La France toujours à la peine dans le numérique

Innover au quotidien

Les réflexions sur la création d’un ministère chargé de l’internet et des nouvelles technologies viennent de connaître une conclusion provisoire par l’extension à l’économie numérique des responsabilités du secrétaire d’Etat à la prospective et aux politiques publiques, Eric Besson. Le débat reste ouvert sur les attributions et missions de ce nouveau ministre.
Il est clair que l’économie numérique n’a rien de prospectif puisque nous sommes, et depuis plusieurs années, totalement immergés dans une économie mondiale de la connaissance numérisée… Il est temps de s’en rendre compte et de cesser de considérer qu’il y a là un sujet de prospective. Comme je l’écris souvent, au risque de me répéter, les technologies ne sont nouvelles que pour ceux qui ne les utilisent pas… Néanmoins, il faut aussi reconnaître que la transformation induite par les technologies de l'information ne fait que commencer tant les conséquences culturelles, économiques, sociales sont intenses.

La question demeure bien celle de la croissance, qui seule crée des emplois et de la richesse, et ceci désormais dans un monde fini dont a compris que les ressources dites naturelles n’étaient pas illimitées et nécessitaient une utilisation plus économe et plus rationnelle. Dans Le Monde du 19 mars, Jacques Attali revient sur la nécessité de mettre en œuvre les propositions du rapport sur la Commission pour la libération de la croissance française dont il a animé la rédaction. Il a raison de persister car il serait regrettable d’enterrer ce rapport qui contient de nombreuses pistes de transformation, que toutefois une certaine arrogance a pu rendre encore plus indigestes pour ceux qui depuis le rapport Rueff-Armand de 1959 continuent à exploiter de confortables « rentes » monopolistiques.

Il se propose, dans cet article, de regrouper en trois blocs plus consensuels, ce qui les affadit toutefois, l’essentiel de ses propositions.
« 1. La France a les moyens de profiter de la mondialisation, en se focalisant sur l'économie de la connaissance et sur l'ensemble des secteurs qui y concourent, de la maternelle aux laboratoires, des petites entreprises au numérique et aux biotechnologies.
2. Pour que chacun en profite, il faut accroître les mobilités sociales, professionnelles, économiques et géographiques et sécuriser, par une négociation beaucoup plus approfondie entre les partenaires sociaux, ceux qui pourraient avoir à y perdre : chômeurs, jeunes, femmes, petits commerçants, fournisseurs indépendants, minorités diverses.
3. Pour que la société avance d'un même pas, il faut enfin revoir radicalement l'organisation des institutions publiques, de l'Etat à la commune, du département à l'hôpital, de la chambre de commerce à l'office d'HLM : même si cela semble parfois le moins urgent à ceux qui sont les premiers concernés... »

Sous cette forme, les oppositions devraient se calmer et le débat s'instaurer sans invective. Depuis cinquante ans, les rapports se multiplient, les bonnes idées fusent dans les dîners en ville – et maintenant sur les blogs :-) - sans que la France ne saisisse pleinement les avantages, dans une première étape, du marché commun, puis maintenant de la mondialisation. Ces blocages subsistent alors qu’il n’y a aucune fatalité à condamner ce pays à devenir la Venise du XXIe sicèle alors même que la qualité de vie et le sens de l’innovation n’y sont pas incompatibles. Comment faire sans sombrer dans la mélancolie et le passéisme, sans tout attendre de l’Etat, sans continuer à râler contre la vie chère et les petites retraites ?

Chacun peut et doit contribuer au changement par une lecture positive de l’innovation, dans la vie quotidienne, au travail, dans les systèmes publics – éducation, santé, sécurité – et par un désir immense et inassouvi d’apprendre. Transformer sa capacité d’indignation en proposition d’action recommence chaque matin !

