DSI, de nouveaux défis !
17 septembre 2007
Dans quelques jours, le 9 octobre, le CIGREF va tenir sa traditionnelle assemblée générale d’automne pour rendre compte de ses travaux. Pour les DSI, qui ne sont pas encore totalement absorbés par la préparation de leur budget, c’est un temps fort de la rentrée et un des rassemblements les plus prisés de l’écosystème informatique et systèmes d’information français. Avec l’assemblée générale de l’association miroir qui regroupe tous les fournisseurs, le Syntec, qui elle se tient à la veille de l’été, ces deux événements permettent de mesurer la santé de l’informatique française.
Etant depuis de nombreuses années, un fidèle participant de ces deux événements témoins au titre de mes responsabilités diverses au sein de ce milieu, je m’interroge chaque fois, lors de ces dates clefs , sur ce qui change vraiment dans le monde de l’informatique professionnelle, bousculée par tant de courants.
Une première constation s’impose : il y a un invariant dans notre monde français des technologies de l’information, l’indifférence persistante du monde politique. Cette phase curieuse de « post-campagne » électorale, encore toute frémissante de promesses et de volontarisme, ne change pas grand-chose à nos inquiétudes de la campagne. L’offre tient (encore ?) peu de place dans les préoccupations des politiques au pouvoir - ni dans celles de l’opposition d’ailleurs - , et au sein des politiques de l’offre, l’investissement dans les technologies de l’information, de la communication et de la connaissance (chaque mot a son poids) n’est même pas évoqué. Où sont les ambitions de Lisbonne ? Où sont les désirs (sincères) de faire la France un leader de l’économie numérique ? Probablement brisés dans le choc du lyrisme volontariste se fracassant contre les récifs du court-terme ce qui laisse peu de place à la construction méthodique et systémique (et donc humble) d’un environnement fertile… Mais ce n’est qu’une hypothèse, au fond optimiste. Le plus grave serait que cette indifférence traduise une ignorance persistante du monde dans lequel nous sommes désormais, le monde de la globalisation numérique (« digital globalization » pour être mieux compris), qui allie information, connaissance, décision et vitesse d’exécution.
Il est clair que si le politique continue à être absent du débat, il faut que les entreprises prennent le relais, c’est à dire investissent.
Or la clef de la confiance des chefs d’entreprise dans l’investissement dans les technologies de l’information réside bien leur directeur des systèmes d’information, seul acteur capable d’embrasser les promesses de la technique pour les transformer en vecteur de création de richesse par leur choix et leur usage pertinents. Le DSI reste, et ceci demeure ma conviction la plus intime, le pivot de l’investissement dans les technologies de l’information. Il est le seul à pouvoir décrypter l’environnement interne et externe pour y rendre l’investissement moins risqué. Pour faire face à cette mission, il doit développer une approche globale de son métier, ce qui est depuis des années l’ambition du CIGREF.
Je relisais récemment une note du Gartner Group, datée du mois d’août 2007, en forme d’adresse aux DSI. Ce document réaffirme, avec la force de conviction propre aux publications de cette institution, les tendances qui me paraissent désormais incontournable en matière de structure des DSI mais qui restent encore peu fréquentes en France. J’adhère profondément à cette vision du nouveau DSI qui accepte de migrer du champ de la technique où il s’est senti à l’aise pendant de si nombreuses années pour s’aventurer au cœur du métier. Il en a les aptitudes systémiques, mais souvent il les sous-estime. Le DSI doit prendre dès maintenant l’initiative de cette transformation au risque de ne plus pouvoir la maîtriser.
Les DSI vivent une période de transition qui les mène de la maîtrise des technologies vers la fourniture de services aux métiers. « D’ici à 2010, 50 % des directions des systèmes d’information vont se concentrer sur la recherche et la fourniture de services via des prestataires externes contre 5 % seulement en 2004 », indique John Mahoney, Vice President, responsable de la recherche au Gartner. « En 2012, les DSI, au moins 50 % des grandes DSI seront organisées en deux grandes divisions : l’une sera concentrée dans la recherche des fournisseurs de technologies et l’autre sur l’architecture et les transformations ». J'ai toujours pensé qu'il fallait s'orienter vers ce type d'organisation, en y ajoutant une troisième dimension, la recherche de la cohérence interne entre tous les composants du système d'information.
Pour gérer cette mutation, le Gartner invite fortement les DSI à placer dans leurs agendas cinq priorités, dont j’ai strictement conservé les libellés qui me conviennent tant sur la forme que sur le fond.
1 - Déterminer et comprendre la vraie valeur ajoutée de la DSI
Voir dans la DSI une « structure technique qui connaît l’informatique, livre des projets, et opère des systèmes me paraît une représentation désuète de ce métier qui a connu en quelques années, depuis l’an 2000, une violente transformation qui a touché ses produits, ses services et ses process. L’informatique d’entreprise n’est plus monolithique et opaque, elle est désormais diverse, mesure ses performances, pratique la gouvernance et apporte de la valeur à tous les niveaux de l’entreprise, dans la vision stratégique comme dans l’exécution.
