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L'automobile au coeur de la tourmente trouvera-t-elle dans le vert son salut ?

La Commission européenne, le Parlement européen et les constructeurs automobiles européens se sont entendus le 1er décembre pour définir les modalités  d’atteinte, sur l’ensemble de chacune des gammes des constructeurs,  de la limite moyenne de 130 g/km d’émission de CO2, soit 18% de réduction.

Alors que le marché européen de l’automobile se dégrade en cette fin d’année 2008 avec une ampleur aussi brutale qu’imprévisible, et que les perspectives de cette industrie sont particulèrement sombres à court terme, il faut quand même se réjouir de constater que les préoccupations environnementales ne soient pas complétement reléguées au second plan. Est-ce le moyen de redonner à cette industrie une image qui s'est dépréciée ?

L'automobile est totalement entrée dans la vie des consommateurs européens à la fin des années cinquante. Elle était alors le symbole de l'accession du plus grand nombre à ce qui était autrefois un luxe et un privilége, la mobilité individuelle. Elle a fait naître en Europe une industrie puissante et novatrice, génératrice d'emplois diversifiés dans un tissu industriel riche.

Mais depuis quelques années, elle a été insensiblement  détrônée dans l'esprit des consommateurs, et surtout des plus jeunes, par les technologies de l'information et de la communications comme symboles de l'innovation et de la mobilité. Une étude faite par le MIT en 2006 auprès des adolescents américains montrait que ce qu'ils considéraient comme les technologies les plus obsolétes étaient le téléphone fixe et la voiture à moteur essence !

Environnement, énergie et mobilité sont aujourd'hui les enjeux de la nouvelle consommation.

L'accord du 1er décembre est donc important. C’est en 2015 que cette obligation « volontaire » devrait être respectée, au lieu de 2012, date primitivement fixée par la Commission. Si les débats ont été vifs depuis plusieurs mois, le contexte de crise a joué en faveur d’une démarche plus pragmatique que le volontarisme initial. Ces trois années supplémentaires représentent-elles un répit ou vont-elles accentuer les difficultés de l’industrie européenne, confrontée depuis dix ans à une stagnation de son marché et à une remise en cause du « désir d’automobile » dans les jeunes générations ?

Dès 2012, cette limitation concernera une fraction de la gamme, soit  65 %, cet objectif devant atteindre 75% en 2013, 80% en 2014 et la totalité des véhicules en 2015. Cet objectif global moyen de 130 g/km est décomposé par pays, la France devant atteindre 126g/km, l’Italie 122 g/km et l’Allemagne 132 g/km. L’accord prévoit des pénalités évolutives en cas de dépassement des objectifs. Un gramme de dépassement coûtera cinq euros, quinze euros pour 2 grammes, vingt-cinq pour 3 grammes et 95 euros par véhicule au-delà de 3 grammes.

Le Parlement européen qui avait déjà manifesté sa mauvaise humeur devant le manque d’ambition de la Commission doit encore approuver cet accord, mais le contexte économique rend désormais une remise en cause improbable.

Dans ce débat, si les parties prenantes semblent temporiser sur le calendrier, l’Europe garde un cap très ambitieux, limiter les émissions moyennes à 95g/km en 2020.

Ce double mouvement paraît contradictoire, tant il est difficile pour les constructeurs d’abaisser la moyenne d’émission de leur gamme, et donc le saut ne serait qu’encore plus douloureux pour atteindre la cible de 2020. Une décennie pour changer en profondeur la culture automobile paraît une période courte tant l’évolution de ce marché où se sont vendus en 2007 16 millions de véhicules neufs se heurte à de multiples obstacles.

En effet cette bataille cache des enjeux complexes. Par la structure de leur gamme, les constructeurs généralistes, ont atteint des résultats convaincants sur l’année 2007, respectivement  137,3 g/km pour Fiat, Peugeot (141,9 g/km), Citroën (142,2 g/km) et Renault (146,4 g/km). Or les constructeurs allemands beaucoup plus présents  sur le haut de gamme peinent à faire descendre leurs émissions de CO2 au dessous de 170g/km, même s’ils ont engagé un programme de reengineering de leurs véhicules, avec des solutions de motorisation classique,  plus ambitieux que celui de leurs concurrents français ou italiens.

Derrière les arguments classiques -  emploi, compétitivité de l’industrie automobile européenne – se profile un débat technique ardu qui recouvre deux mouvements complémentaires.

