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Les paradoxes du succès

Apple triomphe, Apple irrite. Décidément, cette roche tarpéienne ne finira jamais d’être si proche du Capitole ! Au moment où Steve Jobs vient d’être désigné comme la personnalité la plus influente de l’année par le magazine Fortune, au moment où l’iPhone occupe toutes les couvertures de la presse mondiale, les premières lézardes apparaissent dans l’image policée et soigneusement maîtrisée d’Apple.

Que se passe-t-il dans le monde des passionnés qui communient à chaque apparition de Steve dans ses « keynotes », shows parfaitement orchestrés, et entretiennent, en modernes vestales, la flamme de la pomme ? Les forums appleophiles et appleophobes s'enflamment. mais le monde change pour Apple : nouveau nom, nouveaux marchés, nouveaux clients. Là où Apple était une marque de passionnés, l'expansion de la marque en transforme la nature, les clients ne sont plus les mêmes et vont apporter un degré d'exigence consumériste où la passion risque de céder le pas aux contraintes du marché et de la concurrence.

Une nouvelle ambition

Après les années sombres d’Apple au début des années quatre vingt-dix, Steve Jobs a incontestablement apporté depuis son retour en 1997 un élan d’innovation sans équivalent dans l’industrie hi-tech. Apple fonctionne aujourd’hui comme une puissante machine à innover : en se projetant au premier rang des firmes créatives dans le monde ultra-concurrentiel des technologies de l’information et de la « distraction » numérique Apple en récolte les fruits légitimes. En changeant en janvier 2007 sa raison sociale historique « Apple Computer, » en « Apple Inc. » Apple tient à montrer que son champ d’ambitions ne se limite plus au monde des ordinateurs. Cette mutation montre bien également que la transformation de l’informatique en une industrie numérique grand public est un fait majeur résultant de la convergence entre les industries informatiques, celles des télécommunications et les industries du contenu numérique. Qu’Apple se situe au carrefour de ces trois tendances lourdes est le fruit d’une stratégie conçue par Steve Jobs qui l’a également conduit à fonder Pixar et à entrer au capital de Disney.

Les chiffres sont éloquents : 38 % de croissance du revenu entre 2006 et 2005, 24 % entre 2007 et 2006. Les nouveaux produits réussissent. L’année fiscale s’est achevée fin septembre 2007 avec un chiffre d’affaire de 24 milliards $ (contre 14 en 2005) et un résultat net de 3,5 milliards, soit près de 15% de marge nette, sans négliger un avoir en cash de 15 milliards $ qui permet à la firme de justifier ses ambitions dans le monde numérique. L’entrée dans le monde de la musique s’est faite avec brio. L’iPod, dans de toutes ses déclinaisons, s’est vendu à plus de 120 millions d’exemplaires, liPhone aux Etats-Unis en 3 mois à 1,4 million et Noël 2007 devrait encore amplifier ces chiffres. Le couple iPod/iTunes a installé un modèle de diffusion légale de la musique en ligne qui a fait école. Non seulement la musique et le téléphone permettent à Apple de développer son revenu et ses marges, impériales, mais l’image de simplicité, d’élégance et d’efficacité à fini par convaincre beaucoup d’utilisateurs de PC à se souvenir que PC voulait dire « personal computer » et pas seulement « IBM PC » devenu « Wintel PC ». Aussi convaincus par les performances et l’ergonomie du système d’exploitation OS X, par l’adoption avisée de microprocesseurs Intel, et la migration de la gamme réussie en un an, par une baisse des prix sensibles grâce à l’adoption de composants et de méthodes de production standard, les acheteurs de PC ont commencé à prendre au sérieux l’utilisation d’un Mac comme machine professionnelle, abordable, performante et étonnamment ouverte. Apple voit ses courbes de ventes d’ordinateurs progresser à un rythme supérieur à 30% dans un marché assez atone. Apple occupe désormais, derrière Dell et HP, le troisième rang des ventes de portables aux USA avec 18% du marché.

