L'ICANN à Paris, quelles attentes ?
23 juin 2008
L'ICANN, cette structure qui est au centre du fonctionnement d'internet se réunit cette semaine à Paris, mettant un éclairage particulier sur un des aspects les plus complexes d'internet, la gestion des noms de domaine.
Un de piliers d’Internet est en effet son annuaire universel qui permet l’accès instantané à toutes les ressources contenues par les ordinateurs connectés. Ce code d’accès est une adresse numérique, attribuée à chaque ordinateur et appelée « adresse IP », mais l’astuce a consisté à lui donner un contenu signifiant (le « nom de domaine ») facile à mémoriser et accessible par les moteurs de recherche. Les principes du système des noms de domaine ont été élaborés en 1983. Mais pour éviter la redondance, et les usurpations d’identité, ces noms doivent être déposés auprès d’une instance chargée d’assurer la « résolution universelle » garantissant la validité et la cohérence des adresses et noms de domaine. Ce système de gouvernance original a contribué jusqu'alors au succès mondial d'internet. Mais au moment où internet devient un système critique pour les entreprises comme pour les états, il suscite d'autant plus de questions que le stock accessible de 4,1 milliard d'adresses sous le protocole IP V.4 va être épuisé en 2011 et il est urgent de migrer vers un nouveau protocole, IP V.6 qui permet de gérer des milliards de milliards d'adresses.
Une gestion privée sous contrôle
Le choix de la communauté Internet a été de faire gérer ces noms, qualifiés de noms de domaine, par une société privée américaine, sans but lucratif, de droit californien, , l’ICANN « Internet Corporation for Assigned Names and Numbers.» créée le 6 novembre 1998. L’ICANN s’est vu reconnaître cette autorité par un mémorandum du Département du Commerce des Etats-Unis le 25 novembre 1998. C’est bien entendu une solution originale à mi-chemin entre l’initiative privée et l’influence fédérale. Cette structure atypique regroupe des entreprises, des personnes physiques, des représentants des états, des organisations non gouvernementales, et fédère les institutions chargées d’attribuer les noms de domaine dans les pays. C’est une structure assez complexe dont la forme souple et évolutive peut dérouter. Il essentiel de comprendre comment fonctionne l’ICANN dans le droit fil de la culture historique de l’Internet pour mesurer à quel degré ce modèle échappe aux références habituelles en matière de standardisation.
L’ICANN a la responsabilité de gérer les extensions de noms de domaines existants et le système des serveurs DNS racine (« root server ») sur Internet qui eux contiennent les noms de domaine de premier niveau (Top Level Domain -TLD- et ccTLD -country code Top level domain-) au nombre de trois cents. L’ICANN attribue par contrats la gestion des serveurs racine DNS à des sociétés privées, des universités ou des organisations gouvernementales. Ces "Root Servers" DNS constituent l’infrastructure de l’ensemble des serveurs de noms de domaines chargés de répondre aux problèmes d’adressage par grand domaine. Ils sont actuellement au nombre de treize, répartis dans le monde, même si les Etats-Unis continuent à jouer un rôle prépondérant. Il existe des centaines de milliers de serveurs de noms de domaine dans le monde, dont ceux des fournisseurs d’accès, comme Orange, mais ils ont besoin des serveurs racines pour connaître l’adresse du serveur qui va permettre de servir la requête. On estime, mi-2008, à plus de 130 millions le nombre de domaines internet dans le monde. Ce système puissant est néanmoins théoriquement vulnérable. Si une attaque simultanée de ces treize serveurs était lancée avec succès, le système mondial de l’internet cesserait de fonctionner car les requêtes émises par les internaute ne pourrait pas être satisfaites faute d’acheminement vers l’adresse désirée.
Le conseil d’administration de l’ICANN prend, au tournant de processus complexes, des décisions structurantes pour la communauté mondiale. En particulier, le choix des intitulés de noms de domaine donne lieu à des batailles épiques. Existent en effet deux type de noms de domaine : les noms de domaines géographiques (ccTLD) à deux lettres comme .fr, .de, .eu, et les noms de domaine par pôles d’intérêt ou type de structures, qualifiés de génériques (gTLD comme « generic top level domaine ») comme .gouv pour les administrations, . org, . edu, .net, etc..
Sont également apparus plus récemment des noms de domaines commandités (sTLD) qui répondent ou à de nouveaux impératifs techniques (.mobi pour l’internet mobile, ou .tel pour la téléphonie sur IP) ou professionnels (.aero, .museum, .jobs, .travel). Apparemment, ces suffixes ne connaissant pas le succès escompté...
La politisation des noms de domaine
La dénomination des domaines représente des enjeux économiques, politiques et culturels qui conduisent les nouveaux pays également désormais acteurs majeurs de l’internet, l’Europe ou la Chine à contester cette suprématie américaine. Les noms de domaine comme .eu apparu en, .cat pour la langue et la culture catalane, ou .asia pour les adresses originaires de l’Asie traduisent la montée en puissance de revendications politiques nationales, voire nationalistes, à travers la dénomination des sites web. Certains pays souhaitent notamment pouvoir libeller l’adresse des leurs sites dans leur langue naturelle et non pas en anglais, utilisant des caractères non latins ou latins accentués. A cette revendication naturelle l’ICANN a répondu par le lancement de l'IDN (International Domain Name). Il s’agit d’adopter les caractères latins accentués de même que les caractères cyrilliques, arabes, chinois, japonais…
Par ailleurs l’attribution des noms de domaines a engendré une activité économique lucrative. La droit à un nom de domaine coûte une dizaine d’euros par an. Il est possible d’acheter son nom de domaine auprès d’un "domainer" chargé de commercialiser les noms de domaine. Ces "domainers" sont la plupart du temps "registrar" et quelques fois aussi membres de l'ICANN. Ce mélange des genres entre un organisme, qui logiquement doit réguler les noms de domaines, et les membres de cette organisation qui justement vivent de façon lucrative de cette activité, est de moins en moins discret et soulève des questions et d'efficacité et de déontologie.
En France c’est l’AFNIC, (Association française pour le Nommage Internet en Coopération) créée par l'INRIA en 1997 qui est en charge de cette mission pour le domaine .fr. L’attribution des noms en .fr a été longtemps plus restrictive pour éviter les pratiques de dépôt systématique de noms connus par des individus habiles et peu scrupuleux, ceux-ci les revendant ensuite aux légitimes propriétaires de la marque. Cette pratique de « cybersquatting » a été ainsi découragée en France, mais beaucoup d’entreprises ont délaissé le .fr pour le .com sensé être plus attractif.
De fait, la France a beaucoup moins de sites portant le .fr que ses principaux pays européens. Le nombre d’un million de sites en .fr a été atteint fin 2007, et s’élève à 1116000 fin juin 2008, alors que l’on recensait 11 millions de sites allemands en .de, et plus de 6 millions de sites en .uk. Lancé tardivement en décembre 2005, le .eu européen enregistre déjà plus de 2,5 millions de sites.