D’un côté, pour atteindre une cible de 130g/km en 2012, il faut procéder a un downsizing systématique des moteurs et donc de la gamme avec les moyens existants actuellement : baisse des cylindrées, baisse du poids, diminution de la taille des véhicules.  Jusqu’alors les clients n’y étaient pas plus prêts  que les constructeurs, désireux à la fois d’espace et de fonctionnalités innovantes. Ce mouvement de réduction des volumes est aussi contrarié par la réglementation en matière de sécurité, notamment la gestion complexe du choc piéton comme la réglementation en matière d’émissions de polluants dangereux pour la santé et traitées dans le cadre des normes Euro 4, Euro 5 et Euro 6. Il faut rappeler que le CO2 n’est pas une substance toxique, mais un gaz à effet de serre.

L’autre solution plus radicale consiste à réduire en pourcentage de la gamme le nombre de véhicules à moteur à explosion. Quatre solutions existent : l’utilisation des bio-carburants dans des moteurs classiques, les véhicules électriques, les véhicules hybrides, doté d’un moteur thermique, essence ou diesel, ou les véhicules à hydrogène, soit hydrogène liquide employé comme carburant soit alimentant une  pile à combustible pour produire à bord l’électricité nécessaire.

La difficulté pour les constructeurs est de trouver un équilibre volume/prix/faisabilité entre ces quatre solutions qui présentent toutes des difficultés. A court terme -quatre ans- l’hydrogène ne peut être une solution crédible même si elle est prometteuse à long terme. Les techniques sont encore trop coûteuses pour un déploiement massif, et il n’existera pas à cet horizon de réseau de distribution en Europe.

Les véhicules hybrides ont fait leurs preuves et apportent une réponse pratique et efficace à tous les niveaux de gamme, mais dégradent sérieusement la marge des constructeurs pour le bas de gamme où les prix sont tendus. PSA a renoncé à déployer sa solution hybride diesel en dehors de son haut de gamme.

Il reste le véhicule électrique « pur » et les véhicules à éthanol. Tous les deux souffrent d’une image de marque médiocre : autonomie et performances limitées pour le véhicule électrique, politique publique hésitante pour les bio-carburants qui sont menacés de perdre leurs avantages fiscaux au moment où ils sont contestés dans l’opinion pour leurs contre-performances écologiques actuelles en Europe. Il reste donc pour les constructeurs à proposer une offre de véhicules  électriques attractive, notamment en terme d’autonomie. C’est probablement le marché sur lequel la qualité de l’offre pourra le plus rapidement faire bouger les lignes .

Imaginer que d’ici 2012, les constructeurs seront en mesure de développer et de déployer une offre alternative de grand volume – plusieurs centaines de véhicules émettant moins de 110g/km - paraît effectivement un pari risqué. Se donner du temps est une mesure de sagesse, dès lors qu’elle ne ralentit pas  la prise de conscience actuelle et la volonté des constructeurs, qui trouvent enfin écho auprès des consommateurs, de provoquer une véritable rupture.

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Mais ce délai pourrait constituer une victoire à la Pyrrhus si l’offre alternative provenait de constructeurs extérieurs à l’Union européenne. L’industrie  américaine exsangue, sommée par le gouvernement de se transformer radicalement, ou de disparaître,  ou l’industrie automobile chinoise pourraient trouver dans les voitures à faible émission un moyen de renaître ou d’exister au plan mondial. Plus que jamais le salut de l'économie européenne se situe dans l'innovation. On sait que 2,5 millions d'emploi en France seulement sont liés à l'automobile. Pour protéger ce capital, il faut que les constructeurs innovent et prennent le leadership sur les produits de demain. Tout ce qui retarde la prise de conscience, et altère la capacité de réaction de l'industrie automobile, est une menace pour cette industrie vitale que l'Europe a su encore faire évoluer. Mais le pourra-t-on encore demain ?

Pour information, l'étude de Sia Conseil sur le véhicule électrique a été publiée dans Les Echos du 26 décembre 2008


L'alignement métier des SI est-il encore un problème ?

Dans cette phase de brutale contraction économique, amplifiée par un degré d’incertitude très élevé dans tous les secteurs, alors que le bouclage des budgets se révèle un exercice improbable, il peut paraître hors de saison de réactiver cette problématique ancienne à laquelle n'échappe aucun débat entre DSI, l’alignement du système d'information sur les objectifs métiers de l'entreprise.

