Sottisier : le GPS mortel
28 juillet 2007
Depuis le drame de la descente de Laffrey, la presse répète que le jeune conducteur aurait suivi les indications de son GPS qui l’aurait entraîné dans une pente dont on peut vraiment reconnaître qu’elle fût fatale. « Le chauffeur 22 ans, décédé dans l'accident, pourrait avoir été abusé par son GPS qui lui indiquait l'itinéraire le plus rapide pour rejoindre l'autoroute ». Certes depuis vingt ans, avant et sans GPS, de graves accidents se sont produits au même endroit . Mais invoquer les forces supérieures et incontrôlables de la technique donne du piment à l’affaire. Le « GPS m’a tuer » fait un titre plus racoleur que « un conducteur imprudent engage son véhicule dans un itinéraire interdit à la circulation… ». De même il est commode d’incriminer le dispositif électronique de régulation de vitesse plutôt que la maladresse, l’ignorance, voire la malhonnêteté d’un conducteur…
Il y a quelques mois, dans le contexte également dramatique des suicides du technocentre de Renault , un délégué syndical affirmait « Cette montée en puissance de la place de l'intranet représente in fine des risques pour des salariés au bord de la rupture, du fait du stress généré par une pression tout aussi grandissante sur les objectifs. L'interlocuteur de référence est devenu le poste de travail »* .
Ces déclarations font porter sur le progrès technique, incarné dans un portail intranet ou un GPS, la responsabilité d’actes dramatiques commis par des personnes fragilisées ou simplement incompétentes. L’ordinateur, internet, sont ainsi présentés comme des outils anxiogènes voire criminogènes. Il est bien connu que la bêtise, la malhonnêteté, la violence, le désespoir, les crimes sexuels ont été inventés au XXe siècle par John von Neumann, Tim Berners-Lee et leurs émules.
La recherche de causes exogènes dans l’explication d’actes dramatiques, erreurs humaines ou gestes désespérés, a toujours été une tentation rassurante. Le fait de considérer que les technologies de l’information sont LA cause de ces comportements est devenu une habitude journalistique malsaine qui nuit à l’éducation collective qui, au contraire, devrait développer une meilleure compréhension des enjeux et des risques. La technique et l’homme entretiennent depuis toujours des relations complexes. Quand il ne s'agissait "que" de développer des prothèses musculaires comme la machine à vapeur, le moteur à explosion ou l'électricité, l'homme pouvait commettre des erreurs mais au fond la machine ne prenait pas le pouvoir. Aujourd'hui l'informatique touche quelque chose de plus intime : l'intelligence et la conscience. Et le fantasme du robot vengeur est bien présent. L'idée que l'ordinateur pourrait se substituer à l'homme pour prendre des décisions fait très peur. Il ne faut pas l'écarter mais en prendre la mesure. Il est clair que c’est l’homme qui doit avoir le dernier mot. Il faut qu'il s'en donne les moyens, sans excuse ni prétexte.
Il ne peut y avoir de vrais progrès sans conscience, sans lucidité, sans compétence. Les concepteurs des outils doivent intégrer la fragilité potentielle de leurs utilisateurs. Ceux-ci doivent sans cesse progresser en compétence et considérer que la technique doit être à leur service en toutes circonstances et qu’ils doivent en acquérir le contrôle par la formation… ou la simple lecture du mode d’emploi. Rien ne remplacera jamais l'écoute, la chaleur du contact, l'attention d'un parent ou la sensibilité d'un collégue ou d'un supérieur hiérarchique dans la compréhension des inéluctables tensions et incertitudes qui peuvent saisir tout individu. Rien ne remplacera la formation initiale et continue, ni une information efficace et impartiale, pour renforcer la connaissance du monde et de ses outils et en promouvoir le meilleur usage.
Ce sont ces bonnes pratiques qu’il faut encourager pour monter le niveau de lucidité et d’expertise. Brocarder de façon poujadiste le progrès technique n'est que sottise et irresponsabilité.
Bonjour,
A la lecture de votre billet il m'est venu la réflexion suivante :
Comme vous l'avez évoquez, il y a une carence de formation au niveau de l'utilisation des nouvelles technologies ce qui peut mener parfois à un usage irresponsable ou dangereux des outils technologiques. L'usage veut que ce soit les anciens qui forment les plus jeunes en leur faisant part de leur expérience ce qui permet de les prévenir des différents dangers qu'ils pourraient rencontrer.
En revanche, avec les nouvelles technologies c'est le comportement inverse que l'on va retenir. Les plus jeunes assimilent rapidement les nouveaux produits et en font un usage quasi-instantanné. Ce sont eux qui vont former les "anciens", leur montrer comment marchent Internet, les MMS, la vidéophonie et autres technologies. Et c'est peut-être là que se situe le problème. Les "jeunes" n'ont sans doute pas assez de recul pour apréhender les éventuels risques (comme se fier de manière aveugle aux indications d'un GPS).
En tout cas c'est toujours avec le même plaisir que je lis vos billets.
Sten
Rédigé par : Sten Pittet | 30 juillet 2007 à 12:20
Votre remarque sur l'inversion "historique" des flux de connaissance et donc de formation, des jeunes vers les anciens, est tout à fait juste. Cette rupture a des conséquences multiples, qui ne sont certes pas toutes négatives mais marquent notre environnement : carences pédagogiques des jeunes "natifs numériques", plus intuitifs que raisonnés, claire inflexion du "sérieux" vers le ludique, flux d'innovations trop rapides pour être pleinement exploitées et métabolisées, syndrome de l'instantané " je ne comprends pas tout de suite j'abandonne"... Combien d'objets technologiques finissent dans les placards au bout de quelques jours ? Dans cette société de l'abondance, le désir change de nature. On veut tout tout de suite, on a, on jette, on change... Au risque de ne pas comprendre, de passer à côté d'émotions et de plaisirs plus subtils qui nécessitent de savourer le temps de la découverte.
Rédigé par : jean-Pierre Corniou | 31 juillet 2007 à 08:17
Bonjour,
Concernant votre remarque sur le technocentre, je voudrais souligner deux choses:
Le nom "Technocentre" me semble déjà anxiogène en lui-même. Lorsqu'on appelle un lieu de travail "Centre des technologies", voire de la recherche, il y a un peu d'espace humain dans le nom et la finalité.
L'opprobe portée sur le "poste de travail" ne l'est pas sur les techniques, mais sur la représentation des relations humaines vécues par le salarié. Qu'elle plaise ou pas, elle fait partie du réel et la direction porte la responsabilité de ce glissement technophobe en apparence. La parole est importante, y compris lorsqu'on n'est pas fragilisé. Qui, en fait, se déleste sur les techniques de ses responsabilités : le délégué ou l'employeur organisateur?
Cordialement.
Rédigé par : Philippe Deracourt | 16 janvier 2008 à 16:57