Autisme numérique ?
24 novembre 2007
Pour l’ethnologue, ou peut-être plutôt l’entomologiste, le spectacle offert gratuitement par nos contemporains urbains est source d’étonnements qui ne manqueront pas de nourrir de nombreuses études socio-psycho-comportementales. Prenons le métro par exemple… On y observe une collection d’individus serrés les uns contre les autres, murés dans un silence total, et tous dotés de deux fils blancs rivés chacun dans une oreille et qui se perdent dans une poche ou un sac à main… Le regard est distant, absent, fixé sur un point imaginaire. Dans certains cas, ils/elles tiennent également à la main un boitier doté de boutons et d’un écran, sur lesquels ils pianotent avec une certaine frénésie. Très absorbés par ces tâches sûrement essentielles compte tenu du sérieux avec lequel elles sont accomplies, elles/ils sont étanches au monde extérieur, au risque de bousculer leurs voisins sans en être conscient ou de rater leur destination, ce qui crée cette fois une émotion visible suivant d’une brutale accélération vers la sortie.
On recherche vainement parmi cette population l’usage de ces larges feuilles de papier imprimées recto-verso, naguère appelés journaux, ou encore dans un format plus réduit des piles de feuilles reliées qui constituaient ce qu’on appelait des livres.
Le train est aussi un lieu d’observation riche. Là aussi, les deux fils reliés aux oreilles, ou peut-être directement à la boîte crânienne, sont très présents, mais souvent reliés à un boitier plus large doté d’un écran sur lequel défile des images animées. Chacun est assis face à cet écran qui est leur seul interlocuteur, au moins autant que durent les batteries qui fournissent le son et l’image.
La rue révèle aussi les comportements de nos contemporains. Tout en se déplaçant d’un pas hâtif, le « ruErbain» avec les mêmes écouteurs dans les oreilles, pianote frénétiquement des deux pouces sur le clavier de son téléphone sans se soucier des autres utilisateurs de la rue, ce qui provoque des manœuvres d’évitement dignes des plus beaux ballets contemporains. Cet exercice de souplesse articulatoire a pour but d’envoyer un texte à la personne que l’on vient de quitter ou que l’on va rencontrer dans les minutes qui suivent. On appelle ceci des SMS ( pas très éloigné de SOS), mode de communication qui a permis d’inventer un langage écrit d’une grande simpli6t. mais au fond pour écrire "T ou ?", la richesse syntaxique est peut-être superfétatoire. Certains poussent même le luxe de téléphoner juchés en équilibre précaire sur un deux-roues non motorisé, un vélo, dont la maîtrise récente n’est encore qu’approximative, et bien évidemment simultanément branché sur la dernière musique à la mode…
L’historien expliquera sûrement que ces symptômes visibles d’une pratique étrange se sont ensuite développés largement et n’étaient que les prémices d’un vaste mouvement qualifié plus tard d’« addiction numérique », qui non seulement concerne la musique et la vidéo numériques, le téléphone portable, mais aussi l’amour compulsif pour les jeux vidéos ou tout simplement la fascination pour cette nouvelle lucarne sur le monde qu’est Internet..
Ces observations appellent dès maintenant quelques conclusions provisoires sur ce début de XXIe siècle.
- le trajet domicile travail est ennuyeux, s’allonge avec la cherté du logement en centre ville, et représente un temps vide, inconfortable, dénué de sens, qu’il faut meubler de stimulants distractifs ou anesthésiants
- le voisin n’est pas une source d’intérêt suffisante pour justifier un échange direct sans intermédiation numérique
- la communication de proximité immédiate est toujours moins attractive que la communication avec des personnes invisibles
- la musique, ou peut-être seulement le son, a pour fonction de couvrir les bruits environnants et de fournir une couche protectrice contre les agressions de l’environnement, transport, travail ou voisin de bureau
- il y a un formidable marché pour les sources d’énergie mobiles, légères et durables
- les prothèses auditives ont un bel avenir
- le zapping peut rendre idiot
- de nouvelles traumatologies numériques sont à craindre. Nous avons vu que le GPS pouvait être mortel, pourquoi pas aussi le baladeur numérique ?
Au fond, que faisait-on dans les transports en commun avant l’iPod et le téléphone portable ? Il ne faudrait pas que la révolution de l’usage, dont on vante sur ces lignes les mérites libératoires, n’invente de nouvelles dépendances qui sous prétexte de temps réel détruisent la notion de temps en compromettant la construction d’un environnement conscient. La technologie doit rester sous contrôle ! L’homme doit conserver en toutes situations la lucidité qui va lui permettre de maintenir et même, pourquoi pas, de développer son libre arbitre afin d’être adulte, autonome et responsable sans qu’il soit indispensable que les « réglementeurs » ne soient contraints d’intervenir pour faire leur travail parfois incontrôlé de salubrité publique…