L'occasion m'en a été offerte par le CIO Symposium qui s'est tenu au cours de la très importante rencontre des experts mondiaux de l'informatique et des systèmes d'information, l'ICIS, rassemblés à Paris en décembre.  

Si le débat entre experts académiques et DSI du CIGREF était une initiative stimulante, de très bonne tenue, il m'est apparu encore décalé par rapport aux souffles qui balayent actuellement la planète informatique et systèmes d'information. Si la crise économique mondiale touche même le secteur des technologies de l'information, si les budgets informatiques et SI vont être fortement contraints en 2009, je suis convaincu que c’est bien dans les périodes de crise qu’il faut faire avancer le débat de façon décapante pour rompre définitivement avec les idées du passé.

Le moment est venu de tourner la page qui s’est ouverte au début des années cinquante avec le développement de l’informatisation des entreprises.Aujourd'hui l'informatique d'entreprise doit se repenser grâce aux acquis du web. Depuis quinze ans, internet et le web se sont imposés par leur efficcaité et leur universalité à 1,5 milliard d'utilisateurs dans le monde. Mais ils restent encore aux portes de l'entreprise, qui s'appuient encore pour l'essentiel de leurs fonctions sur des outils conçus avant le web. L'alignement business passe aujourd'hui par un alignement des techniques informatiques professionnelles sur celles de l'internet et du web.

En effet, parler d’alignement business, c’est encore distinguer le piano du tabouret.  Faut-il rapprocher le tabouret IT du piano « business » ? Bien sûr ! Mais se pose-t-on encore la question pour les fonctions finances, achats, ressources humaines, logistique ? Car la question fondamentale me semble devoir être posée en termes plus radicaux  : doit-il  encore exister un « tabouret IT », qui se révèle n'être souvent d'ailleurs qu'un strapontin, dans les entreprises?

On ne peut pas répondre à cette question  sans revenir aux sources historiques du développement de la fonction informatique dans les entreprises.

Quand l’informatique était un objet rare, cher, complexe, il était indispensable de déléguer à une équipe de spécialistes internes le choix des solutions techniques tant les décisions impliquaient une connaissance intime des offres techniques, des fournisseurs et des risques. Quelques très rares dirigeants d’entreprise, président et directeurs métiers, pouvaient eux-mêmes comprendre la nature des enjeux et des décisions à prendre. Le directeur informatique ne pouvait être qu’un spécialiste doté d’une solide culture technique, orthogonale à la culture de l’entreprise qui l’employait, dirigeant une équipe de spécialistes eux-mêmes très loin des métiers de l’entreprise. Ces hommes de talent ont construit une culture propre, fondée sur le culte de l’effort forgée dans les longues nuits héroïques pour résoudre les problèmes causés par des techniques fragiles ou les changements de version. A leur corps défendant, cet effort de découverte et de domestication de l’informatique pionnière les éloignaient des rythmes, langages, problèmes du reste de leur entreprise, créant un véritable isolement culturel qui s’est accentué avec l’émergence du PC, des réseaux et bien sûr de l’internet, autant de techniques qui ont été, au moins dans leur phase initiale,  plus combattues par les informaticiens professionnels que soutenues. N'oublions pas qu'ils ont préféré l'IBM PC, plus proche de l'informatique classique, au Macintosh trop fermé mais tellement apprécié par les utilisateurs.

Ce système a construit, années après années, des silos, étanches et complexes à l’intérieur de chaque entreprise et bien entendu entre entreprises. Les notions d'urbanisation et d'architecture n'étaient pas maîtrisées. Les choix techniques changeaient entre chaque génération de système, faute de norme, ou même standard, technique. Ce manque de cohérence native obligeait les informaticiens à construire des ponts et interfaces entre systèmes pour donner une cohérence acceptable à l'utilisateur final. Cette inexorable progression de la complexité a rendu l'informatique professionnelle de moins en moins agile, de plus en plus coûteuse, et fragilisé ce savant assemblage d'outils et de techniques érigé au fil du temps.

Pendant que le monde des professionnels de l'informatique s'enlisait dans sa complexité, sans parvenir à améliorer  significativement les performances des projets et sans gagner la confiance des dirigeants, qui malgré les efforts de transparence et la rigueur de la gouvernance des SI persistent à ne voir dans "leur" informatique qu'un centre de coût, se répandait à grande vitesse l'usage de l'internet dans toutes les couches de la société et dans tous les pays.