1/ Il nous faut combler le vide abyssal qui existe entre les très petites entreprises, un million, fragiles et peu créatrices d'emploi et d'innovations faute de taille critique et d'exposition au marché mondial, et les grandes du CAC 40 qui ont, et c'est bien ainsi, un destin mondial qui ne peut pas faire du territoire français une base d'emplois durables. Comment créer des entreprises de 200 à 500/1000 personnes, innovantes, compétitives et créatrices d'emploi ? 63 des 100 plus grandes entreprises aux USA ont moins de 30 ans, contre aucune en France. Or on ne "naît" pas avec 500 salariés... Il faut croître à partir d’une petite structure, vulnérable dans les premières années, et/ou scinder les grandes entités en sous-ensemble dynamiques. Ainsi EDF, ou Saint-Gobain pourraient parfaitement essaimer dans le secteur des énergies nouvelles pour croître. La création d'entreprise reste donc un premier objectif incontournable de toute politiques publique, mais aussi de tout acteur responsable.

2/ Il faut arrêter de penser que l'innovation est l'apanage des "grands", laboratoires des grandes entreprises, organismes publics comme  le CNRS, l'INRIA, l'INSERM... Il y a une intelligence de marché qui doit être développée quelque soit la taille. L'innovation vient de l'usage comme des percées scientifiques. La cocotte minute de SEB (aujourd'hui la friteuse sans huile !) est aussi importante pour la vie quotidienne que le pneu radial ou le vaccin contre le SIDA. L’innovation est un processus complexe, itératif et l'histoire des techniques démontre que RIEN ne se passe comme prévu ! C'est bien l'écoute du marché qui fait la différence, et cela passe par des entrepreneurs avisés qui comprennent les signaux faibles, prennent et acceptent les risques, et sont équitablement rémunérés ! Ces entrepreneurs doivent travailler en réseaux, jouant de leurs complémentarités pour construire une offre imaginative. L'émergence des réseaux sociaux est un catalyseur de cette transformation de l'entreprise "citadelle" en entreprise archipel.
Il faut clairement pour cela encourager l'investissement par l'incitation a priori et la fiscalité a posteriori. Les pôles de compétitivité pourraient être, par exemple, un cadre pertinent pour rassembler tous les acteurs dans une dynamique collective ( les fameux "cluster") , dès lors qu'il s'agit de construire ensemble sans se borner à demander... des subventions publiques.

3/ Il faut alléger le coût des "frais généraux collectifs" en utilisant le reflux naturel des personnels publics grâce à la démographie pour changer en profondeur les processus de back office ... simplifier, rationaliser, automatiser et mettre tous les services publics, comme toute la connaissance publique, gratuitement, sur internet ! La décentralisation a conduit à accroître le nombre d'emplois publics d’un million et à multiplier les structures physiques. L’empilage des collectivités multiplie les niveaux de décision, les compromis de court terme, encourage le manque de courage et donc dilue la portée d'une gouvernance de proximité ! Il faut donc simplifier et apporter tous les services publics sur l’écran d’ordinateur ou le téléphone portable 24 heures sur 24.

4/ Enfin, il faut arrêter de raisonner à la mode 35 heures ou heures supplémentaires, mesures qui traduisent encore l ‘idée malthusienne que le travail est une quantité finie qu’il suffit de répartir. Or dans l’économie de la connaissance, la matière grise est une matière première infiniment renouvelable et dont l’activité s’exerce sans interruption même en dehors des heures légales.

Les métiers et produits de demain n'existent pas. Ce n'est que par une formation robuste, diversifiée, ouverte à la créativité et au travail de groupe, que l'on préparera les acteurs de demain à détecter, amplifier et généraliser les produits et usages nouveaux qui permettront de créer les emplois futurs...

L'innovation est d'abord dans les têtes avant d'être sur les marchés.