2 - Mettre en oeuvre des stratégies pour réduire la complexité
Je l’ai dit ici, et ailleurs, à maintes reprises : le DSI est sommé de courir des sprints répétés avec un sac à dos de 80 kg ! Cette position inconfortable est le produit de l’histoire. L’informatique sait en effet mieux ajouter que retrancher et peu de systèmes annulent et remplacent complètement ceux qui le sont précédés. L’informatique est par nature conservatrice. Elle devient en plus conservatoire des pratiques managériales anciennes ! Or si la complexité est parfois inhérente aux métiers de l’entreprise, il est inutile de rajouter de la complication informatique, qui alourdit les coûts, pénalise l’exploitation et enchérit les nouveaux projets .
Les DSI doit s’attaquer à cette complexité inutile qui tire l’entreprise vers la bas. Il ne peut être le seul à le faire, mais il doit s’emparer du leadership dans ce domaine vital. La lutte contre la complexité passe nécessairement par l’urbanisation du système d’information et la gestion dynamique du portefeuille applicatif comme technique. La modernisation applicative est la seule voie raisonnable de baisse des coûts. Il faut tailler sans cesse pour laisser de la place aux nouvelles pousses qui rapporteront plus car elles permettent d'accélérer la transformation de l'entreprise.
3 - Décider à quel moment l’infrastructure de l’informatique devra être externalisée
C’est un domaine toujours sensible en France où l’article L. 122-12 effraie. D’après le Gartner, en 2015, plus de 75 % des infrastructures informatiques seront « achetées » à des fournisseurs internes ou externes. Cette évolution vers la standardisation des services informatiques d’infrastructure, mutualisés et achetés à l'extérieur, mais aussi vers la rationalisation des développements applicatifs, est inéluctable. Les fournisseurs comme les acheteurs ont gagné en maturité, et la pertinence des offres, comme l'expérience de la gouvernance de l'externalisation, compensent maintenant les risques de telles transformations. Il n’est plus nécessaire de posséder et de gérer soi-même ses infrastructures pour obtenir un service fiable, de qualité et piloté sur le plan économique. Plus encore, il va être de plus en plus difficile de justifier les investissements internes lourds ni les embauches de spécialistes pointus dont la carrière interne sera de plus en plus difficile à gérer. Les DSI anglo-saxons et nordiques l’ont parfaitement compris et ils vivent leur nouvelle responsabilité de manager de services externes sans états d’âme car ceci les décharge de contraintes lourdes alors qu’ils peuvent réaffecter leur temps rare de façon plus efficace
4 - Décider quels services, indicateurs et incitations seront nécessaires à la réussite des activités métiers
« En 2010, au moins 50 % des contrats d’outsourcing seront basés sur des indicateurs métiers et non sur des niveaux de services. » Cette prédiction parait encore bien lointaine alors que la définition des niveaux de services reste bien souvent imparfaite et insuffisante. Toutefois, il est clair que la dimension informatique va s’estomper devant la dimension métier des produits et services informationnels. En raisonnant processus, en construisant des outils pour résoudre des problèmes métiers, on centre désormais la réflexion sur l’impact business et non plus sur les composants techniques. Ceci implique un travail en amont avec les directions métiers encore plus intense, car l’enjeu devient plus déterminant pour le bon fonctionnement de l’entreprise.
5 – Identifier et construire les compétences pour les besoins futurs
La composition socio-technique de la population de la DSI va devoir intégrer ces changements lourds. Le départ à la retraite de nombreux informaticiens de deuxième génération, encore très imprégnés de culture technique maison, va faciliter cette évolution. Mais les politiques d’embauche et de formation devront être imaginatives pour attirer vers la nouvelle direction dont il faudra probablement trouver un nom plus significatif de cet enrichissement de missions, les talents nécessaires. Si l’informatique rebute les jeunes diplômés, on peut penser que la réflexion sur les processus et l’architecture de systèmes globaux d’entreprise, la définition et le pilotage des règles de gouvernance, le déploiement de la fonciton SI en entreprise étendue, le développement du marketing des solutions seront autant de nouveaux métiers stimulants et formateurs dans le cadre d’une fonctionnement renouvelé de l’entreprise numérique, dont tous les acteurs seront désormais formés et exigeants.
A cette question rituelle de rentrée « qu’est ce qui change dans les TIC ? » , je réponds « tout, mais beaucoup trop lentement ». L’audace, l’anticipation, la capacité de projection dans le futur et le courage de le construire restent des vertus essentielles dans un monde qui bouge trop vite pour tenter de s’accrocher sans dommage au passé. La France a toutes les raisons d'être à l'aise dans un monde numérique et globale. Il suffit qu'elle s'en donne les moyens et les DSI à leur place peuvent largement y contribuer.