Le cours de l’action Apple caracole au premier rang du Nasdaq, ayant triplé de valeur en deux ans. Aujourd’hui – 2 décembre 2007 - Apple, avec un titre qui oscille autour de 180 $, a légèrement dépassé en valeur capitalistique son rival Dell, 72 milliards de dollars.

Que reproche-t-on à Apple ?

La firme qui a toujours fait son miel de l’attitude hautaine, voire arrogante, de Microsoft ne goûterait-elle pas avec délice aux charmes vénéneux du monopole ?
Aussi pure que peut paraitre son image lumineuse, Apple serait-il selon Greenpeace le mauvais élève de la vague verte qui devient aujourd’hui la nouvelle vogue outre-Atlantique ? Steve Jobs a publié sur le site Apple une vigoureuse réponse démontrant qu’Apple était en fait en tête de la lutte contre l’utilisation de produits toxiques (plomb, cadmium, chrome, arsenic) pour le recyclage des déchets et la réduction de la trace carbone. http://www.apple.com/hotnews/agreenerapple/

Il semble que l’incursion d’Apple dans le dur monde de la téléphonie mobile ne soit le motif de beaucoup de critiques. Après avoir fait désirer et vendu très chers ses premiers Iphone, Apple en baissait deux mois plus tard le prix de 200 $, la colère des premiers acheteurs a conduit l’entreprise à offrir une compensation de 100$.. L’usage de l’iPhone se révèlerait coûteuse car les programmes sont payants, notamment les sonneries, ce qui irrite les utilisateurs.
Enfin, Apple se situe avec ‘iPod et iTunes au cœur des débats sur les droits d’auteur. Jobs a déclaré être prêt à supprimer les DRM (« digital rights management ») si les compagnies de disques décidaient de le faire, décision effective pour les catalogue EMI sur iTunes Store en mai 2007. Mais Apple a été critique pour encrypter et conserver des informations personnelles ( « watermarking ») dans les fichiers téléchargés sur iTunes. Certaines associations de consommateurs reprochent à Apple d’obliger les utilisateurs à coupler l’usage de leur iPod avec le magasin de vente en ligne exclusif iTunes.

Apple a toujours réussi a entretenir une relation intime et intense avec ses clients. Lorsqu’il ne s’agissait que d’un groupe réduit de passionnés, la magie pouvait résister aux faits. Aujourd’hui Apple devient une firme comme les autres. Plus encore, elle est leader de la transformation du marché. Elle le mérite par son sens de l’innovation, accompagné d’une maîtrise parfaite du marketing. Son succès irrite les concurrents – Michael Dell avait déclaré en 1997 qu’à la place de Jobs « il fermerait boutique et rendrait l’argent qui reste aux actionnaires » - et ne fait certainement pas plaisir aux fournisseurs de téléphones mobiles qui orchestrent leur contre-offensive ni aux opérateurs de télécommunications qui ont dû consentir à un partage de leurs revenus avec un fabricant de matériel. Le développement de la part de marché des micro-ordinateurs Apple va certainement susciter les appétits des hackers qui vont se tourner avec plus d’intérêt vers Mac OS… Apple a toujours su déchaîner l’admiration de ses fans mais aussi l’agressivité de ses détracteurs qui lui reprochent un parfum de supériorité hautaine.

Ces mouvements sont naturels. Le succès brillant inquiète d’autant plus que la reconfiguration du marché de l’informatique, des télécommunications et du contenu numérique ne fait que commencer. Les enjeux sont considérables et personne n’a très envie de voir Steve Jobs, qui n’a que 52 ans, bousculer avec talent autant de citadelles.


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A lire dans Fortune : the power of Steve Jobs

http://money.cnn.com/2007/11/21/news/newsmakers/power_jobs.fortune/index.htm?postversion=2007112704