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Vent d'automne sur la presse informatique

Notre paysage familier est en train de changer rapidement. La presse, les éditeurs, les fabricants de matériel sont en pleine mutation, les fusions absorptions se multiplient, et un des (rares) fleurons de l’édition informatique française, déjà fortement américanisé, Business Objects, vient de rejoindre l’écurie SAP alors que BEA devrait être intégré par Oracle, nouvelle étape d’une très longue série de rachats.

Si les DSI du CIGREF ont pu se satisfaire d'une forme de continuité lors de leur assemblée générale du 9 octobre, car l'organisation du CIGREF tourne avec efficacité, maintient son audience et continue à attirer de nouveaux membres autour d’un projet très mature, la stabilité ne paraît vraiment être de mise dans l'écosystème informatique en proie à des rapides et violentes transformations. Si le pragmatisme serein affiché par les DSI est un facteur de réduction du stress, on sait que dans un écosystème homéostatique, la dégradation brutale d’un composant peut entraîner des réactions en chaîne sur l’ensemble du milieu.

C’est à la lumière de la fragilisation de l’écosystème informatique que l’on devrait tenter d’analyser les conséquences de la crise de la presse informatique française. Après la crise qui a frappé à nouveau le groupe Tests, éditeur de 01 Informatique cet été, après déjà une violente crise en 2002, et qui a entraîné le départ de son charismatique leader Luc Fayard, le licenciement de 163 personnes et l’arrêt de plusieurs titres, c’est au Monde Informatique de subir cette fois un arrêt brutal, puisque le journal papier a annoncé sa dernière parution le 12 octobre. Les deux titres familiers des équipes informatiques risquent de disparaître définitivement sous forme papier au profit de publications sur internet à l’avenir incertain.

Ayant participé pendant des années à l’aventure plus artisanale, mais sincère, de « l’Informatique professionnelle » jusqu’à son arrêt en 2006, je mesure à quel point le presse informatique est vulnérable pour des raisons de fond et de forme.

Il est évident que la banalisation de l’informatique, sortie du cénacle étroit de l’entreprise pour envahir la société toute entière, déplace le centre d’intérêt de la presse du monde limité des informaticiens professionnels vers un lectorat beaucoup plus large. Les ressources de publicité dédiées à la presse écrite étant de plus en plus comptées en raison de la montée en puissance rapide de la publicité sur internet conduisent les annonceurs à se désengager de titres au spectre trop étroit pour attaquer directement le support internet. De ce fait, les ressources publicitaires, premier mode de financement de la presse écrite, puisque contribuant pour 60 à 80% des resosurces, se faisant rares (chute de 20% par an au cours des dernières années), la pagination se réduit, le nombre de journalistes aussi et l’intérêt pour la presse informatique décroît dans une spirale mortifère.

La principale raison de ce désamour est surtout, à mes yeux, le fond. Il est de plus en plus difficile de rendre compte dans une presse hebdomadaire de la complexité des facteurs de succès de l’informatique. Nous ne sommes plus dans une ère pionnière mais au contraire dans un monde de gestion d’une base installée lourde dont la transformation n’est pas véritablement un sujet simple à décrire…ni à réaliser. La fascination technique pour les matériels étant depuis longtemps passée de mode, il n’est plus vraiment excitant de faire l’inventaire comparé de matériels, PC, serveurs, routeurs, imprimantes et autres objets d’une obscure et standardisée chaîne de valeur ajoutée qui n’a rien de glamour. Enfin, la concentration du monde des éditeurs conduit à une réduction du nombre d’acteurs et de solutions, qui contribue également à la baisse des ressources publicitaires. La presse informatique a fonctionné dans une logique de décryptage d’un monde ultra parcellisé de fournisseurs et éditeurs qui aujourd’hui tend à devenir oligopolistique, partagé entre Oracle, SAP, Microsoft et IBM. Les grands sujets polémiques; comme l'externalisation et même l'offshore, sont aujourd'hui intégrés dans un paysage beaucoup plus consensuel car plus pragmatique. La banalisation guette le monde des solutions comme elle a gagné le monde des infrastructures, même si l’Open source reste toujours, pour un temps, un sujet stimulant d’interrogations.

Ceci ne veut pas dire qu’il n’y a plus de débats en informatique… Beaucoup de sujets restent à analyser car la création de valeur par les systèmes d’information n’est certes pas atteinte ni stabilisée ! Mais le savoir est bien enfoui dans le monde des entreprises, il reste plus souvent tacite qu’explicite, opaque que transparent. On parle assez peu facilement de ses facteurs clefs de succès, ni encore moins de ses échecs et de ses difficultés, même dans l’intimité des réunions du CIGREF, et bien évidemment la presse d’investigation, qui reste au fond celle que tout lecteur préfère, a du mal à franchir les portes des entreprises car la pudeur au moins autant que la prudence restent de mise. Le franc-parler des DSI n’est pas nécessairement du goût de tout le monde, et la presse conserve un effet amplificateur facilement déstabilisateur de carrière. Aussi, mais ce n’est pas un des moindres paradoxes de l’ère de l’internet, si le support écrit s’étiole, le monde des spectacles « live » prospère et les conférences et événements continuent à trouver leur public comme le démontre d’ailleurs les succès du groupe LMI dans ce domaine.

Dans l’écosystème, la crise de la presse informatique est bien aussi celle d’une certaine époque de l’informatique professionnelle et les DSI devraient y réfléchir.