arguments classiques - emploi, compétitivité de l’industrie automobile européenne – se profile un débat technique ardu qui recouvre deux mouvements complémentaires.
D’un côté, pour atteindre une cible de 130g/km en 2012, il faut procéder a un downsizing systématique des moteurs et donc de la gamme avec les moyens existants actuellement : baisse des cylindrées, baisse du poids, diminution de la taille des véhicules. Jusqu’alors les clients n’y étaient pas plus prêts que les constructeurs, désireux à la fois d’espace et de fonctionnalités innovantes. Ce mouvement de réduction des volumes est aussi contrarié par la réglementation en matière de sécurité, notamment la gestion complexe du choc piéton comme la réglementation en matière d’émissions de polluants dangereux pour la santé et traitées dans le cadre des normes Euro 4, Euro 5 et Euro 6. Il faut rappeler que le CO2 n’est pas une substance toxique, mais un gaz à effet de serre.
L’autre solution plus radicale consiste à réduire en pourcentage de la gamme le nombre de véhicules à moteur à explosion. Quatre solutions existent : l’utilisation des bio-carburants dans des moteurs classiques, les véhicules électriques, les véhicules hybrides, doté d’un moteur thermique, essence ou diesel, ou les véhicules à hydrogène, soit hydrogène liquide employé comme carburant soit alimentant une pile à combustible pour produire à bord l’électricité nécessaire.
La difficulté pour les constructeurs est de trouver un équilibre volume/prix/faisabilité entre ces quatre solutions qui présentent toutes des difficultés. A court terme -quatre ans- l’hydrogène ne peut être une solution crédible même si elle est prometteuse à long terme. Les techniques sont encore trop coûteuses pour un déploiement massif, et il n’existera pas à cet horizon de réseau de distribution en Europe.
Les véhicules hybrides ont fait leurs preuves et apportent une réponse pratique et efficace à tous les niveaux de gamme, mais dégradent sérieusement la marge des constructeurs pour le bas de gamme où les prix sont tendus. PSA a renoncé à déployer sa solution hybride diesel en dehors de son haut de gamme.
Il reste le véhicule électrique « pur » et les véhicules à éthanol. Tous les deux souffrent d’une image de marque médiocre : autonomie et performances limitées pour le véhicule électrique, politique publique hésitante pour les bio-carburants qui sont menacés de perdre leurs avantages fiscaux au moment où ils sont contestés dans l’opinion pour leurs contre-performances écologiques actuelles en Europe. Il reste donc pour les constructeurs à proposer une offre de véhicules électriques attractive, notamment en terme d’autonomie. C’est probablement le marché sur lequel la qualité de l’offre pourra le plus rapidement faire bouger les lignes .
Imaginer que d’ici 2012, les constructeurs seront en mesure de développer et de déployer une offre alternative de grand volume – plusieurs centaines de véhicules émettant moins de 110g/km - paraît effectivement un pari risqué. Se donner du temps est une mesure de sagesse, dès lors qu’elle ne ralentit pas la prise de conscience actuelle et la volonté des constructeurs, qui trouvent enfin écho auprès des consommateurs, de provoquer une véritable rupture.
Mais ce délai pourrait constituer une victoire à la Pyrrhus si l’offre alternative provenait de constructeurs extérieurs à l’Union européenne. L’industrie américaine exsangue, sommée par le gouvernement de se transformer radicalement, ou de disparaître, ou l’industrie automobile chinoise pourraient trouver dans les voitures à faible émission un moyen de renaître ou d’exister au plan mondial. Plus que jamais le salut de l'économie européenne se situe dans l'innovation. On sait que 2,5 millions d'emploi en France seulement sont liés à l'automobile. Pour protéger ce capital, il faut que les constructeurs innovent et prennent le leadership sur les produits de demain. Tout ce qui retarde la prise de conscience, et altère la capacité de réaction de l'industrie automobile, est une menace pour cette industrie vitale que l'Europe a su encore faire évoluer. Mais le pourra-t-on encore demain ?
Pour information, l'étude de Sia Conseil sur le véhicule électrique a été publiée dans Les Echos du 26 décembre 2008