En quinze ans le monde a basculé et l’informatique s’est dissoute dans les usages, sauf dans le monde des entreprises. Les pionniers sont devenus conservateurs des systèmes anciens, qu’ils estiment être les seuls capables de comprendre. Ils se sont érigés en gardiens du temple de l'informatique d'autrefois pour, à leurs yeux, mille bonnes raisons : les exigences de fiabilité, la sécurité, la confidentialité des données, la valeur du patrimoine applicatif, les habitudes des utilisateurs... Ils n'ont pas vu venir la génération des natifs numériques, naturellement connectés en réseaux, naturellement ouverts sur les innovations. Ils n'ont surtout pas compris que la fiabilité et la rigueur se trouvaient désormais chez les grands acteurs de l'internet capables de gérer des centaines de millions de boîtes aux lettres, de retrouver une information enfouie au milieu de centaines de téra-octets en une fraction de seconde, de gérer des documents complexes sans les... perdre, et surtout de proposer aux entreprises des performances qu'ils n'étaient, eux, les garants de l'orthodoxie de l'informatique, plus capables de fournir dans des condtions technqiues et économiques satisfaisantes.

Et la fracture entre l'informatique dite professionnelle et celle née et choisie par le grand public s'est ouverte de plus en plus largement...

La problématique de l'alignement business a changé de visage. Proposer aux entreprises des systèmes flexibles, rapides à mettre en place, pour des prix largement inférieurs, n'est plus un rêve ni une publicité mensongère. Il est désormais possible de déployer des outils modernes et efficaces dans tous les segments du système d'information, dans une échelle de temps inférieure de moitié pour les sujets les plus complexes par rapport aux solutions traditionnelles. Dans certains cas, l'utilisation des outils du web, comme les moteurs de recherche, changent radicalement les échelles de temps et de coût...

 Aujourd'hui, il faut remettre les principes en cause, rouvrir les vieux dossiers, comme les méthodes, la gestion de projet, la distinction maîtrise d'oeuvre maîtrise d'ouvrage, repenser l'informatique pour en faire un outil indissociable du business comme pour Amazon ou eBay. Pourquoi encore séparer les plateformes techniques, les applications et les données ?

Pour ma part je considère que la plupart des applications peuvent désormais se confondre avec l’infrastructure. Les grands systèmes transactionnels ne sont plus des facteurs de compétitivité ou même de productivité. Ils sont indispensables pour piloter la production, gérer les commandes et factures, construire la comptabilité, payer les fournisseurs et le personne. Oracle ou SAP, le résultat sera peu différent. Il faut enfouir les grands systèmes transactionnels, qui sont l'acquis des trente glorieuses de l'informatique, dans une nouvelle conception des couches d'infrastructure.

Changer aujourd’hui, c’est vraiment banaliser et industrialiser ces couches applicatives de base. Le bon moyen est de les externaliser en les confiant avec exigence aux entreprises professionnelles comme on demande à EDF de fabriquer son courant.

Renoncer à ce que l’on sait bien faire c’est progresser pour consacrer du temps, de la réflexion aux nouveaux usages. Ils sont innombrables, mais délaissés.

Développer la communication entre les équipes internes, celles des fournisseurs et le client final, créer du sens, inventer de nouveaux produits, de nouveaux services, de nouveaux usages, explorer de nouveaux territoires cognitifs sont les défis auxquels doivent s'attaquer ensemble les acteurs des métiers et les architectes des solutions. L'alignement business prend tout son sens dés lors qu'il s'agit de créer les "formes" que seules les technologies de l'information permettent d'imaginer et de réaliser. Il n'y aura plus dès lors deux équipes face à face, celle du "métier" et celle de "l'informatique", mais une seule entité unie par l'innovation.

Résoudre par les systèmes d'information les problèmes de l'environnement et de l'énergie, de la santé, de l'éducation, en inventant les produits marchands comme non marchands de demain me paraît être une tâche plus exaltante pour les jeunes informaticiens que de raccommoder les vieilles chaînes COBOL. Le travail ne manque pas. Ne soyons surtout pas malthusiens !

Certes, ce travail de mutation prendra du temps. Mais il faut l'engager dès maintenant en rompant avec les habitudes confortables de "plus de la même chose". L'époque, dure, s'y prête. Oublions les dogmes, réenchantons l'informatique pour en faire un très bel outil de sortie de crise.