Commentaires

Pierre Rousselet

Bonjour Jean-Pierre,
J’ai lu, concernant la nouvelle nomination d’Eric Besson à l’économie numérique que l’April craignait que le nouveau secrétaire d’état ne réduise les problématiques du numérique aux seuls aspects économiques. Sur quoi s’appuient-ils pour dire cela? Qu’en est-il exactement ?
J’ai également vu qu’une des priorités clairement fixées est l’accès à l’internet très haut débit pour tous.
Ces 2 sujets me paraîtraient témoigner d’une attitude davantage « suiveuse » par rapport à l’évolution du monde du numérique plutôt que d’une attitude dynamique et proactive.
Certes, cet accès pour tous est un pré-requis indispensable et de réels efforts sont affichés dans l’enseignement primaire et secondaire. Mais peut-on espérer que cette nomination reflète une réelle volonté et action (que tu appelles de tes vœux, si je ne me trompe), de fournir en France les conditions nécessaires - le terreau fertile - à l’épanouissement de la recherche et de l’innovation, ainsi qu’à l’incubation et l’émergence de nouvelles entreprises pouvant rayonner à l’échelle nationale bien sûr, mais aussi à l’échelle internationale ?
Très cordialement.

TELENTI

Je viens de faire votre connaissance sur France Culture. Je tiens d’abord à vous dire que je ne peux qu’être d’accord avec vous sur tous les points que vous venez d’aborder.
Espagnole, j’ai connu l’Internet en 1994 quand mon frère, habitant à l’époque aux États Unis, est venu chez ma mère en Espagne avec un ordinateur portable qu’il a branché au téléphone pour communiquer avec la Clinique Mayo où il exerçait comme médecin. Étant enseignante de français, j’ai pensé tout de suite aux possibilités pédagogiques de mise en relation des apprenants des langues offertes par cet outil formidable.
A partir de cette expérience-choc, j’ai été à l’affût de l’ « internet » sur la presse, à la radio ou à la télévision. Des mois se sont écoulés, jusqu’au jour où une annonce est apparue sur le journal EL PAIS qui parlait de l’internet. J’ai essayé tout de suite de contacter les personnes qui avaient mis cette annonce, qui m’ont mis en contact avec les responsables du Programme national de nouvelles technologies de l’information et de la communication (PNTIC) du Ministère de l’Éducation.
Suite à ces premiers contacts, nous avons eu des adresses électroniques ([email protected]) données par le Ministère et nous avons commencé dans mon lycée à configurer un ordinateur et un modem pour réaliser les premiers essais (écran noir et blanc). Avec l’appui d’une inspectrice de l’Education nationale nous avons déposé un projet d’innovation multidisciplinaire et j’ai présenté en même temps une demande d’année sabbatique pour me consacrer à ma propre formation, au sein de l’Université, et la coordination du projet qui se voulait de recherche – action.
Les trois années suivantes, j’ai été formatrice en langues étrangères et Internet dans un centre de formation et de ressources pédagogiques où j’ai organisé des journées et stages, animé des groupes de travail et de recherche, demandé des aides européennes. J’ai collaboré à plusieurs niveaux avec le Ministère lors de la première expérience de formation en ligne à des enseignants, à laquelle j’ai participé ensuite comme tutrice.
J’ai publié un long article en 1997 et donné beaucoup de conférences à l’époque, animé des ateliers et mis en route beaucoup de projets de formation sur les aspects techniques et pédagogiques des langues et l’internet.
Actuellement, pour des raisons personnelles, je me suis mise en disponibilité en France. Je viens de finir un Master 2 recherche en Sciences du langage à l’université Stendhal- Grenoble III avec un mémoire intitulé : Analyse techno-sémio-pragmatique d’une modalité de communication médiatisée par ordinateur FLE-FOAD.
Ne pouvant pas développer une activité comme formatrice en ligne pour le Ministère de l’Éducation en FOAD, je viens d’intégrer une coopérative dans le but d’essayer de continuer mon activité comme entrepreneur salarié.
Je suis toujours aussi passionnée, prête à echanger avec d'autres, intégrer des équipes, à reflechir et à agir. A votre disposition, si vous estimez que mes connaissances pratiques, analytiques et théoriques peuvent être utiles à vous ou à d’autres personnes de votre connaissance.

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