Previous month:
août 2008
Next month:
octobre 2008

Humeur d'automne

Depuis la fin du mois d'août, période décrétée par les journalistes comme "la rentrée", où chacun est sommé de conserver son bronzage et sa bonne humeur, les mauvaises nouvelles tombent avec une sombre régularité.

L'économie mondiale va de plus en plus mal, la croissance est anémique, le pétrole reste encore très cher, l'emploi se raréfie... A la place du "soft landing" annoncé par les économistes il y a deux ans, l'atterrissage de l'économie américaine après des années de croissance dopée au "crédit pas cher" ressemble à une magnifique sortie de piste non contrôlée et coûteuse pour l'économie mondiale. Certes, dans l'esprit même du pur libéralisme, les consommateurs et les contribuables sont sympathiquement conviés à rembourser les dettes pourries transformées en or par les golden boys de la City et de Wall Street et en plomb pour le reste de l'humanité. On se sait pas encore quels vont être les bonus 2008 de ces paganinis de la finance mais cette information devra être scrutée de très près quand on sait qu'au coeur de la crise, Lehman Brothers a distribué 10 milliards de dollars de bonus à ses génies en décembre 2007.

NB : les chiffres ont été publiés fin janvier 2009. A la grande surprise du président Obama, Wall Street qui avait distribué 35 milliards de bonus fin 2007 en a encore distribué fin 2008, pire année bancaire de l'histoire économique récente des Etats-Unis, 18 milliards $. Néanmoins,il faut aussi profiter de ces périodes d'émotion et de frustration pour rappeler que les banques continuent à jouer un rôle majeur dans l'économie et que leur activité spéculative, si elle a pu être totalement excessive et non contrôlée,  ne représente pas leur seule activité. Les traders ont beaucoup perdu dans la crise qu'ils ont provoqué, notamment leur emploi, mais d'autres activités parfaitement saines peuvent justifier des récompenses individuelles.

Mais l'économie mondiale ne s'est mise toute seule dans de beaux draps parce que des petits malins ont inventé le moyen d'offrir à des gens insolvables des maisons invendables et d'en faire le produit financier du siècle. Les golden boys, tous les Jérôme Kerviel de la planète, ivres de leur rêve d'argent, de Porsche et de yachts, ne sont pas vraiment coupables. Les spéculateurs ont toujours été nécessaires, ils font du nettoyage comme dans tout écosystème.

Mais dans leurs outrances ils ne sont que l'instrument sans conscience d'un mal plus profond qui depuis près de vingt ans corrompt l'économie mondiale, dégrade le sens commun, justifie toutes les corruptions et les compromissions. On pouvait certes méditer le vieil adage boursier selon lequel les arbres ne montent pas jusqu'au ciel, évoquer une nouvelle bulle pétro-immobilière, mais la machine infernale à faire des grosses bêtises s'est emballée dans le plus pur style des scénarios catastrophes... Parce que tous les freins avaient disparu !

Pourtant les mises en garde n'ont pas manqué. Parmi les plus lucides, Joseph Stiglitz écrivait en 2006 dans "Un autre monde" :" Les Etats-Unis sont le pays le plus riche de la planète, et pourtant ils vivent au-dessus de leurs moyens. Ce faisant ils rendent service au monde. Sans les folles dépenses des Etats-Unis, la peur de voir l'économie mondiale devenir très faible, si faible peut-être que les prix pourraient se mettre à baisser, aurait pu devenir réalité. D'où la question : combien de temps encore les Etats-Unis pourront-ils continuer à rendre ce service, à dépenser sans compter ?  Et y a-t-il d'autres solutions possibles, plus équitables, pour éviter une récession mondiale ?"

Nous aurions aimer quitter en douceur une économie matérielle, fondée sur la rareté et la chère acquisition des conditions de la survie, pour entrer dans une économie immatérielle, celle des idées, de l'innovation, de la recherche, de la connaissance. Nous y avons crû parce que la technologie le rendait possible. Une économie fondée certes sur le mouvement, le marché et l'initiative, mais aussi sur la démocratie, le respect mutuel, le sens de l'équité, la reconnaissance légitime de l'effort.

 Une économie  qui, comme elle a appris, pendant deux siècles, à gérer les excès du capitalisme pour développer la croissance dont chacun a bénéficié, aurait été suffisamment lucide pour construire une mondialisation équitable dont nous avons besoin pour garantir la paix et, ultimement, la survie de la planète. J'entends déjà fuser tous les noms d'oiseaux : utopiste, conceptuel, et la pire injure, "intellectuel" ! Par un cruel volte-face de l'histoire, alors que nous disposons des moyens d'information les plus sophistiqués, nous avons privilégié le mensonge, celui des armes de destruction massive comme ceux d'Al-Qaïda, le cynisme, l'arrogance, la dictature du court terme... et bien sûr le retour des gris-gris de toutes obédiences. Et nous avons constaté avec stupeur que le libéralisme dans son extrémisme rejoignait le pire communisme dans son culte du dogme.

Il faut que cette crise, violente et durable, soit utile. Comprendre que le marché ne peut tout résoudre, que le consensus de Washington n'est pas le seul plan possible, que notre petite planète ne peut se contenter de coups à court terme, et de "quarterly results",  mais nécessite une vision systémique et la réhabilitation de valeurs de rigueur et d'imputabilité.

A entendre McCain et Obama lors de leur premier débat électoral, curieusement consensuels, la thérapie à 700 milliards de dollars pourrait accélérer la prise de conscience et un début de réponse de la part de la nation impériale... A suivre !
Et pendant les travaux les licenciements continuent...